SAINT-SERNIN DU BOIS

ET

 SON DERNIER PRIEUR

 

J.-B.-.A. DE SALIGNAC FENELON

 

PAR

 

L'ABBÉ SEBILLE

 

CURE DE SAINT-SERNIN DU BOIS, MEMBRE DE LA SOCIETÉ ÉDUENNE

AUJOURD'HUI ARCHIPRÊTRE DE LUCENAY-L'EVÊQUE

 

DEUXIÈME ÉDITION

ORNÉE DE TROIS HELIOGRAVURES DE LA MAISON DU JARDIN D'UNE CHROMOLITHOGRAPHIE D'UNE PAGE DÉCORATIVE DE M. G. FRAIPONT DE TROIS PLANS ET DE QUATRE AUTRES GRAVURES DANS LE TEXTE

 

PARIS

ANCIENNE MAISON CHARLES DOUNIOL

JULES GERVAIS, LIBRAIRE-ÉDITEUR

29, RUE DE TOURNON,29

 

1882

 

 


CHATEAU DE BRANDON

 

PRÉFACE

 

 

Heureux d'avoir écrit la vie de l'abbé de Fénelon, c'est avec un sentiment profond de mon insuffisance que je l'offre au public. Il n'y a que les saints qui parlent dignement des saints. Trois circonstances m'ont poussé à cette étude. Ma position d'abord, puis l'oubli complet de ce personnage dans la contrée, l'encouragement enfin de mes supérieurs et de mes amis. Tous les biographes connaissent l'œuvre des petits Savoyards et la mort de l'abbé de Fénelon. Convaincu  que ces deux faits remplissent et illustrent assez, sa vie, nul ne se met en peine de ses premières années. Lamartine, lui-même en racontant sa mort, s'est-il douté que, pendant trente ans, ce neveu des Fénelon avait été son compatriote ?

 

J'ai encadré sa figure dans le paysage agreste de Saint-Sernin du Bois, parce que ce prieuré fut, en réalité, son œuvre capitale ; œuvre bien obscure et bien humble, horizon borné à la limite de quelques paroisses rurales et à la condition des ouvriers et des pauvres. Si j'ai réussi à mettre en lumière ce que l'abbé de Fénelon aurait voulu peut-être cacher éternellement dans le sein de Dieu, j'espère qu'il me le pardonnera. Un siècle d'oubli et d'ingratitude est assez pour sa gloire ; il est temps qu'il nous donne l'exemple de ses vertus.

 


LETTRES APPROBATIVES

 

LETTRES APPROBATIVES DE MGR ADOLPHE-LOUIS-ALBERT PERRAUD,

ÉVÊQUE D'AUTUN, CIIALON, MACON.

 

Autun, le 11 décembre 1875.

Monsieur le Curé,

 

Vous nous avez donné une très intéressante monographie du vénéré prieur de Saint-Sernin. Vous avez mis en relief une vie sacerdotale qui s'est dépensée sans mesure pour Dieu et pour les âmes, et qu'est venue récompenser la mort d'un confesseur et d'un martyr de notre sainte, foi. Je vous félicite et je vous remercie de ce travail, aux débuts duquel vous avez tenu à me consulter. Je suis persuadé que vous avez trouvé un grand charme et un sérieux profit à reconstruire cette vie si modeste et si édifiante, qui demeurera l'honneur du Périgord et de l'Autunois. Je ne doute pas que l'apôtre si zélé des petits Savoyards ne vous témoigne sa reconnaissance, en priant spécialement pour la paroisse de Saint-Sernin et pour son pasteur. Recevez, Monsieur le Curé, l'assurance de mon affectueux dévouement en Notre-Seigneur.

 

Adolphe-Louis

Evêque d'Autun.

 

LETTRE DE MGR DE MARGUERYE, ANCIEN ÉVÊQUE D'AUTUN, CHALON, MACON.

 

Paris, 16 novembre 1875.

 

Je vous remercie, mon cher curé, de m'avoir envoyé votre intéressante notice sur l'abbé de Salignac Fénelon. Son dévouement pour l'œuvre des Savoyards était connu, et l'admirable démarche de ces bons montagnards à la convention pour arracher à la mort leur protecteur et leur père est une scène qui émeut et fait venir les larmes aux yeux. Vous avez à bon droit réclamé en faveur de votre paroisse et du diocèse une portion de l'exemple de dévouement sacerdotal qui rend la mémoire de M. l'abbé de Fénelon si vénérable. Cette vie de trente ans dans votre paroisse, ce zèle pour le salut des âmes, ces premières bases sur lesquelles plus tard a grandi l'importante œuvre industrielle du Creusot, voilà bien des titres qui attachent le nom de Fénelon à vos contrées, et je vous félicite de l'avoir fait revivre dans le souvenir de vos paroissiens et du diocèse. Croyez, mon cher curé, à toute mon affection et estime en Notre-Seigneur.

 

FREDERIC DE MARGUERYE

Ancien évêque d'Autun, Chalon et Mâcon.

 

AVIS DE L'EXAMINATEUR

 

J'ai lu avec autant de plaisir que de fruit le manuscrit de M. l'abbé Sebille. Je le remercie des patientes recherches qu'il s'est imposées pour rappeler à une génération trop oublieuse les vertus, l'abnégation, la charité, le patriotisme et le touchant martyre du digne neveu de Fénelon. On trouve même dans cet ouvrage des renseignements fort intéressants sur l'origine du Creusot et sur les progrès de l'industrie dans une contrée pauvre et presque sauvage. Puisse le zèle de M. le Curé de Saint-Sernin du Bois avoir, parmi nos confrères, de nombreux imitateurs. C'était le but que se proposait le synode de 1852, ordonnant la formation dans chaque paroisse d'un registre historique.

 

F.PEQUEGNOT

Chanoine théologal.

 

LETTRE DE M. GENERAL DE FÉNELON

17e corps d'armée

CABINET DU GÉNÉRAL COMMANDANT

 

Toulouse, 21 décembre 1875.

 

Monsieur l'abbé,

J'ai l'honneur de vous remercier de l'envoi de votre très intéressante brochure, relative à l'abbaye de Saint-Sernin du Bois et à son dernier prieur. J'en ai pris connaissance avec le plus grand plaisir et je vous aurais certainement répondu plus tôt, si je n'en avais été empêché par un voyage récent, que je viens seulement de terminer. Recevez, je vous prie, Monsieur l'abbé, l'assurance de ma considération très distinguée.

 

Général FENELON.

 


DOCUMENTS CONSULTÉS

 

1° DOCUMENTS IMPRIMES

 

1° Preuves de l'histoire généalogique de la maison de Bouton, par Pierre Palliot. Dijon, MDCLXV, in-folio.

2° Histoire généalogique des comtes de Chamilly, par le même, 1671, in-folio.

3° Mémoire à consulter et consultation pour la veuve et héritiers de la Chaize, contre les propriétaires et administrateurs, 13 prairial an X.

4° Mémoire à consulter pour M. François de la Chaize, avocat en parlement, subdélégué de M. l'intendant, à Montcenis, 12 août 1771.

5° Armorial de la ville d'Autun, Harold de Fontenay.

6° Histoire des prisons de Paris et des départements, contenant des Mémoires rares et précieux, le tout pour servir à l'histoire de la révolution française, notamment à la tyrannie de Robespierre et de ses agents et complices. Ouvrage dédié, à tous ceux qui ont été détenus comme suspects, rédigé et publié par P.-J.-B. Nougaret, 5 juin 1797.

7° Eloge historique de l'abbé de Fénelon, J. G. (Bibliothèque nationale.)

8° Mémoires relatifs à la révolution française, t. II.

9° Histoire du tribunal révolutionnaire de Paris, du 10 mars 1794 au 31 mai 1795, par Emile Compardon.

10° Martyrologe du clergé français, pendant la révolution.

11° Moniteur universel. Séances du 30 nivôse, 20 janvier 1794, et 18 messidor, 7 juillet 1794.Séances du 30 nivôse, 20 janvier 1794, et 18 messidor, 7 juillet 1794.

12° Du tribunal révolutionnaire, au III, par Sirey.

13° Essai historique sur 1'abbaye de Saint-Martin, par M. Bulliot. Autun.

14° Gabriel Roquette, par M. Pignot. 2 volumes. Autun, 1876.

15° Mémoires de la Société éduenne. Autun, 1872.

16° Autun chrétien, Saulnier, 1686.

17° Histoire, de l'Eglise d'Autun, par Gagnard, 1774.

18° Cartulaire de l'Eglise d'Autun, par A. de Charmasse, 1865.

19° Description générale et particulière du duché de Bourgogne, par Courtépée, prêtre, 1774.

20° La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut. (Correspondant, 25 août 1872.)

21° Annuaire de Saône-et-Loire, 1856.

22° Catéchisme de persévérance, de Mgr Gaume, 1860.

23° Vente par Louis Renard, seigneur d'Angest, au roi et à ses sociétaires, de la forge de Mesvrin et du fourneau de Bouvier. (Archives nationales.)

24° Confesseurs de la foi dans l'Église gallicane, par l'abbé Carron.

25° Extrait des registres de l'état civil de la paroisse de Saint-Luperce, canton de Courville, arrondissement de Chartres (Eure-et-Loir).

26° Presque tous les dictionnaires biographiques donnent un article sur l'abbé de Fénelon, souvent ils se copient ; ainsi le Dictionnaire de Dézobry et Bachelet, celui de Bouillet, de Feller et d'Hocquart, enfin celui de Michaud, indiquent un article inséré dans les Annales philosophiques, morales et littéraires (t. II, p. 137), faisant suite aux Annales philosophiques. (Paris, 1800, in-8.) Cet article est de Picot, rédacteur de

l'Ami de la religion.

27° Souvenirs de la marquise de Créquy (Charpentier).

28° Les Girondins, par Lamartine.

 

 

2° DOCUMENTS MANUSCRITS

 

Ces documents me sont venus de plusieurs sources ; les uns, par l'intermédiaire des confrères qui ont bien voulu s'intéresser à la vie de l'abbé de Fénelon. Ils ont fouillé eux-mêmes les archives qu'ils avaient à leur disposition. M. Chazot, curé de Saint-Jean d'Estissac, a consacré de longues veilles à transcrire les

vieux registres de sa paroisse. Grâce à ses notes, j'ai pu dresser la généalogie des Fénelon. Une correspondance suivie, qui date de 1871, entretient entre nous les rapports de la plus cordiale amitié. M.Doret, curé d'Anthully, a étudié les archives du château de Montjeu, où seul, par un privilège bien envié, il a le droit d'entrer. Il se rend aussi, souvent, aux archives de Dijon, et sait faire profiter ses amis des documents qui lui tombent sous la main. M.Sirot, curé de Villaine, me releva quelques lettres de M. André Dumont, curé de Saint-Sernin du Bois. M.Bordat, curé de Suin, m'a envoyé la relation d'une mission, faite dans sa paroisse, par l'abbé de Fénelon. M.Lacreuse, curé de Laizy, m'a fourni plusieurs notes de différentes provenances. M.Bauzon, curé de Saint-Jean des Vignes, possède en dépôt les cahiers de Mgr Devoucoux ; il en a extrait pour cette notice les renseignements les plus précis. D'autres documents m'ont été procurés dans mes rapports avec les membres de la Société éduenne : M. Harold, de Fontenay, possède dans ses archives une lettre de M. de Fénelon et une de M. de la Chaize, puis divers imprimés touchant les travaux de ce seigneur de Montcenis. M.Anatole de Charmasse m'a prêté plusieurs chartes qui n'avaient pas encore été publiées. Par MM. Courtois, du Creusot, j'ai pu prendre copie de quatre lettres de Fénelon, appartenant à M de la Chaize, ingénieur en chef des ponts et chaussées. La Société éduenne a fait paraître en 1875 la première édition de ce travail alors très incomplet. Je l'en

remercie, car cet essai m'a ouvert bien des archives et facilité le reste de ma tâche. D'autres documents enfin, communiqués par des familles étrangères, soit à la localité, soit à mes relations naturelles, sont venus compléter mes premières données. M.le comte de Larmandie me copia, en les annotant, une grande partie des papiers du château de la Poncie; il m'apprit la provenance des terres, l'alliance de certaines familles du Périgord et même certains

usages de ces contrées. J'ai le regret que cette monographie paraisse trop tard pour lui. Il est mort le 22 décembre 1879, dans sa soixante-dix-neuvième année.

M.le comte de Pontbriand m'a ouvert les archives de sa famille, pour m'éclairer sur l'œuvre des petits Savoyards, dont un de ses grands-oncles, l'abbé de Pontbriand, fut le directeur. M.le comte d'Orsières, au château du Breuil, héritier de M. de Thélis, possède dans ses archives plusieurs lettres relatives à ces contrées. M.Douheret, de Montcenis, et M. Villedey, d'Autun, m'ont communiqué les lettres de Fénelon qu'ils possédaient. Les études de notaires m'ont livré leurs actes avec la plus grande complaisance. M. Brugnot et son

successeur, M. Leverrier, M. Devoucoux, au Creusot, M. de Montmerot, M. Jarlot, d'Autun, M. Arbey, de Semur-en-Auxois, ont déjà reçu mes sincères remerciements.

M.Louis Bertrand, directeur du grand séminaire de Bordeaux, auteur de plusieurs biographies, malgré la distance, m'a guidé, dans mes recherches, au milieu des grandes bibliothèques de Paris et du grand séminaire d'Autun. Je me plais à lui renouveler ici toute ma reconnaissance. Un grand nombre de documents manuscrits m'ont été fournis par les archives d'Autun, de Saint-Pierre de Varenne, les registres de Saint Sernin du Bois, et enfin par les archives nationales de Paris, qui, grâce à M. l'archiviste, n'ont eu pour moi aucun secret. J'ai eu là, pour m'aider, une main que je ne veux pas oublier : M. Martinon, alors élève de philosophie au collège Charlemagne, consacra ses loisirs d'étudiant à me copier d'interminables pièces. Pourrai-je aussi oublier ces vieillards, qui ne sont déjà plus, mais qui m'ont livré, avant de mourir, ce qu'ils savaient sur le siècle dernier qui nous paraît, à nous, si loin.

 

 


CHAPITRE PREMIER

 

Présomptions historiques sur l'origine du prieuré de Saint-Sernin du Bois

 

Les prieurés étaient primitivement de simples fermes éloignées dans lesquelles une abbaye envoyait un administrateur (1). Tout le sens de cette définition est renfermé dans ces deux mots : ferme et abbaye. Si la ferme est une exploitation agricole qui ne demande que des bras pour la culture de la terre ; l'abbaye est la patrie des âmes, c'est de ce foyer de foi et d'intelligence qu'émanent lumière et chaleur : lumière de toutes les grandes vérités, don gratuit de Dieu ou conquête de la raison, chaleur du feu ardent de la charité chrétienne.

(1) Dictionnaire des sciences ecclésiastiques, art, Prieuré. (Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.)

 

L'administrateur était envoyé par l'abbaye avec cette double fonction : gérer les terres et sauver les âmes. L'histoire d'un prieuré en France comporte donc deux questions principales, deux ordres d'idées que l'on voudrait aujourd'hui regarder comme incompatibles, mais qui pendant plusieurs siècles se sont admirablement complétés : la charge des âmes et l'administration des biens, l'ordre spirituel et l'ordre temporel. Celui sur la tête duquel tombait cette double responsabilité, quand il comprenait bien son devoir, mettait au service des âmes les richesses dont il disposait. Il savait en même temps agrandir, améliorer, protéger avec désintéressement les terres qu'il avait reçues et enfin percevoir avec justice et charité les redevances et les impôts. Régime doux et paternel qui faisait d'une paroisse ou même de plusieurs une famille sous une autorité ferme mais toujours tutélaire; société inconnue au paganisme et que s'efforcent de méconnaître nos temps modernes, société bien digne de l'Église qui pouvait seule comprendre les véritables relations entre les richesses de la terre et les trésors du ciel, entre le corps et l'âme. C'est avec les deux idées de cette définition que nous avons essayé l'histoire rapide d'un petit coin de la Bourgogne, le Prieuré de Saint-Sernin du Bois (1), qui d'abord perdu dans des montagnes rocheuses et boisées se grossit peu à peu de deux autres paroisses tic Saint-Firmin et de Saint-Pierre de Varenne. Trois centres de population qui avec le Breuil et Montcenis donnèrent au Creusot ses premiers habitants et ses premiers ouvriers. La question des âmes étant la première en date et en importance, c'est par elle qu'il faut commencer. La parole de Dieu tomba ici parmi des peuples voués au culte des eaux, partie intégrante de la religion druidique. Les druides trouvaient ici, sous de sombres et mystérieuses forêts,

 

(1) Saint-Sernin du Bois du département de Saône-et-Loire est à 10 kilomètres de Montcenis, 29 d'Autun, 41 de Châlon-sur-Sâone et 5 du Creusot.

 

des rochers dressés par la nature, pour accomplir leurs sanglants sacrifices. Tout rendait leur culte attrayant et sensible. Des sources sacrées existaient sur presque tous les penchants des montagnes. Dans les gorges, des cours d'eau rapides comme des torrents, bouillonnant avec fracas sur les pointes des rochers, se réunissaient au fond de la vallée dans une petite rivière plus tranquille et plus calme.Chacune de ces petites sources et de ces cours d'eau avait ses adorateurs, qui se rendaient les uns à la Fontaine Sainte ; d'autres, à la Bonne Creuse (1) ; d'autres enfin, à la Bessotte ou la fontaine de la Pierre Huchée (2) Mais le plus fréquenté de ces lieux sacrés était situé au confluent dit torrent de Saint-Sernin avec la rivière de Mesvrin. C'était l'endroit où se faisait 1'union, le mariage des eaux impétueuses de la montagne avec la petite rivière de la vallée. Le lieu a reçu le nom de Gamey, peut-être de yaueiv, marier. Quoi qu'il en soit, cette idée de mariage attirait les femmes stériles qui venaient là chercher là fécondité. Les enfants malades ou languissants y étaient apportés ; ils y trouvaient la santé et la croissance.

Les Romains, loin de modifier, ces croyances primitives, les avaient accréditées, en élevant des temples près de ces sources vénérées ou en représentant sous des figures de pierres ou de bois ces divinités gauloises qui n'avaient jamais eu d'images. Ainsi à là Fontaine Sainte était une Hygie, personnage de 8 à 10 pieds de haut, les membres nus et la poitrine couverte du sagum noué à la ceinture par une simple corde. On en voit encore quelques débris. A Gamey, un temple avait été élevé. On y voyait un autel votif composé de deux figures : la première représentait un éphèbe nu, aux cheveux bouclés, courant d'un pas agile et portant une urne sur son sein ; là seconde, une nymphe sortant de l'onde et

 

(1) on dit aujourd'hui Borne Creuse ou Bonde Creuse.

(2) Aujourd'hui Pierre au chat. Elle est située au commencement d'une vallée, appelée Valsantin. (Vallis sancta, vallée sainte.)

 

lissant mollement sa chevelure. Allégorie transparente du torrent de Saint-Sernin et de la rivière de Mesvrin. La Bessotte eut aussi ses statues, qu'il est difficile d'expliquer aujourd'hui. Autun, la ville au mille temples, la ville d'Auguste était proche. Les vainqueurs avaient construit une route entre Chalon et Autun (1), qui traversait Saint-Sernin, comme nous attestent encore de très beaux vestiges, et cependant cette proximité et ce passage ne firent pas abandonner lent- culte a ces populations. Elles préférèrent rester fidèles aux génies de leurs, eaux vives que de se prosterner devant les dieux des vainqueurs. Mercure et Jupiter ne reçurent d'elles aucune adoration. Ce n'est pas sans peine que le christianisme changea ces croyances superstitieuses. Certaines pratiques se sont perpétuées même jusqu'à nos jours. Le temple de Gamey fut transformé en oratoire chrétien et relevé à différentes époques. Il en reste aujourd'hui un petit réduit, qui n'a pas 3 mètres carrés et que l'on a remaillé, comme on a pu, de divers débris. La porte est d'un gothique en accolade. On y voit à l'intérieur, un bénitier, des crédences, et au fond un autel fixe sur lequel se trouve une statue de saint Protais, en bois peint ; puis à l'extérieur, dans une fenêtre plein cintre, les deux statues dont nous venons de parler, sous les noms de saint Ploto et de saint Frelucho (2). Le premier est surtout invoqué dans le pèlerinage que les familles ignorantes des paroisses voisines entreprennent tous les, vendredis de l'année, depuis un temps immémorial, pour la délivrance des enfants noués. C'est à l'autre que les femmes stériles viennent demander la fécondité (3). Les gens du village tiennent beaucoup à tout cela ;

 

(1) D'autres disent entre Mâcon et Autun, mais le point de jonction de ces deux voies étaient Antully. Voir Etude historique de l'annuaire de Saône-et-Loire 1859, p. 503.

(2) Le Culte des eaux sur le plateau Eduens. Mémoire lu à la Sorbonne en 1867. M. Bulliot. (3) Il existe une grande ressemblance entre cette chapelle de Gamey et celle de Maison Dru, sur la paroisse de Saint-Symphorien. Cette dernière, vouée aujourd'hui à Sainte-Anne, a seulement des proportions plus grande.

 

            

 

AUTEL A DEUX FACES des deux Sources DU MESVRIN

 

ils montrent sur le bord du chemin la fontaine du bon saint. Ils l'ont surmontée d'un petit crucifix en bronze de forme singulière. Quelques-uns d'entre eux assurent même avoir vu dans certaines nuits briller une étoile sur le toit de la chapelle. Le voyageur qui parcourt ce territoire pour visiter, comme nous, ces sanctuaires d'un culte primitif, se trouve en face d'un fait très remarquable. C'est que la population de la vallée a conservé presque tous ses anciens souvenirs, temple, statues, pèlerinages tandis que dans la montagne il ne reste plus que de simples dénominations, sans aucune pratique. Tout est détruit et on ne voit plus pierre sur pierre, ni aucun concours de peuple autour de ces sources autrefois vénérées. Cherchons à expliquer cette différence.Les propriétés de la vallée ont appartenu jusqu'au treizième siècle, d'abord à quelques seigneurs, puis à la riche abbaye de Saint-Martin d'Autun (1), et les colons de ces terres tout en devenant chrétiens conservaient leurs habitudes païennes, faute d'instruction et de surveillance de la part des premiers propriétaires et des moines éloignés de plusieurs lieues. La montagne, au contraire, appartenant à l'église de Saint-Saturnin de Planoise, eut des solitaires et plus tard un couvent qui s'étudièrent avec soin à enlever, à mesure que la foi pénétrait dans les âmes, tous les vestiges d'un culte grossier. Ne pourrait-on pas rattacher les premières semences de 1'Evangile au milieu de ces peuples à ces deux apôtres qui, à des époques différentes, ont parcouru la Gaule : saint Martin et saint Colomban ?

Saint-Martin cherchait les centres de populations pour annoncer l'Evangile, les sanctuaires en renom pour abattre les idoles et faire

 

 (1) Deux chartes de 1240 et de 1252. (Essai historique sur l'abbaye de Saint-Martin, par M. Bulliot, vol. II, p. 83, 84)

 

comme les Apôtres à Rome, planter la croix sur les ruines du paganisme. Descendant du Mont Beuvrai, où il a marqué son passage, il a dû jeter les regards sur le vallon où coule le Mesvrin et sur le temple qu'on y avait élevé.

C'était là que les familles nouvellement fondées venaient chercher, avec la bénédiction des dieux, la santé et la fécondité. Or, l'Eglise qui avait sanctifié le mariage, ne pouvait pas voir d'un œil indifférent les familles souiller par des pratiques païennes un aussi grand sacrement. L'œuvre de saint-Martin, accompagnée de miracles, a été brillante, et son souvenir est resté longtemps en vénération dans toute la contrée. Vénération qui s'est traduite plus tard par des sanctuaires élevés en son honneur (1). Mais les prédications du grand thaumaturge des Gaules, pour avoir réussi à briser les idoles de Mesvrin et à bâtir à la place même un petit oratoire chrétien, laissaient dans beaucoup de familles éloignées ou ignorantes l'habitude de recourir à leurs anciens dieux dans leurs besoins les plus pressants. Quand elles arrivaient à ces sanctuaires, elles les trouvaient transformés selon les enseignements de la foi nouvelle et, sans en demander la cause, elles accomplissaient leurs dévotions qui ne s'adressaient plus de fait aux anciennes divinités mais à quelque saint de l'Evangile. Nous voyons encore les mêmes pratiques se perpétuer dans cet antique et pauvre sanctuaire de Gamey. Demandez à ces familles ce qu'elles viennent faire là tous les vendredis. Elles vous répondront qu'elles font un pèlerinage à Saint-Ploto, pour la guérison de leurs enfants. Si vous les suivez au lieu de leur dévotion, vous voyez sur l'autel Saint-Protais ; et sur la fontaine, un crucifix. Si nous en croyons certaines données historiques, la foi chrétienne aurait été aussi apportée dans ces lieux par saint Colomban.

 

 (1) L'église de Marmagne est encore dédiée à Saint-Martin, celle de Saint-Firmin l'était aussi.

 

Cet apôtre, à la suite du cortège des rois burgundes, aurait foulé le chemin des Césars, pour venir remplir ces solitudes de sa piété ardente et zélée. Saint-Martin a visité la vallée ; Saint-Colomban suivant son génie aurait évangélisé la montagne. L'aspect sauvage de ces lieux a dû lui rappeler les forêts des Vosges, où il avait fondé déjà plusieurs monastères. Il trouvait là même peuple et même croyance. Il devait se plaire dans l'isolement complet de cette gorge profonde au fond de laquelle mugit un torrent. Son austérité n'avait rien à désirer pour la fondation d'un couvent, élévation, solitude, stérilité, forêts interminables, ravins escarpés en grand nombre, tout se réunissait là pour fixer l'attention du moine austère. Il ne lui fut pas difficile d'obtenir la permission de bâtir une chapelle pour y placer quelques ermites ou solitaires (1). Ne serait-ce pas lui qui aurait mis cette nouvelle fondation sous le vocable de saint Saturnin, en mémoire du grand fait qui occupait alors la Gaule chrétienne : la découverte, du corps de ce martyr de Toulouse et les nombreux miracles qui y attiraient les peuples ?  Si toutes ces suppositions ont quelque vérité, cet établissement dut être, pour Saint-Colomban, comme une sentinelle avancée surveillant dans ses jours de plaisir la cour des rois burgundes auxquels il s'intéressait. La reine Brunehaut avait une résidence, à Autun, et Gontran possédait un château à Couches (2). Les ruines d'une villa mérovingienne se voient encore sur la paroisse d'Antully, entre Couches et Autun, au lieu dit Porcheresse, Bourcheresse, Brocariaca, Là, peut-être, se serait passée cette scène sublime (3) entre Saint-Colomban et la reine Brimehilde, au sujet des enfants naturels de Théodorik (4).

 

(1) Saint Colomban avait déjà reçu, de la générosité du roi Gontran, Luxeuil et Annegray.

(2) Les châteaux de France.

(3) Il y a un autre endroit entre Semur et Avallon qui revendique cet honneur.

(4) H. Martin, Histoire de France. A. Thierry et Adrien de Valois.

 

Les premiers solitaires de Saint-Sernin durent se rencontrer aussi avec les derniers druides (1.), adorateurs opiniâtres et intéressés des sources et des bois. Etant venus, pour ainsi dire, partager leur retraite, ils eurent moins de difficulté à leur persuader que ces eaux limpides de leurs forêts n'étaient que l'image bien imparfaite des eaux vives de la grâce divine. Aujourd'hui, quoique les siècles, aient apporté tour à tour leur travail pour rendre ce séjour plus accessible et plus commode à la vie, ils ne lui ont pas enlevé son aspect sombre et sévère. Les premiers défrichements opérés par les moines n'ont pas tous été heureux, car, en plusieurs endroits, ont été mis à nu des sommets de montagnes qui ne se sont jamais couverts d'aucune récolte verdoyante.  Le couvent, qui s'est transformé selon les besoins de chaque époque, est situé sur le penchant d'un de ces nombreux et puissants contreforts du plateau d'Antully. Au nord et à l'ouest se dressent les interminables forêts de Prodhun, qui vont rejoindre sans interruption les forêts de 1'Autunois. Au midi, s'élèvent des montagnes abruptes, dénudées, où ne pousse qu'une bruyère rare et courte au milieu d'immenses rochers compactes, couverts de mousses et de lichens sombres. La tristesse et la désolation surprennent l'âme et découragent le voyageur obligé de gravir cette côte aride. A l'est, se trouve la pente qui a reçu successivement le couvent, la vieille tour, le château, l'église et une partie du village. Malgré sa grande élévation, ce pays n'a aucun de ces horizons grandioses dont la contemplation repose des fatigues d'une longue ascension. Des montagnes plus élevées et trop rapprochées empêche le regard de s'étendre au loin. Toute la contrée a été remuée autrefois par des bouleversements souterrains. Les oscillations qu'elle a subies s'accusent encore

 

(1) Il y avait encore des druides au temps de Saint-Léger. (Voir Saint-Léger, par le cardinal Pitra.)

 

aujourd'hui par de nombreux ravins. Ici, la terre s'est ouverte en un gouffre profond qui laisse voir d'énormes bancs d'arkose ; là, une force intérieur a poussé au dehors des blocs de granit qui s'élèvent compactes. Il semble même que ce sol soit encore mal assis. Les tremblements de terre s'y accentuent plus qu'ailleurs, et les habitants constatent en ce moment un mouvement ascensionnel du village même. Ces forces internes, qui ne tourmentent plus que sourdement ce sol granitique, ont dû l'agiter avec fureur dans sa formation première. Quand d'une hauteur, on jette le regard sur cette région montagneuse, on aperçoit une suite d'ondulations fréquentes de terrains, ressemblant assez aux flot solidifiés d'une mer que le vent de la tempête aurait creusée. Les hameaux que l'on découvre, soit au fond d'un vallons soit au sommet dune montagne, soit encore au penchant d'une colline, tirent leur nom de différentes causes. Les uns ont une étymologie chrétiennes ce sont Saint-Sernin, la Croix, le Calvaire. Quelques-uns semblent d'une origine étrangère : Bouvier de Boyi, colonie de Boyens (1); Dravonne, d'une divinité scandinave ; Drac (2), qui effrayait le passant ; Gamey, d'une colonie grecque. D'autres tirent leur nom d'anciennes familles de colons qui ont fait souches : les Louis, les Thomas-Louis, les Sourdeaux, les Bonnardots, les Château-Gaillard, les Toiny, les Lamours, les Morlots; d'autres enfin sont appelés d'après leur position topographique : le bas de Maret, le bas de Chêne (3), la Bruyère, la Bessotte, Mesvrin, à la source de la petite rivière de ce nom. Des sites agrestes, des vallons perdus au milieu des forêts, devaient être un heureux séjour pour des religieux tout occupés de la mortification et de la prière. Mais si ces lieux étaient favorables

 

(1) Mgr Devoucoux retrouvait ces Boyens à Bouy, près Couches, à Boyer, près Sennecey.

(2) Dracy et Drevin paraissent à Mgr Devoucoux, dériver de cette divinité.

(3) Bas, vault, val, vallée sont synonymes.

 

à la vie contemplative, ils étaient d'un autre côté, peu propres, à faire prospérer un couvent nombreux. Les religieux, quelque courageux qu'ils aient été, ne pouvaient transformer, un terrain granitique en un sol fertile, adoucir les pentes trop rapides, qui laissaient glisser sur leurs flancs, sous l'action des orages, les récoltes confiées à la terre. Tandis que la piété faisait des progrès parmi les rares habitants qui partageaient la vie austère de ce couvent, la pauvreté empêchait cette église d'étendre bien loin son action civilisatrice. Le sommet de la montagne fut longtemps ses seules propriétés, Les fondations particulières que l'on aimait à faire dans les siècles de foi vinrent rarement augmenter les ressources de ces religieux. Les grandes abbayes, profitant de leur influence, accaparaient presque tous les legs pieux. Les moines de ces puissants monastères, appelés près des moribonds, gênaient, violentaient même, dans l'intérêt de leur ordres et de leur maison, les intentions pieuses qui voulaient se fixer ailleurs ; d'autres mêmes revendiquaient avec injustice les dispositions testamentaires qui n'étaient pas en leur faveur. Cette conduite vouait irrévocablement les pauvres églises à une infériorité perpétuelle. Il en arriva ainsi pour Saint-Sernin, jusqu'à ce qu'un évêque, père des petits et des grands, fit entendre sa voix protectrice contre cette oppression. Aganon, à la fin du, onzième siècle, prenant enfin en pitié cet abandon, condamne ces spoliations injustes et couvre Saint-Sernin de sa haute protection. Il dénonce publiquement comme inconvenante l'avarice de certains prêtres qui entravent la prospérité des églises de Saint-Germain, de Saint-Sernin et autres. Il qualifie d'exaction la conduite de ces pasteurs qui inquiètent, sous prétexte qu'elles sont leurs paroissiennes, les personnes pieuses qui donnaient quelque bien à Dieu et à ces églises pour le soulagement de leurs âmes (1). " Par l'autorité du Père, du Fils et du Saint-Esprît, continue-t-il,

 

(1) Cartulaire de l'Eglise d'Autun, p.49. A. de Charmasse, 1865.

 

 au nom du bienheureux Nazaire, notre patron, au nom du pape Grégoire, notre maître; au nom d'Hugon, archevêque de l'Église de Lyon, j'ai statué qu'il soit permis à tout laïque de quelque paroisse qu'il soit, du diocèse d'Autun ou autre, de prendre demeure dans ces églises, de choisir leur cimetière comme lieu de sépulture, quelque soit le temps ou la raison de leur séjour en ces lieux, nécessité ou hospitalité. " J'ai statué qu'il soit permis aux clercs de ces églises, aussi longtemps qu'ils vivront en communauté et sans propriétés, de regarder ces laïques comme leurs paroissiens, de recevoir et de retenir, sans être inquiétés de personne, les legs et offrandes que ces nouveaux paroissiens leur apporteraient, soit pendant leur vie, soit après leur mort. Je défends, en outre, expressément à quiconque de contredire et de tromper celui-là même qui ne serait pas leur paroissien et qui, mourant dans une autre paroisse, aurait exprimé le désir de donner à ces églises quelque chose de ses biens ou la volonté de s'y faire inhumer, après avoir demandé la permission à son propre pasteur et lui avoir payé des droit, convenables " On conçoit aisément l'importance que ces églises attachèrent à cet acte public de protection et de quel soin elles entourèrent cette ordonnance. La parole d'un évêque porte toujours avec soi une bénédiction particulière, et ces couvents pouvaient dès ce jour compter sur un avenir meilleur. Si cette pièce nous révèle, au onzième siècle, l'existence et la pauvreté de Saint-Sernin, si elle nous fait connaître qu'il y avait là une communauté de clercs vivant sans propriétés, elle se tait sur la condition de ces religieux. Etaient-ils des enfants de Saint-Colomban qui, fidèles à la doctrine du maître, avaient conservé intacte l'austérité de la vie monastique? Ou bien avaient-ils déjà, comme bien d'autres, abandonné cette règle pour suivre celle de Saint-Benoît, plus douce et plus pratique?. Que d'autres questions encore ne fait pas naître l'existence d'un couvent à cette époque ? Administration, finances, justice, juridiction sur les âmes, chacune de ces questions est pour nous comme un problème. Ce que nous pouvons avancer sans crainte de nous tromper, c'est que si l'administration des biens et la charge des âmes se trouvaient réunies dans les mains d'un seul, résidant au couvent, les choses de Dieu, malgré leur peu de ressources, étaient sur la voie d'une véritable prospérité. L'ordonnance de l'évêque Aganon procura sûrement à Saint-Sernin quelques legs pieux. Un seul est parvenu jusqu'à nous ; il se trouve inséré dans le testament de Gauthier de Saint-Symphorien abbé de Saint-Pierre l'Estrier. c'était 1e 4 mai 1243, le mourant laissait 20 sous à plusieurs églises de la contrée et entre autres à celle de Saint-Sernin, afin d'y faire célébrer un office pour le repos de son âme (1). Cette pièce, plus laconique que la première, désigne seulement les titulaires de la fondation sous le nom vague d'églises (2). Ces donations, quelque nombreuses qu'elles aient été, ne pouvaient pas, comme on le voit, donner à Saint-Sernin de grandes ressource. Les terres fertiles, les belles prairies de la vallée, situées sur les cours de la rivière, ne viendront que plus tard agrandir son domaine. L'abbaye de Saint-Martin d'Autun, plus prospère, lui enleva encore pour quelque temps l'espérance de les posséder, en achetant, en 1240, de Gauthier, écuyer, la terre de Corcelles, sise en Marey, ainsi que toutes les terres qui en dépendaient jusqu'à la rivière (3) ; puis, en 1252, la terre de la Chapelle, sise au finage de Marey, de Jehan, doyen d'Ornano, et  de Mathelie, son

 

(1) Cartulaire de l'Eglise d'Autun, p 165 A. de Charmasse, 1865).

(2) Cette charte a pu induire en erreur M.Dinet, lorsqu'il dit que les religieux de Saint-Symphorien d'Autun possèdent les prieurés de Saint-Sernin du Bois et de Saint-Germain des Bois (Saint-Symphorien, t. II, p. 303.)

(3) Essai historique sur l'abbaye de Saint-Martin, par M.Bulliot, 1849, vol. II, p. 83, 84.

 

épouse (1). Ces moines recevaient, la même année, à titre d'aumône perpétuelle, trois menses, Hommes, terres, eaux poissonneuses, cens, etc., et toutes les terres que possédaient, à Marey, sur la paroisse de Saint-Saturnin du Bois, Bernard, seigneur de Torcy, Marie son épouse et leur fils Odon.

 

(1) Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

 


CHAPITRE II

 

Les prieurs de Saint-Sernin, depuis 1300 jusqu'à 1745.

 

Un siècle après, une ère nouvelle s'ouvre pour Saint-Sernin. Sa situation s'améliore et son territoire s'étend chaque jour de quelques propriétés. Il doit cet état prospère à son annexion au prieuré de Saint-Germain en Bryonnais qui était entre les mains habiles de sages administrateurs, les chanoines réguliers de Saint-Augustin. Courtépée fixe cette annexion au treizième siècle (1). Une charte de 1277 (2)  nous fait conclure que la réunion des deux prieurés a eu lieu dans les vingt-trois dernières années de ce siècle. A cette date, Hugo, prieur de Saint-Germain, fait un acte de soumission à Girard, évêque d'Autun, sans même faire mention du prieuré de Saint-Sernin du Bois. Ce qu'il n'aurait pas fait s'il eût eu sous sa direction les deux prieurés. Saint-Germain, situé dans le Bryones, contrée riche et fertile, à dû, au commencement, être d'un grand secours à la pauvre église de Saint-Sernin, qui offrit en échange, dans les temps difficiles de guerre et de pillage, ses rochers dénudés pour retraité

 

(1) Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

(2) Cartulaire de l'évêché d'Autun, A. de Chamasse. Autun, 1880.

 

au personnel et aux richesses de ces deux couvents désormais réunis.

Les chanoines réguliers de Saint-Augustin étaient non seulement d'une grande piété, mais ils avaient encore donné des preuves d'une bonne administration. Nous lisons dans les Mémoires du clergé (1), qu'Yves de Chartres (1070), étant abbé de Saint-Quentin de Beauvais entreprit de réformer ou de rétablir en France l'ordre des anciens chanoines réguliers de Saint-Augustin, qui était fort déchu ; pour y réussir, il abolit tous les titres d'exemption qui, affranchissant les abbés de l'autorité des ordinaires, les faisaient monter à l'indépendance et ensuite à la juridiction presque épiscopale. Dans les commencements, ces chanoines étaient si réguliers observateurs de cette réforme, qu'ils se faisaient un scrupule de se trouver aux conciles, appréhendant que ces assemblées, où il y a des disputes de préséance, n'altérassent l'humilité dont ils faisaient profession ou que l'embarras des voyages ne les dissipât trop.

Cette ferveur nouvelle, cette obéissance et cette humilité monastiques avaient sans doute attiré l'attention d'Aganon, qui siégeait à Autun, au moment de cette réforme. Ce zélé prélat, soucieux, du soin de ses églises pauvres, n'avait pas craint de confier à ces religieux, dès 1080, celle de Saint-Germain en Bryonnais (2), pour laquelle il avait déjà dressé l'ordonnance que nous avons rapportée. Les chanoines de Saint-Augustin avaient pleinement répondu à l'espérance de l'évêque. Leur église et leur couvent en moins de quelque temps étaient sortis des ruines.

Il y avait donc déjà deux cents ans que ces religieux étaient établis à Saint-Germain, lorsqu'on leur confia, en l'annexant à leur couvent, l'église de Saint-Sernin, qui, moins heureuse, était jusque-là restée dans sa pauvreté et son abandon. Depuis l'annexion, le

 

(1) Mémoires du clergé, 1777. ArL Chanoines réguliers. Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.

(2) Annuaire de Saône-et-Loire, 1856. Saint-Germain.

 

premier de ces prieurs dont nous connaissons le nom est maître Guidon dou Devant, mort au commencement du mois de janvier 1352, et enterré en l'église de Saint-Sernin du Bois (1).

A cette époque, le prieur était ordinairement un simple frère du couvent, nommé par les religieux eux-mêmes. Dans une piété traditionnelle à son ordre, il signait toujours : Humble prieur de Saint-Germain. Sa nomination était soumise à l'approbation du chapitre de la cathédrale d'Autun. C'était à Saint-Germain que les religieux se réunissaient pour élire leur prieur. Saint-Sernin envoyait seulement un représentant pour travailler, de concert avec les autres frères, à l'élection. Une charte de 1352 nous fait assister à toutes les cérémonies qui accompagnaient le choix d'un nouveau maître (2). Cette pièce est trop importante pour que, sans suivre toutes les répétitions des notaires d'alors, nous n'en donnions pas une analyse succincte, mais suffisante. Il s'agissait de donner au couvent un successeur légitime à Guidon dou Devant. Les religieux, frères humbles et dévoués, Girard Brutin, secretain de Saint-Germain ; Pierre de Perrecie, secretain de l'église Saint-Saturnin du Bois ; Dalmache de Broiches, Jean de Ville-Urbaine, Etienne d'Angoym, Martin des Fontaines, Guidon de Couches et Guillaume de Glènes, chanoines de Saint-Germain, supplient, en toute révérence et honneur, les vénérables, discrets et très chers seigneurs Jean de Bourbon (3), doyen, et tous les membres du chapitre d'Autun, de ratifier leur élection.

Pour obtenir cette faveur plus sûrement, ils font le récit très

 

(1) Requête adressée au chapitre d'Autun, par les religieux de Saint-Germain des Bois, pour obtenir la confirmation de l'élection de leur prieur.(Archives de la ville d'Autun.)

(2) Relevée par M. A. de Charmasse.

(3) Jean de Bourbon de Montperroux, doyen de l'Eglise d'Autun, fut évêque de Verdun, en 1362. (Rituel d'Autun, 1833, P. XLVII.)

 

détaillé de toutes les formalités qu'ils ont accomplies, à commencer par la sépulture de Guidon don Devant, mort le mercredi après la fête de l'Epiphanie du Seigneur. Ils mentionnent ensuite deux assemblées préparatoires. Dans la première, ils ont fixé simplement le mardi après la fête des bienheureux Fabien et Sébastien, martyrs, pour parler de la future élection.

A la seconde, après une messe solennelle du Saint-Esprit, ils sont entrés en chapitre. Pierre de Perrecie était délégué par Philippe de Glènes, retenu malade à Saint-Sernin. Après délibération, ils tombèrent d'accord pour faire cette élection par mandataires (Per viam compromissi). Ils firent ensuite une nouvelle invocation au Saint-Esprit, suivie de monitions lues par Girard Bratin, pour éloigner de cette élection tous les excommuniés, suspens, interdits, laïques, et tous ceux qui ne suivent pas la règle de saint Augustin. " Qu'ils ne prennent aucune part, dit-il, à l'élection, et qu'ils se retirent du chapitre, pour nous laisser la liberté d'élire."

Vient ensuite la nomination de deux mandataires avec leur mandat express et la durée de leur pouvoir. Girard Brutin et Martin des Fontaines, les deux élus, doivent choisir parmi tous les religieux celui que, selon Dieu, la justice et leur conscience, ils savent le meilleur et le plus propre à gouverner et à régir le prieuré. Ils doivent, en second lieu, faire connaître leur choix aussitôt qu'ils auront pu tomber d'accord. Leur pouvoir ne doit pas dépasser la durée d'une chandelle allumée qu'on leur remet entre les mains. Avec ces ordres et ce pouvoir éphémère, les mandataires se retirent à l'écart, ainsi que le notaire et plusieurs témoins, pour délibérer. Leur vue tomba bientôt sur un homme prudent et honnête, le frère Jean de Saint-Privé, chanoine, religieux du bienheureux Augustin, et faisant profession expresse de sa règle. Il avait l'âge légitime, et était constitué dans les ordres spirituels et temporels. Ce choix fut aussitôt annoncé au chapitre par la voix de Girard Brutin, qui s'exprime en ces termes : " Moi, Girard Brutin, secretain, par la volonté et l'ordre de Martin des Fontaines, mon

 

frère ici présent, en son nom et au nom de tous dans l'espace de temps déterminé, j'ai choisi maître Jean de Saint-Privé, chanoine, homme prudent et discret, pour prieur et pasteur de notre prieuré et de notre église. "

" Après cette élection acceptée et tenue par tous pour agréable, continuent ces religieux, nous avons pris l'élu et l'avons transporté au pied du maître-autel, pour entonner solennellement l'hymne angélique du Te Dum laudamus, pendant le chant duquel le frère Jean s'est tenu à genoux. L'élection fut ensuite annoncée au clergé et au peuple. " A l'heure des Vêpres, les religieux se réunirent de nouveau en chapitre, pour supplier avec instances l'élu de vouloir bien consentir à cette élection dans le bien du prieuré. Au commencement, Jean de Saint-Privé se servit de plusieurs excuses, alléguant son indignité ; mais, vaincu par d'instantes prières, il donna son consentement pour la gloire de la sainte Trinité, de la bienheureuse Marie toujours Vierge, et de toute l'assemblée des saints (totius curie civium superiorum).

Cette élection à laquelle il ne manquait rien ni du côté des formalités d'usage, ni du côté de l'élu, qui, ajoute la supplique, n'a pas besoin des louanges humaines, ne pouvait qu'être agréable aux seigneurs du chapitre de la cathédrale d'Autun. Aussi la ratification ne se fit pas attendre. Le sceau du chapitre fut apposé à la supplique par l'official, en présence d'Hugon Closeries, official archidiacre d'Autun, de Pierre Bouchereaul, archiprêtre du Bois, Guidon de Faya, notaire public, et des religieux frères Jean de Saint-Privé, moine de Perrecie, ordre de Saint-Benoît, et d'Hugon de Baron, moine du couvent de Saint-Rigaud. C'était la première année du pontificat de notre très saint Père dans le Christ et de notre seigneur notre maître Innocent Il. Cet acte est terminé par la signature de Jean Bonet, clerc notaire publie par l'autorité apostolique, impériale et officiale. Le choix de ce nouveau maître à qui nous aimons à voir donner

 

les titres de prieur et de pasteur, fut heureux. Le couvent trouva dans Jean de Saint-Privé, un homme éclairé, aux conceptions généreuses. Il fut choisi plus par la Providence encore que par les religieux, pour sauver de la ruine et de la dévastation, non seulement l'église de Saint-Sernin, et les richesses du couvent, mais toute la contrée, avec les pauvres familles de cultivateurs qui étaient venues se grouper autour du monastère.

La fin du quatorzième siècle fut en effet un des plus tristes temps de notre histoire de France. Les horreurs de l'invasion se joignaient aux cruautés de la guerre civile et aux atrocités de pillards impunis. Les Anglais, sous la conduite d'Edouard III, les armées de Charles de Navarre, dit le Mauvais, la Jacquerie, les Tard-Venus, les Ecorcheurs (1) sillonnaient le territoire et cherchaient de préférence les riches et fertiles contrées.

On sait que le Mâconnais et le Charollais ont eu à supporter une large part de toutes ces dévastations. Autun fut saccagé par les Anglais (1356). Jean de Saint-Privé, voyant monter l'orage autour de ceux qu'il avait maintenant à sa garde, n'hésita pas à venir à Saint-Sernin construire une forteresse immense, capable de protéger le couvent et les familles qui viendraient y chercher un abri. Il exécuta son projet dans le goût et les besoins du temps. Sa construction, que l'on voit encore, est une tour carrée haute de près de 100 pieds et dont les murs ont à la base 9 mètres d'épaisseur. Elle était composée de cinq étages, desservis par un spacieux escalier et munis chacun d'une cheminée de pierre au large manteau grossièrement taillé. Elle était éclairée par de rares fenêtres, étroites à l'extérieur, mais s'élargissant intérieurement, ce qui accuse leur double destination : le passage du jour et de l'air et la défense des murs. La plus élevée s'ouvre au sommet, sur la porte d'entrée, afin que les projectiles qui en tombaient soient

 

(1) Les Écorcheurs possédaient l'ancien château de Marnay, sur la paroisse voisine, Saint-Symphorien de Marmagne. (Annuaire de Saône-et-Loire. 1856.)

 

 

Vue de la Tour de Champitaux (Heling. Dujardin)

 

plus dangereux ; d'autres défendent les angles. Quelques-unes sont géminées ; toutes sont munies à l'intérieur de banquettes de pierrie sur lesquelles on pouvait s'asseoir en groupe, respirer l'air et voir au loin passer les bandes dévastatrices. L'entrée principale de cette tour était très étroite. La grille de fer, nommée herse, qui la fermait, s'ouvrait de haut en bas ; relevée, elle s'enchâssait dans la pierre, afin de ne donner aucune saillie. Cette construction avait une cave pourvue d'un puits et d'un lavoir qui ne tarissaient jamais. Une fenêtre à la face nord-est, divisée par une croix latine et ornée à la partie supérieure d'un double trèfle, fait penser que là devait être la chapelle intérieure ; sa position au dernier étage confirmerait cette opinion, vu la défense ancienne de l'Église d'habiter des appartements supérieurs à une chapelle même privée.

On pouvait là résister longtemps. La construction était épaisse, la porte était unique, élevée et tellement étroite, qu'un homme sans armes aurait à peine pu s'y glisser. Les prisonniers volontaires qui s'y renfermèrent, n'en sortirent pas sans envoyer quelque hardi, messager, pour s'assurer que les bandes armées ne tenaient plus campagne. Les religieux de Saint-Sernin du Bois ne furent pas les seuls de la contrée, qui se préoccupèrent de protéger les familles de leurs cultivateurs. Dans la vallée voisine, au lieu appelé Champitaux, les seigneurs d'Antully élevèrent aussi, dans le même style, une tour de défense de moindre dimension. Elle resta longtemps très importante, on y avait établi une justice ; et nous lisons, dans les Terriers de Môntjeu, qu'il s'y tenait des foires et des marchés où les vassaux des environs étaient forcés, sous peine "amende, d'y vendre leur bétail (1). Cette construction, moins forte que celle de Saint-Sernin, a dù subir le choc des armées anglaises (2). Toute la

 

(1) Terrier du château de Montjeu, près Autun.

(2) Les plus anciens actes parlent de cette tour, mais découverte et démantelée.

 

vallée, autrefois semée d'habitations, est restée déserte depuis cette époque. Aujourd'hui on rencontre de distance en distance des fondations de maisons, qui ont dû être de riches demeures. Elles étaient bâties entre cour et jardin, dont les terrasses s'étageaient sur le flanc de la montagne. C'est en remuant des amas de pierres cachées sous des broussailles, qu'on a trouvé dernièrement une pièce de monnaie d'or du poids d'un louis de 10 francs. Elle date de l'occupation de la France par les Anglais (1). Le souvenir de cette invasion étrangère resta longtemps dans la contrée. On disait encore en 1624 qu'en un château des environs, le château de Brandon " il y a un trésor caché et enfoncé en terre depuis que les Anglais occupaient une grande partie de la France, provenant de ce que un seigneur du dit Brandon ayant vendu une terre et seigneurie qu'il avait au pays de Lorraine et reçu son payement en denier comptant, redoutant les courses des Anglais, le cachât en terre et fut prévenu de mort avant que de le pouvoir retirer n'y découvrir ce qu'il en avait fait. " Ce trésor était gardé par un démon nommé Mamnon (2).

Si ces contrées subirent les malheurs de la conquête, nous pouvons assurer qu'elles ne furent jamais vendues à l'étranger, car elles appartenaient, en 1360, à Guillaume d'Antully et à Guillaume de Traves, seigneurs qui se portèrent caution, avec sept autres, pour la rançon de Jean le Bon (3). Combien de temps les seigneurs, les religieux et leur monde furent-ils obligés de se cacher dans ces grands murs presque privés d'air et de jour ? Nous ne saurions le dire. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en 1367,

 

(1) Cette pièce de monnaie a été achetée par M. Devoucoux, notaire au Creusot. Elle porte les armes de France et d'Angleterre, l'initiale H et la croix latine ; pour type, l'Annonciation avec cette légende : per crucem vincit, per crucem regnat, per crucem imperat. Un don nous en fait aujourd'hui le propriétaire.

(2) Extrait d'un manuscrit d'un capucin de Château-Chinon, appartenant à M. Lorry, ex-notaire à Moulins-Engilbert.

(3) D. Plancher, A. Côte-d'Or.

 

 

 

Monnaie d’or d’Henri V, roi d’Angleterre

 

Jean de Saint-Privé avait déjà établi sa demeure dans la forteresse de Saint-Sernin, qu'on appelait tour nouvelle, turris nova.

Le document qui nous fournit ce renseignement est curieux à citer. En nous montrant la bonté de ce prieur, il nous instruit des usages qui accompagnaient l'affranchissement d'un serf. L'action se passe dans la chambre de Jean de Saint-Privé. C'était le jeudi après la Nativité de Notre-Seigneur, de l'année 1367 (1), sont réunis le notaire Denys de Perches, clerc du seigneur de Charolles, notaire publie et jure, qui doit dresser l'acte ; puis, pour servir de témoins, Guillaume de Saint-Privé, avec son valet Pasquerius Pineau de Tours, et Garnier du Bois, ancien clerc de Saint-Sernin. Sur son siège, Jean de Saint-Privé reçoit devant lui Clermont Canale, habitant de la ville de Charolles, serf, taillable et de mainmorte du prieur de Saint-Germain en Bryonnais et de Saint-Sernin du Bois, comme son père Jean Canale, habitant de Tournus. Il vient prier humblement et avec instance son seigneur et maître, de vouloir bien le relever de sa servitude, ainsi que tous ses héritiers, pour devenir homme et bourgeois du seigneur de Charolles. A cet effet, il renonce, en son nom et au nom de sa postérité, à toutes les terres dont il jouit comme son père, et qu'il tient des prieurs de Saint-Germain.

Après cette requête se présente le sergent Jean Michelet de Chairolles, chargé au nom du comte et baron du Charolais, d'exercer ces sortes de procédure. Il produit ses pouvoirs qui sont signés de Guillaume de la Roche, chevalier et bailli de Charolles ; ils sont conçus en ces termes : " Sachent tous que nous, Guillaumes de la Roche, chevalius bailli de Charollois, de la loyauté et suffisance de Jehan Michelet de Chairolles, à ploin confiens y celui Jehan avons fait mis et establi façons, mettons, establissons et ordonnons sergent général et spécial de Mons de Charollais par tous son conté et baronnie de Charollois fiez, rerefiez et ressorz

 

(1) Charte appartenait à MM. Canat, de Chalon-sur-Saône.

 

d'icellui et li avons donné et octroyé, donnons et octroyons plénier povoir et espécial commendenient d'adjorner, gager, saysir, brandonner, permunceller advoier, désadvoier et recevoir hommes en l'advoy et bourjoisie de mon dit Seigneur. "

Ce sergent, donc, usant de son pouvoir, prit Clément Canale par la main, en lui disant qu'il le délivrait de la servitude de son prieur, et qu'il le recevait comme homme et bourgeois de Charolles. Le prieur Jean de Saint-Privé, écoutant avec bonté et supportant patiemment tous ces préliminaires, termina cette longue cérémonie par ces simples paroles : " Que c'était de la part de Dieu (1). >>

Le notaire, qui a tout vu, tout entendu, tout compris, est ensuite prié avec grandes instances et solennellement par Clément et le sergent Michelet d'en dresser acte. Cette pièce reçut sa force et sa notoriété de la signature de Hugues de Roselle, bourgeois de Paray, qui était alors le garde des sceaux du comté et de la baronnie de Charolles.

Cet affranchissement ne fut pas un acte isolé dans l'administration de Jean de Saint-Privé. Sur les dernières armé ces de sa vie, en 1385, il releva aussi de la servitude un de ses serfs de Saint-Sernin. Voici en quelques mots la teneur de cet acte : " Nous, frère Jehan de Saint-Privél, humble prieur de Saint-Germain en Bryonnais et de Saint-Saturnin du Bois, réduisons et renonçons, en nom de nous et de nos successeurs, la servitude des Mex, situés au Vault de Maret (2), au dit Guillemot et Estienne son fils, le mardi après la résurrection de Notre Seigneur, mil trois cent quatre-vingt cinq (3). " Cette générosité était aussi justice, car nous voyons ses successeurs approuver et étendre cet affranchissement à tous les enfants de cette famille. Odilon Porchet ajoute même : " Par considération de plusieurs bons et agréables services qui ont esté

 

(1) Charte appartenait à MM. Canat de Chalon-sur-Saône.

(2) Cet acte nous montre pour la première fois le vault ou le bas de, Maret, possédé par le prieuré de Saint-Sernin du Bois.

(3) Archives de Dijon, Saint-Sernin, 1385.

 

faiz à notre dit Prieuré, tant par le dict Guillemot comme par le dict Estienne son fils, voulons que les dictes lettres ci-dessus rapportées soient de telle valeur et utilité, au profit du dit Estienne et de sa postérité, le mercredi, dix-huitième janvier, mil trois cent quatre-vingt neuf (1). "

Ces lettres d'affranchissement sont une preuve frappante de la bonne entente qui existait entre les religieux du couvent et les habitants de la contrée. Loin d'avoir entre eux des rapports de maîtres et de serfs opprimés, ils se rendaient mutuellement de bons et agréables services.

L'administration de Jean de Saint-Privé fut longue et fructueuse. Ce vénérable prieur s'endormit dans le Seigneur, plein de jours et de bénédictions. Malgré le malheur des temps, il avait non seulement préservé de la ruine son cher prieuré, mais encore il l'avait vu s'augmenter de quelques terres. Le couvent de Saint-Sernin n'était plus condamné à vivre au sommet de ses rochers, il était enfin en possession de riches héritages de la vallée de Mesvrin.

Les religieux de Saint-Sernin avaient jusqu'alors tenu à nommer parmi leurs membres leur prieur et leur pasteur. Nous avons vu même avec quel soin ils écartaient de ce choix tous ceux qui ne professaient pas la règle du bienheureux saint Augustin. A la fin du quatorzième siècle, cette louable coutume avait déjà reçu en plusieurs lieux quelque atteinte. Bientôt même l'usage deviendra fréquent de donner les bénéfices en commende (2). Les abbayes et les principaux prieurés seront alors possédés par les plus grands prélats de l'Église. Il était avantageux pour les couvents d'avoir à leur tête un homme puissant, qui pût défendre leurs intérêts en haut lieu. Mais il était aussi préjudiciable à la vie monastique, ainsi qu'au salut des âmes, d'avoir un prieur à

 

(1) Même source,

(2) Vers 1390, l'usage des bénéfices donnés en commande devint fréquent. (Rituel d'Autun, 1833, P. XLIX.)

 

qui les grandes fonctions ne permettaient plus de garder une véritable résidence.

A Saint-Sernin, le premier de ces prieurs nommés en dehors du couvent fut Ferry de Grancey. Il était frère de Mgr Milon de Grancey, évêque d'Autun, qui l'avait fait archidiacre du diocèse (1).

Les religieux avaient besoin à cette époque d'un prieur, dont l'influence imprimât autour de leur maison le respect et l'obéissance. Des grands services que Jean de Saint-Privé et son couvent avaient rendus aux habitants, étaient liés nécessairement plusieurs devoirs, de la part des protégés envers leurs protecteurs. Si le prieur avait construit la tour, les habitants devaient, de leur côté, faire la garde, veiller et préparer les engins de guerre, puis, accomplir encore d'autres corvées, comme la réparation des murs, des chemins, etc. Mais le danger une fois passé, le bienfait et les devoirs furent bientôt oubliés. Il fallut une décision de la cour du due de Bourgogne, pour forcer les habitants à se reconnaître redevables, envers leurs bienfaiteurs, des corvées exigées pour le bien général (2). Ferry de Grancey obtint ce décret et fit rentrer sans faiblesse les obligés dans leur devoir.

A ce prieur, le couvent de Saint-Sernin doit aussi la concession de plusieurs terres, faite par le chapitre de la cathédrale d'Autun, en 1393 (3).

Ferry de Grancey, appelé, en 111,15, sur le siège épiscopal d'Autun, à la mort de son frère Milon, et, l'année suivante, à l'administration de l'archevêché de Lyon (4), donna sa démission de prieur de Saint-Sernin, et oublia bientôt dans ses importantes fonctions cette pauvre terre. Il mourut, le 20 août 1436, au château de Thoisy la Berchère (5), séjour ravissant, aimé des évêques d'Autun.

 

(1) Rituel d'Autun, 1833 : liste des évêques d'Autun.

(2) Inventaire des papiers du prieuré, art. (2) (Archives de la ville d'Autun.)

(3) Ibid., art. 23. (Archives de la ville d'Autun.)

(4) Rituel d'Autun, 1833, liste des évêques d'Autun.

(5) Le Morvand, par Baudian, t. II. Nevers.

 

Les religieux n'avaient eu qu'à se louer du choix, qu'ils avaient fait d'un protecteur qui avait uni à un haut degré tous les talents et toutes les vertus. Eurent-ils cependant quelques reproches à se faire vis-à-vis de la ferveur et de la règle ? Nous pourrions le croire, en les voyant élire, pour succéder à ce grand dignitaire de l'Eglise d'Autun, un simple religieux de leur couvent. Odilon Porchet n'eut jamais aucun titre que celui de prieur de Saint-Sernin. Après sa mort il est désigné : humble prieur, religieux de bonne mémoire.

Il fallait, un homme qui consentit à appuyer de son exemple la pratique des conseils évangéliques, et à connaître en détail les biens qui étaient en souffrance, pour y apporter un prompt remède.

L'administration de Ferry de Grancey avait été pour le couvent plus brillante que vraiment fructueuse. Si plusieurs terres étaient venues s'annexer aux propriétés des religieux, il y en avait d'autres que l'on possédait depuis longtemps, et qui oubliées, étaient tombées dans un état déplorable d'improduction. Il n'était pas encore très éloigné le temps où le brigandage avait ruiné les campagnes. Les cultivateurs, sans cesse dans l'inquiétude, avaient laissé leurs terres pour se sauver en lieu sûr. Beaucoup, après la tourmente, étaient revenus dans leurs foyers en ruine, et personne encore ne s'était occupé de leur sort. Odilon Porchet (1), religieux du couvent, connaissait leur état, et fut choisi pour cette œuvre de réparation.

Les actes qui nous restent de lui sont presque tous dans ce but. Il donne des héritages rainés à des personnes de confiance capables de les remettre en bon rapport.

Le 11 octobre 1431, il donne à Maclin Guillot le mex Valeaul,

 

(1) Archives de Dijon). Voir Saint-Sernin et sentence du chapitre de la cathédrale d'Autun. (Archives de la ville d'Autun.) Les Porchet étaient d'une ancienne famille originaire du village de Chappey, en la commune de Broye. Ils ont été seigneurs du Fou, fief des seigneurs de Montjeu. L'un d'eux, Guillaume. fut curé de Dracy Saint-Loup, en 1330,

 

taxé à 6 sols de redevances, Estienne de Maret l'ayant supplié de l'en décharger (1).

Un mois après, le 21 décembre, il délaisse au barbier Vernizeau une autre propriété, appelée simplement le Mex.

Enfin, en l433, le 25 juillet, en présence de Guillaume de Boahaut, curé de Cussy, de Philibert de Soussy, de Guillaume Lermotte, religieux de Saint-Sernin, et de Gauthier de Rousseau ! Milon Porchet et son couvent " cèdent à Jehan de Maret, leur juge (clerc demeurant à la Tannière), pour ses services et de Estienne de Maret son frère le mex, André Lochère que tenait Guillaume Grosselier, à Gamay, inex vacant demeuré " en grand'ruyne (2). " Cet acte ajoute : " Sera tenu le dit Jehan de faire et édifier un moulin au lieu où, autrefois il a esté, et quand le dit moulin mouldra, le dit Jelian et ses hoirs seront tenus de payer chacun an, la quarte de froment à cause de la roue du dit moulin (3). "

Le couvent, à cette époque, si l'on ne considère que le personnel, était vraiment prospère. Il était composé de neuf membres : six, prêtres, sans compter le prieur et deux autres religieux qui aspiraient aux ordres.

Guillaume Lermotte, Philibert de Soussy, Philibert de Foing, Philibert de la Vesvre, Pierre de la Grange, Laurent Beaufils, étaient revêtus du sacerdoce. Jacques de Colonge et Vaucher de Picucheaul se préparaient à le recevoir (4).

A la mort d'Odilon Porchet, qui arriva à la fin de l'année 1443 (5), les religieux de Saint-Sernin choisirent pour prieur un dignitaire de la cour du pape Eugène IV. Le souverain pontife subissait alors toutes sortes d'injures de la part de l'assemblée de Bâle. Le clergé

 

(1) Archives de Dijon. Voir Saint-Sernin aux dates indiquées ;

(2) Même source.

(3) Même source, 25 juillet 1433.

(4) Même source, 21 décembre 1431.

(5) Sentence rendue par le chapitre de la cathédrale d'Autun. (Archives de la ville d'Autun.)

 

de France ne délaissa jamais les successeurs de saint Pierre, et c'est dans les temps malheureux qu'il se plut toujours à leur donner des marques particulières d'attachement filial. Les religieux de Saint-Sernin, fidèles à ces traditions bien chères, voulurent prouver leur affection à ce pontife calomnié, en nommant à leur tête un prélat de sa maison, le R. P. maître Mundon Belvaylet, professeur de la sacrée théologie de l'ordre des Frères Prêcheurs, chapelain et pénitencier du Père en Dieu, notre seigneur le pape Eugène IV (1).

Ce personnage accepta la charge avec bonté. Le chapitre de la cathédrale d'Autun procéda donc immédiatement à l'approbation de cette élection. Il fit à cet effet afficher toutes les lettres (citatorix et intiatorix) du nouvel élu aux portes de l'église de la cathédrale d'Autun, en invitant tout religieux et même toute personne de comparaître à Autun, dans le chapitre de la cathédrale, à l'heure de tierce du matin jusqu'au samedi qui précède les nones du mois de novembre, pour dire, prouver ou dénoncer tout ce que, de vive voix ou par écrit, il voudrait dénoncer ou prouver. Ces mêmes lettres furent en même temps publiées et affichées au prieuré de Saint-Saturnin. Après ces monitions, le chapitre confirme l'élection : " Le nom du Christ invoqué et ayant Dieu seul devant les yeux, les seigneurs du chapitre approuvent l'élection de Mundon Belvaylet et le mettent en possessiun réelle et corporelle de son prieuré, en présence de Jean Mairet, de Réginalde de Toisy, de maître Henry de Cluny, nos seigneurs, et de Gauffroy Robin, de Guidon Girard, de Philibert Porciony et de Jehan de Ponelle, prêtres et bénéficiers de notre Eglise d'Autun (2). " L'acte est terminé par la signature du notaire Jean de Quéronte, prêtre du diocèse d'Autun, notaire publie par l'autorité apostolique du doyen et du chapitre de la cathédrale.

 

(1) Même document.

(2) Droit de confirmer l'élection du prieur de Saint-Sernin du Bois. Sentence rendue par les seigneurs de la cathédrale d'Autun, en novembre 1433. (Archives de la ville d'Autun.)

 

Cette nomination, témoignage de respect et d'amour pour le Saint-Siège, a du procurer au couvent de Saint-Sernin mille bénédictions spirituelles, dont profitèrent avec bonheur les âmes et les familles des cultivateurs. Mais en échange de ces grands bienfaits, les religieux da Saint-Sernin furent obligés de vendre à cette époque (1461-1481) plusieurs terres (1), pour subvenir sans doute aux dépenses de leur prieur qui dut partager tous les malheurs et les péripéties du pontificat d'Eugène IV, ainsi que les entreprises de ses successeurs contre les Turcs. Ce léger sacrifice temporel, supporté pour une noble cause, se répara par d'autres annexions importantes.

Son successeur, noble et religieuse personne Humbert Debusseuil (2), vit pendant son gouvernement s'annexer différents fiefs : la châtellerie de Montcenis, de Luchet et de Brandon, avec la paroisse de Saint-Pierre de Varenne, enfin celle de Saint-Firmin, connue à cette époque sous le nom de Chaseul (3).

Antoine Quarré, noble homme, qui figure, en 1474, au nombre des grands seigneurs, chevaliers et écuyers de M. le duc de Bourgogne, tenait en fief des prieurs, religieux et couvent de Saint-Sernin du Bois, en la châtellenie de Montcenis (4). Noble Marie de Montjeu, dame d'Antully, à la mort de Guillaume Dessertenne, son mari, s'était mise en possession de Luchet et de Brandon, sans venir rendre, ses devoirs de vassale aux religieux de Saint-Sernin (5). Elle était menacée, par cette faute, de perdre ses droits sur ces deux seigneuries. Antoine Delay, licencié en

 

(1) Inventaire des papiers du prieuré, art. 20 et 21. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 489. (Archives de la ville d'Autun.) L'écusson de cette famille se voit encore au château de Saint-Sernin. Il porte fascé de six pièces. (Mémoires de la Société Eduenne, t. IV et V, planches.)

(3) Protocole du notaire Laiguemorte. Etude de M. Rerolle à Autun.

(4) Archives du château de Montjeu, près Autun, I, 65.

(5) Même source, cinquième boite.

 

doit, chanoine de Mâcon et d'Autun, plaida sa cause et la gagna. Marie de Montjeu conserva ses droits, à condition qu'elle viendrait, le 15 février suivant, à Saint-Sernin même, prendre des religieux et du prieur ses terres en fief et leur présenter la liste et le dénombrement de toutes les propriétés qu'elle tenait d'eux. Si elle ne pouvait faire cette démarche au jour dit, elle, était tenue d'en avertir le prieur huit jours auparavant.

Les religieux de Saint-Sernin furent, dès cette époque, chargés des intérêts spirituels de Saint-Pierre de Varenne. Nous voyons l'un deux, Guillaume de la Roche, en l477, porter le titre de curé de Saint-Pierre (1).

Cette charge ne fut pas, au commencement, d'un grand profit au couvent de Saint-Sernin. Le service spirituel y était trop onéreux. Il fallait trois et même quatre prêtres pour desservir cette paroisse. M. de la Roche avait donc plusieurs vicaires, dont l'un devait toujours être à la disposition des seigneurs de Brandon, soit à la paroisse, soit à la chapelle du château ; les autres étaient pour le service des fidèles. Le prieur de Saint-Sernin, pour subvenir à cette dépense, abandonna au curé de Saint-Pierre tout le produit de cette terre, casuel, " dixmes seigneuriales et dixmes novalles ".

Le casuel, discuté librement entre le curé et les paroissiens, avait été précisé avec un soin minutieux dans une convention de l485, conservé aux archives de Saint-Pierre (2). Cet acte a été passé par-devant Chamployard, prêtre, notaire, à Couches ; les témoins étaient " vénérable et discrète personne Messire Martin Fleuriot, prévost de Saint-Ruffé de Couches, curé de Saint-Léger du Bois ; maître Guillaume Pugert, curé de Sully, chanoine de Saint-Ruffé ; Messire Arme de Surdin, prestre religieux de Saint-Sernin du Bois ; nobles hommes Jacques et Huguenin Bernard ;

 

(1) Archives et registres de Saint-Pierre de Varenne. Voir aussi l'inventaire des papiers du prieuré (art. 37). (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Archives de la cure de Saint-Pierre de Varennes.

 

Claude Alixaut, clerc ; Philibert Cabourut et plusieurs autres ". Les curieux détails sur les usages de cette époque, que nous trouvons dans cette convention, nous engagent à la citer en partie : Chaque sacrement, même le baptême, avait sa petite redevance. Les enfants qui mouraient après leur baptême, avant que leurs mères aient accompli les cérémonies de la purification, étaient inhumés autour des fonts baptismaux ; et le dimanche suivant, le curé se rendait sur leur tombe pour réciter une absoute à voix basse.

Une femme, le jour de sa purification, apportait sa petite offrande et, le dimanche suivant, elle devait donner au curé la robe blanche de son nouveau-né et une écuelle de froment. Le sacrement d'extrême-onction avait aussi son casuel qui montait à 10 blancs.

Le curé, revêtu d'un surplis et d'une étole, était tenu d'aller au-devant des morts avec la croix et le bénitier portés par les parents jusqu'à l'entrée du cimetière. De là le curé donnait l'eau bénite en chantant les prières d'usage à haute voix pour un chef de famille et à voix basse pour les autres. Etait reconnu chef de famille le plus ancien de la maison ; ce titre lui était donné aussitôt que le chef qui l'avait précédé sortait de sa demeure pour être porté en terre, et cela sans attendre un an, un mois, un jour, une heure.

Pendant les deux dimanches qui suivaient là mort d'un chef de famille, le prêtre, moyennant quelque offrande, était obligé de se rendre sur la tombe en habit de chœur avec la croix et l'eau bénite pour y chanter les prières des morts.

Les usages qui accompagnaient le mariage était aussi très complexes. Celui qui se mariait sur une autre paroisse que la sienne, avait à payer un casuel particulier s'il avait encore ses père et mère, un moindre s'il avait perdu ou son père ou sa mère, un troisième enfin moindre encore s'il n'avait plus ni l'un ni l'autre.

La bénédiction nuptiale se donnait à la porte de l'église, c'était

 

là que devait se payer aussi l'honoraire du curé qui disait une grand-messe le jour et le lendemain des noces. Le soir, il chantait les vêpres de Notre-Dame. Enfin, dans soirée, après le souper auquel il assistait ordinairement, il bénissait la couche nuptiale. Le lendemain les nouveaux époux venaient offrir à M. le curé une pinte de vin et un morceau de pain.

Chaque feu devait payer aussi à M. le curé, tous les ans, à  Pâques et à la Toussaint, une légère redevance. Après l'annexion de la paroisse de Saint-Pierre, au prieuré de Saint-Sernin, vient celle de Saint-Firmin.

L'église de Chaseul était avant cette époque entre des mains tellement négligentes des choses de Dieu, que plusieurs miracles s'étaient opérés dans le sanctuaire honoré du corps du bienheureux saint Firmin, sans que personne ne fût ému. C'est le grand vicaire d'alors, Jacques de Busseuil (lui qui enjoignit au notaire Jean de Laiguemorte (de mortua aqua )de se transporter sur les lieux et de faire information (2).

Le premier patron de cette église avait été Saint-martin. Des lambeaux de peintures murales découverts dernièrement représentent quelques traits de la vie du thaumatoige des Gaules. On distingue sur le mur servant de rétable au maître-autel l'image en pied de Notre-Seigneur : un nimbe immense l'enveloppe tout entier. Plus bas, saint Martin en mitre et en est le personnage que l'on reconnaît dans la scène de gauche. A droite, restent parfaitement distincts l'instrument et le profil du fou qui frappait la tête de saint Martin à coups de marteau. Sa figure s'épanouit en un grotesque sourire.

La chapelle seigneuriale, qui est située à droite, était consacrée à la sainte Vierge. Plusieurs traits de sa vie représentés. C'est son couronnement, puis sa mort, à laquelle assistent

 

(1) Il était vicaire général d'Antoine de Châlon.

(2) Protocole ci-dessus.

 

quelques apôtres qui témoignent leur douleur à ce moment suprême. Les autres sujets avant plus souffert, ne laissent plus que quelques lignes indéchiffrables.

Cette chapelle appartenait aux seigneurs du Breuil de temps immémorial, comme nous l'apprend l'un d'eux en la réparant et en la dotant d'une nouvelle fondation de dix messes par an : "il y a de toute antiquité, dit Claude Palamede de Baudinot en 1687, une chapelle à main droite du chœur de l'église paroissiale de Saint-Firmin, sur laquelle a été construit le clocher de la dite église paroissiale, laquelle est dédiée à Notre-Dame, au-dessus de l'autel de laquelle est un tableau qu'il y a fait mettre ci devant où sont représentés par le milieu l'image de la sainte Vierge portant son fils Jésus Notre-Seigneur (1), et d'un côté l'image de Saint-Claude, patron du dit seigneur du Breuil, et de l'autre celle de saint Benoît avec ses armes au-dedans d'un tableau et autour de laquelle chapelle par-dedans est une litre et ceinture funèbre où sont les armes de ses père et mère, seigneur de la dite terre de la Vesvre, qu'il y fit mettre en l'année 1652, temps du décès de son dit fat père, dans laquelle chapelle lui seul a droit de sépulture eu la dite qualité de seigneur de la Vesvre, dans laquelle sont inhumés les anciens seigneurs d'icelle sous un tombeau et grande pierre qui est au milieu au. devant de l'autel, mais comme par l'antiquité des temps, changement des seigneurs, des guerres et troubles du temps passé, les titres de fondation d'aisselle ont été anéantis et que par ce moyen il ne se fait plus (le service ni de prières clans icelle sinon que le jour de la Notre-Dame d'août, etc. (2). "Il fonde dix messes par an et réclame son entrée libre par la porte de cette chapelle.

 

(1) Les pointures murales qu'on a découvertes et dont nous avons parlé sont bien antérieures à cette époque.

(2) Archives du château de Breuil, communiquées par M. le comte d'Orsières.

 

A Saint-Firmin, les choses de la terre n'avaient pas été moins négligées que les choses de Dieu. Les deux vallons qui composent ce territoire avaient subi le pillage et l'incendie des bandes dévastatrices du siècle dernier. Celui où s'élevait l'église avait vu successivement quelques maisons sortir des ruines, taudis que l'autre, le vallon de Bouvier, a encore, même de nos jours, conservé par son aspect triste et désolé. Il est arrosé par un petit cours d'eau, à la source duquel on rencontre les ruines de la tour de Champiteau. Malgré cet abandon et cette pauvreté, les terres de Saint-Firmin arrondissaient très convenablement les propriétés des religieux. Elles reliaient la paroisse de Saint-Pierre de Varenne au couvent dont elles paraissaient le complément naturel.

Humbert Debusseuil, en mourant (1), pouvait donc dire avec vérité qu'il avait, comme ses prédécesseurs, apporté son contingent à l'agrandissement et aux richesses de son monastère. Après lui les choses vont bien changer. Ces prieurs que nous avons vus successivement se faire un point d'honneur de marquer leur administration par quelques grands bienfaits, emploieront désormais les revenus de leur couvent à soutenir leurs hautes fonctions auprès de l'évêque ou à la cour.

Les institutions qui ont eu une formation longue et difficile trouvent dans leur prospérité un nouvel écueil à leur existence. Le couvent de Saint-Sernin devait subir cette épreuve plus redoutable que son ancienne pauvreté.

Cette phase nouvelle s'inaugura avec Philippe Bouton de Chamilly. Nous lisons sur ce prieur la page suivante dans Pierre Paillot, l'historien de sa famille : " Philippe Bouton, docteur en loie et en décret prothonotaire du Saint-Siège apostolique, prieur commendataire et administrateur perpétuel des prieurés

 

(1) Humbert Debusseuil fuit enterré à Autun, dans l'église de Saint-Jean de la Grotte. " Obiit Humbertus de Buxolio, archipresbiter Eduensis. Jacet in porticu sancti Joannis. " (Bibl. nat. ms. 9883, fol. 52.) Voir les Mémoires de la société Eduenne, t. VIII, p. 361, note 5e.

 

de Saint-Sernin du Bois, chanoine des églises métropolitaines, cathédrales et collégiales de Besançon, d'Autun, et chantre de la même église de Châlon et de Notre-Dame de Beaune, et conseiller du roi au parlement de Bourgogne (1). "

Il estoit l'aîné des enfants d'Emart Bouton, chevalier, seigneur du Fay, et d'Anne d'Oyselet sa femme et pour cela il ne succéda pas à ses biens ni aux principaux fiefs et seigneuries de la maison, car il céda tous ses droits paternels et maternels à ses puînés, pour avoir moyen de soutenir avec plus d'éclat le rang de leur maison. "

Ses premières inclinations furent aux lettres et il y profita avec tant d'avantage qu'il y acquit, avec le titre de docteur tant au droit civil qu'au droit canon, autant d'honneur dans ses dignités et charges que ses devanciers avaient acquis de gloire dans la profession des armes. Il ne fut pas promu à toutes ses dignités ecclésiastiques sans avoir donné de hautes preuves de son savoir, puisque au défaut de la résignation le concours était la voie d'honneur qui en faisait mériter la possession. La connaissance qu'il avait dans les affaires civiles et du palais lui donnait aussi un grand crédit (2) ... "

Toutes ces charges et dignités ne lui permirent pas d'administrer personnel-lement sa terre de Saint-Sernin ni même de la visiter souvent. C'est pourquoi, au lieu d'entretenir et d'orner les monuments religieux de son prieuré, il préféra fonder, en 1510, à la cathédrale d'Autun, une magnifique chapelle dont l'ornementation intérieure a été en partie détruite. On y voit, néanmoins,

 

(1) Il avait pour blason. - Ecartelé au et quatre de gueules à la face d'or qui est de Bouton au deux et trois d'azur, à la bande losangée d'argent et de gueules, de deux traits accompagné de six croix, recroisées au pied fiché d'or mise en orle qui est du Fay. (Armorial de la ville d'Autun, Harold de Fontenay.)

(2) Histoire généalogique des comtes de Chamilly, de la. maison de Bouton, etc., par Pierre Paillot, 1671, in-f°, p. 131 et, suiv. (Bibliothèque de l'évêché d'Autun.)

 

encore ses armes aux retombées de la voûte et, à l'extérieur, au sommet de la fenêtre. Pierre Paillot assure que "c'était la plus magnifique chapelle de la cathédrale, pour les ornements de sculpture en bas reliefs desquels la voûte et la tour de la chapelle sont remplis (1) ".

Ces dépenses somptueuses, où venaient s'engloutir les revenus de son prieuré ainsi que son patrimoine, ne lui permirent pas de relever les ruines qui s'amoncelaient chaque jour dans les édifices religieux de Saint-Sernin.

Cependant, au moment de mourir, pour réparer en partie cette négligence, il inséra cet article dans son testament : " En nom de Notre-Seigneur, amen. L'an MDX, le samedi après le dimanche de mi-carême, Ve jour du mois d'avril...

" Item je donne es religieux et couvent du prieuré du dit Saint-Sernin, dix livres de rente et un denier de cens par mois naguère acquis de maître Pierre du Bois, citoyen d'Ostun, pour le prix de unze vingt et dix francs dehuz chacun an, par Antoine du Bois, aimé Vernizeaul et consors sur leurs meix, molins et héritages assis au Vault de Maret, pourvu que les dits religieux promettront de dire au dit prioré chacune semaine perpétuellement, deux messes pour le salut de mon âme et de mes parents (2). "Ces dix livres de cens, auxquels se borne tout le fruit que le couvent paraît avoir retiré du passage de ce prieur, avaient été l'occasion d'un long procès (3). Anne Bouton sa sœur abbesse de Notre-Dame de Molaise fut chargée par lui de l'exécution de son testament.

Avec François Brinon (h), le successeur de Philippe Bouton, nous arrivons à ces temps malheureux pour la religion et pour les

 

(1) Armorial de la ville d'Autun, de Fontenay.

(2) Preuves de l'histoire généalogique de la maison de Bouton, par Pierre Paillot, p. 79 et 80. Dijon, MDCLXV.

(3) Archives de Dijon, Saint-Sernin, 10 décembre 1510.

(4) Terrier de Saint-Sernin, 1535. (Archives de la ville d'Autun.)

 

âmes, le seizième siècle. Tous les historiens se sont plu à peindre, avec des couleurs les plus noires, les désordres du clergé et des moines ; à raconter en détail certains faits scandaleux qui se sont passés dans plusieurs monastères, pour avoir le plaisir de crier aux abus et à la réforme. Pour une réforme il en fallait une. François 1er, dans un zèle légitime mais imprévoyant, crut l'accomplir en concluant, avec le Souverain Pontife, un concordat, dans lequel il se fit donner le droit de choisit, et de nommer tous les titulaires des bénéfices de France (1). Démarche fausse et concession malheureuse, qui allaient livrer à des mains laïques des intérêts spirituels. Loin de trouver là une réforme quelconque, l'Église de France pouvait y pressentir un pas vers sa ruine (2).

Les prieurs laisseront désormais a leur premier religieux, nommé secretain (3), l'administration des terres et la charge des âmes.

Les prieurés tombent en commende (4) et sont bientôt confiés à des laïques et même à des enfants.

Nous ne savons si le couvent de Saint-Sernin mérita par ses désordres ce dur traitement, ce qu'il y a de certain, c'est qu'il subit la loi commune et qu'il perdit désormais le droit de nommer son prieur. Ce régime, de prétendue réforme, fut inauguré, pour lui, par la composition d'un volumineux terrier, travail colossal dressé sous les ordres de François ler, en 1535, par Pelletier Mathieu, clerc notaire royal, demeurant à Ostun, " commis de par le roi notre seigneur, à faire le terrier et registre des rentes, droits et redevances du dit prieuré de Saint-Sernin du Bois (5). "

Jusqu'à présent les différentes conditions par lesquelles chaque

 

(1) Voir la raison de ce concordat, dans Brantôme, cité par M. A. Perraud de l'Oratoire. (Correspondant, 25 octobre 1871, p. 308 et 309.)

(2) C'est en 1546 que le chapitre d'Autun perdit le droit de nommer son évêque. (Rituel d'Autun, 1833, précis historique.)

(3) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 638. (Archives de la ville d'Autun.)

(4) Voir art. Commandes, dans les Mémoires du clergé, 1777. (Bibl. du grand séminaire d'Autun.)

(5) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 488. (Archives de la ville d'Autun.)

 

cultivateur était attaché à sa terre étaient relatées dans des traités séparés et sans liens entre eux. L'unité et la clarté demandaient de réunir en un seul volume tous ces contrats. Pour arriver à ce résultat, sans erreur et sans contestation, on employa un moyen qui nous parait digne et loyal. On appelle successivement tous les cultivateurs, chefs de maison, par-devant notaire royal et témoins. Tous viennent comme à nouveau << en leur certaine science pure et libérale volonté, sans aucune force ou contrainte, congnoître et confesser pour eux et leur postérité être hommes du dit seigneur prieur de Saint-Sernin du Bois, à cause de son dit prieuré à lui maimortables et de serville condition avec ce être tenus en tous temps d'éminent péril, aller faire le guet en la maison forte du dit prieuré, et garder la porte des subdits, aux réparations et même emparement nécessaires, de faire à leur dit seigneur, le prieur, et au couvent de celui-ci, un chemin et les corvées tout ainsi que font et ont accoutumé faire par-ci devant les hommes et sujets du dit seigneur en sa terre et seigneurie du dit Saint-Sernin, et les présents héritages dessus confinés et déclarés promettre dorénavant entretenir en bonne et suffisante réparation, les cultiver, labourer, faire valoir et fournir chacun an à leur dit seigneur le prieur et ses successeurs prieurs advenir les dit termes, les dictes rentes, charges redevances et coustes dessus. Promettant en bonne foi, par leur serment, pour ce jurent et touchent corporellement aux saints Evangiles de Dieu, sous l'expresse hypothèque et obligation de tous et un chacun les dits annexes et héritages et autres leurs biens tant meubles qu'immeubles présents et advenir quelconques ; lesquels quand ace et à l'observation des choses dessus avoir subis et avoir obligés, soumettre et obliger par les cours du roi notre seigneur de la chancellerie, de son duché de Bourgogne et toute autre cour, tant d'église que séculière, l'une d'icelles non cessant pour l'autre, etc. (1) ".

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1535, chaque p. (Archives de la ville d'Autun.)

 

Ce terrier nous permet de juger exactement de l'état du prieuré de Saint-Sernin, au seizième siècle. Quoiqu'il n'existe en ce travail aucune division, il est facile d'y reconnaître deux parties. La première est consacrée aux propriétés du prieur, aux droits et corvées dus par le pays à son seigneur prieur, et suivis des quelques avantages accordés aux habitants, La seconde, de beaucoup la plus considérable, est composée des confessions de terres, cens, redevances que chaque particulier devait payer tous les ans. Le monastère avait des tributaires à Saint-Sernin, à Saint-Pierre de Varennes, à Saint-Firmin, à Marmagne, à Champitault, à Moncoy, à la Couronne, au village des Preys, à Monvaletain, à Champlonault, à la Coulonge, à Lavault (1), à Touche, où le prieur possédait une maison élevée d'un étage, située devant la grande porte de l'église avec un plaistre et une vigne derrière (2); les vignobles de Decizes, de Sampigny et de la montagne de Colches lui appartenaient aussi. Les propriétés du couvent de Saint-Germain, son annexe, n'y sont pas rapportées, elles ont dû faire l'objet d'un autre travail analogue. Les revenus de ce prieuré, quoique levés sur une grande étendue, ne devaient pas être très abondants, à cause de la stérilité de la plupart des terres. Il faut dire, cependant, que le prieur levait la dîme dans tous les héritages, et que dans quelques-uns, entourant ses bois, il avait droit à la partie (3). Il avait en outre, en propriétés seigneuriales, de vastes forêts, des étangs, des prés et quelques autres fonds (4). Enfin, le pays avait des obligations à rendre à son seigneur. Ces obligations portaient le nom de droits et de corvées. Elles étaient exigées, comme solidairement, de tous les habitants qui les avaient librement reconnues. Le notaire en avait dressé le sommaire en ces termes (5) :

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 19, 319, 1152, 517, 5213, 526, 531, 538, 546, 553, 562 ;

(2) Même Terrier, p. 596. (Archives de la ville d'Autun.)

(3) La partie était la moitié de la récolte.

(4) Plans du Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Archives de la Commune.) (5,1 Terrier de Saint-Sernin, 4535, p. 9 et suiv. (Archives de la ville d'Autun.)

 

LA TOTALE JUSTICE ET LA SERVITUDE DE MAINMORTE

 

" Item en outre dient et déclarent les dits Claude Morelot, Claude Symonyn et autres dessus nommez que toute la terre, justice et seigneurie du dit Saint-Sernyn, appartient au dit seigneur prieur et de condition et mainmorte et que tous les mex et héritages des villages de Saint-Sernyn, Rivière, Lacroix, le village de la More, le village des Mitaulx, Chevroche, Gamay, le mex Cornuseaul, le mex feu Léonard Morelot et le domaine Toussaint assis au perrochage de Marmagne que possède à présent Léonard Gouraul, le bas de Maret, les Loys, Saint-Fremy et autres habitants des dites terres, villages et seigneurie du dit Saint-Sernyn assis en la totale justice du dit sieur prieur haute, moyenne et basse et que les hommes manants et habitants en icelles, sont hommes de mon dit seigneur à lui mainmortables, à cause de son dit prieuré esquels le dit sieur a droit et faculté de prendre, lever et percevoir et à son profit appliquer le droit de mainmorte toutes et quenteffois que le dit droit y affert.

« Item compette et appartient au dit seigneur prieur, la rivière banale depuis les étangs et le moulin de Mesvrin, jusqu'à la planche des bois et tant qu'elle se peut etandre en la justice du dit seigneur Prieur. En laquelle les dictes habitants et hommes du dit seigneur Prieur ni autres n'ont aucun droit de pêcher en icelle sans licence du dit seigneur Prieur, à peine de soixante-cinq sols tournois d'amende envers le dit seigneur Prieur pour chaque fois qu'ils ou chacun d'eux y serait trouvez pêchant sans licence du dit seigneur Prieur ou ses commis. »

 

TROIS CHARRETEES DE BOIS due PAR CHAQUE SUJET DU SEIGNEUR PRIEUR

 

«  Item en outre vient et déclarent les dessus dits tous d'une voix que tous les dits hommes et sujets du dit seigneur Prieur

 

à cause de son dit prieuré, manants et habitant en sa dicte justice sont tenus de charroyer chacun en ces termes suivant trois charretées de bois au dit seigneur Prieur au dit prioré à savoir, l'une à la Toussaint, l'autre à la Nativité Notre-Seigneur, et l'autre à la Purification Notre-Dame, divers qui prendront les bois du dit seigneur Prieur dessus nommé, toutefois qu'ils sont interpellés à peine de sept sols tournois demande envers le dit seigneur en nourrissant par le Prieur ou ses commis les charretiers à la manière accoutumée. »

 

FAUCHER, FENER ET CHARROYER LES FOINS DES PRES DU COLOMBIER, DU GOUHEY ET DE BREUIL

 

«  Item plus sont tenus et doivent chacun an au terme de fenaison tous les dits hommes et sujets du dit seigneur Prieur, lui faucher, fener et charroyer les foins d'icelluy seigneur Prieur, à savoir le pré du Colombier, assis devant le dit prioré, le charroyer et rendre en iceluy prioré et le pré du Gouliey et de Breuil en la métairie du dit seigneur Prieur de flory. En quoi faisant est tenu le dit seigneur Prieur, les nourrir et leur administrer leur vie selon leur lestât, le tout à la manière accoutumée. »

 

CHARROYER LES PAULX, PERCHES ET PAISSEAUX ES VIGNES DE MONTAGU, DEZISE ET LA MONTAGNE DE COUCHES

 

« Item et davantage sont tenus mener ou faire mener et charroyer les paulx, perches et paissaulx chacun ou il convient mener et qui sont nécessaires aux vignes du dit seigneur Prieur, étant assises et situées aux lieux de Montagu Dezise et la montagne de Couches, y mener les tonneaux et vaisseaux pour entonner et mettre les vins du dit seigneur Prieur en ses dits lieux, aller querre les vins du dit seigneur Prieur, et les amener avec leur dits bœufs, chars ou charrettes, les vins d'iceluy seigneur en

 

son prioré de Saint-Sernyn, à leurs dépens, en leur payant par le dit seigneur Prieur, leur droit qui est pour chaque char ou charrette une torte de pain mesure loys seulement.

 

DIMES

 

« Item qu'en outre compette et appartient au dit seigneur chacun an es moissons droit, pouvoir et faculté de prendre, lever et percevoir et à son profit, appliquer la dîme sur ses dits hommes et sujets de sa dicte terre et seigneurie de Saint-Sernyn, et par tout sa dicte terre. »

 

GARDE ET REPARATIONS

 

« Item vient et déclarent que tous les hommes et sujets du dit seigneur Prieur, en temps de danger ou éminents péril sont tenus d'aller faire guet et garde au dit prioré et maison fort du dit Saint-Sernin, garder la porte au temps susdits toutefois et queutes que en iceux temps leur sera ordonné et ce chacun à peine de l'amende, plus ce de réparer et entretenir en bonne et due réparation le pont dormant de la porte et autres au dit prioré à leurs frais, missions et dépense, faire des râteaux sur les murailles du dit prioré, pour y asseoir des culots et des pierres, mettre des barbacanes pour la tuition et la défense du dit prioré et autres réparations nécessaires au dit prioré, selon que sont accoutumés faire et que font les autres sujets des maisons, forts et châteaux prochains du dit prioré. »

 

USAGE DES SUJETS

 

« Item outre plus dient et déclarent les dessus dits que tous les dictes hommes et sujets du dit seigneur prieur, manants en sa dicte justice ont droit, pouvoir, puissance et faculté de pouvoir

 

prandre, abattre et charroyer pour leurs usages et chauffages es dits boys, tous boys mors, et mors boys, et en iceux mener paître et champoyer tout leur bétail gros et menu en tous temps, en payant pour chaque pourceaux qu'ils seront de l'auge de mars, qu'ils mèneront en temps de graines et gland au dit seigneur prieur, chaque an, au terme Saint-André, un petit blanc vaillant cinq deniers tournois, lesquels pourceaux ils seront tenus apanage à la fête saint Michel archange, et dit ceux bailler dénombrement selon que l'on a accoutumé faire par-devant (1). "

Enfin cette longue clause se termine ainsi : " Et au surplus, demeurent au dit seigneur Prieur et ses sujets le droit tel qu'il leur compette et appartient par le traité fait par les dictes hommes et sujets du dit prioré avec M. Rousseau], son dit procureur au dit prioré à la fin de ces présentes de mots à autres insérés auquel les parties sont rapportés, lesquels Claude Morelot le jeune, Claude Simonyn, Guillaume Mittaut et Jehan Prestet, ont dit et rapporté par-devant moi, le dit commis, les choses dessus par eux cy dessus déclarées ainsi qu'elles sont escriptes, après que lecture leur en a été faite, estre véritable et contenir vérité, faict au dit Saint-Sarnyn du Boys, en la maison du dit Claude Sinonyn l'ancien, en présence de noble et scientifique personne, M. Jacques de Glus, chanoine de Vergis, messire Sébastien Moreaul de Varennes, Huguenin Bonin, procureur de l'abbé de Maisière, Pierre du Mex et Jelian Moraul d'Antully, tesmoings adce requis le troisième jour du mois de décembre l'an mille cinq cent trente-cinq (2). "

Le notaire, dans la nomenclature interminable de prés, de terres ét de champs qui remplit la seconde partie, n'oublie pas de relater aussi les fondations pieuses que de pauvres cultivateurs, pleins de foi, ont faites au couvent, pour augmenter le nombre des messes

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p.9 et suivantes. (Archives de la ville d’Autun)

(2) Ibid.

 

dites chaque jour au sanctuaire qui les a vus naître et qui les verra mourir (1).

Qu'il nous suffise ici de rapporter une de ces formules simples, en assez grand nombre dans ce terrier : " Tous ceux qui ces présentes verront nous Philibert Leroux et Estienne Leroux, demeurant au village de Montcoy au perrochage de *** salut savoir faisons comme de tous temps et suivant nos prédécesseurs, nous avons accoutumez, payer et délivrer un chacun an, au terme Saint-Martin divert aux vénérables prieur et couvent de Saint-Sernyn du Bois, au diocèse d'Autun, pour le divin service qui journellement se, fait en la dicte église, la somme de trois sols six deniers tournois, monays courant de rente annuelle et perpétuelle. Or, est-il qu'aujourd'hui datte de ceste de nos certaines sciences pures, franches et libérales volomptez non voulant le dit service diminuer, mais plus tôt icelluy augmenter, avons reconnu et confessé et par ces présentes connaissons et confessons devoir aux dits vénérables absents. Discrette personne messire Alexandre Popet, secrétain et religieux du dit Saint-Sarnyn du Boys présent stipulant et acceptant pour les dictes vénérables et leurs successeurs les dictes trois sols six deniers tournois de rentes annuelles et perpétuelles. Laquelle en continuant un paiement dit nous leur promettons et à leurs successeurs par nous nos dictes hoirs dorénavant rendre et payer chacun an perpétuellement et à tousiours au terme dessus dit (2). "

Ces dons permettaient au couvent d'entretenir un personnel qui n'avait pas encore sensiblement diminué. Alexandre Popet, secretain procureur général du prieur, Léonard Popet, prêtre, et Jehan Rinet, sous-diacre et religieux, composaient le chapitre. Il y avait aussi plusieurs autres prêtres, tels que Barthélemy Guyot, Michel Olim, Claude la More, Esme Vernizeaul et Philibert de Monvaletain.

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 526, 540, 546, 562, 566, 568, 572, 573, 579. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Même Terrier, p. 523

 

Ces derniers sont simplement désignés comme prêtres paroissiens de Saint-Sernin (1).

François Brinon, archidiacre de Flavigny et d'Autun, pas plus que son prédécesseur, ne résida à Saint-Sernin. Il s'en reposait entièrement pour toutes les affaires sur Alexandre Popet, son procureur. Il y venait cependant de temps en temps, et son arrivée était un événement. Le chapitre s'assemblait aussitôt, comme nous le voyons dans ce passage :

" Au nom de Notre-Seigneur, l'an de l'Incarnation d'iceluy courant mil cinq cens trente-six, le vingt-quatrième jour du mois de mai, nous, François Brynon, archidiacre de Flavigny en l'église d'Autun, humble prieur commendataire et perpétuel administrateur des priorez de Saint-Sernin du Bois et Saint-Germain en Brionnais, et Alexandre Popet, secrétain, Léonard Popet, prêtre, et Jehan Rinet, sous-diacre et religieux du prioré du dit Saint-Sernin du Bois. Tous assemblés au son de la cloche au chapitre de notre église du dit prioré à la manière accoutumée pour traiter des négoces, besognes et affaires du dit savoir, faisons, etc. (2).

Le terrier de 1535 ne fut pas le seul travail de François de Brinon à Saint-Sernin. Nous pouvons rattacher, à cette époque de chevalerie, cette construction munie de portes, de fossés, de pont-levis et de tourelles, appelée aujourd'hui le château de Saint-Sernin.

Les guerres d'invasion étaient finies, les compagnies organisées pour le pillage n'existaient plus, la police était mieux faîte et la justice plus active.

Cependant les bois étaient encore pleins de rôdeurs qui ne reculaient pas devant un coup de main. La réforme aussi, de son côté, soufflait partout la guerre civile et ramenait avec elle des idées de pillage et de dévastation. Les hantes murailles, les fossés et les tours étaient encore utiles.

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1535, p. 652-662, etc. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Ibid., 1. 638. (Archives de la ville d'Autun.)

 

La proximité d'immenses forêts, le manque de voies ouvertes, étaient loin d'augmenter la sûreté de ces lieux.

Les registres de la justice d'Antully nous en fournissent une preuve.

Le 25 février 1535, Jehan Dumex d'Antully était traduit devant la justice de ce lieu, pour avoir volé et gravement blessé dom Raul, religieux des Frères-Prêcheurs d'Angoulême, qui traversait imprudemment ces montagnes boisées.

" Le procureur a dit que puys ung an en ca le dit deffendeur Jelian Dumex avec d'autres complices et adhérents de guet à pan et souls ombre de charité trouvoirent un religieux de l'ordre prêcheur d'Angoulême nommé dom Raul, au lieu de Saint-Sernin, lequel religieux demandoit oberger, lequel deffendeur avec ses dits complices dirent à iceluy religieux que si vouloit venir avec, eulx que le obergeraient et coulcheraient, lequel religieux se confiant en la prud'hommie du dit deffendeur et ses dits complices et adhérents consentit à ce qu'ils luy dirent et s'en alla avec le dit deffendeur et ses adhérents, lequel deffendeur et ses dits complices, quand il fut arrivé en ung bois de la justice de céans, se print à la personne du dit religieux avec, ses dits complices et de guet à pan lui dirent " viens ~a rend la bourse " et le baptirent et luy rompirent les jambes tellement qu'ils le cuidaient avoir laissé por mort et ce fait luy ostèrent une bourse pleine d'argent en laquelle avoit plusieurs grosses quantités d'argent, et en diverses sortes d'argent (1). "

Dumex et ses complices s'enfuirent, le religieux blessé resta au milieu des bois jusqu'à ce qu'il fùt rencontré par des gens qui cherchaient des voleurs de toile. Ils le transportèrent d'abord dans une maison de Saint-Sernin, où il reçut les premiers soins ; puis la justice réclama qu'il fùt déposé dans une maison d'Antully, lieu du délit. Il y resta jusqu'à son entière guérison, c'est-à-

 

(1) Registre de la justice d'Antully, en 1535. (Archives du château de Montjeu.),

 

dire depuis la fête de la Pentecôte jusqu'au 21. octobre 1534.

Il fit dresser acte de ces faits afin de s'excuser de son retard auprès de ses supérieurs, les délais de son absence étaient depuis longtemps passés.

Le nouveau château de Saint-Sernin, habitation plus commode et moins sévère que le donjon carré, offrait encore une sécurité suffisante, non seulement contre les malfaiteurs, niais aussi contre les bandes armées des protestants.

Le couvent de Saint-Germain en Brionnais fut brûlé par un parti calviniste aux ordres de Clermont d'Amboise et de Briguemont, lieutenants de l'amiral Coligny. L'église seule fut sauvée des flammes (1). Les religieux qui le composaient se virent obligés de quitter pour toujours cette résidence. Saint-Sernin devint leur asile; il les avait protégés deux siècles auparavant de l'invasion étrangère, il les préserva encore de la fureur des fanatiques. Ces désastres, qui lie furent jamais réparés, finirent d'enlever à Saint-Germain la prépondérance qui lui était due par droit d'ancienneté (2). Les terres restèrent propriétés de Saint-Sernin, et le couvent fut désormais désigné dans les actes sous le titre de prieuré de Saint-Sernin et de Saint-Germain, son annexe. Ce n'est que beaucoup plus tard, le 27 novembre 1775, que Fénelon, le dernier prieur, reconstruisit, à Saint-Germain (3), une maison de maître pour servir de pied à terre.

Les grandes oeuvres que François Brinon avait accomplies dans son prieuré laissèrent peu à faire à Jehan Brinon, dit Champiot, son successeur et son parent, qui était, lui aussi, doyen du chapitre d'Autun. En 1547, il vint signer plusieurs confessions de terres (4),

 

(1) Annuaire de Saône-et-Loire, 1856.

(2) Jusque là on avait dit prieuré de Saint-Germain on Brionnais et de Saint-Sernin du Bois, son annexe.

(3) Inventaire des papiers du prieuré, art, 2. (Archives de la ville d'Autun.)

(4) Terrier de Saint-Sernin de 1515, p. 671. (Archives de la ville d'Autun)

 

par lesquelles se termina le terrier de Saint-Sernin. Le personnel du couvent avait peu changé. Jean Venot en était le sacristain, et les religieux étaient Jean Rinet et Blaise Simonin (1).

C'est à peine si les prieurs qui lui succédèrent, laissèrent quelque trace de leur passage ; leur nom et une date, voilà tout ce que nous pouvons citer de la plupart "entre eux.

Le seigneur Guy de la Tournelle, doyen du chapitre, était prieur de Mesvres et de Saint-Sernin du Bois, en 1594. Après avoir partagé avec son évêque les luttes acharnées de la ligue, il fit avec lui sa soumission au parti royal (2). Messire Claude Damas, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, comte de Thianges, baron de Quinsey, fut prieur de Saint-Sernin (3). Il y résida quelques années, et sa présence procura, comme toujours, quelque avantage au pays, comme nous le montre ce passage du procès-verbal de la visitte des feziz dit baillage d'Ostzen, par M. Richard, en l645 (4). " Du dict Auxy, poursuivant nostre chemin, nous nous sommes acheminés à Saint-Sernin-du-Bois, situé en un vallon parmy les bois qui sont sur de baultes montagnes, qui l'environnent, village appartenant à M. le comte de Thianges, où estans nous avons mandé Vivant Charleux et françois Chrestien, collecteurs des tailles, du dict lieu, auxquels nous avons ordonné de nous représenter le roolle d'icelles ; ce qu'avant faict nous avons recogneu y avoir au dict Saint-Sernin et aux granges qui en dépendent, soixante-un habitants imposés des quels dix-sept sont laboureurs tenant charrues, ce qui nous a

 

(1) Remise de titres entre prieurs 1643. (Etude de M. Montmerot, notaire à Autun.)

(2) Archives du Château de Montjeu. Voir aussi : Histoire de Réforme et de la Ligue, par Hippolyte Abord. (Autun, 1881, t II, p 6,145, 171 et 465).

(3) Archives nationales de Dijon et protocole de M. Decercey, à l’étude de M. Montmerot, notaire à Autun. (Voir sur cette famille l’Histoire de la Réforme, citée plus haut, p 363, note 2).

(4) Mémoire de la Société Eduenne, t V, p 312.

 

aparu véritable par la visite que nous avons faite de Pot en pot audict lieu. Quoy faisant, les dicts habitans, qui sont mainmortables, nous ont remonstré qu'à cause de leur scituation leurs bleds avoient esté fort gastés de la gelée et que les vents derniers avoient ruyné et abattu quantité de bois parmy lesquels ils envoyoient pasturer leur bétail. De plus sur les demandes que nous avons faictes, s'ils avaient des communaux, nous ont déclaré n'en avoir aucuns. Et qu'aussy leur seigneur, qui actuellement y réside (le dict lieu estant un prieuré qu'il tenoit) les conservoit de gens de guerre. Qu'est tout ce qu'avons recogneu audict lieu de Saint-Sernin, faisant nostre visitte. "

La résidence de AI. de Thianges à Saint-Sernin ne fut pas de longue durée, il. résigna ce prieuré en 1651 (1), à M. Henry Tixier d'Hautefeuille, dont le procureur Jacques Vigan, capitaine, reçut de M. le comte de Thianges tous les titres et les papiers de cette propriété, devant le notaire Decercey (2). M. Henry Tixier, tout jeune alors, fut longtemps prieur de Saint-Sernin ; il l'était encore en 1678 (3).

Il aima la fréquentation du monde, et s'y fit estimer par son esprit. Bussy-Rabutin, en exil dans sa terre de Chaseul, se félicite, dans ses lettres à Mm, de Sévigné, de le compter au nombre de ses amis.

" Nous allons passer l'hiver à Autun avec l'Evêque, Epinac, "Toulongeon, sa femme ; Jeannin, sa belle fille ; M-0 de Ragny, sa "fille ; l'abbé de Hautefeuille, prieur de Saint-Sernin du Bois; " l'abbé Bonneau, abbé de Saint-Martin d'Autun (4). " Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé. "

 

(1)Mémoire de la Société Eduenne. Nouvelle série, t. V, p. 312, et Archives nationales de Dijon.

(2)Protocole de M. Decercey. (Etude de M. Montmerot, notaire. A Autun)

(3) Inventaire des papiers du prieuré, art. 34. (Archives de la ville d'Autun et de la cure de Saint-Pierre de Varenne.)

(4) Correspondance Bussy-Rabutin par M. Pignot, dans Gabriel de Roquette, t. Il, p. 251.

 

Haut et puissant seigneur, messire Édouard-Esprit de la Beaume de Montrevel, prieur de Saint-Sernin, en 1686 (1), demeurait à Tournus, et M. Comte mourut le 20 mai 1741 (2)

Enfin, messire René de Saint-Hermine, l'un des aumôniers de la reine, s'était démis purement et simplement de son prieuré de Saint-Sernin (3), sans jamais peut-être l'avoir vu. Fénelon, qui le remplaça, termine cette longue liste de prieurs. Sa conduite fut loin d'être comme celle de ses prédécesseurs. Les exemples de vertu qu'il donna vinrent malheureusement trop tard et servirent peu, car après la Révolution il n'eut pas de successeurs.

L'absence prolongée des prieurs avait non seulement changé l'aspect de ces lieux en ruines de tout genre, mais avait encore enlevé à ces biens d'église le sentiment de foi et de religion que le moyen âge y avait attaché. Les âmes n'étaient plus servies; le pasteur lie résidait pas et il n'existait plus de religieux pour tenir sa place. Cet abandon donna naissance, à Saint-Sernin, aux vicaires perpétuels, appelés curés.

En 1666, sous M. Henri d'Hautefeuille, l'intendant de Bourgogne fit dresser une enquête sur l'état de toutes les paroisses de cette province. Or, à la page relative à Saint-Sernin, nous lisons cette note, qui n'a pas besoin de commentaire. " Il y a un prieuré ; l'on ne sait de quel ordre, parce qu'on n'y a jamais vu de religieux, il ne s'y fait aucun service. " Il y a des masures au dit prieuré où il y avait anciennement des chambres pour la retraite des religieux. Il y a environ quinze ans que le sieur comte de Thianges a résigné le dit prieuré au sieur abbé d'Hautefeuille, qui est âgé de vingt-huit ans ; il se porte bien. Il y a le prieuré de Saint-Germain-en-Charollais qui

 

(1) Inventaire des papiers du prieuré, art. 37. (Archives de la ville d'Autun.)

(2)  même inventaire, art. 33.

(3) XIXe livre des insinuations. (Archives de l'évêché d'Autun.)

 

en dépend, il n'y a aucun religieux, ce qui peut valoir 1000 livres de revenu et celui de Saint-Sernin peut valoir III 9# c'est-à-dire 3000 livres (1). "

A la suite de cette enquête, les prieurs furent forcés de nommer des vicaires perpétuels pour tenir leur place auprès des âmes. Ils choisirent alors des prêtres qu'ils rétribuaient le plus maigrement possible (2). Ces prêtres n'étaient attachés à aucun ordre religieux, puisqu'à Saint-Sernin, il n'y avait plus de couvent. Ils prirent le nom de curés et commencèrent le ministère paroissial, tel que nous le voyons aujourd'hui. Leur choix et leur nomination dépendaient du prieur, qui était ensuite obligé de les faire agréer par l'évêque d'Autun. Après ces formalités et leur installation par-devant notaire, ces prêtres devenaient inamovibles et ne pouvaient être changés que sur leur consentement. Ils avaient charge d'âmes. Le prieur ne conserva de son pouvoir spirituel que le titre de curé primitif, charge qui consistera désormais à choisir des prêtres capables de, recevoir l'approbation de l'ordinaire pour les paroisses de son prieuré.

La création d'une cure à Saint-Sernin n'attendit pas l'année 1707, comme le dit Courtépée (3). Selon lui, cette paroisse n'avait pour pasteur jusqu'à cette date que le sacristain du prieuré. En 1682, à Saint-Firmin et, en 1668, à Saint-Sernin, deux paroisses qu'on peut assimiler l'une à l'autre, puisqu'elles dépendaient du même prieuré, nous trouvons deux pasteurs qui ont charge d'âmes et qui signent de la Crotte, curé de Saint-Firmin (4), et Claude Baraudan, natif de Couches, curé desservant la paroisse de Saint-Sernin(5).

 

(1) Livre de l'intendant de Bourgogne, art. Montcenis. (Archives nationales de Dijon.)

(2) La France sous Louis XV, par Alphonse Jobez, t. 1, p. 213. Paris, Didier.

(3) Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

(4)Registres de la paroisse de Saint-Firmin. (Archives de cette commune.)

(5) Mémoire des visites, (Archives de l'évêché d'Autun.)

 

M. Henry d'Hautefeuille avait obtenu le prieuré de Saint-Sernin à l'âge de treize ans, et la somme de 4OOO livres, qu'il en tirait, ne pouvait suffire aux frais de son éducation. C'est pourquoi il n'est pas étonnant de voir aliéner à cette époque les propriétés vignobles que le prieuré possédait à Montagu, Decize et la montagne de Couches (1). Ces ventes, loin de soulager les contribuables et les corvéables, devenaient pour eux un surcroit de charge. Car les corvées qui étaient attribuées à ces terres subsistaient après la vente et pesaient toujours sur les vassaux, mais alors elles étaient exigibles non plus en nature, mais en argent, jusqu'au moment où il était permis au vendeur de rentrer en possession de ses biens. Ainsi, à Saint-Sernin, on avait aliéné les vignes du prieuré, mais les habitants furent obligés de payer de leurs deniers (2) les charrois de tonneaux, de vins, de paulx, de perches et de paisseaux qu'ils faisaient autrefois et qu'ils n'étaient plus appelés à faire (3). C'était une sage précaution pour l'avenir. Ces aliénations, en effet, surtout pour les domaines qui étaient de domination royale, étaient autorisées sous la condition de pouvoir être annulées en rendant le prix de la vente (4).

Les intérêts des âmes n'avaient pas eu moins à souffrir que l'aménagement des terres.

Pendant près de quarante ans, de 1668 à 1706, le prêtre à qui le prieur avait confié le soin du troupeau, fat un vieillard infirme, malpropre et négligent, qui n'accomplissait plus aucun de ses devoirs cariaux (à). L'archiprêtre de Blanzy, trop indulgent

 

(1) Terrier de Saint-Sernin, 1749 : (Etude de M. Brugnot, notaire au Creusot.)

(2) Ils payaient, pour ces charrois, 4 livres, 10 sols. (Même Terrier.)

Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Etude de M. Brugnot, notaire au Creusot.)

(3) Table des collections des procès-verbaux du clergé. Art. Aliénation, p. 95. (Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.)

(4) Mémoire de la visite faite dans les églises de l'archiprêtre de Blanzy. (Archives de l'évêché d'Autun.)

 

pour ce confrère, avait donné pendant longtemps à l'autorité des renseignements très sommaires et assez satisfaisants sur la tenue de l'église de Saint-Sernin. Or l'évêque, Mgr de Roquette, qui pressentait de graves désordres dans une paroisse si mal administrée, avait sommé enfin son archiprêtre " de visiter fortement cette église, de marquer en détail tous les défauts et d'envoyer aussitôt son mémoire »

Alors, après la description de l'église, qui était en ruine, suivent les griefs contre cet indigne pasteur. " Il ne fait plus de catéchismes ; il n'instruit pas les fidèles par des instructions et des prônes ; il ne se fait aucun scrupule de laisser son troupeau sans messe le dimanche et même pendant les fêtes de Pâques ; il ne confesse plus, si ce n'est quelques personnes des paroisses voisines qui ne veulent pas aller vers leur propre curé. Il n'a donné de mémoire aux assemblées synodales ni cette année ni la précédente ; il s'en absente même sans donner aucune excuse. Il a reculé le jubilé jusqu'après l'hiver, contre les ordonnances de Monseigneur, qui ne permettait qu'un rejet de quinze jours. " Un jour enfin, après quelques difficultés qui s'étaient élevées entre le prieur et les paroissiens, le curé ayant eu à en souffrir avait, lui aussi, quitté son poste et avait pris domicile à Montcenis (1).

L'autorité épiscopale s'inquiétait bien de toutes ces négligences, mais n'ayant pas à son gré la nomination à cette cure, il fallait attendre que le titulaire consentît à se retirer.

Or a cette question délicate proposée par Mgr de Roquette, qui avait à coeur la réforme de son clergé : " Quel moyen de pourvoir à ce que cette pauvre église soit mieux desservie ? " L'archiprêtre avait répondu : " L'abbé Baraudan ne peut se résoudre à quitter son bénéfice (2). " Cet attachement n'avait pour motif que la crainte de ne pas en trouver un autre ; le poste lui-même était devenu

 

(1) Mémoire de la visite faite dans les églises de l'archiprêtre de Blanzy (Archives de l'évêché d'Autun.)

(2) Même document.

 

difficile et ingrat. Après M. Baraudan, les prêtres. n'y faisaient pas un long séjour. Etienne Jouffroy, Lazare Poulin, Pierre Delaporte (1), puis François Bertheault, qui commença à tenir des registres, et le curé Communaule, ne restèrent chacun qu'un petit nombre d'années. La paroisse de Saint-Pierre de Varenne avait été encore plus maltraitée à l'endroit du service spirituel. Une lettre partie de Montcenis, le 8 septembre 1698, signée Couchet, et adressée à M. de la Coste, baron de Brandon, conseiller du roi au parlement de Bourgogne, nous en est une preuve.

" Monsieur (2),

" Je vous envoys une copie de la transaction et traité qui a été passé entre Guillaume de la Roche, religieux de Saint-Sernin du Bois, curé de Varennes, et les habitants de la dite paroisse, le 18 de septembre 1485, par lequel vous recognoistrés que ce religieux ne possédait les dixmes de Varennes, qu'en qualité de curé de ceste paroisse et non pas en qualité de religieux de Saint-Sernin, et que, dans ce temps-là, il tenoit des vicaires pour luy aider à servir ceste paroisse.

" Depuis ce temps-là les Prieurs de Saint-Sernin ne se sont pas contentés de prendre toutes les dismes de cette paroisse, mais aussy ils ont banni tous les vicaires et se sont contentés de prendre quelques pauvres prêtres auxquels ils donnent le moins qu'ils pouvoient, ce qui a esté cause que cette paroisse a esté fort mal servie, les revenus y sont grands, les hameaux de ceste paroisse fort éloignés de l'église, en sorte qu'il est comme impossible qu'un seul prêtre en puisse faire le service. On voit par les autres titres qu'autrefois il y avoit dans cette paroisse trois ou quatre prestres.

 

(1) Archives de M. A. de Charmasse, à Autun.

(2) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varenne.

 

C'est pourquoi je crois que M. le Prieur de Saint-Sernin ne se peut pas dispenser de relascher toutes les dismes au sieur curé de la dite paroisse de Varennes ou du moins d'y entretenir un vicaire, auquel cas ceste paroisse sera mieux servie et le service de Dieu mieux fait, car une partie des habitants pourront entendre la première messe, s'en retourner pour envoyer le surplus entendre la seconde. Monsieur, nous sommes dans le temps oà si vous l'entreprenés avec une procuration contenant les plaintes des habitants vous en viendrés facilement à bout, principalement quand vous joindrés vostre pouvoir et vos faveurs à la justice de ceste cause; pour moy je m'estimerais bien glorieux si je pouvais en quelque façon. seconder vos bonnes intentions puisque vous scavés et que vous ne doubtés pas que je suis, etc... "

Quelques années auparavant (1639), Louis XIII ayant reçu les mêmes plaintes des seigneurs de Brandon, avait signé une ordonnance de son parlement de Dijon (1), qui les autorisait à prendre des mesures pour obtenir quelques réformes, chose facile à ce moment, puisqu'il restait encore quelques témoins de temps plus prospères.

Mais tous ces efforts, loin d'améliorer la position, semblaient l'aggraver, en irritant la volonté des grands bénéficiers trop occupés ailleurs pour comprendre les besoins des églises confiées à leurs soins.

En 1690 (2), M. Laguille, qui desservait seul la paroisse de Saint-Pierre, dresse une requête contre l'abbesse de Saint-julien (3), dame Marie-Anne Damas, pour se faire payer sa portion congrue, montant à 150 livres.

 

(1) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varenne.

(2)Mêmes archives.

(3) Saint-Julien-sur-Dheune possédait autrefois un prieuré qui fut réuni, en 1664, à l'abbaye de Rougemont où il y avait un couvent de bénédictins et un autre de bénédictines.

 

En 1703 (1), ce même ecclésiastique se voit encore forcé de demander une saisie sur les revenus du prieur de Saint-Sernin, pour le payement des arrérages de son petit traitement. M. Devonrecer de Montrevel lui devait quarante-neuf mesures et demie de seigle des années précédentes et deux cent soixante mesures de la dernière année. Le bas clergé de cette époque était pauvre et mal payé.

M. Laguille, moins négligent peut-être que M. Baraudan, n'en était pas pour cela bien meilleur. Il était tellement tourmenté par les scrupules qu'il ne pouvait accomplir son ministère. Sur les plaintes des habitants, il avait été interdit par l'autorité épiscopale (2). Sa conduite envers M. de Lachèze, vicaire de Montcenis (3), qui était venu desservir la paroisse pendant l'interdiction, nous prouve qu'il manquait aussi de charité sacerdotale. Cependant, grâce à son frère, avocat au parlement de Dijon, Mgr d'Autun le rétablit dans ses fonctions (4). S'il eût eu les vicaires que l'on réclamait depuis longtemps, ce qui manquait à son ministère aurait été facilement suppléé. Mais comment, avec des revenus si modiques et si mal servis, entretenir des jeunes prêtres que les nouvelles réformes rendaient plus rares et plus exigeants.

En 1675, un curé voisin, forcé lui-même de tenir des vicaires, se plaint ouvertement de l'état du jeune clergé à cette époque et en donne la raison.

" Le curé est obligé à fournir plus de deux cents livres pour son vicaire, n'en pouvant avoir à meilleure condition, et mesme avec peine présentement, qu'on apportera avec raison tant de précaution pour la promotion aux ordres, et pour l'observance et la discipline ecclésiastiques, pour la régularité des moeurs et des habits, pour les dépenses qu'il faut faire, pour de longues études et résidences

 

(1) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varenne.

(2) Même archives.

(3) Même archives.

(4) Lettre de M. Laguille à Mgr d'Autun. ( Même archives.)

 

aux séminaires, tout ce qui est très bon et utile, mais ce qui fait que bon admet peu de personnes aux ordres sacrés et qu'on a peine à trouver des vicaires principalement pour la campagne, lorsque l'on lie leur propose de grands avantages (1). "

A Saint-Sernin, en 1689, malgré une convention particulière que M. d'Hautefeuille avait passée avec le curé pour augmenter un peu ses ressources, les revenus n'étaient certainement pas suffisants. Ils consistaient en une portion congrue de trois cents livres : gerbes d'Evangile, vingt livres ; casuel, quinze livres ; et novalles, vingt boisseaux ajoutés par le prieur (2). Le mal parait général.

M Guijon, grand vicaire d'Autun, en 1630, était inquiet de cet état de choses dans le diocèse. Son historien dit de lui : " Comme le diocèse d'Autun est d'une grande étendue et en partie assis dans des lieux extrêmement sauvages, en partie parmi des montagnes et parmi des forêts, et qu'il contient plus de huit cents paroisses dont les curés en quelques-unes ont fort peu de revenu et n'ont pas quelquefois de quoy s'entretenir honnestement selon leur qualité. Cela aussi l'affligeait à un point qui ne se peut dire (3). "

Le concordat de François 1er, avait opéré beaucoup de changements et de suppressions, mais aucune réforme fructueuse dont chacun sentait et comprenait de plus en plus le besoin.

La situation peut se résumer ainsi : Les bénéficiers négligeaient de rétribuer leurs vicaires perpétuels; ceux-ci, mal choisis ou découragés, négligeaient le service des âmes, mais les évêques veillaient avec, activité.

Le peuple voyait avec peine les riches titulaires dépenser follement les revenus de leurs bénéfices. Les prédicateurs adressaient partout de graves reproches à ceux qui ne gardaient pas la résidence.

 

(1) Procès de Grangier contre Mme l'Abbesse de Saint-Julien, 1675. Cet écrit est de la même année que la pose de la première pierre du grand séminaire d'Autun, par Mgr de Roquette.

(2) Mémoire de la visite faite dans les églises de L'archiprêtré de Blanzy. (Archives de l'évêché.)

(3) Mémoires de la Société Eduenne, t.II, p.254. Autun, Dejussieu, 1873.

 

On entendait, dans les parlements, des blâmes pleins d'amertume contre ces grands bénéficiers qui n'avaient pas le courage de venir partager avec leurs hommes d'affaires et les curés des campagnes la sollicitude et le soin des terres et des âmes.

A Dijon, en 1675, un avocat pouvait dire : " ... Aussi y a-t-il plus de justice de donner ces droits (Novalles et Quarte) à de pauvres curés qui soutiennent le poids et le travail du jour, qui sont dans la fatigue et dans l'employ, qu'à des personnes oisives, qui mangent le fruit des sueurs et des fatigues d'un autre et qui goûtent la douceur du miel façonné par les abeilles (1). "

De temps en temps, cependant, on voyait avec admiration de grands sacrifices.

Des hommes haut placés se détachaient du monde pour vivre dans l'obscurité d'une province éloignée de la cour ou dans la solitude complète de quelque couvent isolé. Le diocèse d'Autun ne manqua pas de ces grands exemples. Mgr de Roquette, en 1666, avait quitté la cour pour se consacrer à la réforme de son diocèse.

Mgr Nicolas Bouillet, nommé et sacré évêque d'Autun, en 1765, s'était démis de sa charge de premier aumônier du roi, pour vaquer plus facilement aux fonctions épiscopales, et il se disposait à s'y livrer tout entier lorsque la mort l'enleva subitement, à Paris, le 22 février 1767. Il fut inhumé dans l'église paroissiale de Saint-Gervais (2).

Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, dernier prieur de Saint-Sernin du Bois, placé comme eux à la cour, eut la gloire de suivre le premier et de précéder le second de ses supérieurs ecclésiastiques dans cette voie de sacrifice et d'abnégation.

Il est malheureux que les troubles de la Révolution, où il a trouvé une fin cruelle, aient presque effacé de la mémoire sa vie et ses bienfaits.

 

(1) Pièces servant au procès Grangier, curé de Saint-Symphorien de Marmagne, contre l'abbesse de Saint-Julien, 1675.

(2) Rituel du diocèse d'Autun, 1833. Notice chronologique, p. xxiv.

 

 

 

Cachet de Messire de Salignac-Fénelon (J-B Augustin)

Prieur de Saint-Sernin du Bois.

 


CHAPITRE III

 

Le dernier prieur de Saint-Sernin du Bois, Jean-Baptiste Augustin de Salignac-Fénelon.

 

Dieu et les événements semblent quelquefois conspirer ensemble pour favoriser l'humilité de ces hommes de Dieu qui n'ont qu'une ambition : celle de faire le bien dans le secret et loin du regard des hommes. Leur souvenir, leurs traces, leurs œuvres disparaissent et s'effacent peu à peu. C'est à peine si un siècle indifférent ou ingrat transmet leur nom au suivant, plus oublieux encore.

Il en est ainsi pour Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon (1), aumônier de la reine Marie Leczinska, prieur de Saint-Sernin du bois, directeur de l'œuvre des petits savoyards ; à Saint-Sernin, ses couvres sont oubliées, et quel est aujourd'hui l'habitant de la Savoie qui connaît les bienfaits de ce protecteur d'autrefois !

L'abbé de Fénelon naquit, en 1714 au château de la Poncie, paroisse de Saint-Jean d'Estissac. Son baptême est enregistré en ces termes : " 30 août 1714, a été baptisé Jean de Salaniac, fils légitime

 

(1) On écrit indifféremment sur les registres : Salaniac, Salaignac, Salainiac ; Salignac est plus récent, (Note de M. de Curé de Saint-Jean d'Estissac.)

 

d'Arnaud de Salaniac, écuyer seigneur de la Poncie, et de Marie Dumas, dame de la Poncie. Parrain, Jean de Salaniac, écuyer ; et marraine, Suzanne de Salaniac (1), damoiselle de la Poncie, qui ont signé avec moi : Jean de Salaniac ; Suzanne de Salaniac ; Marot, curé. "

Cet acte, comme on le voit, ne satisfait pas entièrement, puisqu'il ne relate ni le nom complet de Jean-Baptiste ni celui d'Augustin. On explique cette lacune, en disant que le nom de Jean est, dans cette paroisse, toujours Jean-Baptiste, patron du lieu, et que pour le nom d'Augustin, c'était, selon la coutume de la contrée, son petit nom, pour le distinguer de ses autres frères appelés, comme lui, Jean.  Cette précaution n'était pas inutile, car cette famille avait reçu une bénédiction particulière de Dieu. Chaque année, depuis leur mariage, célébré le 6 août 1709 (2), messire Arnaud de Salignac, chevalier seigneur de la Poncie, et Marie Dumas, fille de messire Jean Dumas de Félines et de Jeanne Testard de la Rigale, voyaient leur maison s'augmenter d'un nouveau-né. On peut compter ainsi treize enfants ; l'abbé de Fénelon était né le quatrième de cette union féconde et morale. Trois choisiront la carrière ecclésiastique, c'étaient : Henry (3), prieur de Saint-Romain, diocèse de Poitiers ; Jean-Baptiste-Augustin, prieur de Saint-Sernin du Bois, diocèse d'Autun ; et Jean, prieur de Resson, diocèse de Rouen. Les autres, excepté l'aîné, furent soldats.

Le château de la Poncie était de modeste apparence ; il était loin de valoir ces riches et vieux manoirs qui sont en grand nombre dans le Périgord. Le corps du logis et de vieux arbres plusieurs

 

(1) Si on en croit les souvenirs de la marquise, de Créquy, Suzanne de Salignac

aurait épousé M. Breteuil.

(2) (Souvenirs de la marquise de Créquy, note de la p. 212, t. VII.)

(3) Voir, les registres de la paroisse, de Saint-Jean d'Estissac.

(4) Henry eut pour parrain le fameux Henry de Taillefer, seigneur et comte de Roussille, et pour marraine Louise d'Aubusson, dame de Miremont (Registre de Saint-Jean d'Estissac.

 

fois séculaires annoncent sa haute antiquité. Bâti sur une éminence, à 200 mètres sud-ouest de Saint-Jean d'Estissac, il fut longtemps perdu au milieu des terres, sans chemin, sans route, sans communication aucune.

Cette propriété avait appartenu, en 1487, aux Biderens. Bertrand de Biderens, religieux du prieuré de Saint-Florent, l'avait donnée à son beau-frère, archer du roi François 1er, Johannot de Mensignac de Faubournet-Montferrand, qui avait épousé Marguerite de Biderens. Anne de Mensignac, leur fille, l'apporta en mariage à Odet de Salignac, seigneur de Grolejac, à la fin du seizième siècle (1).Les rares témoignages qui nous restent des relations entre les enfants d'Arnaud de Salignac, nous prouvent qu'il régna toujours dans cette famille la plus franche cordialité. Martin, l'héritier de la famille (2), seigneur de la Poncie et de Verneuil, entreprit, en 1768, un long voyage pour visiter, dans son prieuré de Saint-Sernin du Bois, Jean-Baptiste-Augustin, son frère. Des charges de parrains, offertes et acceptées, malgré les distances, des prêts d'argent assez considérables pour l'époque, des testaments nous donnent des preuves de cette fraternité.Les Salignac de la Poncie, qui n'avaient que le titre de chevalier, étaient, comme la branche qui donna naissance à l'archevêque de Cambray, peu favorisés des dons de la fortune (3).

 

(1) Voir les différents papiers de la Poncie, les pièces cotées n° 1, et grand C avec 3 astérisques.

(2) Il était aussi appelé Arnaud, il avait épousé Anne d'Abzac de laDouze. La famille d'Abzac de la Douze a fourni à l'abbaye de Notre-Dame des Dombes son premier prieur, dom Augustin.

(3)Le duc de Bourgogne demanda au très Saint-Père, le Gratis pour Fénelon, qui était nommé archevêque de Cambrai, "parce que, disait-il, il a beaucoup de naissance mais très peu de biens ". (Le Christianisme présenté aux gens du monde, M. l'abbé, Dupanloup, t. IV, p. 3.) Mlle de Salignac, dernière propriétaire du château de la Poncie, menait la vie la plus modeste ; elle fut néanmoins obligée de vendre une métairie avant de mourir.

 

La terre de la Poncie ne valait pas beaucoup plus de l00,000 livres. La plus grande partie était en bois qui alors ne servaient guère que pour le chauffage.

Mais une autre richesse, plus précieuse encore que la fortune, était le partage de cette famille. La piété était de tradition chez elle. Chaque génération avait ses prêtres et ses abbés, et pendant près d'un siècle, de 1567 à 1639, cette branche donna, sans interruption, des évêques au diocèse de Sarlat (1.).

Le seigneur de la Poncie s'imposa certainement les plus durs sacrifices, pour l'éducation et l'instruction de sa jeune famille, dont tous les membres remplirent des emplois honorables.Nous ne saurions dire où tous firent leurs études, peut-être à Périgueux, ou plusieurs ordres religieux tenaient école. Outre les maisons pour l'instruction du peuple, il y avait les deux séminaires dirigés par les prêtres de la mission, le grand collège confié aux Jésuites. Il y avait encore les Récollets, les Jacobins et enfin les Cordeliers qui, dans une sphère plus restreinte, avaient, eux aussi, leur enseignement et leurs élèves.

Jean, nous ne savons lequel d'entre eux, avec un ami Pierre de Chassarel, aimait, pendant les vacances, à prêter son concours aux cérémonies de la paroisse (2.).Heureux de savoir un peu de latin, ils signaient : Joannes de Salignac et Petrus de Chassarel (3). Cette science prématurée était bien courte, car le premier ajoute, une autre fois, avec une faute d'orthographe, Jean de Salignac, clair.

 

(1) Gallia christiana, François de Salignac, de 1567 à 1578 ; Louis de Salignac, de 1578 à 1598 ; Louis de Salignac, de 1602 à 1639.

(2) Voir les registres de la paroisse de Saint-Jean d'Estissac, aux dates : 8 septembre 1733, 3 octobre 1735 et 4 octobre 1738.

(3) La mère, de ce jeune homme était Anne de Beaumont, épouse de M. de Chassarel, seigneur de Roger, marraine et probablement tante de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, sous Louis XV, en 1746. Elle donna en mourant ses biens à son mari, aux pauvres, à ses domestiques et à l'église, puis 4,000 livres à son filleul.

 

Il était difficile au seigneur de la Poncie de faire instruire au loin sa nombreuse famille. Pendant que le second de ses enfants, Henry, travaillait dans un des séminaires diocésains à obtenir le titre de bachelier en théologie (1), Augustin recevait à la maison, près de son oncle Jean, abbé de la Poncie, peut-être aussi chez les Cordeliers de Périgueux, une instruction plus modeste et par là-même plus rapide. En 1738, il était déjà sous-diacre (2).

Henry, après avoir terminé ses études, passa quelques mois dans sa famille, s'initient dans sa paroisse au saint ministère, en faisant quelques baptêmes et quelques enterrements (3), C'était en l742. Il reçut ensuite le titre de chapelain d'Agonac (4).Jean-Baptiste-Augustin, ordonné prêtre, partit pour Paris, sous la direction sans doute de quelque parent placé à la cour (5) La vue et le commerce des grands ne troublèrent jamais ni son esprit ni son Cœur.

On raconte qu'il fut accosté un jour par M. de Grammont, qui, fier de son nom et de sa position, s'empressa d'offrir à notre jeune ecclésiastique tout l'appui de sa protection : << Je vous remercie, monsieur, repartit Fénelon, et sachez que vous êtes né de Grammont et moi de Fénelon (6).>> Qu'avait-il besoin de protection, lui qui ne voulait jamais être ni courtisan ni ambitieux ? Loin de briguer les grandes charges et les hauts emplois, il se plaça toujours par goût et par vertu dans cette situation moyenne qui faisait de nos jours toute la force d'un philosophe chrétien : " Plus je vais, plus je bénis Dieu de ne m'avoir fait ni aigle, ni limaçon, ni

 

(1) Voir son titre au canonicat de la cathédrale de Cambrai.

(2) 28 septembre 1738. Registres de la paroisse de Saint-Jean d'Estissac.

(3) Voir les registres de cette paroisse aux dates : 3 octobre 1742, 27 mai 1743 et 5 décembre 1742, 25 juin 1743 et 30 août 1743.

(4) Agonac, ancienne chapellenie située à environ. 10 kilomètres nord de Périgueux, aujourd'hui très belle paroisse de deuxième classe, qui a 1,590 habitants, dans le canton de Brantôme.

(5) Ce n'est que dans le courant de l'année 1744 qu'il fut nommé aumônier de la reine.

(6) Souvenirs de Mlle, Douheret de Montcenis.

 

roi, ni gueux, mais en toute chose de cette situation moyenne où l'on est plus homme, voyant d'assez près le haut pour n'en être pas envieux, le bas pour lui tendre de bon cœur la main (1). "L'abbé de Fénelon accusait cette situation moyenne jusque dans sa personne. Il n'était pas de haute stature (2), sa taille de cinq pieds deux pouces était très bien proportionnée, sauf la tête que l'on trouvait un peu forte. Son front couvert ne donnait aucun indice de l'intelligence dont il fit preuve dans toutes les affaires. Son visage était d'un aspect très agréable ; il avait, comme les Fénelon, le nez aquilin. Son regard, à travers ses yeux gris, indiquait l'observation et la persévérance ; sa bouche, d'une grandeur ordinaire,exprimait la bonté. Un menton plat terminait cette figure, qui conserva jusque dans la vieillesse sa noblesse et sa dignité.

Les premières aspirations de son existence avaient coïncidé avec les derniers soupirs de l'Archevêque de Cambrai, qui mourut au commencement de janvier 1715.

Jean-Baptiste-Augustin avait donc été privé de connaître l'Archevêque de Cambrai, dont il fut cependant la parfaite image.Le temps, qui avait séparé leur existence, avait aussi jeté entre leur famille une distance assez grande. Ils étaient parents du cinquième au septième degré, comme on le voit d'après l'arbre généalogique que nous avons dressé (3).

 

(1) Augustin Cochin.

(2)Témoignage de Mlle Cécile Douheret de Montcenis, dont le père était greffier de Fénelon, et son signalement aux Archives de Paris. (Cartons des biens séquestrés. - Emigrés et condamnés, f. 271-273, liasse xi.)

(3) Cette généalogie a été dressée à l'aide de la Gallia christiana, du P Anselme (9 volumes), de Lachesnaye-Desbois, du nobiliaire de saint Allais, des papiers de la Police et des registres de la paroisse de saint Jean d'Estissac.

 

D'Hélie de Salignac, seigneur de la motte Fénelon de Grolejac, de Mareuil, de Contenac,

époux de Catherine de Ségur de Théobon, sont issus :

 

1) Armand, seigneur de Fénelon, chevalier de l'Ordre du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre, époux de Hunaud-Aimée de Lauta, père et mère de

2) Jean, seigneur de la Motte de Fénelon, mort au siège de Dôme, époux de Anne de Pélegrue, père et mère de

3) François, baron de la Motte Fénelon, époux de Marie de Bonneval, dame de Salignac de Magnac, père et mère de

4) Pons, comte de la Motte Fénelon, époux 1e de Isabeau d'Esparbès de Lussan, 2° de Louise de la Cropte de Saint-Abre, père et mère de

5) François de Salignac de la Motte Fénelon, archevêque de Cambray.

 

1) Odet de Salignac, sieur de Grolejac, époux de Anne de Mensignac, dame de la Poncie, père et mère de

2) Armand de Salignac, seigneur de Grolejac et de la Roque Gajeac, époux de judith de Beynac, père et mère de

3) Barthélemy de Saligna, seigneur de la Poncie, époux de Marguerite Hamelin de Rochemorin, père et mère de

4) François-Antoine de Salignac, époux de jeanne d'Aubusson, veuve de Galvimont, père et mère de

5) Jean de Salignac , seigneur de la Poncie, époux de Jeanne Saulnier de Pleissac, père et mère de

6) Arnault de Salignac, seigneur de la Poncie, époux de Marie Dumas de Félines, père et mère de

7) Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, prieur de Saint-Sernin-du-Bois

 

L'abbé de Fénelon aimait à s'entourer des Souvenirs de l'Archevêque. Il eut chez lui son portrait (1) s'occupa le premier de l'édition de ses œuvres complètes, voulut porter son nom et ne signait jamais que Fénelon ou l'abbé de Fénelon (2), ce qui lui était particulier, puisque son père ni aucun de ses frères ne portèrent jamais ce titre (3).Il puisa certainement dés ses premières années, au sein de sa famille, une vénération particulière pour ce grand-oncle qu'il et voulu connaître et qui avait légué à toute la famille l'éclat de ses vertus.  Arrivé à Paris, il trouva sa mémoire encore fraîche et vivante, surtout dans la société de M. Olier, où l'Archevêque de Cambrai avait débuté dans le ministère des âmes.Cette congrégation accueillit avec bonheur un petit-neveu du grand Archevêque. Pour elle tout ce qui était Salignac était aussi Fénelon. Le nom en fut donné au nouveau venu, qui l'accepta volontiers, en se promettant, dans le fond de son cœur, de le porter dignement.L'abbé de Fénelon, bien des années plus tard, retiré dans son prieuré de Saint-Sernin, aimait à voir chez soi les disciples de M. Olier. C'est au milieu d'eux que vécut et mourut son frère Henry. Lui-même invita dans quelques circonstances M. de Rochebrune et M. Gontard, directeurs du grand séminaire d'Autun (4).

 

(1) Petit médaillon en bronze coulé, retrouvé à Saint-Sernin.

(2) Avant son départ pour Paris, il signe toujours Salignac, et depuis toujours Fénelon.

(3) ce n'est que sous le second Empire, après que la branche des Fénelon que tous les Salignac et les Decazes furent autorisés à ajouter le nom de Fénelon. Jugement rendu en 1855. (Echo de la Dordogne, 4 janvier 1879.)

(4)Pierre-François Gontard, prêtre-directeur du grand séminaire d'Autun, fait le dix juin 1769, un baptême à Saint-Sernin (registres de la paroisse.) M. de Rochebrune assista à l'enterrement de M. Henry de Salignac et de messire Charles de Sarode de Mussy, directeur de la verrerie de Prodhun.(Même registres)

 

 

F. DE SALIGNAC DE LA MOTTE FÉNELON

Médaille de bronze fondu, trouvée au prieuré de Saint-Sernin du Bois.

 

La vie de Jean-Baptiste-Augustin se divise et, trois parties, qui sont comme les trois étapes de sa longue carrière. Elles se succédèrent en sens inverse des différentes positions que l'Archevêque avait occupées lui-même. Le prélat avait commencé sa vie sacerdotale par vingt années passées dans les fonctions les plus humbles et les plus laborieuses du saint ministère. Après ce pénible stage, il avait été appelé à la cour qu'il avait quittée,disgracié, pour aller Finir sa vie dans l'archevêque de Cambrai.J.-B.-Augustin, au contraire, débuta d'abord à la cour où il ne résida que quelques années, pour venir à Saint-Sernin partager volontairement les soucis de la vie pastorale avec les différents curés de cette humble paroisse. Il y resta près de trente ans, sauf quelque ; années d'absence, toujours occupé, comme nous le verrons, du salut de ses frères. Enfin, une prélature l'attendait aussi sur la fin de sa vie.  Directeur de l'oeuvre des petits savoyards, ses contemporains lui décernèrent le titre d'évêque qu'il conserva jusqu'à la fin et qu'il porta si bien, que désormais dans l'histoire on ne le désignera plus que sous le nom d'évêque des petits savoyards.A le voir nommé aumônier de la reine, on dirait que Marie Leczinska avant de l'appeler à son service, avait relu et médité cette parole que le roi Stanislas, son père, lui avait laissée par écrit : "Je ne connais qu'une sorte de gens qui rendent les sociétés aimables, ce sont ces personnes vertueuses dont l'humeur est douce et le cœur bienfaisant, dont la bouche exprime la franchise et une physionomie sans art, le sentiment et la candeur (1). " C'était là vraiment le portrait de l'abbé de Fénelon. A l'exemple d'un grand nombre de saints, il posséda ce singulier privilège d'apaiser les mauvais penchants et d'exciter de saintes ardeurs par des paroles simples et douces (2). N'a-t-on pas vu. à différentes époques de l'histoire de l'Eglise, des fidèles accourir en

 

(1) Vie de Marie Leczinskas, par l'abbé Proyart, p.35, Périsse. Paris, 1860.

(2) Histoire des prisons, p. 389. 1797. Bibl. nationale.

 

grand nombre auprès de saints personnages pour recueillir cet unique conseil "aimez bien le bon Dieu", et s'en retourner ensuite emportant dans leurs cœurs des trésors de charité chrétienne ? La parole, chez lui, était l'écho d'une voix partie de ce lieu béni où se rencontrent les âmes, la. charité, et ne se perdait pas comme un vain bruit, selon l'expression de saint Paul.Si lingis hominum loqar, et angelorum charitatem autem non habeam, factus sum velut aes sonans aut cymbalum tinniens (l).La charité remplissait son âme et il la pratiqua jusqu'à cet héroïsme admiré du Sauveur lui-même dans le denier de la veuve.

Nam omnes eo quod ipsis supererat, miserunt. At haec penuriâ suâ omnia quaecumque habebat, misit totam substantiam suam(2). " Car tous les autres ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son indigence tout ce qu'elle avait et tout ce qui lui restait pour vivre. " Fénelon a été progressivement jusqu'à ce degré sublime et dernier de la charité, de sorte que, contrairement aux habitudes de la prévoyante vieillesse, il est arrivé sur la fin de sa vie à mendier et à tendre la main pour continuer ses bonnes œuvres (3). "Nous pourrions dire que sa vie tout entière n'a été qu'un commentaire pratique de cette épître du grand Apôtre, dans laquelle il peint si bien la force de la charité : << La charité est patiente, elle est bonne, elle ne crée pas d'émules, elle n'agit pas inconsidérément, elle ne s'enfle pas, elle n'est pas ambitieuse, elle ne cherche pas avec anxiété ce qu'elle possède, elle ne s'irrite pas, elle ne pense, pas le mal, elle ne se réjouit pas de l'iniquité, mais elle se réjouit de la vérité. Elle souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout (4). " Oui, si l'abbé de Fénelon n'a pas eu cette

 

(1) I Corinth. , ch. XIII.

(2) Saint-Marc, ch. XII, V. 44.

(3) Eloge historique de l'abbé de Fénelon. Bibl. nationale.

(4) Saint Paul, Ier épître aux Corinthiens, ch. XIII, V. 4 et suiv.

 

intelligence d'élite qui a distingué l'Archevêque de Cambrai, il a possédé à un degré éminent la charité chrétienne avec toutes les qualités qu'exige d'elle l'Apôtre des nations. Patiens est, il a été patient jusqu'à la mort ; Benigna est, il a été bon : ceux qui l'ont approché ont trouvé en lui un véritable père.  Non emulatur : a-t-il jamais fait naître de ces luttes pleines d'inquiétude et de jalousie ? Personne ne lui envia la place qu'il sut prendre et conserver auprès des pauvres jusqu'à la fin. Non agit perperam : toutes les actions de sa vie pourraient se grouper autour de deux centres : Dieu et le prochain. Non inflatur : il semble avoir pris pour devise cette parole de l'Archevêque : " Oh ! qu'on est sot quand on veut faire le grand ! Oh ! qu'on est vrai et bon quand on veut bien être, se voir et être faible et pauvre (1) ! " Non est ambitiosa : il était sur le chemin des honneurs, et il quitte subitement et la ville et la cour.  On lui propose de riches bénéfices et des évêchés, il laisse tout cela à d'autres pour se perdre dans une profonde et obscure solitude, non pas à un âge où la vie commence à devenir un fardeau, mais au moment de sa plus florissante jeunesse. Non quaerit quae sua sunt : son cœur et sa bourse furent toujours à la disposition des pauvres et des orphelins.Cette charité paraissait inépuisable et descendait jusqu'aux plus petits.Une jeune fille de Saint-Sernin, qui avait perdu dès son bas âge ses père et mère, aimait à se rappeler et à redire plus tard à ses enfants, qu'elle avait rencontré souvent l'abbé de Fénelon, au village des Sourdeaux, chez l'oncle qui l'avait recueillie et que bien des fois il l'avait consolée, en lui disant : " Ne pleure pas, mon enfant, ne t'inquiète pas, nous te tiendrons lieu de père (2). "Comme tous les saints, sa bonté ne dégénéra jamais en faiblesse.

 

(1) Le Christianisme présenté aux hommes du monde par Fénelon, t. III, p. 504. M. l'abbé Dupanloup. Paris 1837.

(2) Souvenir de Mme Dumay-Balluriau de la Navière, descendante de cette personne.

 

Si les membres souffrants du Christ trouvèrent toujours Près de lui le secours qu'ils en attendaient, il sut se montrer sévère administrateur, quand il s'agissait des intérêts du prieuré que le roi lui avait confiés. Il ne craignit pas plusieurs fois d'en appeler à la justice des tribunaux et à la rigueur des hommes de loi, pour faire cesser des abus ou forcer des mécontents à remplir leurs devoirs.  Dans cette extrémité même, il n'oublia jamais que s'il devait agir comme administrateur, il avait aussi le rôle de père à sauvegarder.

Ces vertus chrétiennes étaient couronnées chez lui par la plus grande simplicité. Il savait, sans s'abaisser, se mettre à la portée de tous, se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. Nous ne parlons pas de l'administration des sacrements qu'il partagea avec les curés de la paroisse, c'était presque son devoir. Mais cinq fois pendant son séjour à Saint-Sernin, demandé pour parrain par différentes familles de la localité, il se rendit chaque fois à ces invitations, en procurant toujours à ces enfants privilégiés ce que leur position demandait de lui : aux riches l'honneur seulement, aux pauvres, avec l'honneur. quelques dons en nature. C'était surtout envers ceux de sa maison qu'il aimait à exercer cette condescende. Leur naissance, leur mariage, leur sépulture, étaient presque toujours honorés de sa présence ou de sa bénédiction. Les moindres services, même ceux qu'on appelle mercenaires, étaient pour lui un titre à sa reconnaissance. Dans son administration temporelle, comparé aux prieurs qui l'ont précédé à Saint-Sernin, il se montra l'égal des meilleurs. Ceux-ci, dans des temps d'anarchie, de guerre et de pillage, fidèles observateurs de la résidence, avaient élevé des murailles, des tours impénétrables pour résister efficacement au flot dévastateur qui menaçait la contrée. L'abbé de Fénelon, au commencement d'un siècle de travail et d'industrie, éleva des usines et des fourneaux qu'il tint à la tête du progrès. Dans son administration spirituelle, il fut supérieur à tous. Aucun d'eux n'employa plus de moyens pour faire pénétrer dans les âmes la semence de l'Evangile. Rapports familiers, bienfaits, prédications, missions, bons exemples, il mit tout en couvre. S'il paraît puéril à quelques-uns de relever ici tous les actes de ministère. paroissial qu'il accomplit dans son prieuré, qu'ils sachent que c'est par-là qu'il témoignait quelque intérêt à ses pauvres vassaux, par-là qu'il descendait dans le plus intime des familles. Le baptême, le mariage, la maladie, la mort, tels sont les grands événements de notre vie. Les uns apportent avec eux bonheur et joie, les autres, larmes et douleurs ; double oscillation dont se compose toute existence. Or, le maître qui se penche avec affection, le prêtre qui élève une main amie pour bénir les premiers et sanctifier les autres, devient un membre de la famille, devient un père dont la parole et l'exemple, sont désormais sacrés. A cette bonté pour tous, il ajoutait la pratique d'une sage sévérité envers soi-même. Il résistait à toutes les séductions du monde et au bien-être de la vie dès qu'un devoir s'offrait clairement à ses yeux.

Il fut nommé aumônier de quartier de la reine Marie Leczinska, dans le courant de 1744. Cette place honorable, sujet d'ambition et d'orgueil pour un grand nombre, ne diminua dans son âme aucune vertu et ne lui fit pas perdre le but sérieux de sa vie de prêtre. En effet, ayant été nommé l'année suivante au prieuré de Saint-Sernin du Bois, le devoir de la résidence se dressa dès lors devant lui, il n'hésita pas à quitter presque aussitôt la cour pour ce modeste prieuré. Il se montra dans cette détermination plus généreux que ses derniers prédécesseurs, plus grand même que l'archevêque de Cambrai, qui dans le riche bénéfice de cent mille livres de rentes que lui fournissait son diocèse, se

plaignait amèrement de son état. Ce n'est pas que sa désignation ne fût toute chrétienne mais il ne cachait pas à ses amis les regrets d'avoir quitté les splendeurs de la cour, tandis que l'abbé de Fénelon consentir sans arrière-pensée à s'éloigner non avec d'abondants revenus, mais dans une terre négligée depuis longtemps, pour vivre sous le poids de cette solitude complète qui est en certain jour si pesante, même pour les curés des campagnes (1). Il préféra ce poste à la charge de grand vicaire qui lui avait été donnée par un ami de sa famille, M. Joseph-Bruno de Bausset de Roquefort avait été nommé à l'évêché de Béziers en 1745 (2), eu même temps que l'abbé Fénelon recevait le titre de prieur. L'affection d'un ami sincère qui lui offrait une place honorable ne put le détourner de la résolution de se vouer à la régénération d'une terre dont personne ne voulait plus. Fénelon n'attendit pas la mort de la reine pour quitter et Versailles et Paris, comme M. Delaunaye l'a écrit dans la biographie universelle de Michaud. Cette date, donnée par l'auteur de la martyrologie du clergé français pendant la révolution, a été répétée ensuite par tous les biographes (3). Les premiers actes, après son installation, dans lesquels on voit apparaître son nom au prieuré de Saint-Sernin, portent la date de 1749 (4). On peut donc rapporter à cette époque le commencement de sa retraite.

Louis XV lui donna le prieuré de Saint-Sernin par un brevet dont voici le texte.

« Cejourd'hui 23 du mois de juin 1745, bien informé des bonnes vie et mœurs, piété, suffisance, capacité et autres vertueuses qualités du sieur Jean-Baptiste-Augustin de Salignac-Fénelon, prêtre du diocèse de Périgueux et liait des aumôniers de la reine, et voulant par ces considérations le gratifier et traiter favorablement,

 

(1) Ce n'était pas la première fois qu'un membre de cette illustre famille venait évangéliser la Bourgogne. En 1373, le soixante et unième évêque de Châlon-sur-Saône, avait été un Geoffroy de Salignac, doyen de Mâcon. Ce composa des ouvrages qui ont été imprimés, à Lyon, en 1552. Il avait rempli des charges la cour d'Avignon. (Notice chronologique, p. xlvj, Rituel d'Autun 1833.)

(2) Communications de M. de la Pijardière, archiviste de l'hérault, et de M. Caron, président, de la Société archéologique de Bézier.

(3) Martyrologie du clergé français pendant la Révolution. Bibl. nationale. paroissial. (Archives de la commune Saint-Sernin.)

(4) Registre paroissial. (Archives de la commune de Saint-Sernin.)

 

Sa Majesté lui a accordé et fait don du prieuré de Saint-Sernin du Bois et Saint-Germain, son annexe, ordre de Saint-Augustin, diocèse d'Autun, qui vaque à présent par la démission pure et simple du sieur de Saint-Hermine (1), dernier titulaire, m'ayant, Sa Majesté, commandé d'expédier toutes lettres et dépêches nécessaires en cour de Rome, pour l'obtention des bulles et provisions apostoliques du dit prieuré, et cependant pour assurance de sa volonté, le présent brevet qu'elle a signé de sa main et a fait contresigner par moi, conseiller secrétaire d'État et de ses commandements.

Signé : LOUIS et PHILIPPEAUX.

 

Ces louanges pourraient être regardées comme des formules ordinaires ; pour Fénelon, elles exprimaient la vérité. Il montra bientôt combien il méritait l'estime et la confiance de son roi (2).Son installation à Saint-Sernin suivit de près sa Domination. A la fin de la même année, il se rendit dans sa nouvelle résidence pour se conformer aux cérémonies d'usage. Le procès-verbal qu'on en a dressé est ainsi conçu (3) « L'an mille sept cent quarante-cinq, le vingt et un du mois de septembre, à Saint-Sernin du Bois et au prieuré du dit lieu, par-devant moi, Claude Changarnier, notaire royal et apostolique du diocèse d'Autun, résidant en la dite ville, rite aux Cordiers, paroisse de Saint-Pancrace, fut présent en sa personne, messire Jean-Baptiste-Augustin de Salignac-Fénelon , prêtre du diocèse de Périgueux, et l'un des, aumôniers de la reine, lequel m'a dit que le roy l'avait nommé au prieuré de Saint-Sernin du Bois et Saint-Germain,

 

(1) Cahier de MRG Devoucoux. (Archives du grand séminaire d'Autun.)

(2) Cette nomination au prieuré de Saint-Sernin a dû suivre de très près son entrée dans la cour, comme aumônier de la reine, d'après cette note des archives : «  l'abbé de Salignac-Fénelon est inscrit parmi les aumôniers de la reine, dans l'Almanach royal de 1745. Il ne figure pas dans l'Almanach de 1744. Sa nomination doit donc avoir été faite, dans l'intervalle, compris, entre la publication de ces deux Almanachs. »

(3) Dix-neuf livres des insinuations. (Archives de l'évêché d'Autun.)

 

son annexe, ordre de Saint-Augustin, diocèse du dit Autan, par la démission pure et simple qui en a été faite entre les mains de Sa Majesté, par M. de Saint-Hermine, titulaire, suivant le brevet donné par Sa Majesté, le 23 juin, signé Louis : et plus bas : Philippeaux. En conséquence duquel brevet, le dit seigneur de Salignac-Fénelon, avait obtenu de notre Saint-Père le Pape, les bulles nécessaires données à Sainte-Marie-Majeure, adattées des nones du mois d'août dûment scellées en plomb, autres bulles fulminées formâ juramenti, aussi scellées en plomb, fulminées par messire Jean-Baptiste Quarré, docteur en théologie, abbé de Saint-Estienne, chanoine de la cathédrale, grand vicaire et official, et par ord.Lacroix, contenant mandement à moy le dit notaire, de mettre en possession mon dit sieur de Fénelon du dit prieuré, sur quoi le dit sieur de Salignac de Fénelon se serait transporté avec moi le dit jour, et les témoins cy après nommés au devant de la principale porte de l'église du prieuré et paroisse de Saint-Sernin du Bois où étant j'aurais fait lecture à haute et intelligible voix du dit brevet de Sa Majesté, des bulles accordées à mon dit sieur de Salignac de Fénelon, par Notre Saint-Père le Pape des autres bulles funiculées formâ juramenti, des provisions accordées sur icelles contenantes fulminations des dites bulles réception de serment et mandement pour la prise de possession, en suite de quoi le dit seigneur de Salignac-Fénelon revestu d'un rocher et d'une étaule, serait entré dans la dite église, se serait mis à genoux au pied du maître-autel, fait sa prière, ouvert le tabernacle, visité les vases sacrés et les ornements, puis séance principale dans la dite église et fait toutes les autres cérémonies en ces cas requises. Ensuite aurait célébré la messe dont il m'a requis acte que je lui ai octroyé et sur ses réquisitions j'aurais mis mon dit sieur de Salignac-Fénelon en la possession réelle, actuelle et canonique du dit prieuré de Saint-Sernin du Bois et de Saint-Germain, son annexe, aux droits, privilèges, honneurs, prérogatives, fruits et revenus attachés au dit prieuré pour en jouir tout ainsi qu'en ont joui ou dû jouir ses prédécesseurs prieurs du dit lieu de Saint-Sernin Saint-Germain, son annexe, en ayant fait lecture an peuple assemblé, de la présente prise de possession, il n'y a eu aucune opposition formée à icelle dont j'ai donné acte, en suite de quoi mon dit sieur de Salignac-Fénelon ayant entonné le Te Deum, il aurait été chanté par le peuple assemblé, an son des cloches, ce qui a été fait, lu et passé dans la dite église du prieuré de Saint-Sernin du Bois, en présence de M. Antoine Clément, prêtre, curé de Saint-Sernin, et de M. Claude Mazoyer, prêtre du diocèse d'Autun et autres habitants du dit Saint-Sernin, ceux sachant signer ayant signé. La minute est signée : l'abbé de Salignac-Fénelon ; A.Clément, curé de Saint-Sernin ; Mazoyer ; Jean Buffenoir ; Pierre Jobey et Changarnier, notaire. "Qui pourra nous dire les sentiments de Fénelon, au moment de cette longue cérémonie dans une église délabrée, au milieu d'une population trop longtemps négligée, par ceux mêmes qui avaient eu la charge de l'instruire et de la sauver ? Saint-Sernin, depuis François Brinon, loin d'avoir modifié son aspect agreste et sauvage, s'était couvert de bien des ruines. Aucun chemin ferré ne s'était ouvert pour communiquer avec Blanzy et Montcenis, sièges des autorités civiles, judiciaires et ecclésiastiques, ni avec Couches et Autun, qui étaient les deux centres de commerce les plus rapprochés. Les chemins même qui existaient n'étaient pas très sûrs. On raconte qu'un jour, se rendant à Blanzy, l'abbé de Fénelon se vit assaillir par une troupe de vagabonds qui, ne le connaissant pas, se jetèrent à la bride de ses chevaux et arrêtèrent sa voiture pour le forcer à crier : Vive Blanzy ! Oui, mes amis, Vive Blanzy ! leur dit-il, en les regardant et en s'informant de leur nom et de leur résidence Le lendemain, chacun d'eux était saisi et allait expier son insolence par quelques jours de détention (1) .

 

(1) Tradition de Saint-Sernin.

 

Les dépendances du prieuré n'étaient pas attrayantes. Elles étaient composées, à la venue de Fénelon, d'une cour appelée Cour, du Château au fond de laquelle se trouvait l'église, puis une ancienne chapelle, surmontée d'un clocheton. A droite s'élevait la tour de Jean de Saint-Privé. Un toit à deux eaux la couvrait encore (1), mais elle ne servait plus que de grenier pour rentrer la dîme. Cette construction gigantesque était destinée à subir la transformation des siècles. Avant de servir d'abri aux richesses du prieuré, elle avait retenti longtemps des pieux murmures de la prière. Bientôt ouverte à tous les vents (2), elle allait devenir la demeure des oiseaux de proie qui semblent chaque jour s'associer à la joie des impies et des vandales de la Révolution, en jetant au-dessus de ces ruines à jamais silencieuses leurs cris stridents qui pénètrent l'âme. En face de l'église, on voyait un fournier et un réservoir. Enfin, à gauche, regardant la tour, s'élève encore le château entouré au couchant d'un large fossé demi-circulaire autrefois plein d'eau et muni d'un pont-levis et d'un pont dormant. Entre le fossé et le château, régnait une seconde cour, assez basse pour permettre d'entrer de plain-pied dans les cuisines et les caves. Sur ces caves était un rez-de-chaussée, consacré aux salles communes, salle à manger, salon, salle de billard et de jeu ; puis, au premier, existaient les appartements du seigneur prieur. Le château était flanqué de plusieurs tours, toutes du côté du couchant. Elles étaient de différentes formes et de différentes grandeurs. Deux de ces tourelles ont disparu en 1749, comme nous l'apprend un arrêt du conseil d'Etat qui, sur la requête de,

 

(1) La toiture fut vendue pour couvrir la vieille forge du Creusot.

(2) On raconte que ceux qui ont démoli les étages de cette tour ont trouvé, dans une cavité très bien dissimulée, un parchemin qui contenait la règle du couvent. Cette pièce fut, dit-on, portée à Mgr Devoucoux, alors grand vicaire du diocèse.

 

sieur prieur de Saint-Sernin, déclare les deux tours dépendantes du Prieuré de Saint-Sernin, tombées en vétusté, et permet de les démolir (1). Trois subsistent encore. La première est ronde et semble, au moins dans sa partie supérieure, avoir servi à un pigeonnier. La seconde qui fait mie saillie rectangulaire sur la façade du château, était appelée la tour des Archives. Une autre, également carré, n'a jamais eu d'autre destination que de servir de contrefort à cette façade, qui est d'une grande élévation. Tout cet ensemble était par deux grandes portes qui furent, après la Révolution, transportées aux forges du Creusot (2).

Depuis le village, on avait, accès au château par la cour des écuries. En effet, il y avait à droite, avançant sur la place, les petites écuries, derrière lesquelles était une grange ; puis à gauche, 1es grandes écuries (3) ; en face était planté le jardin. Le prieur avait en outre en propriétés seigneuriales, de vastes forêts. Ces bois étaient d'abord le bois de Prodhun, divisé à moitié avec Mme la présidente Daligre. Il était exploité très avantageusement pour le service d'une verrerie qui fut florissante et qui était fief des abbés de Mézières (4).Puis le bois de la Tranchée, le plus grand de tous, contenait cent huit journaux, trois quart de l'un et un sixième de l'autre. Enfin le bois de Saint-Sernin comprenait le bois de Visinieux, le bois Labre, les champs Bardot, le bois de Chevroche, les Germenées,

 

(1) Inventaire des papiers du Prieuré, article 30. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Elles ferment la vieille forge.

(3) Dans ces, écuries, Fénelon tenait, ordinairement, deux chevaux, une jument et son poulain. (Note, sans date, écrite de sa main, dans laquelle il énumère tous les chevaux du pays.) Papiers de M. Courtois du Creusot.

(4) Plans du Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Archives de la commune.)En 1174, Hugues III, père de Eudes IV, duc de Bourgogne, à son retour de terre sainte, avait donné, à l'abbaye de Mézières une portion de sa forêt connue sous le nom de Prodhun.

 

le Bas-de-Chêne, les Crots-Morlots et les Ruaux-Communaux, indivis avec les seigneurs de Montjeu (1).Cinq étangs, dont quelques-unes situés sur la montagne, pouvaient fournir dans leurs eaux vives du poisson en abondance, et surtout de première qualité. C'était l'étang de la Velle, l'étang Neuf et l'étang de Fauxjudas. Un peu plus bas, l'étang de Bouvier recevait les eaux abondantes des gorges voisines. Enfin l'étang de Mesvrin comptait, avec ses dépendances, cent quarante-deux journaux et demi ; c'était le plus beau. Ajoutez à cela quelques terres et quelques prés et vous aurez une idée à peu près complète des propriétés du prieuré de Saint-Sernin, lorsque Fénelon y fut nommé. Rien d'ailleurs n'était changé dans la législation. La nomination aux trois cures de Saint-Pierre, de Saint-Firmin et de Saint-Sernin appartenait au prieur, à qui par là même incombait la charge des âmes (2). Les habitants naissaient manants et de condition servile, les terres étaient restées de main-morte et le terrier de 1535 était toute la loi. Il fallait que la vertu de Fénelon fût bien grande ou qu'il ait eu beaucoup à souffrir à la cour, pour se renfermer volontairement à l'âge de trente ans dans une solitude aussi profonde et aussi triste que lui offert ce séjour. Le château depuis fort longtemps n'avait été habité que par des fermiers, et ne devait pas être très propre à recevoir l'abbé de Fénelon. La chambre qu'il s'y fit construire existe encore, mais en

 

(1) Le 9 décembre 1752, l'abbé de Fénelon fait le partage de ce dernier bois. Les experts étaient M. Garchery, marchand, et Gouriet, géomètre, à Montjeu. (Archives de Montjeu.)

(2) Dans le Charollais, le prieur de Saint-Sernin était le patron des paroisses de Saint-Germain des Bois, d'Oyé, de Champvent, aujourd'hui hameau de la Guiche, de Montmégin, aujourd'hui hameau de Semur et de Saint-Ambrun, aujourd'hui hameau de Saint-Germain des Bois. (Voir le Pouillé, du quatorzième siècle, publié par M. A. de Charmasse, dans son Cartulaire, 1880.)

 

ruine ; elle était entièrement garnie de boiseries au style de l'époque. On y voit une alcôve entre deux cabinets ; en face, la cheminée s'élève au milieu de plusieurs placards, hauts mais étroits. La fenêtre unique s'ouvre au nord sur la cour intérieure, l'entrée latérale de l'église et la vieille tour. La porte percée vis-à-vis donne accès dans le corridor desservant tout l'étage supérieur.

La société avec laquelle il allait vivre ne pouvait lui faire oublier ou même adoucir l'aspect sauvage de ces lieux. Depuis que des moines austères étaient venus s'établir dans cette solitude, quelques rares habitations seulement s'étaient élevées. Un grand nombre d'ouvriers de toutes sortes avaient coutume, chaque année, de venir exploiter les bois, quelques-uns mêmes y étaient résidants, c'étaient des sabotiers, des faiseurs de pelles, des cercliers, des tourneurs, des charbonniers, des fendeurs (1). Dans les carrières, on rencontrait aussi quelques groliers, attirés par l'exploitation facile des bancs considérables d'arkose. Le village de Chevroche était peuplé de foulonniers, ainsi que Bouvier et Mesvrin. Cependant la forêt de Prodhun avait vu, en 1730, s'établir la verrerie dont nous avons déjà parlé. M. Jacques de Sarode de Mussy, écuyer et gentilhomme verrier, en était le maître. Il avait été aidé dans ce travail de fondation par Pierre de Fassion, sieur de Rizet, François de Condé, écuyers et gentils-hommes ; ensuite par Louis Ourlier, François et Antoine de Virgile, sieur de Saint-Martin (2). Cet établissement avait eu de modestes commencements.  Jacques de Sarode, le 8 juillet 1731, par-devant Me Lapierre, notaire à la Croix-de-Saint-Sernin, donne la somme de 610 livres, à-compte sur la maçonnerie qu'il fit faire à Prodhun, savoir (3) : la maison où

 

(1) Voir les registres la paroisse. ( Archives de la commune de Saint-Sernin.)

(2) Antoine de Virgile, en 1757, écuyer et gentilhomme, devint le maître de la verrerie de Roussillon. (Registres de l'année 1757. Archives de la commune.)

(3) Mâcon (Archives départementales, série 13, n- 2170).

 

il réside, une écurie contiguë aux lianes où sont construits les fourneaux à verre, lesdits fourneaux et tout ce qui dépend de ladite halle. Claudine de Marcius, épouse de François de Fassion, demeurant à Hisole, près Clermont, recommande à son fils l'économie des correspondances. Ce jeune écuyer se mariait avec Jeanne Léger, fille d'un marchand de bois de Prodhun ; et sa mère, en lui envoyant la publication de ses bans, estime cette pièce à 20 livres. Le trousseau et le douaire de Jeanne Léger étaient très modiques (1). A Saint-Sernin, Fénelon allait voir s'éteindre. dans deux mésalliances, une branche de deux grandes familles des Rochefort et des la Rivière. Pierre Languet de Rochefort, chirurgien à saint-sernin, avait épousé Léonarde de la Rivière. En mourant, il avait laissé un fils et deux filles. Ces dernières s'unirent à deux cultivateurs du pays. Leur oncle, prieur de Saint-Thibaut, arriva, dit-on, trop tard, le 18 janvier 1724, pour s'opposer au mariage de l'aînée, Jacqueline (3). Leur tante, Françoise de la Rivière, en mourut de chagrin cinq mois après, à l'âge de cinquante-cinq ans. Cependant cette opposition ne fut pas partagée par tous les membres de la famille, car Jean Languet, leur frère, cavalier au régiment de Condé, vint pour être parrain du premier de ses neveux. Cette Jacqueline Languet vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Elle mourut le 12 janvier- 1780 (4). A son acte d'inhumation, on lit en marge cette note du curé : " Jacqueline Languet,

 

(1) Mâcon (même document).

(2) Il avait probablement succédé en cette charge à maître Garnier qui le 21 mars 1680, avait été guéri miraculeusement d'un flux de sang, en se vouant au crucifix miraculeux de Saint-Martin. (Essai historique sur l'abbaye de Saint-Martin, II vol., charte 164, p. 296.)

(3) Fait dont la mémoire s'est conservé dans la famille.

(4) Voir les registres de la paroisse aux dates indiquées. (Archives de la commune de la commune de Saint-Sernin.)

 

de la famille des Languet de Rochefort, seule femme de qualité qui fût dans ma paroisse. "Cette noblesse de province, composée, comme on le voit, de seigneurs ruinés, artisans ou mésalliés, ne pouvait pas être pour Fénelon une compensation à cette société brillante qu'il venait de quitter. Il s'intéressa cependant, comme nous le verrons plus tard, à la famille de Mus. Dans la ville de Couches, nous n'avons trouvé aucune relation de lui avec les ecclésiastiques dont étaient composés les chapitres de Saint-Nicolas et de Saint-Georges, ni avec les seigneurs qui certainement ont dû habiter cette ancienne petite ville. L'hôpital, seul, conserve un acte signé de sa main (1), concernant la prise d'habit d'une sœur de l'institut de Beaune (2).Parmi les seigneurs des environs, M. Jean-Baptiste de Beaurepaire, possesseur de Brandon et autres lieux, chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, ancien capitaine du régiment du roi (3), s'il résida dans sa terre, ne paraît pas avoir franchi souvent les gorges escarpées de Saint-Sernin pour visiter l'abbé de Fénelon.M. de Thelis, seigneur du Breuil, le voyait quelquefois et l'invitait à dîner, mais ce brillant capitaine de la garde-française, résidant habituellement à, Paris, négligeait son château du Breuil. Fénelon n'acceptait sa table qu'à la condition que Jean Lescure, son cuisinier, serait invité pour préparer le repas (4). Il fallait que cette négligence fût poussée loin. L'abbé de Fénelon, en effet, toujours très sobre, savait souvent se passer même du nécessaire. Il l'avoue lui-même très gaiement à son greffier, qui se trouvait embarrassé de recevoir à sa table un seigneur de la cour. Dans son embarra,

 

(1) Témoignage verbal de M. Pequegnot, ancien curé de Couches, auteur du Légendaire d'Autun.

(2) l'hospitalière de Couches, reçue par M. de Fénelon, était sœur Colin.

(3) Terrier de 1749. (Etude de M. Brugnot, Creusot.)(4) Souvenir de Melle Cécile Douheret de Montcenis

 

il lui avait demandé, sans doute, le cérémonial de réception. L'abbé de Fénelon lui répond :

 

 le 20 mai 1757.

« Si vous pouviez, cher greffier, venir souper avec moi demain samedi, vous passeriez un contrat de vente qui me fait beaucoup d'honneur ; le rendez-vous est assigné à demain au soir, chez moi ; si vous avez affaire dimanche, à Montcenis, nous partirons d'abord après ma messe, pourvu que je puisse trouver quelque part un morceau à manger, je vous apprendrai tout le cérémonial dont je suis parfaitement instruit.

«  Tout à vous, Fénelon (1) »

 

Dans une autre lettre, il en use encore avec plus de simplicité.

« Oui, cher greffier, lundi sans faute nous irons vous demander la soupe, au moins moi, je ne réponds pas des autres.

« Tout à vous, " FÉNELON (2). »

Ses relations avec le monde se nouaient ordinairement à l'occasion d'un service qu'il pouvait rendre, soit à la localité, soit même à quelque particulier. C'est ainsi qu'il reçut un jour, du Mont-Saint-Vincent, la lettre suivante d'un géomètre.

 

«, Monsieur,

 

« A mon retour d'un petit voyage, j'ai trouvé la lettre dont vous m'avez honoré. Je suis très sensible à vos marques d'attentions

 

(1)Lettre autographe. ( Chez M. Gustave Douerait de Montcenis.)

(2) Autographe d'une lettre sans date, appartenant à M. Villedey, d’Autun.

 

pour me procurer des ouvrages de mon art chez Mme la présidente Daliguer. Je serais charmé d'entreprendre actuellement la rénovation de ses terriers de Montjeu, à supposer que nous puissions convenir de prix... etc. (1).

« F. DOLLE. »

 

M.de Lachaize, seigneur engagiste de la terre de Montcenis, qui s'occupait activement de l'extraction des houilles de la contrée (2), et M. Douheret, notaire royal, furent les seules personnes qu'il vit familièrement dans cette petite ville, toute peuplée de baillis, de greffiers, de notaires, d'avocats et de conseillers ddu roi. Cour du bailliage que Fénelon appelait, avec une pointe de malice de bon aloi, le Sénat de Montcenis, dans ce passage d'une autre lettre

au même greffier :

Le 12 décembre 1756.

 

« J'ai trois services à vous demander, mon cher greffier, le premier, c'est de m'envoyer le taux des frais, tel qu'il a été réglé hier par vos sénateurs, etc. (3). »

 

Dans la suite de cette lettre, on peut voir avec quelle réserve il en usait avec ces grands dignitaires du bailliage. Il charge son greffier de s'informer auprès de M. Garcheri, conseiller du roi, quelle décision le tribunal a prise à son égard sur certaines redevances dues ou non. Il attend aussi que M. Douheret lui dise le sentiment de M. Garcheri sur d'autres actes obscurs ; il eût bien pu, ce nous semble, s'informer lui-même directement de tout cela. Mais les services rendus engagent à d'autres rapports qu'il ne tenait peut-être pas à avoir.

 

(1) Archives de Montjeu.

(2) Archives de M. Harold de Fontenay.

(3) Lettre autographe conservée par M. Gustave, Douheret de Montcenis

 

Il ne trouvait donc pour toute société dans son prieuré que celle de son curé, qui était alors maître Antoine Clément. Cet ecclésiastique, en 1745, était âgé de trente-six ans (1). Il était sur de ces nombreux curés qui, malgré

les fatigues d'une grande et difficile paroisse, n'avaient pour subsister que ce qu'on appelait la portion congrue. Ce modique traitement d'un grand nombre de pasteurs, fixé depuis trop longtemps à la somme de 300 livres par

d'anciens édits royaux, commençait à devenir très insuffisant pour subvenir aux besoins de leur personne et de leur maison.Il tenait ce poste depuis la fin de 1735. Elle devait être pour lui de bon augure, l'arrivée, au milieu de ses pauvres ouailles, de ce membre d'une des familles les plus renommées par la vertu et la générosité. Fénelon n'avait, il est vrai, pas encore exercé ses vertus bienfaisantes, cependant il avait, cette année, annulé le terrier de François Brinon, pour en dresser un autre où tous ses vassaux allaient trouver leur liberté. C'était comme un premier bienfait de joyeuse entrée. Il voulut aussi, avant de mettre le pied dans son prieuré, régler tous les différends que ses prédécesseurs lui avaient légués. Il y avait entre autres un procès pendant, au sujet des dîmes novalles dues au curé de Saint-Pierre de Varenne. Les plaintes d'Antoine Jobard, alors curé de cette paroisse, avaient été portées jusqu'au parlement de Paris. Fénelon passa procuration à maître Antoine Delagoutte, chanoine de la cathédrale d'Autun, pour agir en son nom. Ce délégué se rendit au village de Prodhun et, là devant le notaire Mossard et les témoins Claude Mazoyer, curé de Saint-Firmin, Antoine Clément, curé de Saint-Sernin, termina le différend à l'amiable. Les novalles devaient rester à Fénelon, moyennant " vingt-cinq boisseaux seigle, bon grain, loyal, marchand, bien vanné, étassé, rendu en la maison curialle, à chaque Saint-Martin d'hivert (2.) ". Jamais les novalles n'avaient encore

 

(1) Voir son acte de décès. (Registres de la paroisse. Archives de la commune de Saint-Sernin.)

(2) Archives, de la paroisse de Saint-Pierre de Varenne,

 

en une telle valeur. Nous devons ici quelques explications sur ces différentes dîmes. Les novalles étaient levées seulement sur les terres nouvellement mises en culture, terres qui venaient ordinairement du défrichement des bois (1). Elles appartenaient de droit commun aux curés et se levaient par moitié soit, la récolte, taudis que la dîme seigneuriale se payait, à Saint-Pierre de Varenne, en donnant le treizième de toute espèce de produit. Elle était ordinairement la propriété exclusive dit seigneur. Les dîmes novalles furent longtemps le sujet de grandes contestations entre les curés de Saint-Pierre et les prieurs de Saint-Sernin, qui étaient curés primitifs de cette paroisse. Semblables à toutes les dîmes, elles étaient difficiles à faire rentrer ; les curés, pour cette raison, les abandonnèrent aux prieurs moyennant d'abord quinze, puis vingt bichets de seigle. En 1745, M. de Fénelon éleva cette dîme à 25 boisseaux de seigle (2). Enfin, en 1763, M. Bauzon, croyant fort d'une convention de 1485, réclamait la dîme novalle et la dîme seigneuriale comme l'avait déjà fait un de ses prédécesseurs en 1732. c'est prétentions étaient en partie injustes. Aussi en furent-ils dissuadés, chacun en leur temps, par une décision du parlement de Dijon (3). La dîme seigneurale, en effet, avait été, au commencement, abandonnée par le prieur de Saint-Sernin au religieux chargé de la paroisse de Saint-Pierre; mais lorsque le couvent fut obligé de mettre dans ce poste des titulaires dont le droit fût perpétuel, le prieur reprit la dîme et les autres revenus qui lui appartenaient comme seigneur, et paya le pasteur en portion congrue. Une décision royale avait sanctionné tout cela. Cette portion congrue était tantôt en nature et tantôt en argent, à la volonté des prieurs et des curés.

 

(1) On l'avait abandonné aux curés pour les encourager à conseiller les défrichements.

(2) Archives de la cure de Saint-Pierre de Varenne.

(3) Aux mêmes archives.

 

Ainsi Jacques Laguille, qui fut curé longtemps, vit trois fois changer cette redevance à Saint-Pierre de Varenne. En 1678, sous M. d'Hautefeuille, il avait reçu trente bichets de seigle, cinq de froment, le quart de la dîme du vin

de Varenne, et quinze bichets de seigle pour les novalles (1) En 1686, sous M. de Montrevel, il touchait trois cents livres et vingt bichets de seigle; cette nouvelle convention fut passée, à Couches, chez le notaire Pinget, en présence de Guillaume Calmes, curé de Saint-Gervais, de Jean Garnier, bourgeois de Saint-Sernin (2).En 1703, la convention fut modifiée, et M. Laguille se contentait de deux cent quatre-vingts mesures tant seigle que froment. Six ans plus tard, en 1709, Saclier, nouveau curé de Saint-Pierre, et Antoine Jobard, en 1745, modifièrent avec leur prieur cette redevance au gré de leurs désirs (3).Enfin, en 1786, M. de Fénelon paya à M. Bauzon trois cent dix mesures de seigle et cinquante mesures de froment rendues sur son grenier, avec un poinçon de vin (4).Fénelon avait voulu que tous ces arrangements et surtout l'acte d'affranchissement accompagnassent sa venue dans le pays, afin de donner ensuite à sa parole plus de poids et d'autorité auprès des âmes qu'il se promettait d'évangéliser.  Il avait compris que la générosité et le bon accord devaient être le commencement de toute amélioration matérielle et morale.  Nous le suivrons donc maintenant pas à pas dans cette double charge qu'il s'était imposée : Sage administration de ses terres comme seigneur, sanctification des âmes comme prieur, deux préoccupations qui devaient désormais remplir toute sa vie.

 

(1) Archives de la cure de Saint-Pierre de Varenne.

(2) Mêmes archives.

(3) Inventaire des papiers du Prieuré de Saint-Sernin, en 1790, article 37. (Archives (le la ville d'Autun.)

(4) Bail à ferme, par M. l'abbé le Fénelon, à sieur Nicolas Bard et autres, art. 2. (Archives de la ville d'Autun.)

 

L'affranchissement de son prieuré avait occupé Fénelon dès les premières années de sa Domination. Les formalités pour inaugurer ce nouveau régime demandaient beaucoup de temps; car nous le voyons, dès le 5 mars 1746, obtenir, à ce sujet, des lettres de la chancellerie de Bourgogne (1), lettres qui ne furent signées, enregistrées et vérifiées à l'audience par-devant monsieur le lieutenant civil des bailliages et chancelleries de Montcenis, que le 7 septembre suivant. Trois ans s'écoulèrent ensuite avant qu'il pût mettre son projet à exécution. Enfin, c'était un lundi, 18 du mois d'août, qu'il put déclarer par-devant l'autorité compétente et tout le pays assemblé sa noble, détermination. L'acte qui en a été dressé et lu commence ainsi : " Cejourd'hui lundi 18 du mois d'août l749, sous l'hormeau proche le château de Saint-Sernin du Bois, lieu accoutumé à tenir les assemblées (2), par. devant nous, Fiacre-Antoine Venot, avocat à la Cour, demeurant à Montcenis, bailli et juge ordinaire des terres et seigneuries du

prieuré, du dit Saint-Sernin du Bois, sur l'heure de dix du matin, ont comparu messire Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, conseiller du Roy (3) en ses conseils, aumônier de la Reine, vicaire général du diocèse de Béziers, prieur commendataire du prieuré royal de Saint-Sernin du Bois et dépendances du présent en son dit prieuré, d'une part. " Viennent ensuite les noms de tous les chefs de famille, d'autre part. La foule était grande, ainsi que nous l'apprend un procès-verbal de cette réunion. " Les dits habitants et forains se seraient rendus aujourd'hui jour de la tenue des grands jours à la dite invitation et convocation avec d'autant plus

 

(1) inventaire des papiers du Prieuré, articles 1 et 2. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Étude de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

(3) l'abbé de Saint-Sernin était un des conseillers-nés dans le parlement, de sa province. (Voir la France sous Louis XV, par Alphonse Jobez, t. I,p.227. Paris, Didier.)

 

d'exactitude et d'empressement qu'ils ont d'ailleurs appris que le dit seigneur de Salignac de Fénelon, prieur actuel de Saint-Sernin du Bois, s'était rendu en son dit prieuré, ce qui les mettrait par conséquent en état de le prier et

supplier lui-même, comme ils le font actuellement, de vouloir bien affranchir les biens et les habitants prière sa directe et censive du lien de servitude de main morte et les déchargé de la solidité, des redevances auxquelles ils

sont sujets annuellement, s'en remettant de nouveau à sa prudence et équité pour les nouvelles charges qu'il voudra leur imposer à raison de cette décharge et affranchissement, espérant néanmoins de sa bonté qu'il en adoucira les conditions le plus qu'il lui sera possible (1). " Ce passage nous montre clairement combien l'affranchissement était désiré de tous. La bonté de Fénelon ne pouvait donc pas se manifester plus à propos pour se concilier l'affection de

son peuple. Leurs deux volontés se trouvaient là en parfait accord, avec cette différence que l'abbé de Fénelon avait devancé le désir de ses vassaux, et qu'il allait leur offrir gracieusement ce que peut-être ils se disposaient à lui arracher- à foi-ce de prières. Quoique ce premier acte ne fût qu'une proposition, les habitants jouirent immédiatement de leur affranchissement, c'est-à-dire dès 1749.L'abbé de Fénelon se mit aussitôt en rapport avec un commissaire des droits seigneuriaux, Louis Develey. Le 28 septembre 1750, il passe avec, lui un traité dont les clauses se résument ainsi (2).

 

" 1° Renouveler le terrier de 1535, sans opérer de divisions dans les redevances, afin de laisser les censitaires solidaires les uns pour les autres.

" 2° Minuter les reconnaissances de terres sur les plans qu'il

 

(1) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varenne.

(2) Pièce intitulée : Terrier de Saint-Sernin. (Aux Archives de Montjeu.)

 

doit relever de la terre de Saint-Sernin, de telle façon qu'au moyen de numéros, il soit facile de recourir de l'un à l'autre.

« En conséquence de ce travail, moi, le seigneur Prieur, m'oblige de payer au dit Develey la somme de 2,400 livres, donnée en trois termes, savoir : 600 livres à Noël prochain, 900 livres à Noël de 1751, et 900 livres à la livraison de l'ouvrage. Develey demanda quatre ans pour ce travail, et il les employa." Ce ne fut qu'en 1754 que tout fut prêt, enregistré et patenté. Copie en fut lue le vendredi 24 mai 1754, sous l'ormeau du village. Assistaient à cette lecture le prieur, les curés de Saint-Sernin et de Saint-Firmin, dûment convoqués et qui avaient annoncé en clair cette lecture le dimanche précédent ; enfin, plusieurs principaux de la paroisse, savoir : Rey, Grangier de Parpas, Jouffroy, Bertheau, Charleux, Clémentceau, Guillaume Marlot, Jean Buffenoir, Pierre Malot, Jean Charleux, Lequin fils, Jobey, Verniseau, Jean Bouillet, Verniseau, René Varry, Pierre Jobey, Villedey, Venot et Saclier greffier (1). Après avoir nommé tous ceux qui avaient été présents à l'acte primitif, la clause commençait ainsi : " A quoi le dit Seigneur de Fénelon, comparant comme dessus, a dit que, désirant traiter favorablement les habitants et forains propriétaires et possédants fonds, der -rière, la main morte directe et censive de son dit prieuré, il veut bien tant pour lui que pour ses successeurs, au dit prieuré, affranchir les dits habitants, eux, leurs propriétés, nés et à naître, ensemble tous les biens et héritages situés derrière la dite terre de Saint-Sernin du Bois et

dépendances, et les décharger de la solidité des redevances portées par les anciens titres et terriers aux clauses et conditions suivantes. "Là, sont énumérées en général les redevances élues au prieur et que nous avons vues à l'ancien terrier. Elles peuvent être considérées comme nos impôts actuels, seulement les unes sont en nature,

 

(1) Terrier, de Saint-Sernin, 1749. (Etude de Me Brugnot, notaire du Creusot.)

 

d'autres en argent. On y voit même conservées la poule de feu que l'on devait au prieur par feu croissant ou décroissant, et la langue de tout gros animal abattu sur ses terres.  Il rappelle aussi aux habitants qu'il conserve le droit de chasse et de pêche, le droit de vendre vin, qu'il a surtout entre les mains le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire la haute, moyenne et basse justice (1), droit qu'il exerçait quelquefois contre des malfaiteurs. Il les faisait saisir par

ses gardes, puis, assisté de son greffier, il les jugeait sur la déposition des témoins. Il les condamnait ordinairement à une amende proportionnée à la gravité du délit et à être attachés un instant, le dimanche, à l'ormeau de la place

(2). Le moment choisi était la sortie de la messe; puis il les renvoyait couverts de honte. Partout l'affranchissement des terres était pratiqué depuis longtemps. Les domaines royaux étaient tous affranchis. Les nobles, mieux que le peuple encore, avaient senti le besoin d'une réforme. L'abbé de Fénelon la fit avec prudence, en modifiant quelques points principaux, dont plusieurs touchaient à la condition même des cultivateurs, et un seulement à la forme des déclarations ou confessions de terres. Il avait retranché la vieille formule du servage (3), dans laquelle chacun se reconnaissait manant, c'est-à-dire attaché, soi et sa postérité, à sa terre, et confessait être homme du seigneur, de condition servile et de main-morte. D'inappréciables avantages naissaient du nouveau droit. Tout homme devenait libre de vivre dans la terre qui lui

était confiée ou de la quitter avec toute sa famille ; ainsi affranchi, il pouvait acquérir de ses épargnes quelques fonds de terre, se marier où bon lui

 

(1) La justices moyenne et basse pouvait condamner un coupable depuis 65 sols et au-dessous. La justice haute condamnait à mort.

(2) Tradition du pays de Saint-Sernin.

(3) Terrier île Saint-Sernin 1749. (Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

 

semblait et avoir des enfants à qui il transmettait par héritage le fruit de son travail et de ses acquisitions. La compensation que Fénelon exigea des habitants pour leur liberté fut très minime, quelques deniers proportionnels à l'importance de leurs terres et une seconde poule de feu (1).Mais, comme on peut en juger, cet affranchissement avait entièrement changé les rapports de la population avec le château. Les habitants, en devenant libres, n'étaient plus regardés comme les enfants ni même comme les fermiers du prieur, et perdaient pour cette raison leurs droits dans les bois. Il leur fut défendu désormais de couper, d'abattre pour leur usage les arbres de la forêt. Le pacage libre de leur bétail fut retranché également (2). Ces avantages, qui leur étaient bien chers, furent longtemps regrettés par eux, et cette perte a peut-être été une cause qui leur fit cacher le terrier de 1.535, pour réclamer, à la Révolution, le retour aux anciennes redevances (3).Le temps avait aussi forcé Fénelon à modifier la forme du serment ; il n'est plus prêté, la main sur les saints

Evangiles de Dieu. Il le fit consister en une simple promesse, faite par-devant notaire, d'être fidèle aux obligations reconnues (4). Le travail de l'affran-chissement était terminé, et tous auraient dû bénir l'abbéde Fénelon d'avoir compris et même devancé le vœu des habitants ; mais le bienfait une fois obtenu, la reconnaissance fut ici comme partout et toujours dans le petit nombre (5).L'ingratitude même ne tarda pas à se traduire contre l'abbé de

 

(1) Terrier, de Saint-Sernin, 1749. (Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

L'affranchissement a été payé 18 deniers (un sol et demi), pour chaque journal, soyture ou arpent, et 5 sous et une poule de feu.

(2) Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Etude, de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

(3) Voir plus loin une délibération du conseil municipal de Saint-Sernin.

(4) Terrier de Saint-Sernin de 1749. (Étude de Me Brugnot, notaire au

Creusot.)

(5) Mme Swetchine, au sujet de l'affranchissement des serfs de Russie.

 

Fénelon, par des résistances aveugles, des protestations opiniâtres et des refus de se soumettre aux nouvelles redevances. L'inventaire qui s'est dressé des papiers du prieuré signale, à l'article 5, les pièces d'un procès intenté,

en l'année 1754, par le sieur prieur, à plusieurs particuliers ses censitaires, sur lequel intervient arrêt, le 3 décembre 1760, qui ordonne le payement des cens, rentes et corvées, reconnus par le nouveau terrier (1.), les dites pièces

sont au nombre de soixante-huit, y compris la grosse de l'arrêt. A Saint-Germain, les mêmes difficultés eurent lieu, L'éloignement de cette annexe et le changement de régime avaient donné naturellement naissance à d'injustes prétentions que Fénelon fut obligé de mettre entre les mains des Hommes de loi (2). Ces exécutions coûtaient à son cœur de prêtre.  C'est pourquoi il tempérait cette inflexibilité d'administrateur par une grande patience, quand quelque intérêt particulier s'y trouvait mêlé La lettre suivante nous montre bien quel discernement il savait apporter dans ces questions.

« De Chagny, ce 22 mai 1761,

 

« J'ai reçu votre lettre, mademoiselle, où vous me proposés de venir à Chagny, quand je le voudrai pour passer la reconnaissance des biens que vous possédés derrière chez moi, cela ne se peut plus, il faut que me, reconnaissances soient reçues par le même notaire, parce que le roi l'a nommé pour cela (3), si vous étiez venue lorsque je l'ai fait venir ici, vous vous serriez épargnée le voyage de Montcenis, mais vous sentez bien que je ne le fasse pas revenir

pour vous seule,

 

 

(1) Archives de la ville d'Autun.

(2) Inventaire des papiers du prieuré en 1790, art. 8, 12 et 13, concernant Saint-Germain. (Archives de la ville d'Autun.)puis un procès entre la baronne d'amanzé et J.-B.-Augustin de Salignac Fénelon, prieuré de Saint-Sernin et de Saint-Germain, au sujet de la dîme du Hameau de la Grande-Roue. (Archives de Mâcon cote E, 69.)

(3) Lettre autographe (propriété de M. Gustave Douheret, de Montcenis).

 

ainsi - mademoiselle (1), je vous donne rendez-vous à Montcenis, en l'étude de Me Douheret, notaire, pour le trente du mois de juin prochain, si vous ne vous  rendez pas je serai contrains de vous envoyer un huissier de Montcenis qui vous coûtera fort cher et, vous feriez bien mieux de garder cet argent pour me payer les années échues.

"Je suis très parfaitement, mademoiselle, votre serviteur."

L'abbé de FÉNELON.

"Si vous ne vous rendez pas le 30 juin prochain, je ferai partir l'huissier le 11, juillet, qui est le lendemain.

 

            Cet huissier n'était pas envoyé, comme on le voit, pour recouvrer les arrérages qui lui étaient élus, mais bien pour des reconnaissances de terres suite de l'affranchissement. N'était-il pas temps, en effet, de clore définitivement l'immense travail de ses nouveaux qui l'avait occupé quinze ans, de l746 à 1761. Il poussait cette exactitude des affaires quelquefois jusqu'au scrupule ; ne s'en rapportant qu'à clos actes officiels et non à la parole de gens dont il reconnaissait d'ailleurs l'honneur et la bravoure. Une autre lettre à son notaire nous en est une preuve.

« Le troisième service que j'ai à vous demander est de me faire le plaisir de venir dîner avec moi dimanche prochain, 14 du courant (décembre 1756), attendu que les braves Charleux de Chevroches ont dit à M. Perot qu'ils viendraient ce jour-là sans y manquer pour terminer avec moi, et comme je veux que leur désistement se fasse par-devant notaire, je serai bien aise que vous soyez ici pour cela (2). "Il prenait avec ces riches propriétaires de Chevroches les plus

 

(1) Cette personne était veuve, de Jean-Thomas de Decize, demeurant à Nolay.

(2) Lettre appartenant à M. Gustave Douheret, de Montcenis.

 

grandes précautions et leur adressait les copies de ses plans, qu'il payait très cher pour prévenir tout conflit né de l'ignorance ou de la mauvaise foi (1).

Il connaissait l'esprit processif des habitants ; et pour éviter les ennuis d'interminables discussions, il avait soin dans ses marchés de dresser lui-même des sous-seing-privés en attendant l'acte du notaire (2). Il assurait ainsi les conventions conclues.  Précaution qui n'était pas toujours inutile au milieu de ce peuple des montagnes très porté à la duplicité dans les affaires d'intérêt (3).Ces occupations toutes temporelles ne devaient pas uniquement remplir la vie de pasteur que Fénelon s'était proposé de mener dans son prieuré. Les circonstances se chargèrent d'opérer un rapprochement entre lui et cette population ouvrière qui ne l'abordait qu'avec crainte. En effet, l'aspect d'un seigneur de la cour, conseiller du roi, l'héritier d'un grand nom dans la plénitude de la force et de l'âge, l'aumônier de la reine, devait inspirer un profond respect dans les forêts montagneuses de Saint-Sernin. Aussi, voyons-nous avec quelle timidité les habitants s'approchèrent de ce château qui, mort depuis longtemps, semblait revivre. Ils commencèrent par aborder les hommes attachés au service du prieur et par leur offrir l'honneur de tenir leurs enfants sur les fonts baptismaux.  Antoine Darras, le domestique, est appelé deux fois de suite à remplir cette charge la même année ; et Jean Lescure, le cuisinier, est demandé aussi peu de temps après (4).Mais bientôt, le curé de la paroisse est atteint d'une maladie dont il ne se relèvera pas, et ses fréquentes absences forcent l'abbé

 

(1) Plan dressé par le, géomètre, Joubert, résidant au château de Saint-Fargeau, pour mettre à exécution le jugement du 2 décembre 1773. (Papiers de M.Courtois.)

(2) Sous-seing écrit de sa main d'un marché avec Jean Charleux de Chevroche. (Papiers de M. Courtois.)(3) Voir une pièce sans date appartenant à M. Courtois.

(4) Registre de la paroisse, année 1750. (Archives de la commune.)

 

de Fénelon à remplir les obligations de pasteur. Il entre plus directement en rapport avec le peuple qui l'entoure. Le premier acte qu'on trouve signé de sa main est le mariage d'un menuisier avec la fille d'un manœuvre, il porte la date du 19 avril 1751. Son domestique et son cuisinier lui servent de témoins (1). Cette première condescendance fut suivie de bien d'autres.  Les sabotiers, les verriers, les fouloirs s'empressent à l'envi de lui demander sa bénédiction pour leur alliance ; à tel point qu'il ne se fait plus guère de mariages qu'il ne soit là pour les bénir. Il marie aussi son cuisinier Jean Lescure, qui était le

fils d'un maître radeur de Béziers, avec Jeanne Douheret, de Montcenis. Il en avait obtenu la permission de M. Demange, vicaire général d'Autun et du sieur curé de Montcenis (2). Le 26 janvier 1753, il fut parrain du premier fruit de cette union (3).L'année 1754 fut une année où Dieu l'éprouva dans les personnes qui l'entouraient. Le mois d'avril vit d'abord mourir, au château, un diacre, Hugues Naudin, âgé de vingt-deux ans. Ce jeune ecclésiastique succombant à une de ces maladies de langueur qui ne pardonne jamais, et qui se trouvent

aggravées par la vie sédentaire qu'exigent de longues études. Ces Messieurs du grand séminaire d'Autun l'avait confié à l'abbé de Fénelon, qui l'avait pris i sa charge pour lui prodiguer d'abord tous les soins (lue réclamait son état, puis tous les secours spirituels, toutes les consolations dont il connaissait si bien le secret. Il le vit mourir le 20 avril, époque fatale pour les poitrinaires. Il donna à son enterrement une grande solennité. Nous y voyons figurer tous les curés et chapelains des environs : c'était Jobard, curé de Saint-Pierre de Varenne; Rey, curé de Saint-Firmin ; Rey, chapelain du Breuil ; et Pierre, chapelain à Montcenis. Si l'abbé de Fénelon assista à cette cérémonie, il n'y voulut partir que comme simple

 

(1) Registres (de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Même registres.

(3) Archives de la commune de, Montcenis

 

particulier, sa présence n'est pas même mentionnée dans l'acte (1). Il ressentit vivement la perte que l'Eglise venait d'éprouver et le vide que cette mort laissait au château. M. Clément devenait aussi plus sérieusement malade et ne rendait plus aucun service. Fénelon se met à tout, aucune fonction de la charge pastorale ne semble lui être étrangère. Il visite, dans leurs pauvres chaumières, perdues au fond des bois des scieurs de long venu d'Auvergne, puis clos sabotiers, auxquels il apporte les consolations de la religion. Combien il est doux de penser que cet homme de Dieu, mû par des sentiments de foi et de charité chrétienne, a franchi, quelque jour, pour soulager ses frères ou les porter à Dieu, ces ravins sauvages, escaladé ces roches ou cheminé péniblement le long de ces sentiers creux et rapides. Son front s'est mouillé de sueur pour porter en toute hâte les derniers sacrements à quelques moribonds obscurs, à qui il rend encore après la mort le devoir de la prière. Il va jusqu'à vouloir écrire de sa main plusieurs registres, mais on remarque qu'il est peu exercé aux formules consacrées par l'usage. Il commence et, sans achever, il rature pour recommencer encore (2).Enfin, le 23 juin M, le Curé succombe à sa longue maladie. Fénelon lui-même fait toutes les cérémonies funèbres de l'enterrement Il eut soin d'y convoquer plusieurs des curés voisins qui vinrent signer au registre. L'acte qu'il fit dresser avant de le signer lui-même est ainsi conçu :<< le Vingt trois juin mille sept cent cinquante-quatre, est décédé Me Antoine Clément, prêtre, curé de Saint-Sernin, âgé d'environ quarante-cinq ans, muni du sacrement d'extrême-onction, et le lendemain à été inhumé dans l'église, en présence des sieurs Antoine Jobard, curé de Varenne, Rey, curé de Saint-Firmin, et Prost, curé d'Antully, soussignés avec moi (3).>>

 

(1) Registres de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Ibid., 19 et 29 mai 1754 (Id.)

(3) Ibid.

 

 

Il avait exercé pendant dix-neuf ans le saint ministère au milieu de cette paroisse de Saint-Sernin. Celui qui lui succéda, M Antoine Lavoillote, n'y derneura que quatorze ans. Il était fils d'un marchand d'Autun et faisait son vicariat à Couches, lorsqu'il fut appelé à Saint-Sernin. L'abbé de Fénelon, en effet, ne voulut pas rester longtemps sous le poids des soucis de la paroisse. C'est pourquoi dès le 4 juillet même année, après avoir recueilli les informations suffisantes, il prie Mgr l'Evêque d'Autun de confirnier le choix qu'il vient de faire. « Nous, Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, prieur commendataire du prieuré de Saint-Sernin du Bois, bien instruit des bonnes moeurs, capacité et doctrine du sieur Antoine Lavoillote, vicaire de Couches, diocèse d'Autun (1), l'avons présenté et présentons à AI. PE vesque d'Autun ou à MM les grands vicaires pour remplir le dit bénéfice cure de Saint-Sernin du Bois, vacant par la mort du sieur Antoine Clément, en foi de quoi nous nous sommes signé et avons appose le sceau de nos armes à Saint-Sernin le 4 juillet 1754 « L'abbé de FÉNELON » L'approbation et le visa nécessaires donnés par l'autorité diocésaine ne se firent pas attendre. Le 21 juillet, le nouveau curé prenait soleninellement possession de son poste, par-devant Philibert Duchemin, notaire royal et apostolique de Montcenis avec toutes les cérémonies d'usage, en présence de toute la paroisse et en particulier de M l'abbé de Fénelon, Jean Bouiller et Guillaume Marlot qui seuls ont su signer (2). Pendant plusieurs années l'abbé de Fénelon ne parait plus si

 

(1) XIXe livre des insinuations. (Archives de l’évêché)

(2) Ibid

 

souvent dans les actes publics de la paroisse; et ce n'est que de loin en loin qu'il nous est permis de le suivre, soit à. Autun, soit à Saint-Sernin (1).

Le 26 novembre 1754, au couvent des Ursulines d'Autun, il fait une cérémonie de vêture. Melle Marguerite de Montagu prenait le voile sous le nom de soeur de Saint-Félicité. Deux ans après, jour pour jour, cette novice fait profession et prononce devant l'abbé de Fénelon ses voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance puis se consacre à l'instruction des petites filles. Ce couvent des

Ursulines revit plusieurs fois l'abbé de Fénelon. Le 10 août 1756, il y donna encore la vêture à Melle Charlotte Boiveau de Saint-Gervais, en religion soeur Saint-Basile. Elle avait seize ans et avait perdu son père Charles François Boiveau, écuyer et ancien officier. Après un noviciat de deux ans, elle redemande l'abbé de Fénelon, pour qu'il soit témoin des voeux solennels de sa

profession. Ce même jour, l'abbé de Fénelon eut la consolation de voir la jeune soeur de cette religieuse, Anne Boiveau, agée de dix-sept ans, se disposer, comme son aînés, à embrasser la vie du cloître. Il lui donna aussi le voile des Ursulines (2).Ce n'étaient pas les grands événements de la cour qui éloignaient l'abbé de Fénelon de son prieuré. A la naissance du duc de Berry l'infortune

Louis XVI, il était encore à Saint-Sernin. Il s'intéressait de préférence aux affaires de l'Église. L'assemblée du clergé, tenue en 1755, se proposait de régler trois questions importantes, savoir : 1° le don gratuit de seize millions, demandé par le roi ; 2° un nouveau département pour dresser les revenus exacts de chaque bénéfice ; 3° les affaires de l'Eglise relativement à la bulle Unigenitus et à la matière du refus de sacrement

 

(1) Le 1er, octobre, 1754, il baptise Reine Moine. Le 18 février 1756, il baptise, à Saint-Sernin, Jeanne Charleux, de Saint-Pierre de Varenne, en l'absence de M. Jobard, curé de cette paroisse. Enfin, le 14 décembre 1756, il date de Saint-Sernin une lettre à son notaire.

(2) Registres des Ursulines d'Autun. (Archives de la ville d'Autun.)

 

pour défaut de soumission à cette bulle La province de Lyon avait député Gilbert de Montmorin de Saint Herem évêque de Langres, Antoine de Malvin de Montazet évêque d'Autun, pour le premier ordre, et pour le second, Marie-Eugène de Montjouvent et Antoine Lacroix (1). Fénelon n'assistait a ces réunions que comme simple bénéficier, et c'est pendant qu'il suivait la discussion de ces affaires, que cette noble assemblée le choisit pour régler dans la paroisse de Saint-Luperce, canton de Courville, une de ces questions mille fois résolues (2), et à laquelle elle ne voulait pas donner plus d'importance qu'elle n'en avait en réalité. Il s'agissait d'une dispute, entre le curé et le seigneur, sur les droits Honorifiques d'eau bénite et de pain bénit (3). Le seigneur de Saint-Luperce ayant un gendre au parlement, espérait gagner sa cause et humilier dans la personne d'un desservant de campagne tout l'ordre du clergé. Le curé sentit son infériorité, et sut très habilement abriter le respect dû à sa charge derrière l'assemblée du clergé. Fénelon se rendit à Saint-Luperce, et par son air doux et affable, et par ses visites successives pleines de charité, gagna la confiance des belligérants. Ils s'en remirent volontiers à sa décision qui fut celle-ci. << Le pain bénit sera mis sur une des crédences ,par préférence à tous autres, non seulement pour le célébrant et pour les officiers du sanctuaire, mais aussi pour les autres personnes en surplis et autres habits de choeurs. Les prières nominales se feront d'après le droit. Le seigneur sera libre de se présenter à, l'offrande le premier après le dernier du clergé ou de n'y pas venir, et l'encens à Magnificat sera donné seigneur et à la dame seuls. M. l'abbé de Fénelon

 

(1) Collection des procès-verbaux du clergé, t. VIII. (Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.)

(2) Table des collections des procès-verbaux du clergé, art. Eglise, § 4, p.1030. et 1031. (Même bibliothèque.)

(3) Extrait des registres de l'état civil de la paroisse de Saint-Luperce, canton de Courville, arrondissement de Chartres (Eure-et-Loir).

 

 

de retour au château où il alla faire part de ce plan avec satisfaction, vint avec zèle dire qu'on acceptait ce plan à belles baise-mains, mais que le seigneur, quoique octogenaire, se sentant vif et connaissant M. le curé, pour avoir la répartie preste, ils ne se verraient pas de peur que lui, seigneur, ne manquât quelquefois respect dû à M le curé ou à son état, et l'abbé ajouta de son chef, que chacun lécherait ses plaies." Des pertes de famille durent aussi le rappeler au château paternel. C'est dans ce temps qu'il perdit sa mère, âgée de soixante-treize ans, le 9 mars 1759) (1) ; et bien que nous n'ayons rien qui assure de sa présence à la Poncie pendant cette année, nous pouvons penser que cette perte douloureuse le rappela à Saint-Jean d'Estissac : lui qui était bon pour tous, l'aurait-il été moins pour les auteurs de ses jours ? Nous ne saurions dire non plus s'il prit part à tous les tristes événements qui se passaient à Versailles. Les morts successives dont la cour fut témoin, la conversion trompeuse de Louis XV, étaient des motifs assez graves pour le retenir auprès de la reine. Au mois de novembre 1763,il siégeait à Autun, pour un mois, au milieu des prieurs séculiers qui assistaient aux états de Bourgogne,

tenus par Louis-Joseph, prince de Condé (2). Là, comme partout, l'abbé de Fénelon plaida la cause des pauvres. Il fut choisi parmi les six membres du clergé, pour dire prince que les états avaient unanimement accordé à Sa Majesté, le don gratuit demandé, sans avoir égard à l'épuisement où sont réduits les peuples de la province par les mauvaises récoltes qui se sont

 

(1) " le 9 mars 1759, est décédée au château de la Poncie, Marie Dumas ; dame de la Poncie, âgée d'environ soixante-treize ans, après avoir reçu les sacrements de l'église, et a été enterrée le jour suivant dans l'église et dans les tombeaux de la maison de la Poncie. Cuinat, curé de Saint-Jean." (Registres de la paroisse de Saint-Jean d'Estissac.)

(2) Une session des états généraux de Bourgogne, à Autun, en 1763. Gabriel Dumay, Mémoires de la société Eduenne, t. VIII ; p. 78.

 

continuellement faites, mais qu'ils étaient chargés de la supplier très humblement de leur accorder sa puissante protection auprès du roi, afin d'obtenir une modération proportionnée à la misère des peuples. Les députés, de retour dans leur chambre, rapportèrent que S.A.S. leur avait dit qu'elle était persuadée que leur soumission serait très agréable au roi et que, sur la représentation qu'elle lui déjà faite de l'épuisement de la province, Sa Majesté

l'avait chargée de leur dire qu'elle se contenterait de 900,000 livres (1). Le don gratuit étant d'un million, c'était 100,000 livres qu'il venait de gagner à la cause des pauvres. En 1766, l'abbé de Fénelon est à Saint-Sernin, occupé de plusieurs travaux (2) : 1° d'une fondation de forges dont nous parlerons bientôt ; 2° d'un pont sur le Mesvrain, construction qu'il a payé deux cents livres à maître Petitjean, entrepreneur et tailleur de pierre(3) ; 3° d'une exploitation de vignes à Vernotte, où il fit élever des constructions importantes (4), qui servaient aussi à rentrer la dîme de Saint-Pierre de Varenne (5); 4° enfin il fit placer, cette

 

(1)Même document, p. 57.

(2) Courtepée et les biographies de Michaud et de Feller.

(3) Répertoire, 3 juillet 1766. (Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

(4) Le rapport de Reuillot en donne la description : "Un bâtiment couvert en tuiles, qui consiste, savoir : en une cuisine où sont deux alcôves, deux cabinets derrière, dans l'un desquels est placé l'escalier par où l'on monte aux greniers, une chambre à cheminée à droite, en entrant dans ladite cuisine, dans laquelle la chambre est une alcôve, le plancher plafonné. Une autre chambre aussi à cheminée et plafonnée avec alcôve, et un très petit cabinet servant d'office, sur lesquelles chambres et cuisine sont deux greniers, l'un est carrelé et l'autre n'est que plancher. Plus une grange avec son gerbier, deux écuries, une grande pièce dans laquelle est pressoir garni de planches et ustensiles, cinq grandes cuves, cinq rondes, quatre bennes et deux gros. Au-devant dudit bâtiment est une cour avec une chenevière qui fut pré de Vernotte, clos de plan vif au dit bâtiment de 120 livres." ( Ventilation de la ferme de Saint-Sernin, art.2. Archives de la ville d'Autun.)

(5) Archives nationales, cartons des biens séquestrés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse XI ; n°3.

 

année même, trois grandes croisées dans le sanctuaire et la sacristie de son église de Saint-Sernin, au prix de quatre-vingt-trois livres, le tout, non compris, la taille, les voitures, ni la menuiserie (1).

Ces réparations à l'église furent dépenses perdues, puisque, l'année suivante, il entreprit de la reconstruire entièrement.

Les édifices religieux de la paroisse se composaient de trois sanctuaires.

Les moins importants étaient deux chapelles éloignées de Saint-Sernin d'une demi-lieue : L'une était la chapelle de Gamey, dont nous avons parlé ; l'autre, la chapelle de Prodhun, dont il ne reste plus rien. Toutes deux, d'après un procès-verbal de visite, qui date de 1681, étaient déjà en ruine, et n'avaient aucune fondation (2). Le troisième sanctuaire était l'église paroissiale, qui n'était pas en meilleur état. L'archiprêtre, M. le curé de Blanzy, en rendit compte, un jour, à l'autorité, en ces termes : « L'église a pour patron saint Saturnin, martyr. Il y a quatre autels, dont trois n'ont pour tout ornement qu'une méchante nappe chacun (3). Le tabernacle est tout despeint et sans pavillon à tapis. Elle a les cinq couleurs à la réserve, des devants d'autels noir, violet et vert. Il y a un calice, un ciboire, un soleil et un portatif d'argent; les vaisseaux des saintes huiles sont d'estain. Il n'y a point de burettes, ni de plat pour l'autel. Il pleut dans la nef. Le prieur avait fait enlever deux ans auparavant des planches qui faisaient la voûte de l'église. Elle n'est point pavée, les murailles sont fendues en beaucoup d'endroits; les fonts baptismaux ne ferment pas à clef. L'église est enfermée dans le château... Il y a quatre cents communiants. Il n'y a point de confréries. On ne fait point de quête pour les nouveaux convertis. Cette église, en outre, n'avait qu'un toit comme un appentis (4). Le

 

(1) Répertoire, 3 juillet 1766. (E tude de Me Brugnot, notaire au Creusot.)

(2) Mémoire de la visite faite dans les églises de l'archiprêtré de Blanzy. (Archives de l'évêché.)

(3) Même document.

(4) Tradition du pays.

 

chœur cependant se trouvait formé par une chapelle fort ancienne de style roman, qui avait dû être la chapelle extérieure du couvent. Sa grande fenêtre du fond était trilobée ; c'était là qu'était le beffroy.

Cette chapelle et cette nef étaient flanquées de plusieurs petites tours très anciennes, qui n'avaient plus d'usage (1).

Régnaient autour de ces constructions, d'un côté, la cour du château, de l'autre, une place qui, prise plus tard, pour agrandir le cimetière, fut bénite solennellement le 16 mai 1784 (2)

A l’emplacement même de ce sanctuaire, qui, malgré les réparations de l'année précédente, tombait en ruine, Fénelon fit construire en 1767, l'église qui existe actuellement.

Son goût, ses connaissances en fait d'architecture suivaient les erreurs de son temps, aussi voit-on dans cette construction, qui n'a pas changé depuis, des cintres de tous les styles. Dans le choeur, c'est l'arc légèrement surbaissé, avec des murs qui s'en vont en s'élargissant du pied à la naissance des voûtes, de manière à former avec la ligne du cintre, comme une mitre d'abbé (3). Les arcs sont plein cintre pur ; les arcs, qui soutiennent le clocher forment une espèce de transsept, accusent une ogive naisssante. Enfin, l'ouverture de la tribune est en ogive très élancée. Le mariage de toutes ces lignes n'offre pas un ensemble désagréable, cette église passa même jusqu'à nos jours, où le goût de l'architecture chrétienne du douzième et treizième siècle a repris naissance, comme la plus belle de toute la contrée. Le plan général est simple croix latine, de 10 mètres de large sur 30 de long. Le clocher, couvert en tavaillons, s'élève entre le choeur et la nef. La porte d'entrée est ornée d'un fronton, supporté par deux colonnes toscanes, les battants ont reçu quelques moulures, en forme de rocailles. Derrière cette porte se trouvent six marches,

 

(1) Plan du Terrier de 1749. (Archives de la commune.)

(2) Registres de la paroisse. (Mêmes Archives.)

(3) Cette disposition lui donne un aspect oriental.

 

donnant accès à un vestibule qui sert de chapelle aux fonts baptismaux, Ceux-ci sont entourés, d'une grille, ornée des initiales de J,-B Fénelon (1) Ce vestibule contient aussi l'escalier de la tribune, l'entrée du cimetière, et enfin une porte intérieure à deux battants, donnant sur la nef de l'église.

Il y a encore là deux marches à monter. Cette nef unique est boisée en entier, à la hauteur de, 2 mètres, et éclairée par quatre grandes fenêtres à plein cintre. Elle est large et spacieuse sa voûte en briques est même hardie. Elle est séparée du chœur par trois marches demarbre de noir et une élégante table decommunication en fer, dont certaines parties ont été dorées, Lorsqu'on a monté ces marches, il y a, à gauche, la chapelle de la Sainte-Vierge, à droite, celle du patron, saint Saturnin, dont la statue actuelle exprime très bien par son geste la parole que cet évêque de Toulouse proféra. devant, ses bourreaux. « Unum et verum Deum novi ; huic laudis hostias immolabo (2). »

Un arrière choeur règne autour du maître-autel. On voit là, avec les boiseries qui sont du temps, trois stalles, dont celle du fond semble avoir été celle du prieur. On y monte par trois marches ; elle est recouverte d'un dais, surmonté d'un crucifix, Cette place est la plus élevée de toute l'église.

L'abbé de Fénelon disait sa messe de chaque jour à la tribune, sur un autel mobile, qu'il avait fait dresser. Cette tribune était sa chapelle. Dans la construction de la nouvelle église, il avait ménagé là une porte qui communiquait de plain-pied avec ses appartements (3).

Il paraît qu'il s'occupa aussi, cette même, année, de la réparation de l'église de Saint-Firmin (4).

L'abbé de Fénelon choisit pour bénir la nouvelle église le jour

 

(1) Voir les dessins de M. Courtois, dans les Mémoires de la Société Éduenne, t. IV.

(2) Légende du bréviaire.

(3) Cette porte n'a été murée que très longtemps après la Révolution.

(4) Annuaire de Saône-et-Loire, 1856. Saint-Firmin.

 

de la fête du patron sous le vocable duquel elle se trouvait, la fête de saint Saturnin, le 29 novembre 1767 (1). Les invitations avaient été nombreuses, car c'était un événement pour la contrée que la bénédiction d'une église neuve, bâtie par un aumônier de la reine. Mais la saison fort avancée, les voies de communication trop incomplètes à cette époque, ne permirent à cette solennité

qu'une modeste pompe. Outre le prieur et le curé, il n'y avait de présents que M. Bénigne Damoiseau, curé du Breuil, et M. l'abbé Develle Devillette, vicaire général et officiel d'Autun, qui fut envoyé par l'autorité épiscopale d'alors pour faire cette cérémonie. Le curé Lavoillote ne jouit pas longtemps de ce nouveau sanctuaire. A la fin du mois d'avril suivant, il quitte Saint-Sernin pour la paroisse de Saint-Eugène. Quelques jours après son départ, résidant déjà dans cette dernière paroisse, il passe procuration à M. Douheret, notaire de Montcenis pour se démettre en son nom de sa cure de Saint-Sernin entre les mains de Monseigneur d'Autun. Voici cet acte ; " aujourd'hui 4 mai 1768, après midi, à Montcenis, en l'étude de sieur Philibert Douheret, notaire royal et apostolique du diocèse d'Autun (2), reçu et enregistré au dit Montcenis y résidant, soussigné par présent maîtres Antoine Lavoillote, prêtre du diocèse d'Autun et curé de Saint-Sernin du Bois, même diocèse, demeurant actuellement à Saint-Eugène, lequel a fait et constitué son procureur général et spécial, auquel il a donné pouvoir de pour lui et en son nom se démettre purement et simplement de sa dite cure de Saint-Sernin du Bois, entre les mains de Monseigneur illustrissime et révérendissime évêque d'Autun, pour y être par lui pourvu à telle autre personne capable qui lui sera nommé et présenté par messire Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon ancien aumônier de la Reine et prieur commendataire du prieuré

 

(1) Registre de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Etude de M. Brugnot notaire au Creusot.

 

du dit Saint-Sernin du Bois, patron et présentateur de la cure, consentie à l'expédition de toutes lettres à ce nécessaires, même jurer et affirmer qu'en ce que dessus il n'est intervenu aucun vol, fraude, simonie ni autres actions vicieuses et illicites, et généralement promettant obligeamment, fait et passé en présence de M. Jean-Louis Lambert, procureur du roi, syndic de la dite ville de Montcenis ; de M. Balthazard Beau, greffier des bailliages, chancellerie de la même ville, témoins requis soussignés au dit lieu par sieur Lavoillote, curé.

" Lavoillote, curé ; Beau, Lambert, Douberet, notaire apostolique. "

À son départ, Fénelon reprend le service de la paroisse ; il fait plusieurs baptêmes de verriers, de charbonniers et de sabotiers de Prodhun et du Bas-de-Maret (1). Les registres font foi qu'il était plus exercé à en dresser les actes correctement. Il baptisa aussi pendant ce temps un enfant naturel venant du village de la Gravetière. L'intérim que Fénelon eut à remplir ne fut pas long. Le 22 mai suivant, jour de dimanche, on installait en grande pompe un nouveau curé, maître André Dumont, âgé de vingt-cinq ans. Ce jeune prêtre, doué des qualités les plus belles de l'esprit et du cœur, a dû s'attacher à Fénelon avec toute l'ardeur de son âge. Il le regardait non seulement comme un supérieur, mais comme un supérieur qui l'avait choisi entre tous, et comme un prêtre auprès duquel il allait apprendre la grande vie sacerdotale, vie de travail, de pureté et de sacrifices. L'abbé de Fénelon sentait, de son côté, que sa présence était utile à l'inexpérience de ce jeune lévite et qu'il accomplirait auprès de lui un devoir impérieux. Curé primitif, il avait à former à l'amour des âmes le vicaire perpétuel qui devait le remplacer. L'abbé Fénelon attendait beaucoup de son nouveau curé. Dieu, de son côté, se servait de Fénelon pour

 

(1) Voir les registres de la paraoisse. 5archives de la commune)

 

ménager aux diverses paroisses du prieuré de Saint-Sernin des prêtres pleins de foi pour la plus douloureuse épreuve qui se préparait. La société civile allait s'emparer des biens du prieuré. La liste des prieurs devait se clore par un martyr, pour laisser désormais aux curés seuls, dans la pauvreté et la persécution, la charge des âmes. André Dumont était né le 15 décembre l742, dans l'archiprêtrée de Villaines en Duesmois, près Chatillon-sur-Seine (1). Son père, Jean Dumont, et sa mère, Anne Renaut, faisaient valoir un modeste moulin (2). Le respect, l'affection mutuelle, unissaient chacun des membres de cette famille.

L'abbé Dumont nous en donne la preuve dans une lettre où il réclame son vieux père à Saint-Sernin. Il demande pardon de la séparation qu'il impose au cœur de son frère, car lui aussi prétendait remplir le devoir de la reconnaissance envers l'auteur de ses jours. Cette lutte généreuse risqua de brouiller les deux frères, mais le pardon est demandé avec tant d'affection qu'il est impossible qu'il ait été refusé. "J'aurai (3) mon père, répond l'abbé à son frère ; c'est un vol que je vous ferai. Mais pardonnez cette faute à ma juste reconnaissance, cher frère, aimez-moi, je vous embrasse et c'est à genoux que je vous demande votre amitié." Des sentiments aussi doux n'excluaient cependant pas une noble fierté auprès de ceux qui avec l'affection, lui devaient le respect. Un de ses plus jeunes frères lui avait écrit une lettre où la familiarité avait fait oublier ce qui était dû au droit d'aînesse. M. Dumont, plein de la dignité de son âge et de son sacerdoce, ne craint pas de lui rappeler " qu'il lui avait manqué, à lui, son frère aîné, prêtre et pasteur des âmes ".

 

 

(1) communication de M. le Curé de Villaines, en date du 14 février 1874. Le Duesmois faisait partie de l'ancien diocèse d'Autun.

(2) cette honnête famille jouissait, dans la localité, d'une bonne considération. Le père outre l'état de meunier, était aussi garde des bois du roi, en la châtellenie de Villaines ; l'un de ses fils mourut fabricien de sa paroisse, et, quelques année avant la révolution, plusieurs membres de leur famille s'allièrent à ce qu'on appelait la bourgeoisie d'alors.

(3) Lettre conservée au moulin paternel de Villaines.

 

M. Dumont avait passé son vicariat à Aignay-le-Duc, sous la direction de M. le curé Charpy (1). L'acte de son installation fut dressé par M. Douheret, notaire apostolique de Montcenis, en voici la teneur "Ce jourd'hui, 22 mai 1768, avant midi, au-devant la principale porte de l'église paroissiale de Saint-Sernin du Bois, par-devant moi, Jean-Philibert Douheret, notaire royal et apostolique du diocèse d'Autun (2), y dûment enregistré, y résidant soussigné, a comparu en personne maître André Dumont, prêtre du dit diocèse, lequel m'a rencontré qu'ayant été nommé, le dix du courant, curé de la dite église paroissiale de Saint-Sernin du Bois, sous le vocable de Saint-Saturnin, par messire Jean

Baptiste-Augustin de Salignac, de Fénelon, ancien conseiller du roi, prieur commendataire du prieuré du dit Saint-Sernin, il aurait obtenu visa de Mgr l'Evesque du dit Autun, le 19, signé Develle-Devilette, vicaire général et official, contresigné, signé Boudey, insinué au contrôle du greffe des nominations ecclésiastiques du dit diocèse le même jour par Gagnard, commis, nous aurait requis le mettre en position de la dite cure de Saint-Sernin du Bois dont a été le dernier et paisible possesseur M. Antoine Lavoillote, à quoi inclinant moi le dit notaire ai fait lecture à haute et intelligible voix des dite nominations et visa en suite de quoi le dit M. André Dumont, en surplis et étole, est entré en la dite église de Saint-Sernin, ayant pris de l'eau bénite a fait le signe de la croix, a été jusqu'au bas du maître d'autel, s'étant mis à genoux a fait sa prière, a entonné le Veni Creator, qui a été chanté par le peuple assemblé, a visité le Saint-Sacrement de l'autel étant dans le tabernacle et les vases sacrés, a pris place ordinaire où se met

 

(1) Note écrite de la main de M.Dumont, sur le registre de 1768. (Archives de la commune de Saint-Sernin du Bois.)

(2) Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot.

 

le sieur curé du dit Saint-Sernin, à la chaire à prêcher, au confessionnal, visité les saints fonts baptismaux, sonné les cloches, généralement fait et observé les autres cérémonies accoutumées, après quoi il aurait entonné le Te Deum, qui aurait été chanté par le dit peuple assemblé, ensuite de quoi étant retourné à la dite grand porte, j'aurais fait lecture à haute et intelligible voix de la présente prise de possession sans que personne se soit présenté pour y mettre opposition, vu quoi j'ai mis en possession réelle actuelle et corporelle le dit M. André Dumont de la cure de Saint-Sernin du Bois, frais et revenus d'icelle pour par lui en jouir suivant que le dit sieur Lavoillote et autres ses prédécesseurs en jouissaient et ceux jouir ou dû jouir, aux honneurs et privilèges y attachés dont et de quoi le sieur Dumont a ,requis acte que je lui ai octroyé, fait, lu et passé en présence et assisté de messire Jean Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, ancien aumônier de la Reine, prieur commendataire du dit Prieuré Saint-Sernin et de messire Martin de Salignac de Fénelon (1), marquis de la Poncy, de Verneuil et autres lieux, de M. Jean Baptiste Boisson, prêtre principal du collège de Nole, de Charles de Sarrode de Mussy, écuyer, de Guillaume Prudhon, Guillaume Marlot, Jean Vernizeau, Jacques Bouillet, François Girard et tous autres paroissiens assemblés pour ouïr la grand'messe qui a été sur-le-champ célébrée, s'étant ceux le sachant soussignés.

" Dumont, curé de Saint-Sernin du Bois ; Salignac Fénelon, prieur ; Boisson, prêtre ; G. Marlot, C. Demussy, Prudhon, Jan Vernisio, Jean Bouillet, François Girard, Augustin Douheret, Douheret, notaire royal." Fénelon allait trouver dans cet ecclésiastique, pour le temps qu'il devait rester dans son prieuré, un digne et un zélé coopérateur des œuvres qu'il avait entreprises et qu'il voulait mener à bonne fin.

 

(1) Frère de l'abbé de Fénelon.

 

À dater de cette époque il commence des relations plus intimes avec les maîtres de la verrerie de Prodhun. Cet établissement avait perdu, le 29 septembre 1763, à l'âge de quatre-vingts ans, son ancien maître, M. Jacques de Sarrode était arrivé, sous la direction de M. Charles, son fils, à une véritable célébrité, et devait être pour ces pauvres pays d'une ressource précieuse. Les liens que l'abbé de Fénelon, pour le bien ses vassaux, avait entretenus avec cette famille se resserrèrent à l'occasion d'un baptême. Le 24 juillet, M. Charles de Mussy le demande pour par sa fille, il accepte ; et l'acte, qui est écrit de la main de nouveau curé, est rédigé en ces termes : " Le 22 juillet 1768 est née et le 24 a été baptisée damoiselle Anne-Magdeleine-Augustine, fille légitime de messire Charles de Sarrode de Mussy, écuyer, demeurant à la verrerie de Prodhun, et dame Marie-Anne Juillet, dame de Mussy. Le parrain a été messire J.-B.-Augustin de Salignac de Fénelon, ancien aumônier la reine (2), prieur et seigneur de Saint-Sernin du Bois et Saint-Germain, son annexe ; et la marraine a été dame Anne Reynier, dame de Rey, demeurant à Montcenis. Les témoins ont été haut et puissant seigneur Martin de Salignac de Fénelon, demoiselle Juillet, demoiselle vivante Rhey, lesquels se sont soussignés avec nous." L'église, qui avait été construite l'année précédente, était, pour ainsi dire, nue et, en attendant mieux, on se servait encore des  anciens objets du culte. Fénelon voulut cependant, pour encourager le zèle de son jeune curé, orner les trois autels de fiches nouvelles et faire présent à la confrérie du Très Saint-Sacrement de douze flambeaux neufs (3).

 

(1)Registre de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Ibid.

(3) Registre de la paroisse, année 1769. (Archives de la commune de Saint-Sernin du Bois.)

 

Quoique cette dépense fût relativement minime, le curé, plein de reconnaissance, s'empresse de nous transmettre avec joie le souvenir du premier don qu'il ait reçu de sa main. Les églises qui dépendaient de l'abbé de Fénelon, éprouvèrent aussi à différentes reprises les effets de sa générosité. A la fabrique de Saint-Firmin, il concède le droit de plusieurs amendes imposées à des braconniers pour délits de chasse (1).Le 20 août 1776, il est parrain de la petite cloches de Saint-Pierre de rappeler " qu'il lui avait manqué, à lui, son frère aîné, prêtre et pasteur des âmes ".Arennes, avec <<haute et puissante dame, Madame Marie-Anne de la Magdeleine, marquise de Ragny, baronne des baronnies d'Epiry, Couches, Marally, la Tour-de-Fenare et autres lieux, lesquels parrain et marraine ont assisté en personne à la dite bénédiction et ont donné à la fabrique six louis d'or pour ornement en chasuble pour la dite église>>. M. Bauzon, curé de Saint-Pierre, note en marge de cet acte : <<La chasuble a été achetée par M. l'abbé de Fénelon, à Autun, pour la Saint-Ladre, et a coûté six louis d'or ; il a ajouté par pure bonté plus de quarante francs du sien (2).>>Si ce dernier don nous paraît plus somptueux que celui fait à Saint-Sernin, il ne faut l'attribuer qu'à la différence des temps. L'année l769 avait été mauvaise, une grêle désastreuse avait ravagé toute la Bourgogne. Ce malheur était venu frapper ces belles contrées au moment précis ou le vigneron et le laboureur pouvaient déjà calculer l'abondance de leur récolte. Aussi froment, seigle et vigne. On fut atteint fer le fléau. Le Yin fut de mauvaise qualité et valut cent fronts. Le seigle, mesure de Montcenis, se vendait trois livres (3). La misère était grande surtout à Saint-Sernin, où la récolte, même en bonnes années, ne suffit certainement pas pour nourrir l'habitant, tant les terres ~ sont ingrates. Mais

 

(1) Registre de la paroisse de Saint-Firmin, année 1754.

(2) Registre de la paroisse de Saint-Pierre de Varennes, année 1776. (Notes relevées par M. l'abbé Lacreuze.)

(3) Registre de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

 

ces pauvres gens trouvèrent dans le cœur de leur père aide secours au milieu de leurs plus pressants besoins. Cette année d'ailleurs, n'était que l'avant-coureur années plus mauvaises encore. L'abbé de Fénelon commença la distribution de ses largesses par son curé, qui jusqu'à présent n'avait joui, comme ses prédécesseurs, que de la petite portion congrue de trois cents livres. Ces questions d'intérêt entre les seigneurs décimateurs et les pauvres desservants des paroisses venaient d'être débattues en haut lieu, et on attendait, chaque jour, que le nouvel édit qui réglait toutes ces choses fût enregistré au parlement de Dijon, lorsque le prieur prit un engagement avec M. Dumont et tous ses successeurs, devait leur donner, chaque année, la somme de quatre cent quatre-vingts livres et vingt boisseaux de froment, puis payer tous les décimes (1). Il fit aussi à M. Rey, curé de Saint-Firmin, un supplément, à sa portion congrue, en lui donnant le dixième du vin qu'il récoltait dans son vignoble de Chevroche. Mais cet ecclésiastique, trouvant peut-être que cet avantage était trop variable ou que ce vin était de petite qualité, fit avec Fénelon, le 12 juin 1779, une autre convention par-devant notaire, dans laquelle il se départ de ce dixième, moyennant la somme fixe de trente livres payable à la Saint-Martin de chaque année (2). Tous ces arrangements, échanges et conventions, nous montrent une fois de plus la grande bonté de l'abbé de Fénelon envers ceux qui l'entouraient. Il aimait aussi à profiter des grandes grâces accordées par l'Eglise, pendant un jubilé, par exemple, pour remettre à ses

 

(1)Registre de la paroisse note de M. Dumont. (Archives de la commune de Saint-Sernin.)

(2) Etude de M Brugnot, notaire au Creusot. Il fit aussi un échange assez important de terrains avec deux sœurs Marlot, qui habitaient le pays. (Même étude, 28 février 1776.)

 

débiteurs des sommes quelquefois importantes et dues depuis longtemps. Jean Charleux de Chevroche fut ainsi acquitté par lui d'une somme de 200 livres (1). Comme les personnes qui savent occuper leurs loisirs en faisant le bien, Fénelon aurait pu dire à ceux qui se seraient avisé de le plaindre de sa solitude :  « Quant au sentiment de vide et de l'isolement, le bon Dieu me l'épargne, la vie est pour moi ce fleuve de l'Evangile toujours plein d'eau (2). » L'oubli des grands et de sa charge même d'aumônier de la reine est tellement complet, qu'on est étonné de le voir à Saint-Sernin, en cette année 1768, lorsque Marie Leczinska succombait sous les coups d'une maladie étrange qui la laissa six mois privée de toutes ses facultés (3). Pouvait-il, en effet, quitter son prieuré dans les années malheureuses qui l'attendaient et pendant lesquelles tant de pauvres familles allaient réclamer sa présence bien plus impérieusement encore que les événements de la cour ? Fénelon voulut prendre sa part de toutes les privations que Dieu allait imposer à ces populations. Il resta à son poste pour procurer aux habitants de son prieuré non seulement les secours temporels que réclamait leur état, mais encore, ce qu'il y a ce plus nécessaire, les consolations de la religion. Aux grands maux les grands remèdes. Pour gagner plus sûrement le cœur de son peuple et l'attirer à Dieu, l'abbé de Fénelon conçut le projet d'une grande mission terminée par une visite épiscopale. Mgr de Marboeuf, alors évêque d'Autun, se prêta volontiers à tous ses désirs (4). Touché de la délicate attention de l'autorité diocésaine, Fénelon

 

(1) Papiers de M. Courtois. (Pièce sans date et sans signature sortant de l'étude de Me Devoucoux, notaire au Creusot.)

(2) Mme Swetchine.

(3) Anquetil.

(4) Mgr de Marboeuf avait été, loi aussi, aumônier de la reine Marie Leczinska.

 

lui prépara une réception digne en tous points. Il veut qu'on achève et qu'on meuble l'église avant la venue du prélat. Il n'y a pas de temps à perdre. On demande des ouvriers pour construire le portail qu'on avait laissé, et pour ouvrir depuis la rue un passage d'honneur qui coupe pour toujours, par une levée solide le fossé demi-circulaire du château (1). La nef et les chapelles garnies de magnifiques boiseries de chêne peintes à l'huile. La chaire est ornée de mille dorures, parmi lesquelles on remarque quatre médaillons représentant les

évangélistes. On achète un bel ornement, dont la croix est en drap d'or. Rien n'est épargné. M. l'abbé Henri de Salignac, fait aussi don d'un ostensoir (2). Mais tout cela n'est que préparatifs extérieurs faits pour éblouir les yeux, il faut aller jusqu'aux âmes, c'est l'œuvre principale. Fénelon médite donc, avec son curé, une mission préparatoire. Or une mission est un travail tout surnaturel, il ne dépend que de Dieu seul pour qu'elle soit bonne et fructueuse. Son heureux succès dépend de grâces spéciales qu'il faut obtenir. Il cherchera donc à intéresser le Ciel à cette entreprise." Que peuvent les hommes à ces ébranlements du cœur, à ces remuements de fond en comble par lesquels une âme se trouve comme renouvelée. Il y a bien, pour cette œuvre des œuvres des gens dont Dieu se sert davantage, qui sont comme son prête-nom, mais au fond c'est

lui qui agit et lui tout seul. Voilà pourquoi nous pouvons servir les autres avec efficacité, seulement comme nous nous servons nous-mêmes, c'est-à-dire par la prière, que toutes les promesses de Dieu nous montrent si puissante sur sa sainte volonté (3)." Voyons comme notre prieur a compris cette vérité pour sa mission.

 

(1) Registres de la paroisse, note de M. Dumont, (Archives de commune.)

(2) Même registres.

(3) Mme Swetchine.

 

Il pense d'abord à l'intercession des saints. Il avait demandé et il vient de recevoir de Rome, de Mgr Nicolas-Angel-Marie Landini, évêque de Porphyre, une boîte contenant des reliques extraites du cimetière de Saint-Laurent (1). C'étaient des ossements des saints martyrs, Clair, Maxime, Benigne et Exuperant, dont nous n'avons plus aujourd'hui que l'authentique. Il les envoie à Autun, afin que l'autorité les vérifie et lui permette de les exposer dans des reliquaires à la vénération des fidèles. La mission sera mise sous la protection spéciale de ces saints. Ce n'est pas tout, il faut à une mission des ouvriers, des prédicateurs. Quels seront-ils ? Avec une aide ne sont-ils pas assez ? Le curé, jeune et zélé, peut encore suffire à cette tâche pénible ; lui-même ne

trouvera-t-il pas dans son cœur quelques bonnes paroles simples et pieuses qui seront à la portée de son auditoire et qui iront jusqu'à, son âme. Les voilà donc à l'œuvre, et malgré les grandes occupations que leur donnaient les maçons, les terrassiers et les menuisiers, ils trouvent encore, dans leurs veilles, le temps de préparer à leur troupeau le pain de la parole. Grâce à l'assistance des saints martyrs, des prières de leur âme de prêtre et de celles des pieux fidèles de la paroisse, la mission fut des plus consolantes. Une simple note du curé, nous dit, dans une expression naïve mais pleine de conviction, <<, qu'elle a été

fameuse tant par le concours du peuple que par le fruit que Dieu y a attaché. Elle a été faite par M. l'abbé de Fénelon, par M. Verdolin, curé d'Issy-l'Evêque, et par moi, prêtre indigne (2) >>. Fénelon, dans la sollicitude que lui donnent tant d'affaires à la fois, n'oublie pas un seul instant de témoigner en toute occasion

 

(1) Archives de la cure de Saint-Sernin. Nous ne parlons pas ici d'une relique de la vraie croix qui, quoique privée de son authentique, doit dater de ce même temps. Elle est entourée d'une guirlande de petites roses en or vert. Elle est en grande vénération dans toute la contrée.

(2) Registres de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

 

son affection pour ceux qui le servent. Le 2 avril, il accompagne à sa dernière demeure un des domestiques de sa maison, Claude Jobey, âgé de treize ans et quelques mois. Il fait encore, le 20 et le 21, deux baptêmes dont il écrit lui-même les actes (1). Enfin le 30 avril est arrivé, jour fixé pour la visite épiscopale. Tout est prêt, la paroisse entière est là, réunie ; l'église brille de dorures et de fleurs. Les enfants de la première communion au nombre de quarante (2), tressaillent dans leurs jeunes cœurs d'une joie impatiente, mais contenue. C'est par eux que la cérémonie doit commencer. Les confirmants en grand nombre désirent ardeur voir affermir dans leur âme les germes de leur foi baptismale. Tous attendent avec bonheur que les fruits de leur mission soient bénis de la main du successeur des apôtres. Mgr de Marboeuf a dû être grandement soulagé des fatigues d'un voyage à travers des chemins impraticables, en voyant l'allégresse de cette paroisse. Ce fut un jour, nous en sommes sûr, dont il ne perdit pas le souvenir. Il ne trouvait pas là ces apprêts et ces pompes qui, trop souvent, fatiguent les Grandeurs, mais il trouvait âmes simples et droites ouvertes à toutes les bénédictions qu'il lui plairait de leur répandre. Ce jour était aussi pour M. Dumont, comme un rayon d'espérance illuminant comme le commencement de sa vie pastorale. Cette réunion de fidèles devait lui paraître belle. C'était vraiment là, l'épouse que Dieu même avait ornée pour l'unir à son âme de prêtre. Ce n'est pas seulement dans la paroisse de Saint-Sernin que Fénelon eut à répandre la semence de la parole de Dieu. En 1754, il avait déjà prêché une mission à Montcenis, dont le souvenir s'est perdu comme dans son prieuré, mais qui, certainement a dû laisser des traces durables dans les âmes. La famille Douheret,

 

(1) Registres de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Même registres.

 

heureuse de ce séjour prolongé de Fénelon dans leur ville, avait profité de sa présence pour lui demander de tenir sur les fonts baptismaux un de ses enfants nouvellement né. Fénelon n'avait rien à refuser à son cher greffier. Non seulement il fut parrain, mais c'est lui-même qui administra le baptême (1). Nous aimons à le relater ici, car c'est à ce seul acte que nous devons de connaître cette mission de Montcenis. Nous ne savons à quelle époque Ciry-le-Noble entendit les prédications de cet homme de Dieu (2). Ce petit village, très rapproché de Perrecy-les-Forges, possédait des mines de houille, et était déjà un centre d'industrie et de travail. Fénelon, qui comprenait son époque, sentait très bien combien ces agglomérations d'ouvriers avaient besoin de l'Evangile pour être consolées dans leurs fatigues, et être préservées de cette corruption qui naît toujours de la réunion trop compacts d'individus. Corruption ou ces pauvres gens croient souvent trouver leur liberté et leur bonheur, et où ils ne trouvent que l'esclavage et l'abrutissement. L'abbé de Fénelon n'a-t-il pas précédé encore là, par sa conduite et en payant de sa personne, les grandes théories que nous aimons à rencontrer dans les économistes qui s'inquiètent aussi en notre

 

(l) Ce vingt-deuxième, mars mil sept Cent cinquante-quatre, est né et a été baptisé par messire Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, aumônier de la reine, prieur commendataire de Saint du Bois et Saint-Germain des Bois, faisant actuellement la mission en ce lieu, Jean-Baptiste-Augustin, fils légitime de Jean-Philibert Douheret, notaire royal et apostolique, en cette ville et Delle Marguerite Garchery. Il a eu pour parrain mon seigneur de Salignac de Fénelon, et pour marraine dame Louise-Marie Lesage, épouse de Me Venot, avocat à la cour, demeurant en cette ville, qui se sont soussignés avec nous curé de Montcenis, M. Jean Garchery, conseiller du roi, et son procureur au baillages et chancelleries du dit Montcenis qui a tenu l'enfant, le père présent qui s'est aussi soussigné.

GARCHERY, LESAGE, VENOT, l'abbé de FENELON, DOUHERET, G. de la ROCHE, curé.

(2) Cahiers de Mg, Mg, Duvoucoux. (Archives du grand séminaire d'Antun.)

 

temps du sort de l'industrie. " Il faut former des groupes d'ouvriers, ce qui est la clef de l'industrie, séparer ces groupes ce qui est la clef de la politique. La solution, c'est que l'industrie étant chrétienne, l'ouvrier soit heureux. La sécurité est dans charité (1). " La paroisse de Suin, aussi, a conservé dans une page de ses registres un précieux souvenir du passage de l'abbé de Fénelon. Le dimanche dix-sept novembre mil sept cent soixante et onze,

commença la mission donnée par M. l'abbé de Fénelon, prieur commendataire de Saint-Sernin du Bois et Saint-Germain, aidé de M. l'abbé de Ruffès et de M. Dumont, curé du dit Saint-Sernin du Bois. Cette mission a duré trois semaines pleines, ayant commencé le dimanche dix sept novembre par la procession solennelle après vêpres, à laquelle on a porté le saint Sacrement, et fini

dimanche huit décembre, par la procession solennelle du Saint-Sacrement, après vêpres. La bénédiction de la croix de mission s'est faite le vendredi six décembre, après le sermon de la Passion, prêché par M. S. de Fénelon. Le même jour, s'est faite la première communion des enfants. La communion générale des femmes et filles s'est faite le dimanche premier décembre et premier dimanche

de l'Avent, et la communion générale des hommes et garçon, s'est faite le second dimanche de l'Avent, huit décembre. Mission édifiante et fructueuse, Dieu y attacha sa bénédiction. La congrégation des filles, sous le vocable et la protection de la sainte Vierge, a été érigée le dimanche huit décembre, et approuvé par Mgr l'Evêque, le dix-sept du même mois. La consécration de toutes les familles et maisons de la paroisse, sous la protection la sainte Vierge, s'est faite le jeudi vingt-huit novembre (2).

« Signé : Bisman, curé de Suin »

 

(1) Augustin Cochin. (Correspondant, 25 mars 1874, p. 1126.)

(2) Registre de la paroisse de Suin.

 

La croix de cette mission existe encore à Suin. Elle était magnifique. Elle a été cachée pendant la Révolution et replantée après. Comme elle est en bois, elle a bien diminuée : brisée et replantée plusieurs fois, elle est usée de toutes manières, surtout par le temps (1). Au milieu de tous ces détails de la mission de Suin, nous relevons celui-ci : Le sermon de la Passion a été prêché par M. S. de Fénelon. Avec quels accents devait-il parler des souffrances du Sauveur, lui qui plus tard devait supporter les mêmes tourments ? M. Dumont accompagnait quelquefois l'abbé de Fénelon dans ses courses apostoliques. Ces absences de sa paroisse, cependant, ne lui firent pas perdre de vue les fruits que sa mission avait produits, à Saint-Sernin ; il chercha, au contraire, par un zèle plein d'ardeur et de persévérance, à les conserver et à les multiplier. Il se plut même à noter de temps en temps les effets consolants qui le frappèrent. Ainsi, le 12 février 1776, après avoir déposé dans sa dernière demeure le corps de Marie Fichot, âgée de quarante-trois

ans, femme d'un sabotier travaillant dans les bois de Saint-Sernin, il met en marge du registre. «  Morte en odeur d'une très grande piété, inhumée au pied de la croix du cimetière, au côté droit d'icelle, en entrant par le bas du cimetière, c'est-à-dire entre la croix et le mur de la terrasse (2). " Canonisation obscure, faite seulement par un curé de campagne, mais que nous

aimons à reconnaître et à vénérer. Quelques années plus tard, le 26 avril 1785, il prépare à une veuve du village de Chevroche, Émilande Bidaut, morte, âgés de quarante-cinq ans, un enterrement inaccoutumé, pour lequel il

 

(1) Communication de M. Bordat, curé de Suin.

(2) Registre de la paroisse, note de M. Dumont. (Archive, de la commune.)

 

convoque M. Bauzon, curé de Saint-Pierre de Varenne, maître Claude Mathey, chapelain du Breuil, maître Antoine Laurent, curé du Breuil, et un ancien officier, messire François-Charles Dejouvancourt. C'est que cette femme avait su aussi faire germer dans son âme les semences des vertus qui y avaient été jetées neuf ans auparavant par nos trois missionnaires. Elle était morte en odeur d'une très grande piété, ainsi que le curé nous l'apprend encore par une petite note dans laquelle il ne donne pas, comme dans la précédente, le lieu précis de sa sépulture (1), parce qu'elle eut une tombe que l'on voit encore aujourd'hui. Tous cependant n'avaient pas profité des bienfaits de la mission. Un homme, comme il s'en trouve quelquefois, au caractère sombre et mystérieux, avait refusé de partager le bonheur de ses frères. Il était du hameau de la Plache. Son genre de vie était étrange, quelques-uns disaient tout bas qu'il avait des rapports avec le démon. Ce qui confirmait cette croyance, c'est qu'il avait l'habitude de dire aux chiens qui aboyaient contre lui : " Tais-toi, va, je suis toujours pour toi (2). " En effet, après sa mort, dit-on, des chiens noirs inconnus le sortirent de sa fosse à plusieurs reprises, et malgré les énormes pierres dont on l'avait couvert, traînèrent la nuit ses membres dans un champ voisin, d'où le marguillier d'alors les rapporta. Mais revenons à notre récit.

L'année 1769 ne faisait que commencer ; elle se fût cependant arrêtée là, qu'elle eût été bien remplie. Fénelon avait su apprécier la valeur de son jeune coopérateur, aussi veut-il l'attacher de plus en plus à la paroisse. Il lui

rebâtit, cette année même, sa cure en entier ; et pour être plus sûr de lui être agréable, il laisse à ses frais la plantation de son jardin et de

 

(1) Registre de la paroisse. note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Tradition du pays, relatée dans les archives de M. Harold de Fontenay d'Autun.

 

son enclos, l'arrangement de sa cave, la disposition de ses chambres, dont deux reçoivent des cheminées en pierre polie (1). C'est avec plaisir qu'il voit M. Dumont orner son salon de moulures élégantes et le munir d'une armoire qui doit rester à ses successeurs. Par délicatesse, Fénelon laissait à M. le curé la distribution de son intérieur, où il voulait qu'il se plût longtemps. Mais ces dépenses montèrent à une somme tellement élevée, que notre curé ne peut plus le cacher." J'ai mis, de mon côte, plus de 1500 livres, tant pour les arbres que j'ai plantes dans l'enclos, pour arranger le jardin et le reste. Lorsque j'ai fait ces dépenses, j'ai eu singulièrement en vue mes successeurs, dans l'intention qu'ils se souviennent quelquefois de moi au saint autel (2). " Toutes ces réparations devaient être bien lourdes au prieur et surtout au curé, car l'année 1769 ne fut pas meilleure que la précédente. L'hiver les surprit au milieu de leurs travaux et les força d'attendre les beaux jours de l'année suivante. Pendant ce temps d'arrêt, Fénelon continue à prêter son concours au ministère pastoral. Le 20 février, il est, en même temps, parrain représenté par Léonard Prudhon, son homme d'affaires, et ministre du sacrement au baptême de

Jean-Baptiste-Augustin, fils de Jean Fyot, marchand à Saint-Sernin ; la marraine était dame Marie-Anne Juillet, dame de Mussy. écuyer, demeurant à la verrerie de Prodhun (3). C'est la seconde fois qu'il tient, à Saint-Sernin, un enfant sur les fonts baptismaux. Il avait consenti à accorder cet honneur à cette famille, sans doute en considération de leur parent, Benoit Fyot, qui, après avoir été curé de Saint-Julien-sur-Dheune (4),

 

(1) Registres d la paroisse, note de M Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Ibid. - Voir aussi une lettre à sa famille, à la date de 1783, et retrouvée au moulin de Villaines.

(3) Registres de la paroisse. (Archives de la commune.)

(4) Les mêmes documents.

 

fut ensuite curé de Morey. Cette seule parenté était à ses yeux un titre à sa bienveillance. Or, ici, il n'en était pas de même qu'au baptême de Melle de Mussy. L'honneur d'avoir pour parrain Fénelon, prieur et seigneur de l'endroit, était apprécié de ces petites gens. Mais cet honneur eût été de peu de valeur, s'il n'avait pas été accompagné de quelque autre avantage. L'abbé de Fénelon comprenait bien tout cela ; et quoique l'enfant mourût quelque après, il ne perdit pas de vue cette famille. Il lui fit don, le 16 novembre 1777, d'un pré et d'une terre, situés sur le territoire de Saint-Sernin, le tout valant à peu près 300 livres (1). Enfin, le 19 mars, il assiste encore à l'enterrement du sieur Joseph Juillet, bourgeois, demeurant à la verrerie de Prodhun (2). Les grands sacrifices qu'il s'imposait pour secourir les habitants ne l'empêchèrent pas de donner à l'église un bel ornement en velours noir (3). C'était en 1770, l'année la plus lourde peut-être pour ses ressources. Le pays était, aux abois, deux années de suite de mauvaises récoltes avaient jeté la contrée dans une disette affreuse. La misère était encore plus grande que précédemment, parce que les maigres avances qu'on avait pu faire étaient totalement épuisées, et que les

récoltes donnaient encore cette année peu d'espérance. Le seigle coûta jusqu'à 6 francs (4).Les hommes valides pouvaient seuls manger du pain, eux seuls trouvaient de l'ouvrage dans les exploitations de bois qui se faisaient chaque année. La verrerie de Prodhun et les forges du Mesvrin avaient besoin d'un grand nombre d'ouvriers qui gagnaient, pour le temps, d'assez rondes journées.

 

(1) Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot.

(2) Registres de la paroisse. (Archives de la commune.)

(3) Même registres, note de M. Dumont.

(4) Registres de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

 

Ceux qui étaient le plus à plaindre étaient les vieillards, les femmes et les enfants. Le prieur aurait pu les nourrir sans rien faire, et cette charge lui incombait presque naturellement, on le connaissait si bon et il avait déjà. tant fait de bien ! Fénelon, mû par une double charité, veut que tous travaillent selon leurs forces, et que les membres de chaque famille s'entraident à en supporter le poids. Il cherche en même temps le moyen de profiter de leur travail pour gratifier le pays d'un chemin facile et commode à l'importation des denrées dont le besoin se faisait sentir, et surtout à l'exportation des richesses de ces montagnes qu'il avait commencé à deviner et à exploiter de concert avec M. de la Chaize, concessionnaire des mines de Montcenis (1). L'idée de protéger l'agriculture a dû être pour le prieur le rêve préféré de son séjour à Saint-Sernin. L'idée de protéger à dû être pour le prieur le rêve préféré de son séjour à Saint-Sernin. L'agriculture est la véritable richesse d'un pays, et ces malheureuses années devaient lui faire comprendre la force de cette vérité.

L'Archevêque de Cambrai, témoin, sous Louis XIV, des désastres que la guerre de Flandre avait attirés sur le royaume, écrivait au duc de Chevreuse, après plusieurs conseils : " Il s'agit encore de rendre au-dedans du pain aux peuples moribonds, de rétablir l'agriculture et le commerce (2.)". Mais dans une région aussi accidentée que celle de Saint-Sernin, que pouvait-on faire pour l'encourager? La terre est couverte de rochers et de pierres bien plus que dans tout autre sol granitique, avec des pentes tellement rapides, qu'il est presque impossible d'y apporter quelque amélioration sans risquer de voir, à la première averse, tout son travail entraîne au fond des gorges et suivre, sans remède, l'eau des torrents. Force fut donc à lui de diriger ses vues d'un autre côté, c'est à dire vers l'industrie et le commerce, qui allaient bientôt devenir la seule ressource de cette partie de l'Autunois.

 

(1) Archives de M. Harold de Fontenay d'Autun.

(2) Le Christianisme présenté aux hommes du monde, t. IV, p. 266.M. l'abbé Dupanloup. Paris, 1837,

 

Une autre difficulté se présentait. Aucune communication n'était ouverte avec les deux principaux centres de commerce, Autun Couches. C'était donc vraiment par-là qu'il fallait commencer toute amélioration agricole et industrielle. Ouvrir une voie commode pour l'importation dans les moments de disette, d'exportation dans les temps rares de surabondance, et faciliter des échanges et de transports en tout temps, telle fut la première pensée de Fénelon pour occuper tous les bras inutiles. Autun lui offrait, dans ce dessein, des avantages sérieux, à cause de son importance, mais cette ville est éloignée de quatre grandes lieues, séparée de Saint-Sernin par des bois interminables, des combes profondes et des ravins dangereux. Couches lui procurait un résultat plus modeste, mais cette ville est moins éloignée de près d'un tiers. Il y avait peu bois à traverser et des côtes moins rapides à franchir. Il se tenait aussi, dans cette ville, chaque semaine, un gros marché (1), où tous pourraient s'approvisionner abondamment ou mener leurs denrées sans courir le danger de les livrer à perte. Il passait, en outre, à Couches, à peu près à égale distance d'Autun et de Châlon, la route royale, qui était alors d'une grande importance et qui pouvait ouvrir un débouché avantageux houilles de Montcenis. M. de la Chaize, dans un de ses mémoires n'oublie pas de mentionner ce dernier détail (2), comme nous le verrons. C'est donc vers Couches, définitivement, qu'il tourne tous ses plans. Le voilà agent-voyer, faisant des rectifications au mauvais sentier qui existait déjà, dirigeant la construction des ponts et l'élévation des chaussées. On pourrait dire de lui, dans sa petite sphère, ce que l'on disait de Sully, le ministre d'Henri IV : "Il descend aux moindres détails du ménage des champs et s'applique à mériter ce titre de grand voyer qu'il porta le premier en France. "

 

(1) Annuaire de Saône-et-Loire, 1856. Voyez Couches.

(2) Mémoire à consulter pour M. François de la Chaize, avocat du parlement. 12 août 1771, p. 17. (Archives de M. Harold de Fontenay d'Autun.)

 

Il a invité tout le pays à venir prendre part au travail. Tous à l'envi, surtout les vieillards, les femmes et les enfants (1), ont accouru à sa voix et travaillent avec ardeur. Les uns tirent de la pierre, d'autres la charrient, d'autres enfin l'encaissent solidement. La misère et la faim donnent une ardeur inconnue à des membres trop frêles encore ou décrépis. Les jours de paye, tous arrivaient au château recevoir le prix de leurs peines. Les femmes, mères de famille, étaient impatientes de rapporter à la maison de quoi nourrir leurs plus jeunes enfants, qu'elles avaient laissés pendant de longues heures. Le vieillard, dans la décrépitude de l'âge, tendait à l'abbé de Fénelon un bras faible et tremblant qui depuis longtemps peut-être n'était plus accoutumé ni au travail ni au salaire. Les bandes joyeuses d'enfants, dont les uns n'avaient pas plus de six ans, se pressaient autour de ce père et lui tendaient leurs mains salies par le travail pour recevoir à qui le premier les quelques deniers de leur semaine. On payait même ceux qui n'avaient apporté au chantier aucun outil pour travailler. Travail de fourmis, nous direz-vous, mais qu'importe, le chemin s'est construit et chacun, même le plus petit, fier de sa journée, mangeait chaque soir avec bonheur le pain qui coûtait cher et qu'il avait gagné. Cette route, mal entretenue aujourd'hui, est toujours la seule bien directe qui existe entre Saint-Sernin et Couches, et porte encore le nom de chemin du Prieur.

Le pont jeté sur le ruisseau de la vallée, au lieu de la Bessotte, conserve à sa clef de voûte la date de 1771, fin de cette trop longue disette. Le curé, de son côté, actif, à l'exemple de Fénelon, cherchait aussi à occuper quelques ouvriers. Il continuait à mettre en ordre son enclos. Le chemin que l'on construisait, longeait la partie nord de son pré sur une longueur de soixante mètres. On lui avait fait,

 

(1) Eloge historique de l'abbé de Fénelon. J. G. (Bibliothèque Nationale Paris.)

 

cette année même, élever de ce côté un grand mur de clôture. Lui pendant ce temps, pave la grande allée de son pré, qui monte du potager à la charmille et dresse les deux terrasses qui coupent cette belle allée à angle droit ; puis il plante. de haies vives les limites sa propriété (1). Ces travaux ne furent terminés que l'année suivante. Il fallait bien encore occuper tout ce monde jusqu'à la moisson prochaine. Or pour attendre cette époque quelle détresse extrême ! Depuis le mois de mai, les greniers voyant diminuer leurs provisions ne s'ouvraient qu'avec une trop sage parcimonie et livraient leurs grains qu'à raison de sept livres dix sols (2) la mesure de Montcenis. Le ministre alarmé prit des mesures de prévoyance ; il envoya à Autun une grande quantité de blé qui venait du magasin de Corbeil (3). Cet envoi, quelque considérable qu'il est été, ne suffisait pas pour combler le déficit et faire revenir le pain à un prix raisonnable. C'est pourquoi l'abbé de Fénelon, à bout ressources dans un besoin aussi extrême, envoya vendre son argenterie à Paris, pour acheter une provision de riz (4), qui était destiné aux plus nécessiteux, puis continua sa route du côté de Montcenis, pour atteindre les merveilleuses mines que M. François de la Chaize (5) faisait ouvrir au milieu de mille contestations et de contrariétés intempestives et aveugles. Mais Fénelon fut interrompu dans l'achèvement de ce travail, car il laissa la voie à moitié de la distance. Courtépée nous apprend

qu'il fit aussi paver plusieurs chemins finéraux (6), probablement la même époque.

 

(1) Registres de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Ibid.

(3) Les mêmes documents.

(4) Souvenir de Mlle Cécile Douheret de Montcenis, âgée de quatre-vingt-quatre ans, fille du notaire royal.

(5) Mémoire de M. de la Chaize. (Archives de M. Harold de Fontenay

(6) Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

 

Une profonde misère régnait depuis trois ans ; cependant la monde, à Saint-Sernin, grâce aux aumônes de l'abbé de Fénelon, eut peu à souffrir. Les morts n'y ont pas été en plus grand nombre ; les naissances et même les mariages suivirent leur cours habituel (1). On venait demander la bénédiction du bon abbé de Fénelon comme celle d'un père, et puis, fort de cet heureux augure, on fondait, peu soucieux du lendemain, sa nouvelle maison et sa nouvelle famille.

C'est ainsi que Fénelon, le 29 janvier, bénit deux alliances ; le 4 février, deux autres unions se présentent et réclament de lui le même honneur. Le lendemain, deux encore viennent le prier de vouloir les bénir à leur tour (2). Ils aimaient, ces gens, à se grouper ainsi, pour être plus sûrs d'obtenir l'honneur qu'ils convoitaient, et pour donner, sans plus de dépenses, un peu plus de pompe et d'éclat à la cérémonie de leur mariage. Le 25 juillet, il assiste à un enterrement d'un jeune marchand de Chevroche ; et le 5 novembre, il signe comme témoin, avec M. Bauzon, curé de Varenne, l'acte d'un mariage qui se fit à Saint-Sernin (3) M. Dumont, dans une note qu'il dresse à la fin de cette année, inflige au roi un blâme dont les termes laconiques respirent cependant une respectueuse affection, " Les parlements ont été cassés ; le roi, après les avoir supprimés, en a créé de nouveaux (4). Ce coup d'œil rapide sur les événements politiques était du goût

 

(1) Voir les registres de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Registres de la paroisse. (Archives de la commune.) 29 janvier 1° mariage d'Emiland Moine, et Jeanne Vernizeau ; 2° Jean Vernizeau, et Françoise Minard. 4 février : 1° mariage François Charleux Françoise Guinot ; 2° J.-B. Bouillet et Berthe Charleux. 5 février : 1° mariage Hugues Charleux du Bas de Maret et Jeanne Bideau du Breuil ; 2° mariage de Antoine Godin et Huguette Charleux du Bas de Maret.

(3) Ibid. Enterrement de Jean Charleux, Agé de quarante-trois ans.-5 novembre, mariage de Dominique Chrétien et Claudine Chrétien.

(4) Ibid., note de M. Dumont. (Archive, de la commune de Saint-Sernin).

 

de Fénelon. Au milieu des plus grandes préoccupations, il ne se désintéressait jamais des affaires de la patrie. Nous en verrons bientôt la preuve dans ses lettres à M. de la Chaize, en 1779. De deux frères engagés comme lui dans l'état ecclésiastique, l'abbé de Fénelon avait déjà perdu le plus jeune, Jean-Baptiste, prieur de Resson, qui reposait, depuis 1769, aux tombeaux de ses parents (1). Il lui en restait un autre qui le précédait en âge d'une année seulement (2). Messire Henri de Salignac de Fénelon avait reçu, dix ans son entrée dans les ordres, le titre de chanoine de Cambrai en considération de ses propres vertus (2) et aussi par respect pour le grand nom qu'il portait ; avec ce titre de chanoine, il avait été nommé, comme J.-B. Augustin, à un modeste prieuré dans cette partie du Poitou qui forme aujourd'hui le département de la Vienne. Il

était prieur, de Saint-Romain en Châtellerault. Ce prieur peu d'importance relevait de l'abbaye de Sainte-Croix de Poitiers (3). Aujourd'hui, il n'en reste plus aucune trace. La révolution a tout détruit, le monastère et l'église. La paroisse, qui porte actuellement le nom de Saint-Romain-sur-Vienne, n'a même jamais eu aucun rapport avec cet ancien couvent. M. Henry avait été frappé de

la pauvreté de l'église de Saint-Sernin. Il lui avait donné un

 

(1) Le vingt et un janvier 1769, est décédé, au château de la Poncie sire J.-B. de Salignac, prêtre, âgé d'environ quarante-trois ans, abbé commendataire de l'abbaye royale de Pierron en Normandie ordre des Prémontrés le corps du quel abbé a été enterré, le 22, dans l'église Saint-Jean d'Estissac et dans les tombeaux de ses parents, en présence des soussignés Labot, curé de Jaures ; Valade, curé de Saint-Hilaire d'Estissac ; Deshommes ; curé de Vallereuil ; Dumerchat, curé d'Issac ; Chassarel de Roger ; Ducluzeau, archiprêtre de Villemblard.pour avoir fait le susdit enterrement. Fayolles, curé de Saint-Jean d'Estissac.

(2) Son titre canonique porte : Vitae ac honestas, litteranum scientia aliaque laudabilia et virtutum insignia quibus te novimus praeditum ; nos inducunt ut ad gratiam tibi reddamur liberales.

(3) Communication de M. le Curé de Saint-Romain sur Vienne.

 

ostensoir et avait légué par testament une partie de sa fortune à son frère, pour la reconstruire. Ces deux frères, à peu près du même âge, ayant tous deux renoncé au monde pour mener une vie humble et cachée au milieu des gens de la campagne, semblaient attirés l'un vers l'autre par une grande similitude de position et de caractère. Ce fut pour rendre leurs rapports plus fréquents que M. Henry vint s'établir à Autun, à quelques kilomètres du prieuré de Saint-Sernin. Il trouva dans cette ville un pieux asile pour ses dernières années, des médecins habiles pour sa frêle santé et une société de choix. Il prit domicile au grand séminaire, dans les appartements réservée à l'évêque. Cet établissement, le plus beau de France, lui offrait tous les avantages de salubrité et d'agrément ; le grand air, des horizons gracieux et des

jardins immenses, contribuèrent sans doute à raffermir sa santé. La petite compagnie de M. Olier avait déjà, depuis près d'un siècle, la direction de cette maison (1). Or nous savons tous assez avec quel culte cette humble société conserve les traditions de charité fraternelle qu'elle a reçues de son fondateur, pour qu'il soit inutile de dire que rien ne lui manqua dans

cette franche et cordiale hospitalité. L'Archevêque de Cambrai avait dit : "Je ne connais rien de plus apostolique et de plus vénérable que Saint Sulpice (2). "Ses neveux auraient pu ajouter quelques temps après lui : Nous ne connaissons rien de plus fraternel. En 1765, au mois de juillet, M. Henry de Salignac fut attaqué d'une jaunisse qui le mit au point de mort. Il fit son testament de sa propre main, en quelques lignes bien courtes, mais qui montrent son esprit de foi et de piété." In nomine Patris et filii et Spiritus Sancti. Mes infirmités habituelles m'annonçant une mort prochaine, il est de mon devoir

 

(1) Depuis 1680. (Rituel d'Autun, 1836, précis et faits.)

(2) Le Christianisme présenté aux hommes du monde par Fénelon. M. l'abbé Dupanloup, préface, p. XXXVI.

 

de me tenir prêt. Pour cela, je prie le Seigneur, dont les miséricordes sont infimes, de me pardonner la multitude de mes offenses, et notre divin Sauveur de me permettre de me réfugier dans ses sacrées plaies où les plus grands pêcheurs trouvent un asile assuré. Je Prie aussi la très sainte Vierge, mon ange gardien, saint Michel, mon saint patron et enfin tous les saints, d'intercéder pour moi, pour m'obtenir une bonne mort. " Pour ce qui concerne mes affaires temporelles, je ratifie la donation que j'ai faite à mon frère, Martin de Salignac, de

tous mes biens de famille. Ce que je possède actuellement, soit dans cette province ou ailleurs, provenant des biens de l'Eglise, mon intention est qu'ils soient tous employés à des œuvres pieuses ; En conséquence, j'institue mon frère Jean-Baptiste de Salignac, prêtre et prieur de Saint-Sernin du Bois, mon héritier, à la charge que mon hoire soit employée pour reconstruire et rétablir l'église de Saint-Sernin du Bois ou à quelque autre œuvre pie, que mon dit item jugera à propos et dont il sera cru sur sa parole ou déclaration.

 

"Fait à Autan, le 26 juillet 1765.

" SALIGNAC,

Prêtre-prieur de Saint-Romain de Châtellerault (1)."

 

Le même jour, ce testament fut déposé entre les mains du notaire Pierre Delaroche. Cette alarme ne fut qu'une crise. Soit médecin, André, François, qui le visitait souvent, joignait à un grand désintéressement une science profonde, fruit de ses études et de ses relations avec les meilleurs médecins de son temps. Ce fut à ses soins intelligents que M. Henry dut le rétablissement de sa santé, plutôt qu'au

 

(1) Archives nationales. (Cartons des biens séquestrés. - Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse IX.)

 

conseil un peu grotesque que lui donna, un jour, Crommelin (1), homme qui, sans beaucoup de savoir, voulait passer, avec, une vanité ridicule, pour versé dans toutes les sciences. M. Henry, hors de danger, reprit ses habitudes de piété et aussi ses relations avec quelques familles choisies de la localité. La vie de société à cette époque était facile et agréable. On se réunissait souvent pour de simples motifs d'agrément, comme la promenade, la musique, la peinture, les jeux de toutes sortes (2). La présence d'ecclésiastiques respectables était utile, surtout dans certaines familles qui avaient la réputation de franchir les bornes de la charité. M. Henry de Salignac ne se compromit jamais. Les soirées auxquelles on l'invitait, soit chez M. Delagoutte, M. de Fussey, M. l'abbé de Velle, M. de Millery, M. Bouheret ou M. de Jaucourt, se terminaient ordinairement par une partie de trictrac. Il recevait aussi quelquefois, mais avec réserve (3). La maison d'études et de prières qu'il habitait, était peu propre à ces réceptions, bonnes et charitables en elles-mêmes, mais toujours trop bruyantes. Le mieux qui s'était produit dans la santé de M. Henry de Salignac ne devait, durer que quelques années. Au commencement de 1772, un malaise plus sérieux, et qui devait l'emmener, se déclara. Son frère, prévenu en toute hâte, arriva pour recueillir son dernier soupir ; il le vit recevoir les derniers sacrements avec des sentiments de foi et de piété qui édifièrent toute la maison. Saint prêtre, il avait désiré vivre et mourir dans un de ces asiles où toutes les vertus fleurissent comme dans leur climat naturel : Dieu l'avait exaucé.

 

(1) Mémoires de la Société Eduenne, t. VI, pi 468.

(2) Même document, p. 405 et suiv.

(3) Journal d'Anne Paul de Fontenay, lieutenant général au bailliage d'Autun. (Manuscrit appartenant à M. Prosper de Noiron. Voir les dates : 29 octobre 1762, 25 janvier 1763, 1er février 1763, 3 février 1763, 1er janvier 1764, 3 janvier, 10 février, 25 mars, 3 septembre 1764.)

 

Le lendemain, 16 février, eut lieu le convoi funèbre (1). L'abbé de Fénelon voulut posséder les dépouilles mortelles de son frère, doublement chères maintenant à ses yeux par le reflet de sainteté que la mort venait d'y fixer pour toujours. C'est donc, vers Saint-Sernin que va s'acheminer le cortège. M. de Rochebrune, procureur du grand séminaire, fut délégué par son supérieur pour

accompagner les deux frères dans ce triste voyage. La nature à cette époque de l'année, n'avait pas encore rejeté son manteau d'hiver, et les bois qu'ils devaient traverser, dépouillés de parure, faisaient écho par leur nudité et leur silence à des pensées  de deuil. C'est au milieu de cette nature agreste et sauvage, dans ce moment peut-être le plus triste de l'année, en présence de Dieu seul, que se fit le transfert solennel du cercueil d'une paroisse à l'autre. M. Dumont vint, sur les limites de sa juridiction, le recevoir des mains du curé de Saint-Pancrace, M. Roché, qui avait fait lui-même la levée du corps au palais épiscopal du séminaire (2). Arrivés à destination, de nombreux ecclésiastiques des environs les attendaient pour rendre au mort les derniers honneurs. C'étaient MM. Damoiseau curé du Breuil ; Bauzon, curé de Varenne ; Compin, curé de Saint-Emiland ; Rey, curé de Saint-Firmin ; Girot, Chapelain

 

(1) Registre de la paroisse. (Archives de la commune.)

(2) Extrait des registres de sépulture de la paroisse de Saint-Pancrace et de Saint-Jean de la Grotte d'Autun pour l'année 1772. " Le seize février mille sept cent soixante-douze, messire Henry de Salignac de Fénelon, prêtre, prieur ancien de Saint-Romain et chanoine de l'église de Cambray muni des sacrements, et décédé la veille, à l'âge de cinquante-sept ans environ, a été transféré en l'église paroissiale de Saint-Sernin du Bois après la levée du corps que nous avons faite au palais épiscopal du séminaire, au sortir duquel nous l'avons remis, hors des limites de notre paroisse, à M. le Curé de Saint-Sernin qui s'est avec nous soussigné.

" Signé : Roché ; curé.

" Dumont, curé de Saint-Sernin du Bois

(Archives de la ville d'Autun.)

 

 

 de Montcenis ; Fautes, vicaire de la même ville ; et Morlet, directeur des religieuses. Ce fut M. Dumont qui, malgré son voyage, voulut officier ce jour-là. Après la cérémonie, le cercueil fut descendu dans le caveau creusé sous le maître-autel. On le renferma dans un mur qui monte jusqu'à la voûte de cet étroit réduit, et on y fixa une plaque de cuivre portant la même inscription que le marbre, en forme de dalle, qui ferme l'entrée de l'escalier (1). Cette inscription est ainsi conçue :

" Cy gist Messire Henry de Salignac de Fénelon prêtre, ancien chanoine de Cambray, prieur de Saint-Romain, de Chatellerault ; né le 23 juillet 1713, au château de la Poncie, en Périgord, est mort, en odeur d'une très grande piété, ce 15 février 1772.

" Requiescat in pace "Amen (2)."

 

Il était bien juste que l'église de Saint-Sernin reçût le corps de celui qui avait pensé à elle. Le curé de Saint-Pancrace, de son côte, voyait, avec un véritable regret, enlever de sa paroisse les restes d'un saint ; il aurait voulu les garder pour les entourer de vénération. Quelques jours après, il écrivit à M. l'abbé de Fénelon, prieur et seigneur de Saint-Sernin, en son château de

Saint-Sernin.

" Monsieur l'abbé,

" Je me suis fait une loi de vos intentions en m'y conformant ; mais vous avez exigé de moi un grand sacrifice, puisque vous me privez d'une sainte relique qui, si elle avait été déposée

 

(1) Registre de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Dalle au pied du maître-autel. (Église de Saint-Sernin du Bois.)

 

dans ma paroisse, aurait été pour moi un objet de vénération et de culte. "Quelque grande que soit votre affliction à laquelle je prend beaucoup de part, vous avez une consolation encore plus grande, celle de savoir que la mort de Monsieur votre frère est le commencement de son bonheur et de sa gloire. Le Ciel s'est empressé d'enlever à la terre un saint dont elle n'était pas digne (1). "

Ces témoignages de sainteté n'empêchèrent pas l'abée de Fénelon de prier et de faire prier pour son frère. Il s'adresse au chapitre de la cathédrale d'Autun, dont " le syndic fut chargé par lui de prier cette compagnie de vouloir bien faire acquitter cent messes à l'autel privilégié pour le repos de l'âme de feu Henry de Salignac, son frère (2). Messieurs du Chapitre les ont acceptées. "

L'affection fraternelle, veillant et priant près de cette tombe, retardait de quelques années l'oubli qui la couvre aujourd'hui. Le nom d'Henry de Salignac, n'est resté ni dans le lieu naissance, au château de la Poncie, qui appartient maintenant à des

 

(1) Archives nationales. Cartons des biens séquestrés. - Emigrés condamnés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse VIII. La suite de cette lettre règle les honoraires : " Quant à mes honoraires, je ne prétends ni abuser de votre générosité, ni l'embarrasser par une modestie mal placée. Il vous sera facile de savoir par Mlle Normand, comment, au mois de janvier dernier, en a usé avec moi Mme de Saucy qui, en fournissant un luminaire considérable à la paroisse et une tenture noire à la porte de l'église m'avait proposé de consentir que madame sa mère fût inhumée chez les Cordeliers, sous la condition de me payer le drap mortuaire et l'excédant du luminaire comme si la sépulture se faisait en ma paroisse. " Je vous demande toujours la permission d'aller vous faire une visite l'été prochain, c'est l'objet de mes désirs et l'inclination de mon cœur.

" Je-suis avec respect,

c Monsieur l'Abbé,

" Votre très humble et très obéissant serviteur,

            " ROCHÉ, curé de Saint-Pancrace dAutun."

(2) Registres de délibérations du chapitre en date du 21 mars 1772 (Archives de l'évêché d'Autun.)

 

étrangers (1); ni aux archives de Cambray (2) ; ni même au prieuré de Saint-Romain, dont il ne reste plus pierre sur pierre (3). Ces deux frères, après une longue carrière, ne devaient pas vieillir au foyer paternel, ni reposer sur la terre natale, selon les habitudes de presque tous les grands hommes de leur pays. En effet, comme toutes les provinces ou s'était maintenue l'inégalité des partages, le Périgord avait l'antique coutume d'envoyer une partie de ses fils chercher fortune au dehors (4). Les emplois dans l'armée, les bénéfices ecclésiastiques, les charges de judicature ou de finances, ouvraient leurs largesses à une foule de familles bourgeoises ou titrées. Une émigration incessante peuplait Paris et la province de ces enfants du Midi, qui, pleins de vivacité et d'adresse, se pressaient aux avenues du pouvoir, y pénétraient en s'entraidant l'un l'autre, et souvent dans leurs vieux jours rapportaient au foyer natal quelque fortune amassée, un blason conquis, l'élégance du monde et de la cour. Mais pour ces deux petits-neveux du grand Fénelon, à vingt-deux ans de distance, ce fut la terre étrangère qui vit leurs derniers instants et qui recouvre encore leurs restes illustrés les uns, par la piété, les autres par le martyre. La perte de ce frère fat sensible au coeur de Fénelon. Il passa plusieurs années de deuil dans la plus grande solitude. Cependant

 

(1) A M. Banez, de Gardonnes.

(2) Communication de M. l'Archiviste de l'archevêché de Cambrai. Nous ayons cependant retrouvé son titre. Il porte : 1° sa nomination par Charles, archevêque et duc de Cambrai, en remplacement de Jean de Bonnequise, nommé évêque d'Arles (13 août 1752) ; 2° son installation par le chapitre de cette cathédrale, qui lui assigne une stalle, des sièges supérieurs au côté gauche du choeur et lui donne place et voix a, chapitre (15 août î752~, Dans cette pièce, il est appelé : hachette, au chapitre (15 août 1752). Dans cette pièce, il est appelé : bachelier en théologie, grand chantre de la

cathédrale de Montauban et propriétaire de la chapellenie de la Bienheureuse Marie ou de Saint-Antoine d'Agonac au diocèse de

Périgueux.

(3) Communication de M. le Curé de Saint-Romain-sur-Viennes.

(4) Œuvres de Joubert IX. (Paul de Raynal.)

 

bien des occasions de bienséance et de politesse l'invitaient à faire diversion à ses tristes pensées. Le 13 août, la famille de Mussy donnait au baptême d'un nouveau-né une pompe extraordinaire (1). Cet enfant voyait autour son berceau des seigneurs et des avocats au parlement. Le 7 novembre suivant, la même famille se trouvait aussi dans les larmes, elle enterrait Demoiselle de Mussy, fille de Charles de Sarode de Mussy. L'abbé de Fénelon ne prend aucune part ni à ses Joies ni ses pleurs. Leurs rapports, d'ailleurs, s'étaient bien ralentis. Des questions d'intérêts et de dîmes avaient jeté, dès 1773, entre le château

Saint-Sernin et la verrerie de Prodhun, une mésintelligence qui les mena devant les tribunaux (2). Jusqu'en 1774, l'abbé de Fénelon laisse faire encore le mariage de son jardinier, sans y apporter, comme d'habitude, le sceau de sa bénédiction ; il ne consent qu'une seule fois à sortir de son deuil. On l'avait demandé d'être parrain d'un enfant du village, il accepte, lui donne son nom, mais il le tient sur les fonts par procuration, et c'est Antoine Chrétien, oncle du nouveau-né, qui le représente dans cette fonction. Il signe cependant au registre qui lui est apporté. Cette famille reçut toujours de l'abbé de Fénelon la protection la plus signalée. Il dotait les filles au moment de leur mariage, gratifiait les enfants de prés et de terres, et comblait les parents de bienfaits comme plusieurs actes nous le prouvent (3). " J'ai reçu de M. l'abbé de Fénelon la somme de 300 livres qu'il

 

(1) Voir les registres de la paroisse, aux dates indiquées. (Archives de la commune.).

(2) Cartons des biens séquestrés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse XI pièces 8, 9, 10 et 11. (Archives nationales.)

(3) Archives nationales. Cartons des biens séquestrés, t. CCLXXI. CCLXXIII, liasse IV, n° 3.

 

avait eu la bonté de donner à Claudine Chrétien, mon épouse, pour la dot dont je le tiens entièrement quitte.

 

A Saint-Sernin, ce 9 juin 1772.

 

" J'approuve, Dominique CHRÉTiEN (1), "

 

L'enfant, fruit de ce mariage, à peine âgé de quatre ans, reçoit de M. l'abbé de Fénelon, son parrain, le 23 mars 1777, deux prés situés en chaumes, qui furent estimés à peu près trois cents livres (2). L'année suivante, 7 novembre 1778, l'abbé de Fénelon fit encore à cette famille, à l'occasion du mariage d'Antoine

Chrétien, une donation entre vifs et par-devant notaire de la maison qu'elle habitait, située au-dessous de la Croix de la place de Saint-Sernin. Il s'en retient cependant la jouissance jusqu'au jour de son décès. Il a soin, en même temps, de stipuler dans l'acte que la moitié de cette maison doit rester à Jean-Baptiste Chrétien, son filleul, et qu'elle ne pourra pas être aliénée. L'acte de cette donation se termine ainsi : " Les dits Antoine et Dominique Chrétien, oncle et père de cet enfant, donataires tous les deux cy présents, en acceptant comme il a été cy devant dit, ont très humblement remercié Monsieur seigneur abbé de Fénelon, donateur (3). " Nous verrons plus tard combien cette reconnaissance devait durer de temps. Il fut généreux pour tous; et les plus humbles mêmes reçurent de lui des témoignages d'intérêt. En 1772, il assiste à

l'inhumation de Mlle Rey, soeur du curé de Saint-Firmin (4). Il ne compromet cependant jamais sa dignité de grand seigneur.

 

(1) Dominique Chrétien était le fermier général de M. l'abbé de Fénelon jusqu'en 1785.

(2) Répertoire de l'étude de Me Brugnot, notaire au Creusot.

(3) Étude de Me Brugnot, notaire au Creusot. (Acte passé le 7 novembre 1748.)

(4) Registre de la paroisse de Saint-Firmin.

 

Le 30 novembre 1773, il se fit seulement représenter par Jacques Raquillet et Philibert Moine, ses deux domestiques, à l'enterrement d'un simple ouvrier verrier, Nicolas Stenger, mort, âgé de vingt-neuf ans. Ce jeune artiste, originaire des Trois-Fontaines, diocèse de Châlons-sur-Marne, avait, l'année même de sa mort, monté un lustre (1) en verre coulé que la verrerie de Prodbun avait donné à l'église de Saint-Sernin. C'était un véritable chef-d'oeuvre. Il avait à peu près un mètre et demi de hauteur. Des girandoles aux gracieux contours s'élançaient du centre en grand nombre et à plusieurs étages pour soutenir, sur des bobèches artistement décorées d'émaux variés, les mille lumières qu'on y disposait. La révolution ne nous en a laissé que quelques débris (2). Nous ne citerons plus qu'un fait de la grande condescendance de l'abbé de Fénelon. Le sabotier Romain Martinon s'était uni à Françoise Sarolle, sans faire lever un empêchement spirituel qui existait à leur mariage. Ils vivaient depuis dix ans dans cet état, lorsque le curé les fit consentir à régulariser leur situation et à revenir à l'église pour redonner leur consentement mutuel. Le 16 juin 1777, M. l'abbé de Fénelon assistait à cette cérémonie, avec son oncle maternel, Pierre Dumas de la Rigalle, chevalier de Saint-Louis, ancien officier de la légion de Lorraine, qui était venu le visiter (3). C'est la dernière fois que nous rencontrons la signature de M. l'abbé de Fénelon sur les registres de Saint-Sernin. L'année suivante, il se retirait à Paris.

 

(1) Registre de la paroisse, note de M. Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Ils sont à Autun chez M. Bulliot, président de la Société Eduenne.

(3) Archives de la commune.

 


CHAPITRE IV

 

L'abbé de Fénelon, maître de forges.

 

Jusqu'à présent nous n'avons considéré Fénelon que comme prêtre pieux et bienfaisant. Nous l'avons vu aussi, puissant seigneur, s'occuper avec sollicitude du bonheur de ses vassaux et protéger l'agriculture, en faisant ouvrir des voies ferrées sur tous les points de son prieuré. Aujourd'hui il se révèle à nous sous un aspect tout nouveau, c'est-à-dire comme industriel. Oui, cet ecclésiastique bon et tendre fut un des premiers qui devina et qui comprit la richesse houillère de nos obscures vallées. Il fut le précurseur de ces hommes qui, mettant à profit les nouvelles découvertes de la science, réussirent avec une intelligence supérieure à former ce centre industriel le plus beau de la France et le plus complet du monde entier. Le Creusot, cet établissement de plus en plus florissant, cette ville bâtie comme par enchantement au bord d'un gouffre noir, n'était composé, à l'époque où nous voulons remonter, c'est-à-dire en 1763, que de quelques masures perdues dans un ravin étroit et profond. On l'appelait modestement, dans une partie, Charbonnière et dans l'autre, Creusot, à cause des affleurements de charbon de terre qu'on y rencontrait et des creux que l'on y pratiquait pour l'extraire. Ce charbon, éprouvé sur place d'abord, étudié ensuite sur l'ordre du ministre par les directeurs d'arsenaux, avait été trouvé de la meilleure qualité (1). Il avait été connu et exploité dès la plus haute antiquité (2), mais avec si peu d'intelligence, qu'en 1760, on croyait la mine épuisée et que les mineurs vivaient dans la plus grande misère. " Les mines de charbon de terre, situées au village du Creusot, paroisse du Breuil, écrivait M. de la Chaize, étaient, depuis des siècles, abandonnées à des précaires qui, au moyen d'une rétribution très modique qu'ils donnaient aux propriétaires des terrains qui couvraient les mines, les avaient jardinées et dégradées au point que le public ne s'était jamais aperçu des avantages de cette découverte, que ces particuliers avaient péri, pour la plupart, sous les rochers qu'ils avaient ébranlés et que ceux qui avaient échappé au danger étaient restés dans leur état misérable. Ces faits sont trop notoires pour que personne ose les contredire (3). Une descente de lieu faite, en 1750, par la justice de Montcenis, nous a conservé le récit d'un de ces écrasements qui ne fit alors qu'une victime, mais qui faillit coûter la vie à plusieurs. " Jacques-Antoine Delagrange, avocat en parlement, demeurant à Montcenis, plus ancien gradué, faisant les fonctions de lieutenant criminel, etc., savoir faisons que ce jourd'hui, 31 août 1750, sur environ les trois heures de relevé et sur l'avis qui a été donné à M. Jean Carchery au dit bailliage...que le nommé Philibert Villerot, journalier, travaillant dans les mines de charbons, près du village du Creusot, paroisse du Breuil, justice de la dite châtellenie, avait été ce jourd'hui enseveli et étouffé sur les six heures du matin dans un des puits ou creux des dites mines, nous nous sommes, à la requête du dit sieur, procureur du Roy, transportés sur les dits

 

(1) Mémoires divers de M. de la Chaize. (Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.)

(2) Il y avait un lieu dans cette gorge qu'on appelait, en 1253, Crosot. (Charte de 1253, Archives de Dijon.)

(3) Mémoire à consulter pour M. François de la Chaize, avocat au parlement, 12 août 1771, p. 2. (Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.)

 

creux ou puits, avec les nommés J.-B. de Latrasse, chirurgien juré du dit Montcenis, et Fiacre Naudin, notre greffier ordinaire, à l'effet de dresser procès-verbal des causes de la mort du dit Philibert Villerot et de l'état où se trouvait son cadavre, où étant arrivé sur environ les quatre heures et demie nous avons trouvé Lazare Dubois et Jean Dubois frères, charbonniers, Claude Boyer, milicien de la paroisse de Saint-Sernin du Bois, et Lazarette Lagoutte, femme du dit Villerot, et le cadavre du dit Philibert Villerot couché proche les dits creux ou puits. Lesquels Lazare et Jean Dubois nous ont dit que, travaillant ce jourd'hui sur les six heures du matin avec le dit Philibert Villerot, Claude Dubois, leur frère, et Pierre Mauguier, leur cousin, ces deux derniers non présents ici, à tirer du charbon du creux ou puits près duquel nous sommes, la mine se serait ébranlée et éboulée sur eux, aurait enseveli et étouffé le dit Philibert Villerot, renversé et couvert le dit Pierre Mauguier, qui en est dangereusement malade chez lui, et blessé le dit Lazare Dubois ici présent à la tête, et que, malgré tous leurs efforts, ils n'ont pu empêcher le dit Villerot de périr et d'être étouffé dans la trop grande quantité de pierres et de charbon dont il était couvert, ayant avec , retiré le dit Pierre Mauguier, qui était dans un endroit moins couvert, moins dangereux ; qu'étant sortis du dit puits, ils ont appelé du secours, et qu'étant survenus plusieurs charbonniers de leurs voisins, ils ont retiré le plus promptement qu'il a été possible les terres, charbons et pierres sous lesquels le dit Philibert Villerot était enseveli, étant en quantité de plus de, quarante tonneaux, ainsi que nous le reconnaissons sur le bord du dit creux, et ont tiré le cadavre du dit Philibert Villerot, qui est sous nos yeux ; après quoi nous avons ordonné au dit M. de Latrasse de visiter le dit cadavre pour reconnaître les causes de sa mort et s'il n'y en a point d'autres que celles insérées ci-dessus, à quoi le sieur de Latrasse ayant satisfait, il nous a rapporté qu'il a reconnu que le dit Villerot a été écrasé et étouffé et n'a reconnu aucune autre cause de mort dans toutes les parties de son corps qu'il a exactement visité  et après avoir fait fouiller dans ses poches, il ne s'y est rien trouvé qu'un moulin à tabac, un mauvais mouchoir en toile, un chapelet et deux deniers dans son gousset (1), etc., etc. " Il fut enterré au cimetière du Breuil. " A la suite de ces tristes accidents, continue M. de la Chaize, les précaires qui travaillaient dans ces mines ne se hasardaient plus de sang-froid à descendre dans les creux (2), il fallait que les maréchaux les fissent boire plus ou moins en raison du besoin qu'ils avaient de charbon, en sorte que souvent il arrivait qu'indépendamment des frais de voiture toujours très chers dans un pays isolé sans communication ni débouchés, ces maréchaux payaient jusqu'à six livres un tonneau de charbon. " Les habitants de Saint-Sernin, qui trouvaient à peine de quoi vivre dans leurs terres, se laissaient facilement attirer dans ces mines par un mince salaire (3). Il en résultait pour ces malheureux une double gêne. Leurs terres, dont il fallait payer la dîme et les impôts, étaient négligées, et eux-mêmes, avec beaucoup de fatigues et de dangers dans ce travail obscur, gagnaient à peine de quoi payer leur pain de chaque jour et leur misérable entretien. Fénelon jugea dès le commencement que la contrée et le monde pouvaient tirer un meilleur parti de ces richesses. Mais n'étant propriétaire d'aucun gisement de charbon, il ne prêta qu'un concours éloigné à toutes les entreprises qui tendaient à améliorer et l'état de ces mines et surtout, ce qui le touchait davantage, la condition des mineurs. Il le fit avec force et intelligence. Sa route et les forges que nous allons lui voir établir, étaient déjà de puissants moyens ; mais ce qui lui valut principalement un titre à la

 

(1)Archives de Mâcon.

(2) Mémoire de 31. de la Chaize, déjà cité p. 19. (Archives de M. de Fontenay.)

(3) Mémoire sur l'utilité de l'exploitation des mines de charbon de terre de Montcenis, pour être présenté à nos seigneurs les élus généraux (de la province de Bourgogne, décembre 1768. (Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.)

 

reconnaissance de cette branche de l'industrie, c'est qu'il réussit à terminer à l'amiable certains différends très sérieux, qui allaient faire échouer les meilleures intentions. En 1760, M. François de la Chaize était seigneur engagiste (1) (le la terre de Montcenis, où il avait, d'ailleurs, des propriétés privées d'une assez grande étendue. Il était un de ces hommes rares qui, comme Fénelon, cherchait avec générosité le bien de ses compatriotes, par des améliorations locales. Or, pour tirer le pays de la pauvreté où l'avait condamné jusque-là la stérilité de son sol, il lie trouva des ressources que dans l'exploitation en grand des charbons de terre de la contrée. Il s'assura d'abord que le dépôt de houille plongeait à une très grande profondeur ; puis il consacra sa fortune et celle de son épouse à une extraction, faite suivant les règles de l'art peu avancé à cette époque. Cette généreuse entreprise souleva aussitôt les réclamations de plusieurs seigneurs et propriétaires des environs (2), et surtout de la famille Dubois, qui possédait une terre considérable sur ces gisements, et qui, pour cela, croyait avoir le droit de creuser des puits pour extraire le charbon. M. de la Chaize, de son côté, faisait valoir, pour arrêter ces travaux intempestifs, la concession qu'il avait obtenue du roi. Les réclamations, de part et d'autre, avaient été très loin et les travaux traînaient en longueur, lorsque Fénelon, qui était en partie seigneur des Dubois, fat pris pour arbitre du différend (3). Malgré ses grandes occupations, il travailla aussitôt à une conciliation, et obtint en dernier lieu des Dubois, qu'ils s'en remet-

 

(1) Mémoire à consulter et consultations pour la veuve et héritiers de la Chaize, contre les propriétaires, etc. (13 prairial an X, Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.)

(2) Les opposants étaient Mme de Montaugé dame d'Escrots, M. de Maublanc de Mortenay, M. Cochet de Magny et M. Villedieu de Torcy. (Mémoire à consulter pour M. François de la Chaize, 12 août 1771, p. 18.) Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.

(3) Même document, p. 14.

 

traient à une décision du ministre, quelle qu'elle pût être. Il écrivit donc immédiatement à M. Bertin, ministre alors, en lui soumettant toutes les difficultés. Aussitôt qu'il en eut une réponse, il l'envoya à M, de la Chaize, avec ce billet plein de simplicité et de délicatesse.

"Saint-Sernin, le 27 juin 1769.

 

«  Je vous envoie, monsieur, une copie exacte de la réponse que j'ai reçue du ministre, je n'en ferai part aux Dubois, que quand j'aurai reçu votre réponse, je suis dans les foins jusqu'au col, et je n'ai que le temps de vous renouveler la protestation très sincère de l'attachement avec lequel je suis, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

" FÉNELON. "

 

Suivait sur la même feuille, la copie de la lettre de M. Bertin, ministre et secrétaire d'état, à M. l'abbé de Fénelon. Elle était favorable et juste.

" A Marly, le 19 juin 1769.

 

«  J'ai vu, monsieur, par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12 de ce mois (1), la difficulté qui s'est élevée entre cinq particuliers du village des Charbonnières, et M. de la Chaize, pour l'exploitation de leur mine de charbon qui se trouve empêchés par l'arrêt de concession du 27 mars dernier, quoique par le titre du terrier de Montcenis, dont ils rapportent la teneur, et qu'ils ont reconnu en 1610, ils tiennent leur mine à la charge de donner le tiers de la traite du charbon au seigneur de Montcenis ; vous me marqués, monsieur, que ces particuliers et M. de la Chaize s'en rapporteront à ma décision, sur quoi il me parait constant que

 

(1) Lettre autographe. (Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.)

 

par l'arrêt de 1744, le roi s'étant réservé de donner les permissions à ceux qui devaient exploiter régulièrement les mines de charbon, afin d'obvier aux inconvénients des mauvaises exploitations qui devenait peu à peu impossibles et mettait la vie des travailleurs en danger. M. de la Chaize ayant obtenu cette permission exclusive sur le compte qui a été rendu au roi, des dépenses considérables qu'il avait fait pour faire exploiter les mines de Montcenis régulièrement, il doit être maintenu dans son privilège, car s'il était libre à ses voisins de croiser ses travaux, le désordre au quel on a voulu pourvoir recommencerait, et M. de la Chaize serait forcé de renoncer h son exploitation, puisque ses fosses étant percées à une plus grande profondeur dont il épuise les eaux, il attirerait nécessairement toutes celles des petites exploitations, voisines, qui profiteraient de son travail en l'inondant ; mais il est juste que M. de la Chaize indemnise les habitants des Charbonnières du droit que ses auteurs lui ont donné par le terrier de 1610, d'extraire du charbon ; ce qui il est aisé "évaluer par une estimation amiable de la quantité de charbon que cette exploitation pourrait produire aux habitants, il faut en déduire le tiers pour la redevance due au seigneur suivant le terrier, un autre tiers pour les frais de l'exploitation, le tiers restant sera à peu près la somme de l'indemnité dont M. de la Chaize pourra convenir avec eux. Ce dédommagement, au reste, n'a rien de commun avec les indemnités qui sont dues aux particuliers dont les travaux de M. de la Chaize endommageraient la superficie ou le fond du terrain, et qu'il doit payer aux termes de son arrêt et suivant les ordonnances qui les prescrivent expressément ; j'ai l'honneur d'être avec un sincère et parfait attachement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

 

" BERTIN. "

 

La réponse et les remerciements de M. de la Chaize ne se firent pas attendre. Fénelon, le lendemain même, reçut cette lettre

 

«  Monsieur,

 

«  Je viens de recevoir la copie que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser de la réponse de M. Bertin, je ne puis ni ne dois, monsieur, me plaindre d'une décision aussi sage qu'elle est respectable pour moi (1). Je ne pense pas que les Dubois y trouvent rien de contraire à leurs intérêts, je prendrai donc le parti, monsieur, avant que de m'immiscer dans le champ des Dubois, de les inviter de nommer amicalement, s'ils le jugent à propos, un expert connaisseur en mines qui, avec celui que je nommerai alors, réglera le dédommagement que je devrai leur faire, et par ce moyen nous n'aurons plus de difficulté. " Je ne puis trop me louer, monsieur, de votre attention et de vos procédés, je vous prie d'en recevoir mes remerciements et d'agréer les nouvelles assurances 'de la reconnaissance et du respect infini avec lesquels j'ai l'honneur, etc. "

L'affaire fat donc terminée pour quelque temps, et l'exploitation reprit son activité (2). M. de la Chaize regarda dès lors M. l'abbé de Fénelon, comme un protecteur, et dans le mémoire qu'il publia en 1771 pour défendre ses travaux et faire valoir ses services, il sut rendre justice à l'intelligence et à la bonté de M. Fénelon. " Mon droit serait encore ignoré, si les nommés Dubois, travaillant comme ouvriers à mon exploitation, ne se fussent avisés d'abandonner mes travaux, de débaucher une partie de mes

 

(1) Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.

(2) Il est donc injuste de répéter que le clergé de cette époque a été peu sympathique, en général, à l'industrie. (Voir la France sous Louis XV, par Alphonse Jober, t. III, p. 395. Paris, Didier.)

 

ouvriers et d'entreprendre, au péril de leur vie, de renouveler, au-dessus de mes galeries, un ancien puits. Une entreprise aussi téméraire me détermina à faire notifier à ces particuliers mon arrêt de concession ; ils se consultèrent et remirent ensuite leur défense entre les mains de M. l'abbé de Fénelon, dont ils étaient en partie les vassaux (1). Ce seigneur fit valoir leurs moyens auprès de M. Bertin, et sur les réponses que lui fit le ministre, Fénelon me condamna à donner aux Dubois, un dédouanement annuel de quinze livres, à quoi ceux-ci bornaient alors toutes leurs prétentions, au moyen de quoi ils renonceraient, en ma faveur, au droit qu'ils prétendaient sur les mines de charbon du Creusot. Mais je fis plus que les Dubois ne désiraient de moi, je les repris comme ouvriers, et je leur fis, par-devant notaire, le 4 juillet 1769, un dédommagement de cinquante livres remboursables par mille livres, au moyen duquel ils se départirent seulement en ma faveur du droit d'extraire les charbons qui pourraient se trouver dans leurs héritages, sans renoncer à la propriété de ces mêmes héritages, ni au droit de les cultiver, comme ils avaient fait jusqu'alors. " Plus loin il ajoute encore " Tout le monde sait que M. l'abbé de Fénelon, dont la terre très étendue, joint mon exploitation, et est par conséquent englobée dans mon arrondissement, sans cesse occupée du bien publie, a si bien reconnu les avantages de cette entreprise, que, bien loin de la critiquer, il a sollicité et obtenu de MM. les élus, la permission d'ouvrir, à ses frais, une communication de ma mine à Saint-Sernin,  de la continuer dans l'étendue de plus de deux lieues, jusqu'à, la jonction du grand chemin de Châlon à Autun, passant par Couches (2). "Les grands travaux des mines, non seulement nourrissaient un

 

(1)   Mémoire cité plus haut, p. IL (Archives de M. Harold de Fontenay, Autun.) (2) Même document, P. 17.

 

nombre considérable d'ouvriers, irais donnaient un nouvel élan à l'agriculture dans ces vallons déserts.

M. de Thélis, seigneur du Breuil, s'en félicite auprès de son homme d'affaires.

             Paris, 16 juin 1783,

 

« M. l'abbé de Fénelon m'a dit que son fermier avait vendu 1,200 francs des prés qui ne valaient que quinze louis, etc. (1). » Aussi, ce seigneur s'empresse-t-il de défricher ses bois pour établir d'immenses prairies.

 

Paris, 6 août 1783,

 

« J'ai vu un seigneur qui va aller en Bourgogne, qui m'a dit que le roi dépenserait plus de quatre millions aux mines de Montcenis et qu'il faudrait un nombre de chevaux considérable, ce qui fera une augmentation pour le Breuil, tout de suite, outre l'augmentation qui résultera dans quelques années du canal. Je suis toujours d'avis de réparer l'étang pour flotter les bois qu'il faut arracher pour faire les prairies (2). »

 

L'extraction régulière et la traite de la houille ne furent pas les seules branches de, l'industrie favorisées par Fénelon. Tous les travaux de la métallurgie, la fonte, le martelage et le laminage du fer eurent non seulement dans ses propriétés plusieurs établissements, mais trouvèrent encore en lui une intelligence capable de leur imprimer une marche progressive.

La première forge qu'il établit dans ses terres fut celle de Mesvrin,

 

(1) Lettre de M. de Thélis à M. Jourdan. (Archives du château de Breuil.)

(2) Lettre du même au même, due à la complaisance de M. d'Orsières. (Archives du château du Breuil.)

 

en 1763 (1). Un siècle auparavant, il y avait eu là un premier essai de forge qui tirait ses fontes de deux fourneaux successifs construits dans les propriétés des seigneurs de Montjeu. Le fourneau de Champitot, sur la paroisse de Saint-Firmin, était, en l645, sous la direction de Me Denys, maire avocat à Beaune (2), et le fourneau des Beaumes s'élevait près de la source du Rançon (3). Jean Dupasquier avait permis, le 12 janvier 1654, à Blaize Chirat, maître de forges, à Saint-Sernin du Bois, de faire construire et bâtir en ce lieu un fourneau propre à faire fonte. Ces fourneaux s'alimentaient des mines de fer "Antully. Situés au milieu d'immenses forêts, ils brillaient sur place les bois qui ne s'exportaient pas, La houille ne fondait pas encore la mine de fer, et le charbon de bois était le seul employé dans tous les fourneaux. Mais ce qui fut, à ces époques reculées, un échec aux succès durables de la métallurgie, c'était la question des transports et des débouchés. Le minerai et le combustible étaient bien sur place, mais une fois que les premiers produits avaient satisfait aux besoins de la localité la plus voisine, comment écouler des matières aussi lourdes et aussi encombrantes que la fonte et le fer ? Cette difficulté fit échouer ces premiers établissements, si bien qu'en 1763, il ne restait de toutes ces constructions, forges de Mesvrin et fourneaux, que des vestiges enfouis sous des ruines. Pour utiliser les chutes d'eau abandonnées par la métallurgie, M. Henri Tixier d'Hautefeuille avait permis, le 7 octobre 1672, à Hubert Dessertenne, de construire, à Mesvrin et à Bouvier, deux foulons servant à battre les draps et les tissus de laine (4). Le premier subsista jusqu'en 1763 le second, jusqu'en 1774,

 

(1) Courtépée dit 1766, mais la première concession de la propriété (le Mesvrin, pour forges, date du 10 juillet 1763. (Archives de la ville d'Autun.)

(2) Mémoires de la Société Éduenne, nouvelle série, t. V, p. 312-313.

(3) Archives du château de Montjeu, près Autun.

(4) Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXI-CCLXIII, liasse VI.

 

M. de Fénelon profita de ces leçons du passé pour établir sa forge avec plus d'avenir. Mesvrin était vraiment un emplacement de choix. S'il était éloigné du minerai, il était proche des bois et se procurait du charbon en abondance ; de plus, il n'était qu'à quelques distances des mines de Montcenis, et le temps n'était pas éloigné où la houille remplacerait le charbon de bois. Tel était du moins, déjà à cette époque, le calcul de Fénelon (1). Le cours d'eau du Mesvrin, précieux avantage pour cette époque, était assez puissant pour donner le mouvement à un marteau mécanique, et plus tard aux premiers cylindres d'un laminoir. On espérait que la question des débouchés allait se trouver résolue et assurée. Depuis longtemps on avait le dessein de réunir la Méditerranée et l'Océan par la Bourgogne. François 1er, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, avaient fait dresser des plans. Deux projets surtout avaient été émis (2).

Le premier projet était de réunir la Dheune, affluent de la Saône, à la Bourbince, qui se jette dans la Loire. Le partage des eaux devait être l'étang de Longpendu (3). Un autre projet qui coûterait moins, selon M. de Touzac, et qui serait bien plus avantageux, serait de joindre la rivière nommée la Cusanne (4), qui passe à Nolay, à la rivière nommée Lamotte (5), qui prend sa source et qui passe à Santose. Le premier projet avait été préféré. En 1613, il avait été adjugé pour la somme de 800,000 francs. En 1642, une seconde adjudication, qui comprenait de plus la navigation de l'Arroux, depuis Autun jusqu'à la Loire, montait au chiffre 950,000 francs.

 

(1) Pétition à Monseigneur le président du conseil. (Archives de Montjeu.)

(2) Réunion des deux mers. (Archives du château de Montjeu.)

(3) Ce projet, qui fut exécuté, a été entravé d'abord par des guerres, puis par la mort de Richelieu, enfin par des plans mal dirigés.

(4) La Cusanne se jette dans la Dheune, entre Couche et Chagny.

(5) Lamotte ou rivière de Santose se jette dans la rivière de Varenne, au-dessus de Dracy ; depuis ce point jusqu'à l'Arroux, elle prend le nom de Drée. Elle se jette dans l'Arroux, près de Dracy-Saint-Loup.

 

L'homme que l'abbé de Fénelon choisit pour fonder sa forge fût M. Jobert, originaire d'Estain, près Montbard, marchand de bois pour la provision de Paris. Il était versé dans la métallurgie, étant maître de forges à Châtillon-sur-Seine. Il était aussi très capable de résoudre les questions de transport. Appuyé par Mme de Luynes, il avait l'entreprise du canal de Longpendu (1). C'était à lui qu'on avait confié le flottage de la Dheune jusqu'à Châlon. Il y avait fait preuve de tact et d'adresse. Le flottage avait été une question très grave qui avait divisé longtemps les seigneurs de la contrée en deux camps. Les uns, possesseurs de moulins sur la Dheune et de terres riveraines, mus par un intérêt tout local, réclamaient pour les passages de si lourdes indemnités qu'ils entravaient tous les transports de bois. Les autres, ayant des vues plus larges et plus élevées sur le commerce et l'industrie, voulaient, en payant un droit, faire servir les richesses de leurs forêts aux grands besoins de Paris et de Lyon. Nous aimons à trouver encore M. de Fénelon parmi ces derniers. Il était persuadé que l'avenir de l'industrie se trouvait dans la facilité et l'étendue des transports, et saisissait avec empressement tous les moyens connus à son époque. Il comptait dans son parti M. le comte et chevalier de Thélis, qui avait accepté toute la responsabilité des flottages ; M. Raphaël de Villedieu, seigneur de Torcy ; Champliau, etc., conseiller au parlement de Dijon ; Étienne de Ragney, seigneur de Ragney ; le comte de la Madeleine, seigneur de Marcilly ; l'abbé de la Ferté, seigneur d'Avoire ; le marquis de Saint-Micault, seigneur de Saint-Micault ; l'abbé de Royer, baron de Savigny ; le sieur de Martigny, seigneur de Sainte-Hellène ; le sieur Quarré, seigneur Duplessis ; le sieur de Montsange, seigneur de la Genetoye ; le sieur Venot de Montcenis et le seigneur de Sauvage. Dans le parti opposé se trouvait le sieur comte de Clermont

 

(1) Ce canal ne passait qu'à quelques minutes de Mesvrin.

 

Montoison, les prieur et religieux de l'abbaye de Maizières, la marquise de Foudras, le sieur Louis Henry de Rochefort, Dailly, évêque et comte de Châlon ; le marquis de Choiseul, maître de camp de cavalerie, chef de brigade de gendarmerie ; Philippe Bouchier de Versalieu, seigneur de Chevigny ; Claude de Chatillon, chevalier seigneur de Cercy ; Henry de Riollet, chevalier seigneur de Monteuil ; Étienne-Elisabeth Copin, escuyer seigneur de Mosse ; Charles Vienot, escuyer seigneur de Vaublans, major du régiment de Navarre, chevalier de fordre militaire de Saint-Louis ; Jean-François de la Moret, prieur de l'église de Saint-Martin de Chagny, tant en son nom que comme décimateur de Chagny qu'en celui des bénéficiers de cette église ; le sieur comte de Graville, chevalier des ordres de Sa Majesté, lieutenant général de ses armées, Madeleine Bouton de Chamilly et le bailli de Fontenay, chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur de belle-croix. Pendant que ces différents seigneurs discutaient leurs intérêts respectifs auprès du conseil d'état, M. Jobert, entrepreneur du flottage et du canal de Longpendu, profitait avec intelligence de toutes les concessions royales (1). Il s'occupait activement de ces grands travaux et, pendant leur exécution, ne se permettait aucune

 

(1) Nous admirons ici la sagesse de nos rois, qui tout en restant favorables à la cause (lu commerce, surent ménager tous les intérêts. En 1763, ils ordonnent l'inventaire et les plans des terres riveraines de la Dheune. En 1764, ils chargent le comte de Thélis d'être garant de tous les dommages. En 1774, ils ordonnent le procès-verbal de l'état actuel des moulins et des ponts de la Dheune, et donnent permission d'essayer le flottage à bois perdu sur une partie de la rivière, jusqu'à concurrence de, 500 cordes, avec charge d'indemniser les riverains à dire d'experts et noir d'aaprès les ordonnances de 1669 En 1775, ils permettent à M. de Thélis de percer une ouverture ou pertuis à côté du déchargeoir du moulin d'Hauterive et de continuer le flottage sur toute la Dheune. En 1776, ils dressaient encore d'autres ordonnances. (Parchemin venant de la Cornouaille, près Tavernay.)

 

absence ni à Paris, ni même à Autun. Son domicile était- tantôt à Saint-Julien, tantôt au château de la Motte (1). Ce fut le 10 juillet 1763 que l'abbé de Fénelon céda par sous-seing privé à M. Jobert l'étang de Mesvrin. En 176~, le 3 janvier, M. l'abbé de Fénelon obtient du roi la permission d'élever une forge. M. Jobert, réfléchissant à soli marché, crut trouver une difficulté à un établissement de ce genre sur un bien de main-morte et obtint du bailliage de Châtillon-sur-Seine une sentence qui annulait son engagement avec Fénelon. Mais ce dernier n'était pas homme à se décourager ; il engage l'affaire devant le parlement de Dijon, qui, le 19 décembre 1765, lui donne gain de cause. La décision avait été prise sur les conclusions de M. Guyton de Morveaux, avocat général. Jobert fut condamné à payer le fermage de l'année qu'il avait perdue et à construire sa forge (2). Aujourd'hui, nous admirons volontiers, sans regarder en arrière et sans tenir compte des efforts oubliés des premiers industriels, ce magnifique ensemble du Creusot. Nous aimons à contempler, du haut de la montagne, ces nombreuses locomotives qui apportent sans peine, à chaque instant du jour, une quantité immense de charbon et de minerai, matières premières qui sortent des ateliers quelques semaines après en admirables machines pour prendre leur vol aux quatre coins du monde. Grâce à la vapeur, les distances ont disparu, les transports se font facilement, et les moteurs les plus puissants sont mis au service de l'industrie. Mais, à cette époque, la force de la vapeur n'était pas encore appliquée aux machines. On n'avait que trois moyens pour produire le mouvement : le vent, les animaux ou les cours d'eau. Le premier n'était ni assez fort, ni assez régulier pour travailler le fer : le second servait au transport, mais était trop dispendieux pour obtenir

 

(1) Vieux château sur la paroisse d'Ecuisse, pré ; de l'étang de Longpendu.

(2) Acte de vente de Mesvrin au roi, 1785. (Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-CCL-XXIII, liasse VI.)

 

une force de quatre-vingts et plus tard de cinq à six cents chevaux ; le troisième, le seul praticable, était insuffisant une partie de l'année. L'été, l'eau arrivait en si peu d'abondance, que sa chute ne pouvait mouvoir ni les soufflets ni les marteaux. Les ouvriers quittaient alors l'usine et s'occupaient de culture. Les foins, les moissons des terres de Mesvrin étaient coupés et rentrés par eux. Ce qui entravait au commencement du moins le progrès des forges de Mesvrin, c'est qu'il n'y avait pas sur les lieux même de hauts fourneaux pour obtenir la fonte. Elle venait du fourneau du Montet, commune de Palinges. Le maître de forges, M. Jobert, possédait cette fonderie à titre de bail pour six années seulement, elle était éloignée de Mesvrin de cinq à six lieues (1). Le transport était onéreux. Le bail expirait en l'année 1772 et les nouvelles conditions devaient être plus dures encore. L'abbé de Fénelon et M. Jobert résolurent de se passer des produits étrangers, en établissant un fourneau qui serait leur propriété. D'accord sur ce point, ils se divisèrent sur le choix de l'emplacement. Le maître de forges, aveuglé par un intérêt personnel, veut un fourneau n'appartenant pas à l'abbé de Fénelon, afin d'être plus indépendant. Il craint que le prieur de Saint-Sernin ou au moins ses successeurs, ne s'emparent du monopole des fontes. Il demande donc que le fourneau soit élevé à Champitot, propriété de la comtesse de Saint-Fargeau (2). Il en donne pour raison que cet endroit est situé au milieu des plus belles forêts de la contrée et que les bois du roi n'auront qu'à y gagner. Ce maître de forge était adroit, malheureusement ses vues étaient étroites et bornées,

 

(1) Mémoire dit sieur Jobert. (Archives du château de, Montjeu, 5° boite, XVI- liasse, cote 12.)

(2) Epouse de Louis-Michel le Pelletier Saint-Fargeau, président à mortier, au parlement de Paris, possesseur de la terre de Montjeu, poignardé par Paris, 1793.

 

Fénelon demandait l'établissement du nouveau fourneau à Bouvier, sur l'étang neuf, dans une de ses propriétés ; et, de son côté, il donnait pour unique raison de son choix, que ce lieu était plus rapproché des mines de houilles de Montcenis. Il prévoyait que bientôt ce produit remplacerait le charbon de bois ; ce que niait son maître de forge. " Toutes mes expériences, disait M. Jobert, en ont montré l'impossibilité. Le croire encore est une illusion. " Le maître de forges ne néglige aucune démarche pour avoir raison de M. de Fénelon. Il écrit d'abord, à Mme de Saint-Fargeau, une lettre en forme de mémoire ainsi conçue : " Le sieur Jobert a assené de M. de Fénelon, prieur de Saint-Sernin, il y a cinq années, l'étang de Mesvrin, où il a fait reconstruire une forge, dont à peine il ne restait aucun vestiges depuis plus de cent années ; il prit en même temps, à titre de bail, le fourneau du Montet, pendant six années, qui est éloigné de sa forge de cinq à six lieues, pour faire sa fourniture de fonte 'pour la dite forge. Comme il n'a plus qu'environ une jouissance de dix-huit mois et que son intention était toujours par la suite de choisir une place plus à portée, qu'il lui en a même été offert plusieurs, il fut déterminé à donner la préférence, à celle que le hasard lui a fait découvrir, au-dessous de l'étang de Champitot, où l'on voit encore les anciens vestiges d'un fourneau qui y a été construit, dont il y reste encore les anciens murs de la tour du fourneau, qui, selon toute apparence, devait subsister lors de la forge de Mesvrin ; il a choisi par préférence cette place à d'autres pour faire son établissement, si madame était dans l'intention de vouloir la lui céder et assencer, ne lui étant d'aucune utilité, ni valeur, le sieur Jobert y trouverait son avantage, par les frais qui deviendraient bien moins coûteux et difficiles pour obtenir au conseil la permission d'une reconstruction que pour un établissement nouveau que madame serait priée de solliciter en son nom. -premier motif :

 

 

« 2° Madame jouit d'une quantité considérable de bois dans les environs, dont ceux propres aux charbonnages sont d'un modique prix, faute de débit. La corde de quatre pieds d'auteur, huit pieds de couche, ne valait dans tout le pays, et à deux on trois lieues à la ronde, que sept ou huit livres, déduction faite des frais de coupage, il est assuré et certain que les bois dans cette partie doubleraient et plus, et acquerrait la même valeur que dans les pays où sont établies les forges et fourneaux.

« 3° Sa Majesté jouit annuellement de deux ou trois cents arpents de bois, dans les forêts dépendant d'Autun, qui n'est éloigné que d'une ou deux lieues du dit emplacement, qui, par conséquent,

en tirerait également un avantage considérable par le débit que cet emplacement lui procurerait. La corde de charbonnette n'y étant également vendue que sur le pied de dix livres, déduction faite comme dessus des frais de coupages.

« 4° Le droit de marque des fontes qui se perçoit par chaque mille produirait au roi un revenu annuel de plus de trois mille livres.

« 5° Tous les seigneurs voisins qui ont des bois considérables et quantité d'autres particuliers, toute cette partie de terrain étant en bois, jouiront du même avantage.

« 6° Les communautés de Champitot, Antully, Saint-Emiland et autres, y trouveraient toute l'année un travail assuré qui leur aiderait à vivre et substanter leur famille, soit en voiturant les mines et charbons ou. en coupant aux bois, étant de connaissance certaine que la circulation. considérable d'argent qu'occasionne les forges et fourneaux dans l'endroit de leur établissement y est d'une grande utilité, outre avantage que madame trouverait dans la vente de ses bois, qui en est un considérable. Le sieur Jobert lui en offre encore un nouveau, dans les revenus dont elle jouit à Champitot, lui offrant une augmentation d'un tiers de prix, en les prenant à titre de cens, des baux actuels, non compris tous les bois qui lui demeureraient toujours réservés, même quantité de places déjà en nature de bois, dont elle tirerait par la suite un revenu considérable en les laissant croître en taillis, qui se couperait tous les vingt ou vingt-cinq ans, tandis que l'on est obligé de les attendre à l'âge de soixante ou quatre-vingts ans, pour s'en procurer la vente dans le moment actuel. " Il est encore à considérer que, les parties des bois du roi qui se consomme en partie pour la ville d'Autun, ayant un autre débouché, ceux du pare de Montjeu et des environs jouirait d'une augmentation, les bâtisses et constructions du fourneau étant un article coûteux et dispendieux, serait toujours une hypothèque bien solide et assureraient leurs cens. " Le sieur Jobert supplie madame de vouloir bien prendre le dit mémoire en communication et lui faire-part de ses réflexions et intentions pour pouvoir régler les siennes en conséquence (1). " Quelque temps après, le gouvernement lui-même fut appelé à rendre sur cette question un arrêt définitif. M. Jobert avait envoyé, au président du conseil d'État, une supplique conçue en ces termes :

«  A Monseigneur. " Supplie humblement vivant Jobert, maure de forge et propriétaire de la forge de Mesvrin, paroisse de Saint-Sernin du Bois, et dit que depuis environ sept années, il acensa de M. l'abbé de Fénelon, prieur dudit Saint-Sernin et, en cette qualité, seigneur de la dite seigneurie et autres lieux, un étang appelé l'Etang de Mesvrin et un petit terrain au-dessous, sur lequel le suppliant a fait bâtir une maison bourgeoise et construire une forge pour l'usage et l'entretien du travail de cette forge ; le suppliant a fait différents marchés avec le propriétaire du fourneau du Montet, situé à six lieues de la dite forge. Ces marchés expirent, et malgré les frais

 

(1) Archives de Montjeu. (5e boite, XVI, liasse, côte, 12.)

 

considérables qu'occasionne pour la traite des fontes la distance du fourneau du Montet, les mauvais chemins qu'il faut tenir, la rareté des voitures, dans un pays où l'on attelle que des bœufs, le propriétaire de ce fourneau propose aujourd'hui des conditions si dures, qu'il est impossible au suppliant, à moins d'une perte évidente, de faire de nouveaux marchés avec ce propriétaire.

" Dans ces circonstances, le suppliant qui sent toute l'utilité du commerce des fers, l'avantage qu'il en résulte pour les propriétaires des bois qui avoisinent les forges et notamment pour les bois de Sa Majesté, dont l'exploitation ne peut se faire à défaut du débit, a fait toutes les perquisitions nécessaires pour découvrir un endroit propre à la construction d'un fourneau et a découvert dans la seigneurie de Champitôt, appartenant à Mme la comtesse de Saint-Fargeau, les vestiges d'un ancien fourneau au-dessous de l'étang de la tour du dit lieu, et située à environ demie lieu de la forge du suppliant. " Mme, la comtesse de Saint-Fargeau informée des desseins du suppliant et s'étant fait rendre compte du profit qu'en tireraient les propriétaires des bois voisins par les ventes suivies des cantons qui environnent l'emplacement de cet ancien fourneau, des secours qu'un pareil établissement procurerait à ses habitants et à ceux des seigneuries limitrophes par le travail que demande la fouille des mines de fer, qui sont plus à la proximité (1) de cet emplacement que de celui projeté par M. de Fénelon, indépendamment de celles qui se trouveraient sur le lieu même ainsi que l'on en tirait en 16% enfin, flattée de pouvoir contribuer au bien publie, cette dame a présenté requête au conseil, aux fins d'obtenir l'agrément et la permission de réédifier l'ancien fourneau, dont les auteurs ont joui anciennement suivant qu'il paraît, par le marché fait, le 15 juillet 1653, entre le seigneur de Montjeu et de Champitôt, et le sieur Chirat, maître de forge.

 

(1) Probablement les mines de fer d'Antully.

 

«  Des vues si utiles de la part du suppliant ont déterminé Mme la comtesse de Saint-Fargeau à le traiter favorablement, au cas que la requête qu'elle a présentée au conseil ait l'issue que l'on peut s'en promettre ; mais le suppliant vient d'apprendre que M. de Fénelon, prieur de Saint-Sernin du Bois, de qui il tient sa forge par acensement, faisait des mouvements pour obtenir la permission de construire un fourneau au-dessous de l'étang de Bouvier qui lui appartient, et sous prétexte que c'est pour l'usage et l'utilité de sa, forge et à sa proximité. " La forge de M. de Fénelon est aliénée au profit du suppliant, qui la fait valoir depuis environ sept ans, ce n'est donc plus la forge de M. de Fénelon ; mais elle pourrait bientôt lui appartenir par un déguerpissent forcé, s'il lui plaisait de mettre un tau extraordinaire aux fontes, que le suppliant se trouverait contraint de prendre à son fourneau. Alors le suppliant ne pouvant plus faire valoir sa forge se verrait obligé d'abandonner, il serait frustré du fruit de ses travaux, et M. de Fénelon serait le maître de la forge et du fourneau. " Ce n'est pas que le suppliant soupçonne que M. de Fénelon veuille exercer un pareil monopole, mais il peut être remplacé par un successeur moins généreux que lui, et s'il plaisait au conseil de lui accorder la permission de construire un fourneau, ce serait donner au moins à ceux qui lui succéderont la faculté de traiter en tyran un censitaire de bonne foi, dont les efforts jusqu'à présent n'ont tendu qu'à faire renaître dans le pays, où il a construit sa forge, un commerce négligé depuis plus d'un siècle. " C'est une illusion de croire avec M. de Fénelon, que le charbon de pierre soit propre à la fusion des mines de fer, le suppliant a devers lui l'expérience contraire, niais quand ce charbon y serait propre, ce qui n'est pas, le fourneau de la tour de Champitot en ferait débiter autant que le fourneau que M. de Fénelon voudrait construire, au-dessous de son étang de Bouvier. " Mme, la comtesse de Saint-Fargeau n'a pas le même intérêt que M. de Fénelon, cette dame n'a aucun droit sur la forge du suppliant, et la construction, objet de sa requête, ne fait qu'assurer le commerce que le suppliant a établi à grands frais c'est pourquoi il recourt à ce qu'il plaise à Votre Grandeur, appuyer la requête de M-P la comtesse de Saint-Fargeau, dont le but est l'intérêt de l'État, le profit de Sa Majesté, l'utilité du commerce et le bien d'un grand nombre de particuliers, à quoi inclinant, Monseigneur vous ferez justice (1). " Rien ne manque, on le voit, à cette requête, adresse, prudence, intérêt du roi, intérêt du pays. Puis tout en soulevant discrètement la crainte de l'envahissement des Prieurs de Saint-Sernin, il sait donner en passant un éloge personnel à l'abbé de Fénelon. Cette question tenait en peine M. Jobert. Il écrit à Mme de Saint-Fargeau, et cherche à piquer sa vanité

«  Madame,

«  Je crois devoir vous donner avis que M. l'abbé de Fénelon sollicite sa permission avec toute l'ardeur possible et s'appuie principalement sur ce que vous demandés la permission pour la construction pour vous-même et qu'il doit avoir la préférence, etc. (2).

«  Le conseil fat longtemps à se décider pour l'un ou pour l'autre parti, et ce retard mettait sur les dents notre maître de forge, qui voulait cacher son projet au publie, pour faire ses achats de bois à meilleure condition. Il s'en ouvre à l'intendant de la comtesse : " Je vous réitère qu'il y a quantité de bois que l'on me propose à acheter dans ce pays. J'entretiens les gens et ne peux rien

 

(1) Archives du château de Montjeu.

(2) Archives de Montjeu.

 

 

St Sernin du Bois. Forges de Mesvrin, Plan cadastral

 

 

Vue de Mesvrin en 1881

 

finir. Je vous dirai même qu'il y a des paysans qui m'ont dit que l'on disait que je voulais faire relever le fourneau de Champitôt ; cela transpirant, il ne sera plus moyen de nous arranger avec ces gens-là. " Mais les intérêts de l'intendant de Montjeu n'étaient pas précisément ceux du maître des forges. Celui-ci devait acheter les bois et celui-là les vendre. C'est pourquoi si l'un avait hâte de conclure au plutôt la construction d'un nouveau fourneau pour acheter les bois à meilleur compte, l'autre, au contraire, cherchait à laisser transpirer ce projet ou même à laisser naître une concurrence pour donner aux forêts de Montjeu plus de valeur. Aussi, chaque mois de l'aimée 1771, l'intendant de Montjeu reçoit une lettre, de Mesvrin ou d'Estain, plus pressante que la précédente. Le 17 septembre 1770, M. Jobert lui écrivait :

" Estain.

«Je suis dans l'attente, mon cher monsieur, de recevoir de vos nouvelles au sujet de notre affaire, comme je l'ai très à coeur, je vous prie de ne me pas perdre de vue et me faire-part de vos réflexions (1). "

A Mesvrin, le 10 janvier 1771.

 

« Monsieur,

« Je suis sans réponse de votre part pour notre affaire, où en est-elle, pouvons-nous compter sur quelque chose, je ne prévois pas ce qui peut arrêter. Je dois aller à Paris vers la fin du mois, quel rôle dois-je jouer, faites-moi donc le plaisir de me marquer par cet exprès où le tout en est, j'ai les bras liés par bois, mines et autres choses ; mettez donc l'affaire au point ou je puis voir

 

(1) Archives du château de Montjeu

 

Mme de Cinforgeot à Paris et qu'elle puisse être décidée à quelque chose. Enfin cela me presse, parce que si je ne réussi pas d'un côté, je me retournerai d'un autre. Je compte repartir dès samedi ou dimanche au plus tard, ne voulant pas me laisser prendre par les neiges. " Je suis, etc.

«  Jobert D'ESTAIN. »

 

A son retour de Paris, il s'empresse de donner à M. l'intendant des nouvelles de son entrevue avec le seigneur de Montjeu.

« Monsieur,

« M. de Chamforgeot m'a reçu très poliment et c'est fort ouvert à moi sur toute notre affaire. Il est fort fâché des entraves qui se trouvent dans cette circonstance. Son avis serait que j'en parla à M. l'abbé de Fénelon ; s'il pouvait trouver moyen de concilier ces gens-là, que se serait une occasion où il lui en témoignerait sa reconnaissance. Enfin il m'a dit qu'il ne trouverait aucun inconvénient que je réagis sous main, qu'il laissait à ma prudence d'agir comme je jugerais à propos, puisque cette affaire nous était utile à tous les deux ; je ne ferai cependant rien que je n'ai reçu une réponse de vous. Ce que j'attendrai demain, vous pouvez m'envoyer un de vos gardes.

«  Je suis, etc.

«  Jobert D'ESTAIN "

«  A Mesvrin, le 4 mars 1771

« Monsieur,

« Faites-moi donc le plaisir de me marquer ou en sont vos affaires avec vos gens, faites donc juger si vous ne pouvez faire autrement, j'aimerais mieux donner quelques louis de plus. Mme de Cinforgeot en est consentante, finissez à quelque prix que ce soit avec ces gens-là ; j'aurais eu le plaisir de vous aller voir si je n'était pas obligés de partir sur le champ pour Charolles pour une affaire qui m'est survenu. Je ferai mon possible pour cela à mon retour. J'ai l'honneur d'être, etc.

« Jobert d'ESTAIN.

« A Mesvrin, ce samedi soir.

 

« Je vous envoie, monsieur, cet exprès pour avoir réponse à la lettre que j'ai eue l'honneur de vous écrire. J'ai éludé de voir M. le prieure avant d'avoir de vos nouvelles, j'ai chargé l'exprès de m'apporter la réponse avant les sept heures du matin ; demain, devant allez chez M. de Corberon, je serais sûrement après-demain, de retour de chez lui et compte tout de suite repartir pour Estain et Dijon. " Je suis, etc.

Jobert D'ESTAIN.

« A Estain, le 4 avril 1771.

 

« Monsieur,

«  Je souhaite que toutes nos affaires aillent à votre satisfaction et que nous puissions avoir une fin. M. l'abbé a écrit à M" Cinforgeot pour avoir de la charité pour cette femme ou fille, je ne sais lequel des deux; en votre place, je m'arrangerais avec cette créature. Ce qui fera que notre affaire traînera toujours en longueur. L'on m'offre la Marolle, le bois des Miolets, une autre canton contre Epiry, ceux de M. l'abbé, enfin de tout côté ; j'ai les bras liés; je serais bien charmé de vous posséder ici, je serai pour tout le mois et ne compte partir pour Mesvrin qu'aux environ du 27 du courant. " J'ai l'honneur d'être, etc.

« Jobert D'ESTAIN.

« A Mesvrin, le 9 mai 1771.

« Monsieur,

« Au nom de Dieu et de la bienheureuse vierge Marie, toujours vierge et pucelle, finissez donc notre affaire, à, quoi diable vous tenez vous avec tous ces gens-là, donnés moi donc un jour ou nous puissions nous voir, soit à Autun ou ici, vous venez à l'Estamp de Champitot, d'ici à dimanche, venez donc un jour faire pénitence avec moi, ou j'irai vous voir le jour que vous donnerez ; Landrot, M. de Pragny et d'autres me pressent. J'élude tant que je peut mes arrangements pour mes mines d'un autre côté. Je ne puis tout vous dire, je n'aurais pas assez de papier. " Je suis, avec une parfaite considération, etc.

« Jobert D'ESTAIN. 

« Je dois aussi vous donner un effet sur Paris. "Les affaires, comme on le voit, traînaient en longueur. Le maître de forges commence à douter de la bonne volonté et des bonnes intentions de son correspondant. Il le lui exprime cependant avec une délicatesse exquise.

 

« A Mesvrin, le 30 juin 1771"

« J'apprends une nouvelle qui va peut-être rendre notre affaire difficile, que le retard nous aura occasionné, M. de Chaly fils vient de s'arranger avec son père pour la forge des Beaumes, et qui va tout mettre en œuvre pour la rétablir, et pourrait bien s'opposer à notre reconstruction. Je sais qu'il y aura de bonnes raisons, le cas échéant, à lui opposer ; mais c'est toujours une entrave que nous aurions évité. Son fourneau est pour ainsi dire dans le même cas, y ayant plus de vingt années qu'il n'a rien fait, ne le laissons donc pas commencer avant nous et mettons nous dans le cas de lui faire cette objection, je vous avoue que si je n'étais pas aussi persuadé que je le suis de vos sentiments épurés et désintéressés, tout autre croirait que ce serait l'intérêt qui vous guiderait et le manque d'assurance qui vous ralentirait dans cette affaire, mais je vous rends trop de justice pour cela et je crois même que vous me la rendez aussi, mais de grâce, n'avez donc pas ainsi un zèle trop forcé pour les intérêts de Mme de Saint-Forgeot et soyez sure que c'est en manquer dans cette occasion, de ne pas sacrifier quelques louis à un événement long et incertain. M- de Saint-Forgeot y est consentante, parlez-en à AI. de Saint-Forgeot, faites lui valoir le tout, pour et contre, et mettez une fin à cette affaire, j'attend de vos nouvelles à Estain, je serai peut-être obligé d'aller à Paris ce mois ci, mettez-moi donc en mesure d'y commencer cette affaire, vous agirez sur les lieux et moi à Paris.

 Je suis, etc.

« Jobert D'ESTAIN. 

Mon adresse, à Monbart en Bourgogne.

 

Le 30 juillet

« J'ai vu, ce matin, Mme de Saint-Fargeau, et lui ait parlé de notre affaire, elle désirerait, comme moi, qu'elle finisse. " Cette construction de fourneau touchait à l'intérêt d'un tiers, ce qui entravait toute décision. Cet embarras était probablement une résiliation de bail ou même une expropriation de pauvres gens pour lesquels on ne voulait pas se montrer injuste. M. Jobert écrit à l'intendant à la fin de cette année.

« A Mesvrin, le 14 septembre 1771.

« Monsieur,

« Comme je n'ai pas reçu de vos nouvelles, j'avais déjà prévenu M. l'abbé, il écrit une grande lettre à M. de Saint-Forgeot, lui fait part de ses projets qui, dans le fond, sont peu de choses et lui marque qu'il désirerait avoir l'honneur de le voir. M. de Saint-Fargeot ne peut s'empêcher de lui marquer sa réponse qu'il serait charmé de le voir, tout cela ne tient qu'à cela, pour lors il lui parlerait de cette affaire, il m'a promis de faire tout ce qui dépendrait de lui pour l'arranger ; je fais part de tout à M. le comte de Saint-Forgeot

L'abbé est réellement zélé pour moi, mettons-le à même de faire ce qu'il pourra pour m'obliger, vous ne me dites rien de votre santé, j'ai lieu de croire que cela va mieux ; j'envoie un exprès ce matin à M. de Saint-Forgeot pour porter mes lettres, je crois qu'il ne peut se dispenser de répondre à M. l'abbé.

" J'ai l'honneur, etc.

Jobert D'ESTAIN.

L'abbé de Fénelon dont nous ne connaissons pas les démarches pour obtenir son fourneau à Bouvier semblait s'être rendu à l'avis de son maître de forges. M. Jobert le croyait du moins, et il l'employait pour lever les obstacles de détail qui retardaient la construction de son fourneau à Champitôt. Les entraves et les ajournements de l'intendant du marquisat de Montjeu furent funestes aux projets du maître des forges. Le gouvernement accorda la permission de construire un fourneau, mais d'après les idées de M. l'abbé de Fénelon, non pas à Champitôt, dans les bois de Mme de Saint-Fargeot, mais à Bouvier, domaine du prieuré de Saint-Sernin du Bois. Cette construction fut achevée en 1774 et fut solennel-lement bénite le 4 avril de l'année suivante (1). Ce fourneau était entretenu par les mines de Saint-Sernin, qui venaient de la Grande-Noire (2). Elles descendaient sur des

 

(1) Registres de la paroisse, note de, M Dumont. (Archives de la commune.)

(2) Cette Grande-Pâture était le bois vendu par Sauvageot et défriché par l'abbé de Fénelon. En 1785, on y voyait encore six mauvaises baraques de bois.

 

voitures à bœufs ou à dos de mulets jusqu'au village des Morlots. Arrivées là, sur la rivière, elles étaient lavées avec soin et débarrassées de toutes les pierres étrangères, puis elles reprenaient le chemin de Bouvier. Ces mines étaient pauvres et coûteuses. Ce sont celles de Chalancey qui servirent dans la suite (1) - Ce fourneau était appelé aussi forge de Bouvier, parce qu'il reçut plus tard un marteau mécanique (2). Cette nouvelle création put livrer bientôt, aux forges de Mesvrin, de la fonte de première qualité, avec un avantage très appréciable sur le prix de l'achat et surtout sur le transport qui va désormais être court et facile. M. Jobert ne profita pas de ces améliorations. Bientôt le bruit se répandit partout qu'il était ruiné. M. de Lagoutte, maître des eaux et forêts, se faisant l'écho des rumeurs publiques, annonçait à Mme, d'Aligre (3) : " qu'il avait appris, il y avait quelques jours, que la chaussée de l'étang Longpendu était rompue et que les eaux de cet étang ont causé des dégâts considérables, et que M. Jobert s'en trouvait ruiné (4). " La ruine était complète, et sa forge de Mesvrin fut vendue judiciairement par ses créanciers, le 13 avril 1774, chez Potier, notaire à Semur en Auxois (5). Les domaines se composaient : 1° de l'étang de Mesvrin, qui était loué, par l'abbé de Fénelon, 400 livres de cens ; 2° des bâtiments, jardin, chènevière, prés, terres labourables, que M. Jobert avait acheté des Dessertennes, en 1766, pour compléter son exploi-

 

(1) Souvenirs d'anciens ouvriers et traditions du pays.

(2) Petites affiches de Paris, n° 871, du 23 floréal an X.

(3) Arrière-grand-mère des Le Pelletier de Saint-Fargeau. Michel-Etienne Le Pelletier, ayant épousé en première noce Louise-Suzanne Le Pelletier de Beaupré, en eut un fils Louis-Michel, seigneur de Montjeu, époux Joly de Fleury, et assassiné par Paris en 1793. De ses deuxièmes noces avec Louise-Adélaïde Randon, il eut cinq enfants.

(4) Voir, au château de Montjeu, la liasse qui a pour titre : Réunion, des deux maires

(5) Aujourd'hui étude de Me Arbey.

 

tation ; 3° de toutes les constructions et améliorations qu'il avait introduites, en transformant le foulon en forges. Ces deux derniers articles ensemble furent estimés à 7,000 francs, Il y avait aussi quelques instruments comme : deux soufflets tous montés, la chaufferie, douze pièces tant fontes que plaques sur place, un marteau avec une enclume tout monté et prêt à travailler, deux curasses (1) de relais avec un tourillon, une grande plaque servant à mettre devant la chaufferie, elle se trouve enterrée au-devant de la grande porte d'entrée de la forge, un marteau de fonte et un autre de fer démonté, une enclume de relais, un gros ringard pour avancer les gueuses, un dévireur et un crochet pour les tirer, les renards, le tout estimé 700 francs. M. Jobert pouvait aussi compter à son acquit une convention faite avec M. de Sarode de Mussy ; convention qui faisait disparaître entre eux toute concurrence pour l'achat des bois nécessaires à la forge et à la verrerie. Le 16 décembre 1766, ils avaient fait société en vertu de laquelle tous les marchés de bois qu'ils feraient l'un et l'autre en dehors de la coupe de l'abbaye de Maizières devaient être communs entre eux. M. Jobert avait plusieurs créanciers. Il devait à M. Pierre Bretonnier, préposé au grenier à sel d'Autun, la somme de 569 livres 11 sols 6 deniers, capital et intérêts ; à M. Joffroy de Salière, bourgeois à Autun, 271 livres 4 sols ; à Jean Dessertenne, dit Farine, manœuvre à Mesvrin, 136 livres 8 sols ; aux autres Dessertenne 74 à livres 16 sols ; enfin, à M. l'abbé de Fénelon, pour arrérage, réparations, dommage, etc., la somme de 300 livres. Occupé de ses grands travaux de canalisation, M. Jobert avait négligé sa forge, il y avait deux ans qu'il ne payait plus M. l'abbé de Fénelon. Les dépenses utiles, nécesssaires même à l'installation n'avaient pas été terminées. Les forgerons n'avaient ni maison,

 

(1) On appelle curasse un bassin en fonte, où coulait, on sortant du fourneau, le fer en fusion avant d'être envoyé dans les moules de sable.

 

ni écurie, ni magasin, ni même de terrain pour en construire à portée convenable. Une ferme à proximité aurait été nécessaire pour y nourrir les bestiaux servant à l'exploitation. La vente était ouverte et aucun acquéreur ne se présentait, vu le mauvais état de ces forges. Le notaire dit dans son acte : " L'abbé de Fénelon voit avec peine qu'il ne se présente personne pour enchérir les fonds présentement mis en vente ; que ces fonds forment non seulement l'hypothèque spéciale, mais l'unique. p sûreté du dit seigneur abbé, que la forge dépérit journellement et que pour peu. qu'elle reste encore abandonnée, elle va tomber entièrement en ruines. Par ces considérations, le dit seigneur abbé étant le plus intéressé à tirer parti des dits fonds et à mettre promptement l'atelier en activité pour en empêcher l'entier dépérissement, s'est décidé à enchérir lui-même les dits fonds pour lui, ses héritiers et, ayant cause, même pour ses amis élus et à élire dans l'année. En conséquence, il a apprécié les objets mis en vente à sept mille sept cents livres. " Et après avoir attendu jusqu'à l'heure de huit sonnée, sans qu'il se soit présenté aucun enchérisseur, pour sur-dire la dite enchère, les dits sieurs directeurs de la faillite Jobert ne pouvant dissimuler la vérité des observations faites par le dit sieur abbé de Fénelon sur l'impossibilité résultant de l'état des lieux de trouver acquéreur pour un effet de l'espèce de celui dont il s'agit et sur la perte notable que ne pourrait manquer d'entraîner un plus long abandon de l'usine qui dépérit journellement, ont déclaré qu'ils estiment en leur honneur et conscience qu'il est de l'intérêt de la direction d'accepter les offres du seigneur abbé de Fénelon. "En conséquence les directeurs ont, par ces présentes, fait délivrance tranchée en leur dite qualité et ont abandonné au dit seigneur abbé de Fénelon ladite forge et toutes ses dépendances. " L'abbé de Fénelon, maître de forges, s'appliqua avec intelligence à cette nouvelle charge. Il s'occupa des trois grandes questions sur lesquelles reposait l'usine - les combustibles, les moteurs et les transports. Pour fournir au fourneau de Bouvier des charbons nécessaires, il acheta, le 3 octobre 1774, un bois fond et superficie, à Jean-Louis Sauvageot, propriétaire, pressé par de nombreux créanciers, acquisition qu'il paya 12,000 livres (1). Pour aménager plus régulièrement l'eau à sa forge, il amodia pour deux ans, des seigneurs de Montjeu, l'étang de Champitôt, dont les eaux tombent naturellement à Mesvrin, à la distance de 5 à 6 kilomètres. Puis il commença à creuser un large fossé, pour détourner le torrent de Saint-Sernin, et le diriger dans l'étang de Mesvrin. Le trajet n'était pas long, mais le travail était difficile. Les eaux du torrent se déversaient dans la rivière, à peine à 500 ou 600 mètres au-dessous de la levée de l'étang, mais elles étaient séparées par une croupe de montagne assez prononcée. Il fallait la franchir ou la tourner; de plus, la différence des niveaux était énorme. Fénelon n'eut pas le temps de terminer ce travail, il le laissa à la société qui le remplaça et qui négligea, mal à propos, ce projet. Enfin, l'abbé de Fénelon s'assura des transports et des débouchés. Il faisait conduire ses fers à Chalon-sur-Saône où il avait un entrepôt ; M. Degros en était chargé. Un traité assurait, à ce marchand de fer, 6 livres sur chaque millier de fer qu'il vendait au compte de M. l'abbé de Fénelon (2). Il y avait près de deux ans que Fénelon exploitait sa forge de Mesvrin et son fourneau de Bouvier, lorsqu'il trouva, le 26 avril 1776, un acquéreur en M. Jacques-Nicolas Roethier de la Tour, ancien échevin de Paris, demeurant tantôt rue Chopin et tantôt

 

(1) Chez Lambert, notaire à Autun, aujourd'hui en l'étude de Me De. montmerot.

Note. - Il fallait à pou près 14 mètres cubes. de charbon de bois pour une tonne de fer fini. 1 hectare de bois ne donne en moyenne qu'un 1/2 mètre cube de charbon. Donc, pour produire une tonne de 2,000 livres de fer fini, on, doit compter sur 28 hectares de bois en moyenne.

(2) Acte passé le 26 avril 1776. (Etude de Me Jarlot, à Autun.)

 

place du Carrouselle, paroisse de Saint-Germain l'Auxerrois. Le tout lui fut cédé, dépendances et matériel, au prix de 105,512 livres, plus 20,000 livres données tout de suite et 8,000 livres de rentes viagères à l'abbé de Fénelon. Cette rente, estimée en capital à80,000 livres, faisait sortir la vente réelle à la somme de 205,512 livres. L'établissement était prospère. Le fourneau de Bouvier était assorti d'une paire de soufflets, outils, ustensiles, bâtiments adjacents, halle à charbon et boccards (1). La forge était montée de deux feux, de marteau, enclume, tacque, deux paires de soufflets, outils, ustensiles, etc.

Il y avait vingt-sept chevaux avec leurs harnais, sacs, servant au transport des charbons aux usines, huit chevaux de trait, harnais, chariots, tombereaux, bannes et autres ustensiles servant au transport des fers et autres matières destinées aux forges et fourneaux ou en provenant. M. Roethier reçut aussi les fontes, les gueuses, platines, tacques, fers en barres, fers ouvrés et non ouvrés, etc., etc., toutes les mines extraites lavées ou non lavées, tant sur les hordons des minières que dans les forges; tous les charbons, tant dans les halles qu'aux forêts; tous les bois, tant sur pied qu'en cordes et toutes les charbonnettes au nombre d'environ quatre mille cinq cents cordes. Il reprend aussi à son compte tous les traités et les marchés faits par M. l'abbé de Fénelon, avec les ouvriers, mineurs, charbonniers voituriers, fournisseurs, etc,

M. l'abbé de Fénelon se réserve seulement le droit de pêcher dans son étang de Mesvrin, avec filet ou tout autre engin, sans cependant pouvoir faire écouler l'eau ni en déranger le cours ; te droit de, pêche cessa plus tard, en 1785.

 

(1) Machine au moyen de laquelle on écrase la mine avant que de la fondre.

 

Au milieu de tous ces détails de l'industrie, Fénelon n'oublie ni Dieu ni les âmes. C'était son devoir. La clause est ainsi conçue : " Dans le cas où le nombre des paroissiens augmente de manière que le sieur curé de la paroisse soit dans le cas de demander un ou plusieurs vicaires, leur logement et rétribution seront totalement à la charge du sieur Roethier, ou ayant droit et cause ; ainsi que les vases sacrés, livres et ornements de manière que les prieurs ne soient jamais inquiétés, sinon les indemniseront. Le sieur Roethier donnera incessamment, pour belles mains, à l'église de Saint-Sernin, un ciboire et un encensoir d'argent et d'autres objets encore pour son bail à cens "; objets qui ne furent jamais donnés et auxquels Fénelon a été obligé de renoncer en 1785, au jour de la liquidation. " L'abbé de Fénelon, dit le notaire, renonce à pouvoir exiger le ciboire et l'encensoir d'argent, que le sieur Roethier devait donner à l'église Saint-Sernin du Bois, Il décharge les acquéreurs de l'obligation de fournir les vases sacrés, livres et ornements. Il renonce à pouvoir réclamer une grande lampe d'argent, et de belles burettes, et un beau plat d'argent, de la valeur de 1,500 à 2,000 livres, que ledit sieur Roethier de la Tour s'était obligé de fournir à l'église de Saint-Sernin, en 1776. " M. Roethier entra en jouissance le même jour ; il prie cependant M. l'abbé de Fénelon de vouloir bien conserver encore pendant quelques semaines la direction de ses forges en attendant l'arrivée de la personne de confiance qui en était chargée. Ce nouveau possesseur des forges de Mesvrin ne voulut pas s'exposer longtemps seul à, toutes les chances d'une entreprise aussi difficile. L'exemple de M. Jobert était pour lui un avertissement. C'était un vice capital, dans ces premiers essais, de n'avoir pas su intéresser par action plusieurs capitalistes qui auraient pu, à un moment critique, supporter quelques pertes sans exposer l'industrie à sombrer aux premiers revers. M. Jobert et l'abbé de Fénelon n'avaient pas fondé de société. Ils obtenaient les capitaux nécessaires de plusieurs manières. M. Jobert, comme nous l'avons vu, avait emprunté à quelques bourgeois "Autun certaines sommes relativement peu importantes. L'abbé de Fénelon usa aussi de cet expédient sur une plus grande échelle. Il avait emprunté à M. Degros, d'abord, 30,000 livres, puis 15,000 ; à M. Bonin, notaire à Perrecy, 12,000 livres (1) ; à M. Dézé, curé de Saint-Jean de Vaux, 7,000 livres ; et enfin, à M. Rey, curé de Saint-Firmin, 1,200 livres. Il dut aussi longtemps 1,272 livres à M. Delagoutte, receveur des décimes d'Autun. Il payait l'intérêt de ces sommes, soit par trimestre, soit par annuité. Il employa un autre moyen. Lorsqu'il avait à traiter pour une importante commande de fer, il se faisait payer immédiatement une partie ou la moitié du prix de la livraison, sauf à en fournir les intérêts à 4 pour 100. Il avait ainsi reçu du sieur Nérau la somme de 18,400 livres pour quatre cents milliers de fer qu'il devait lui fournir à raison de 110 livres le millier, et du sieur Regnault de Saint-Chaumont 6,040 livres pour cent milliers de fer à raison de 128 livres le millier. M. Roethier fonda une société ; il s'adjoignit d'abord Riolz, des Granges, Louis Happey, fournisseur du Roi, et Jolly. Mais cette première société se modifia rapidement, des Granges se retira et donna sa place à Raoulx ; Happey et Jolly constituent en leur lieu et place Jean-Claude Riel, secrétaire de Mgr de Bourgogne, demeurant à l'hôtel de Bourgogne, faubourg Saint-Martin, et J.B. Renard, avocat au parlement, demeurant rue Chopin. Puis vinrent encore se joindre à eux, M. François, demeurant à Paris, rue Meslée, MM. Mayer et l'abbé Gallois (2). Cette société avait su réunir en une seule exploitation les forges de Mesvrin, les mines de M. de la Chaize et les fonderies de Perrecy

 

(1) Etude de Me Brugnot, notaire au Creusot, 13 octobre 1774.

(2) Archives du château de Monjeu et procès, dont une grosse, écrite sur parchemin, fut retrouvée à Saint-Sernin.

 

qui leur avaient été vendues à la mort de M. Renault d'Irval, procureur de Perrecy. Cette heureuse association de mines, de fonderies et de forges, aurait dû assurer le succès de cette entreprise. Fénelon, loin de soupçonner les difficultés qui suivirent, devait être heureux de voir enfin s'ouvrir devant ses petites forges de Mesvrin une ère de prospérité certaine. Il pensa, du moins, qu'il allait être enfin exempt de toute inquiétude à cet endroit. Les sociétaires au commencement ne contribuèrent pas peu à entretenir ces illusions. Ils avaient conçu un vaste projet d'exportation. Il s'agissait de rendre navigable la petite rivière de Mesvrin, qui se jette dans l'Arroux, pour gagner la Loire. Ce fleuve immense offrirait un chemin aisé et prompt pour faire passer dans toutes les provinces de son parcours les charbons et les fers,. Pour cela, les sociétaires voulaient, disaient-ils, établir sur la petite rivière de Mesvrin deux écluses, par le moyen desquelles on ferait arriver à l'Arroux des batelets d'une construction commode que l'on chargerait à une lieue de la mine de Montcenis dont s'approche le Mesvrin (1). Ils avaient tant de confiance dans ce dessein, qu'ils se chargeaient de tout. Ils devaient construire les deux écluses, entretenir, réparer et curer la rivière, lever les berges et donner des indemnités pour les dommages qu'ils causeraient. De tout cela il n'en fut rien. Il n'y eut jamais ni écluses ni batelets. Au lieu de la prospérité attendue, le contraire ne tarda pas à arriver, La société géra les affaires sans intelligence et sans économie. Fénelon, déjà retiré à Paris, fut encore obligé de veiller sur ses forges, de s'inquiéter des voies d'exportation, de discuter avec les sociétaires les moyens d'assurer la vente et de leur susciter même quelques idées pour l'agrandissement de ce centre de

 

(1) Mémoire des associés, (Archives du château do Montjeu, .5e boîte, XVIe liasse, cote

 

travail. Il communique à M. de la Chaize toutes ses vues et tous ses projets. Le 4 juin 1779, il lui écrit : " J'ai reçu, monsieur, et lu avec, la plus grande attention la lettre en forme de mémoire instructif que vous avez eu la bonté de décrire, j'en ai fait un extrait, après quoi pour réunir la compagnie, qu'il est difficile de rassembler, je les ai tous invités à dîner, et malgré cette précaution je n'ai pu avoir que MM. Oppé, Riolz et Mayère, M. Renard étant en campagne et M. Mabille occupé avec M. l'intendant de Paris dont il est le subdélégué général. Ces messieurs sont convenus de la sagesse des observations de l'anonyme, et j'ai remarqué que dans l'article où il se faisait fort d'engager M. de la Chaize à contribuer à la construction des clouteries et au prorata de l'époque de leur terme, ces messieurs se sont comme réveillés et ont paru décidés à prendre ce parti pour acquérir la consommation locale, car ils sont maintenant pleinement convaincus que l'exportation avant la formation des canaux est trop dispendieuse pour y faire un certain bénéfice; je crois qu'ils vont donner des instructions relatives à cet objet à M. Roethier. Le principal obstacle sera la finance, car il me paraît que l'on n'est pas pécunieux et qu'à force de prodiguer l'argent l'on c'est mis dans la cruelle situation d'en manquer pour les choses nécessaires. " J'ai fort insister sur la nécessité de baisser le prix du charbon afin de rétablir la confiance et la consommation, mais je n'ai pas oï qu'on y fut porté. " Le 5 juillet suivant, il disait encore à M. de la Chaize : " La consommation locale est résolue, M. Renard m'accom-pagnera au mois de septembre à Saint-Sernin et après avoir vu les choses par lui même, je crois qu'on risquera encore, la dépense de faire une fonderie à Saint-Sernin et des clouteries tant à la mine qu'à Mesvrin. J'ai dit à M. Renard qu'il lie saurait mieux faire que de s'en rapporter à vous et à moi. Quand nous serons sur les lieux, nous combinerons toute chose afin d'en tirer le meilleur parti possible.

« Je pars pour Versailles, je verrai M. Robinet pour empêcher que le procès de. Roethier ne soit continué... On m'attend pour monter en voiture, je n'ai que le temps de vous assurer de mon parfait attachement.

« FÉNELON. »

 

Cette société n'agissait pas franchement avec M. de Fénelon. Chacun des associés se cachait de lui, et il ne savait que par hasard ou par des lettres anonymes les secrets de la compagnie. M. de Fénelon s'en plaint à M. de la Chaize, en ces termes : " Je sais très disposé, monsieur, à faire tout mon possible pour vous procurer les 3,000 francs que vous a escamotés M..., mais, pour y parvenir, il faut des pièces, car sur quoi fondé serais-je? Diriger une action contre lui, or la meilleure que vous puissiez vous procurer serait d'avoir une déclaration de M. Raoult, Riolz et Renard, comme quoi ils ont remboursé cette somme au susdit. Parlés-en à M. Raoult, qui vous a confié le secret dont vous me parlés, car M. Riolz m'a dit qu'il l'en avait chargé, et, de mon côté, j'en parlerai à MM. Riolz, et Renard, demain sans faute, ils auront peut-être quelque peine à donner cette déclaration, vu qu'elle serait une bonne preuve de leur acquisition, et qu'ils craignent les traitans. En effet, rien de ce qui se passe entre ces messieurs n'est publiez, je n'ai jamais pu parvenir à voir leur premier traité, et je n'espère pas qu'ils me communiquent le dernier avant le moment où ils feraient l'acquisition sur M. Roethier. " La mauvaise administration de M. Roethier, entre les mains duquel semble être confiée la direction des affaires, l'inquiète, et il écrit encore à M. de la Chaize : " Je pense qu'après l'époque du 5 septembre, nous acquérerons vous et moi une connaissance claire des affaires de ces messieurs de la Compagnie des mines et forges, si M. Roethier est alors en état d'acquitter, envers là Compagnie, les sommes considérables qu'il leur doit, je crois qu'ils prendront de meilleures mesures pour assurer le succès de leur entreprise, s'il n'est pas en état, je crois qu'ils montreront la corde et qu'ils abandonneront tout, je les crois fort débutés, et leur entend dire - je voudrais, pour 50,000 francs n'être jamais entré dans ceste affaire. Nous avons été trompés, la mine et la forge sont plus à charge qu'à profit, je ne les voit décidés sur rien, reculer lorsqu'il s'agit de faire quelque avance, enfin, j'en ai fort mauvaise opinion, mais comme vous l'observez très bien, nous n'y risquons pas grand-chose, vous et moi, cependant à vous parler vrai je serais fort fâché de reprendre ma forge, je ne suis plus d'âge à m'occuper d'un objet qui demande tant de détails et tant d'applications. Je me propose d'aller faire un tour de quinze jours à Saint-Sernin, vers le 15 septembre, c'est-à-dire lorsque j'aurai vu un peu clair dans les affaires de M. Roethier, je suis très sur, entre nous soit dit, que s'il ne se met pas en règle, il sera coffré le 6 septembre, alors il faudra qu'il chante. " Ailleurs il dit encore : " Ces messieurs attendent impatiemment le terme de répis de M. Roethier, qui arrivera le 3 septembre, et je crois qu'ils sont très résolus de ne lui faire aucune grâce. " La conduite imprudente de M. Renard, fils de l'un des actionnaires, inspire des craintes sérieuses à sa famille ainsi qu'aux actionnaires. Fénelon prend encore ici fait et cause en main, et écrit à M. de la Chaize : " Quant à M. Renard, les dépenses folles qu'il fait ne sont point aux frais de la Compagnie, on dit qu'il avait dépensé 1,500 francs que son père payerait, que jamais le dit père ne consentirait à son mariage avec la fille Guichard, et que selon les apparences, il allait le faire revenir, que sa conduite était entièrement opposée aux vues de la Compagnie, et qu'on ne l'y laisserait pas plus longtemps, et ils m'ont prié de permettre qu'à son retour le père vint m'entretenir et m'ont fort invité à l'engager à rappeler ce jeune homme. " Le 5 juillet, dans la même année, il commence une lettre ainsi

« Je vous prie en grâce, monsieur, de me faire le plaisir d'observer M. Renard; j'ai promis à son père, qui est un parfait honnête homme, de l'instruire s'il fréquente encore les Guichard, parce que le père est résolu de le retirer entièrement s'il ne rompt avec eux. Il lui a écrit une lettre terrible, et m'a protesté que s'il ne se corrigeait pas, il le ferait renfermer à Saint-Lazare. Je l'ai fait avertir à M. Jondot, s'il méprise cet avis et qu'il continue son même train, il faut absolument lui faire quitter le pays, et cela est résolu. " Tout semblait tourner contre cette société; à la mauvaise conduite des membres venait se joindre l'impossibilité de se créer une exportation, question très importante. La construction des nouveaux canaux semblait être, ajournée pour toujours. Fénelon profite de son séjour à Paris, pour recueillir tous les bruits sur les différents projets et les communiquer aussitôt à M. de la Chaize, aussi intéressé que lui dans toute cette affaire : " Je suis persuadé que le canal de la Dheune n'aura pas lieu, et voici sur quoi fondé . M. de Thélis et M. de Brancion ne veulent pas se réunir, c'est-à-dire M. de Brancion, à qui j'en ai parlé refuse constamment toute réunion avec M. de Thélis. Or, M. de Thélis s'oppose de toutes ses forces à l'exécution du plan de M. de Brancion, et il a pour lui M. de Coste, sans l'avis duquel le conseil n'accorde jamais de permission dans ce genre. J'ai entendu dire à M. de Coste que le projet de M. de Brancion était impraticable, qu'il faudrait au moins 15 millions pour l'exécuter, ce qui ferait, à raison de 5 pour 100, 750,000 livres de rente, que le canal du Languedoc ne vaudrait que 100,000 écus quite, que cependant, jamais celui de la Dheune ne serait d'un aussi grand produit, et que ce serait ruiner des actionnaires que de le permettre; il paraît incliner au projet économique de M. de Thélis, lequel offre de sacrifier 350,000 livres. M. de Thélis trouve d'ailleurs tant d'opposition, que je crains que le conseil, fatigué de ces contrariétés, ne rejette les deux plans. " Quelques jours après, il donne des nouvelles plus certaines, sans cependant laisser beaucoup d'espérances M. de Brancion vient d'emporter la victoire pour le canal du LongPendu et de la Dheune, et cela contre l'avis formel de M. l'intendant, de M. de Cotte et des Ponts et chaussés ; l'arrêt du conseil est de dimanche dernier, je l'appris lundi par M. de Vergenne. Jamais il ne réussira, les dépenses seront toujours fort au-dessus du produit, il commencera et en restera là. S'il pouvait au moins aller jusqu'à la Motte (1), vous pourriez vous en consoler." Quelques associés, découragés de tous ces revers, se retirent, et la société semble sur le point de se dissoudre. Fénelon écrit encore : " M. Joli s'est retiré de la compagnie en vilain ; comme tout son bien appartient à sa faine, il s'est fait séparé de bien avec elle, cette faite, il ne lui est rien resté, et voilà comment il a soldé ses comptes, après avoir dépensé à ces messieurs 99,500 livres. Ils sont outrés contre lui, mais c'est une faible ressource. " Et ailleurs : " Rien de nouveau, monsieur, et je ne sais qu'en juger ; je vous ai déjà marqué que M. Joly n'était plus dans la compagnie, maintenant M. Oppé vient encore de s'en détacher, et j'ai tout lieu de croire que M. Mayer va suivre son exemple : il ne nous reste donc que MM. Riolz, Renard, Riel, Raoux, " J'en ai témoigné mon étonnement, et l'on m'a répondu que M. de Boenne, ministre sans fonction, allait se mettre à la tête de toutes nos entreprises, qu'il ne s'agissait plus que d'éguiller le sieur Roethier, que l'on avait sa parole d'honneur, et qu'alors les choses allaient prendre une tournure toute différente; que l'argent ne manquerait plus, parce que M. de Boenne a près de deux cent mille livres de rente, et qu'ainsi tout allait tourner au profit de l'entreprise. Je le souhaite, mais je ne suis pas le maître d'arrêter les

 

(1) Ancien château de la Motte, paroisse d'Écuisses, près de l'étang de Longpendu.

 

réflexions que m'occasionnent tous ces changements, et je crains fort que cette compagnie à force de diminuer ne se réduise entièrement à rien. M. Riolz, de qui j'ai appris hier matin tout ce que je vous marque, m'a promis de venir un jour de la semaine m'instruire plus à fond de ce changement. Il paraît qu'il le regarde comme fort avantageux, qu'il s'en réjouit, je crois même que c'est son ouvrage. Il vint hier chez moi avec M. Girard de Lins, son beau-frère, et je n'ai pu tirer que ce que je vous marque ; il m'a seulement dit que M. Roethier allait rompre la convention qu'il avait faite avec M. l'abbé d'Irval, prieur de Perrecy, et que cet abbé allait le passer au profit de M. de Boenne et compagnie. Il est certain que si, effectivement, il se met à la tête de cette compagnie, les choses pourront aller mieux qu'elles ne vont, quoique tout le monde ne soit pas d'accord sur la solidité de la fortune de ce ministre. "

Ce nouvel actionnaire vint en effet raffermir la société, en lui fournissant de nouveaux capitaux ; mais ce qui n'inspirait pas confiance, c'est qu'il ne voulait pas engager son nom dans la compagnie. Fénelon prévoit la fin de tout cela, et il en fait part à M. de la Chaize : "Je crois que toutes nos affaires sont sur la tête de M. de Boenne, quoiqu'il ne paraisse pas. Comme il avait fait les avances des sommes énormes qu'on y a consommées assez mal à propos, il a fait un arrangement avec les intéressés, a pris tout à son compte sous le nom de M. Riolz, son caissier, et de M. Renard, son intendant, car M. Riche-Anglais n'y est que pour une action de vingt mille francs. Vous avez assez de pénétration pour voir la fin de cet arrangement, voici comment je l'envisage : si l'entreprise réussit, tout ira dans la grande perfection; si elle ne réussit pas, nous ne verrons que M. Riolz et M. Renard en cause, il n'y aura rien à prendre sur eux, tout sera dit. " Deux jours après, il ne semble pas aussi sûr de ce qu'il vient d'écrire, et ses craintes renaissent :

« Je vous ai marqué par ma dernière lettre le motif de mes craintes, l'on me dit assez : C'est M. de Boenne qui est à la tête de l'entreprise, c'est de ces deniers que ce payent les ouvriers, etc. M. de Boenne ne me le dit pas, l'on ne m'en administre aucune preuve, je ne suis pas même moi. En un mot, c'est le seul M. Riolz, qui parait avec M. Renard, ce dernier doit aller à Saint-Sernin, avec moi, au mois de septembre (1). "Les appréhensions de Fénelon ne furent pas longues à se réaliser. Cette société fat bientôt forcée de se dissoudre et de vendre les forges. Il n'est plus possible d'en réunir les membres. Le 30 juillet 1781, pour calmer les inquiétudes de l'abbé de Fénelon, Roethier, et Renard font un acte collectif, pour prendre la responsabilité de l'exécution des ventes et des baux à cens qui ont été faits. Ils s'engagent à payer à M. Degros les 45,000 livres et à M. le curé de Saint-Jean de Vaux les 7,000 qu'on leur devait. Mais le sieur Mayer se déclare incapable de solder sa portion, et la société se dissout. Elle devait à Fénelon 70,000 livres, somme dont il ne fut jamais, payé. On lui donna une compensation proportionnelle de 13,000 livres, et le Roi, sur sa demande, lui accorda, en 1785, 24,000 livres, à condition de " s'obliger de payer aux dits sieurs de Gros et Dézede ce qui peut leur être dû, tant en principaux, qu'intérêts échus et à échoir, et frais ".Sous la société Roethier, les forges de Mesvrin avaient changé leur mode de fabrication. Le cook avait été apporté d'Angleterre. Découverte précieuse et longtemps cherchée, qui consistait à débarrasser la houille du soufre et d'autres matières qui la rendaient impropre à fondre le rainerai. On la brûlait dans des caisses de bois faites à cet effet. Ainsi

 

(1) Toutes ces correspondances sont contenues en quatre longues lettres, qui appartiennent à M. de la Chaize, ingénieur en chef des ponts et chaussées, à Chalon-sur-Saône.

 

purifiée, elle pouvait remplacer le charbon de bois et se mettre dans les fourneaux à faire la fonte. Ce fut un immense progrès pour la métallurgie. Mais la houille était de propriété royale. Cette transformation devait recevoir l'approbation du roi. Louis XVI avait donné son autorisation (1) et la question qui restait à résoudre était de s'en procurer en abondance et à prix réduit. Des marchés avaient été passés avec M. de la Chaize. Les usines de Mesvrin pouvaient exiger, par an, deux millions, poids de marc de gros charbon, dit en morceaux de toute grosseur, sans choix ni tirage, à quarante-cinq sols le mille, plus cent milliers de même, pendant dix-huit années, à compter du 1" avril 1782, et pendant vingt autres années ou environ, qui resteront à expirer du privilège accordé à M. de la Chaize de la concession qu'il a obtenue de Sa Majesté à cinq sols d'augmentation seulement par chaque millier, avec la liberté d'en exiger plus grande quantité à raison de deux tiers de gros et un tiers de menu au même prix, jusqu'à concurrence de trois millions, en sus des deux premiers millions, cent milliers s'il en est besoin, à condition qu'ils seront consommés dans les forges et fourneaux de Mesvrin, sans en pouvoir revendre au public et aux consommateurs particuliers à peine de trois mille livres de dommage et intérêt, par chaque contravention. La société devait à M. de la Chaize deux milliers fer de la forge de Mesvrin par chaque année. Cette concession de houilles, à prix réduit, fut estimée, au jour de la vente, à la somme de dix mille deux cent quatorze livres dix-neuf sols. Elle nous montre quelle révolution s'était opérée dans l'industrie métallurgique ; ce n'est plus à la forêt que l'on va chercher le combustible, c'est presque exclusivement à la houillère. La vente des forges et des fonderies fut décidée ; l'exploitation

 

(1) Cette autorisation avait été donnée aux sieurs Roethier et Renard, pour quinze ans, à partir du mois de mai 1779. (Vente de Mesvrin en 1785.)

 

 

Cachet de M. JOBERT D’ESTAIN.

Maître de Forges à Mesvrin. 10 Juillet 1763-13 Juin 1774.

 

devait, sur simple affiche, être livrée au plus offrant et au dernier enchérisseur. L'un des associés, le sieur Renard, avait été commis, par ses consorts, pour l'opération de cette vente. Soit intérêt, soit mauvaise foi, il avait procédé à cette liquidation d'une manière illégale et tout à fait préjudiciable aux forges de Mesvrin. Il s'obstinait d'abord à vendre ensemble les deux exploitations, Mesvrin et Perrecy, malgré les réclamations de M. de Fénelon et même de presque tous ses coassociés, entre autres de M. l'abbé Gallois. Les capitaux importants qu'exigeait un tel achat le rendaient très difficile, et par là traînaient les affaires de mois en mois. Or on sait combien il est nuisible à de tels travaux ; de n'avoir pas de maître bien déterminé.

De plus, cet employé n'avait pas déclaré, sur les affiches d'usage les charges, cens et redevances dus à M. de Fénelon, sur les forges de Mesvrin. Fénelon s'alarma de ces procédés contre toute loyauté et coutume ; et d'un côté, pour se garantir de pertes importantes sur les redevances et les arrérages que la société lui devait, de l'autre pour sauver son petit centre d'industrie d'une ruine complète, il se vit forcé d'en appeler à une décision judiciaire par-devant le parlement de Paris, Il y eut de longs débats. Les intérêts de chacun des associés étaient défendus par un membre du barreau. Fénelon avait choisi pour avocat, maître Gauthier (1). Enfin, le 29 mars, l'an de grâce 1784 et de son règne le dixième, le Roi, par son parlement, ordonna : 1° Que la vente des forges de Perrecy et des forges de Mesvrin se ferait séparément ;

 

(1) Ces détails sont tirés d'un procès écrit sur parchemin, et trouvé chez un propriétaire de Saint-Sernin.

 

2° que de nouvelles affiches seraient faites, dans lesquelles le sieur Renard détaillerait les charges et cens desdites forges de Mesvrin ; 3° que la vente se ferait dans les six mois; ho enfin, que M. de Fénelon serait payé de préférence à tout autre créancier, comme bailleur de fond, des sommes dues et arrérages. L'abbé de Fénelon devait, de son côté, défrayer de ce jugement les membres de la société qui s'étaient juridiquement déclarés étrangers à ces contestations. La vente de Mesvrin eut lieu, à Paris, devant Maigret notaire, le 1er septembre de l'année 1784. L'adjudication resta à Antoine Patenotte, au profit de Louis Renard, sieur d'Angest, qui n'en sut que faire. Quelques mois suffirent pour lui inspirer l'idée de s'en défaire. Il greva l'établissement d'une dette nouvelle de 16,000 livres, que la société suivante se chargea de payer ; il n'avait pas même couvert les frais de l'adjudication (1). Il supplie Sa Majesté le roi Louis XVI, et propose aux intéressés, dans l'entreprise des mines de Montcenis, d'en faire l'acquisition. Cette société était composée : 1° du Roi ; 2° d'Antoine J.-F. Megret de Serilly, chevalier, baron de Theil, seigneur de Passy, Étigny, Serilly et autres lieux, trésorier général, demeurant à Paris, vieille rue du Temple, paroisse Saint-Gervais ; 3° de Claude Baudard de Saintes-James, écuyer trésorier général de la marine, demeurant à Paris, place Louis-le-Grand, paroisse Saint-Roch , 4° de Gabriel-Claude Palteau de Veimeranges, chevalier conseiller au parlement de Metz, intendant des armées du roi, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Mathurins, paroisse de la Magdeleine ; 5° de François-Ignace Wendel d'Hayange, capitaine au corps royal d'artillerie, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, demeurant à Charleville ; 6° de Nicolas Bettinger, premier commis

 

(1) Voir pour les détails de cette troisième vente, Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Émigrés et condamnés, t. CCLXXICCLXXIII, liasse VIe.

 

du département de l'artillerie et du génie, demeurant à Paris, rue Neuve-Saint-François, paroisse Saint-Gervais ; 7° enfin, de Jacques Constantin Périer, ingénieur mécanicien, demeurant à Paris, rue de la Chaussée-d'Antin, paroisse Saint-Eustache. Le roi était représenté par M. Chardon, qui agréa, au nom de Sa Majesté, la proposition du sieur Renard, et les forges de Mesvrin furent acquises par cette société le 16 avril 1785 (1). Mais avant de passer l'acte, M. Chardon objecte que ces propriétés sont biens d'Église et de main-morte. On consulte aussitôt M. Vulpian, inspecteur du domaine, qui déclare que l'acqui-sition peut être faite en toute sécurité, et que cette difficulté avait déjà été jugée en 1776, à l'occasion de la vente à M. Jobert. Les immeubles, en effet, étaient de deux sortes. Les uns appartenaient patrimonialement à M. de Fénelon, et avaient été vendus par lui à M. Roethier. Ces biens, en rente viagère, avaient été estimés à 8,000 livres par an. Les autres dépendaient du Prieuré et ne pouvaient être qu'accensés. Le cens pour Bouvier était (le cinq sols, une poule et 30 livres ; pour Mesvrin, il montait 4OO livres, plus 800 boisseaux de seigle, mesure de Montcenis, 200 belles carpes au grand cent, avec leurs garnitures suffisantes, en brochets, tanches et anguilles, et un millier de bon fer marchand. Le patrimoine de l'abbé de Fénelon se composait : 10 du fourneau ' de Bouvier, avec une halle à charbon, couverte en harcelas de bois pour contenir six mille sacs de charbon, plus un bâtiment en appentis adossé à ladite halle, couvert de tuiles, consistant en quatre chambres pour le logement du commis, du fondeur et autres ouvriers, plus une petite cave ou cellier, au joignant des deux chambres, plus deux retranchements on places, pour mettre à couvert les mines, castines ou herbues, et les rapprocher de la beugne, le tout en bon état, à l'exception de la tour, qui est lézardée, et

 

(1) Archives nationales. t, CCLXXI-CCLXXIII,liasse VIe. 13

 

d'une légère réparation à la voûte sous la halle, le tout d'une longueur de 96 pieds sur 54 de largeur, avec la roue à double harnais, et les deux soufflets, montés de leurs bayes, plus, au-devant et au derrière du dit fourneau, des places suffisantes pour y déposer les mines, herbues et charbons qui arrivent, pour les crasses, laitiers et gueuses, un jardin, un ouche, un boccard à écraser les mines en roches. 2° Des forges de Mesvrin, montées de deux feux ou raffineries sous leurs cheminées, garnies de leurs tagues, taguerets, chyot, tayères et autres pièces nécessaires en fonte, fer et cuivre, de deux paires de soufflets en bois de l'Ordon, du marteau bien monté avec sa roue, son drôme et arc-boutant, et de sa hache, pour verser les eaux sur la roue, le tout, sous un bâtiment en hangard, couvert en tuiles en bon état, de soixante-six pieds de longueur, sur vingt-six de largeur, dans lequel est un mur de refend qui forme un magasin pour déposer le fer fabriqué, et en dehors, attenant à une boutique de maréchal, aussi couverte en tuiles, avec sa petite forge et un soufflet de cuir. Plus, vis-à-vis la halle et sur la chaussée, deux bâtiments, dont l'un est séparé en trois chambres couvertes en paille , et l'autre forme deux chambres, l'une couverte en tuiles, et l'autre en planches, où logent les ouvriers attachés à l'usine, et en assez bon état ; plus la maison servant de manoir (1), située sur et au bas de la chaussée de l'étang, à peu de distance de la forge, de quarante-trois pieds de longueur, sur vingt et un de largeur, Coin posée d'un rez-de-chaussée regardant le couchant, de deux écuries, dont l'une sert de cellier, d'une cage pour l'escalier, au pied duquel est un petit cellier servant de cave. Au premier étage, sur le rez-de-chaussée, un cabinet ouvrant sur le pallier ; une cuisine, à côté de laquelle est une buanderie et un cabinet sans cheminée. Au

 

(1) Cette maison, qui existe encore, appartient à M. Louis Granger, qui l'a appropriée à une tannerie.

 

deuxième étage et au rez-de-chaussée, une antichambre, une salle, une petite chambre à cheminée, et un cabinet, au-dessus, un grellier, régnant sur tout le bâtiment, couvert en tuiles. Ajoutez à cela, le produit des étangs et quelques pâtures, parmi lesquelles se trouvait celle de Sauvageot. Les autres immeubles appartenant au Prieuré se composaient, à Mesvrin, de plusieurs bâtiments neufs, construits à l'usage des forges. 1° Une halle à charbon de soixante-seize pieds de longueur, sur trente-deux de largeur et neuf de hauteur, de gouterot couvert en harcelas de bois, la couverture à moitié usée, les murs en bon état, halle éloignée de la forge, de trente à quarante pas ; 2° vis-à-vis sur la chaussée, un bâtiment de nouvelle construction, couvert en tuiles, divisé en quatre logements pour les ouvriers, avec une terrasse, et situé du côté du midi ; 3o un petit bâtiment isolé, couvert de tuiles de construction nouvelle, servant, pour le four commun, à tous les ouvriers, et logeant un domestique; hl, un bâtiment de nouvelle construction, servant à l'exploitation de la ferme et se composant d'étables à boeufs, de granges, bouverie, seuil, etc. Les terres qui en dépendaient, mesuraient une surface de cent journaux, sans compter les prés. Les effets mobiliers, estimés à la somme de six mille livres, étaient : 1° les ringards de fer, crochets à manier les gueuses, crochets pour tirer le laitier, les pelles de fer, thuyères de fonte, romaines avec leurs pesons, griffes, crampons, chèvres et cadres, les rouleaux de bois, tonneaux cerclés de fer, casses à charbon, modèles en bois pour mouler, marteaux, enclumes, tayes, empoises, platines, brouettes, enclumes, pinces, scies, tenailles, soufflets, outils, marteaux, ciseaux, chapelottes, râteaux, soufflets, et généralement tous les ustensiles de forge, ou autres qui sont dans les fourneaux ci-devant désignés et dépendances ; 2° Tous les charbons de bois et de terre, la mine claire, la mine fine non lavée, l'herbue, et généralement tous les objets d'approvisionnements étant dans la dite forge et bâtiments en dépendant.

3° Les bois de lits de maître et de domestique, paillasses, matelas, lits de plumes, oreillers, rideaux, rideaux de fenêtre, draps, nappes, serviettes, vaisselle de terre, bouteilles de verre, batterie de cuisine, chaises, fauteuils, commodes, armoires, etc. ; 4° Enfin douze chevaux, dix pour le transport des charbons et deux pour servir aux directeurs et commis. Si la Société royale apporta à Fénelon quelques avantages, elle lui imposa de durs sacrifices. Elle lui assure avec des garanties plus sérieuses que la société précédente les redevances et sa pension. A l'article 4 des conditions de vente elle se charge : 1° De payer les frais et droits de toute nature auxquels ces présentes donneront lieu, même les droits de lods, si aucuns dons sont dus, à cause de l'adjudication faite au dit sieur Renard d'Angers, par l'arrêt du 1er septembre dernier, pour raison desquels droits il sera ci-après traité avec M. l'abbé de Fénelon, plus d'acquitter les droits féodaux et seigneuriaux dont les dits biens et droits peuvent être chargés annuellement envers les seigneurs dont ils relèvent à compter des dernières échéances ; 2° De payer les cens et rentes dont les dits biens seraient chargés, à compter des dernières échéances et à l'avenir et notamment 5 sols de cens, une poule et 3° livres de rente foncière non rachetable, portant droit de lobs et rente dont est chargée la place sur laquelle est construit le fourneau de Bouvier, suivant l'acte du 7 octobre 1772. Plus 400 livres de cens et rente foncière non rachetable portant droits de lobs sur le pied du dernier cens seulement dont est chargée la ferme de Mesvrin, l'étang et dépendances, suivant le traité du 18 juillet 1763 ; 3° De payer à M. l'abbé de Fénelon, à compter du 1er septembre 1784, pendant sa vie et jusqu'au jour de son décès, 8,000 livres de pension viagère exempte de toutes retenues, payable annuellement par quartier et par avance, ainsi qu'il est énoncé au contrat du 26 avril 1776 ;

4° De fournir à M. l'abbé de Fénelon et à ses successeurs prieurs de Saint-Sernin, leurs fermiers commis ou ayant cause, tous les ans et à perpétuité, huit cents boisseaux de bled-seigle mesure de Montcenis, de bonne graine, bien vannée, loyale, marchande et boullangeable, rendue, conduite et mesurée sur les greniers du prieuré de Saint-Sernin et, en cas de construction, sur le cours d'eau fluent de l'étang de Bouvier dans l'étang de Mesvrin et sur le terrain appartenant au dit prieuré dix boisseaux de bled-seigle par chaque usine, même mesure et même qualité que ci-dessus, pendant le temps seulement que subsisteront les dites usines, le tout livrable au jour de Saint-Martin 1784.

Plus, de livrer aussi par chaque année et à perpétuité 200 de belles carpes au grand cent avec leurs garnitures suffisantes, en brochets, tanches et anguilles et un millier de bon fer marchand, tels que le jugeront à propos les Prieurs de Saint-Sernin, toutes les rentes et cens ci-dessus portant droits les lods et ventes, remuages et autres droits seigneuriaux et en toute justice haute moyenne et basse, même mixte et impaire, ainsi qu'il est énoncé au bail à cens du 10 juillet 1776, ratifié par l'acte du 30 juillet 1781. Ces avantages et l'argent que l'abbé de Fénelon reçut comptant, compensaient un peu les sacrifices qu'il consentit à supporter. Il renonce à une grande partie de ce qu'on lui devait. On lui enlève le droit de pêche à Mesvrin. On refuse d'entretenir désormais l'église de Saint-Sernin. On lui conteste même le droit de mutation. A ce l'aire, fut présent et est intervenu Messire Jean-Baptiste de Salignac de Fénelon, ancien aumônier de la reine, abbé, prieur commendataire et seigneur des Prieurés de Saint-Sernin du Bois, Saint-Germain des Bois en Brionnais et autres lieux, demeurant à Paris, rue du Bac, paroisse Saint-Sulpice. Lequel, au moyen du paiement (lui doit lui être fait d'une somme de 24,000 livres que Sa Majesté a bien voulu lui accorder, s'est, par ces présentes, désisté purement et simplement de toutes actions, prétentions et répétitions quelconques, qu'il a droit ou pourrait avoir droit d'exercer contre le dit sieur Roethier de la Tour, le dit M. Jean-Baptiste Renard, avocat en parlement, et leurs associés, ou contre le dit sieur Renard d'Angest, Sa Majesté, les dits sieurs intéressés et tous autres pour raison d'une somme de 70,600 livres, qui absorbe et au delà les 13,000 livres que le dit sieur Renard d'Angest a été chargé par son adjudication de déposer, et pour raison, de toutes autres sommes qui pourraient être dues à mon dit sieur abbé de Fénelon, à cause des forges et fourneaux de Mesvrin et des mines de Montcenis ou autrement aux termes des actes des 26 avril et 10 juillet 1776, et 30 juillet 1781 et enfin de tous autres ou droits quelconques, consentant même le dit abbé de Fénelon sans néanmoins aucune garantie de sa part, toute subrogation à ses droits, privilège et hypothèque, à cause des dites créances en faveur de Sa Majesté et des dits sieurs intéressés. Plus mon dit sieur abbé de Fénelon renonce expressément au droit qu'il s'était réservé pendant sa vie par le contrat de vente du 26 avril 1776, de faire pêcher en tout temps, avec tous filets. instruments et engins, dans l'étang de Mesvrin, sans pouvoir faire écouler l'eau ni en déranger le cours. Il renonce encore à pouvoir exiger le ciboire et l'encensoir d'argent que le sieur Roethier devait donner à l'église de Saint-Sernin du Bois aux termes du même acte. Il décharge les dits acquéreurs de l'obligation contractée dans le même acte, par le sieur Roethier, pour lui et ses ayant cause de fournir les vases sacrés, livres et ornements, de manière que le prieur ne fût aucunement inquiété à cet égard. Il renonce encore à pouvoir répéter, contre les acquéreurs, une grande lampe d'argent, de belles burettes et un beau plat d'argent de la valeur de 1,500 livres à 2,000 livres, que le dit sieur Roethier de la Tour s'était obligé de fournir à l'église de Saint-Sernin par le bail à cens du 10 juillet 1776. Enfin le dit sieur abbé de Fénelon, au moyen du paiement à lui faire de la dite somme de 24,000 livres, s'oblige de paver aux dits sieurs de gros et Dezede, ce qui peut leur être dû, tant en principaux, qu'intérêts échus et à échoir et frais, et de faire en sorte que lesdits sieurs Roethier de la Tour, Renard, Renard d'Angest lesdits acquéreurs et tous autres ne soient aucunement inquiétés ni recherchés à cet égard en aucune manière, renonçant expressément à pouvoir exercer contre lesdits sieurs Roethier de la Tour et Renard ou tous autres aucune action, pour raison des objets ci-dessus énoncés ou de tous autres objets quelconques, se désistant même de toutes demandes déjà formées, consentant qu'elles demeurent nulles et sans effets. M. l'abbé de Fénelon reconnaît avoir présentement reçu du roi et des dits sieurs intéressés, par les mains du dit sieur de Bettinger qui, des deniers de la caisse commune, lui a présentement payé en espèces, ayant cours, comptées et réellement délivrées à la vue des notaires soussignés. La somme de 9,583 livres 6 sols 8 deniers ; savoir 1° 6,000 livres pour un quartier d'avance et pour six mois échus du 1er septembre 1784 au le, mars dernier de la pension viagère de 8,000 livres, faisant partie des charges de la présente vente ; 2° 583 livres 6 sols 8 deniers pour la portion d'arrérages échus du dit jour, 1er septembre 1784, au jour de Saint-Martin, 11 novembre suivant, par forme d'abonnement pour cette fois à cause de la redevance en grains, en poisson, et en fer, faisant aussi partie des charges de la présente vente ; 3° Et 3,000 livres, dont 1,500 livres en l'acquit du vendeur et en conséquence de la délégation par lui ci-dessus faite, pour droits de lods, à cause de l'adjudication du le, septembre dernier et pareille somme de 1,500 livres aussi pour lods, à cause de la présente vente les dits 3,000 livres payés par forme de composition et forfait et sans tirer à conséquence pour l'avenir ; lés dits sieurs Chardon, de Serille, de Sainte-James, de Véimeranges et Bettinger les dits noms protestants que les mutations qui pourront avoir lieu par la suite ne donneront lieu aux droits de lods envers MM. les prieurs de Saint-Sernin, qu'autant qu'ils seront fondés par titres à les prétendre, attendu que par la coutume du duché de Bourgogne franc-aleu, roturier est naturel et de droit, s'il n'y a titre au contraire. Contre laquelle protestation M. l'abbé de Fénelon, tant pour lui que pour ses successeurs prieurs de Saint-Sernin, a fait toutes protestations et défenses nécessaires, se référant au bail à ceux ci-devant énoncé du 10 juillet 1776, et aux titres et terriers du dit prieuré de Saint-Sernin suivant lesquels les droits de lods sont dus à toute mutation. Au moyen des paiements qui viennent d'être faits à mon dit sieur abbé de Fénelon et dont il quitte Sa Majesté, les dits sieurs intéressés et tous autres, il consent que Sa Majesté et les dits sieurs intéressés soient subrogés en ses droits et privilèges. Mon dit sieur abbé de Fénelon donne aussi main levée pure et simple de toutes les oppositions, saisies et autres empêchements quelconques formés à sa requête sur le dit sieur Roethier de la Tour, le dit sieur Jean-Baptiste Renard ou leurs associés ou sur le dit sieur Renard d'Angest, consentant que le tout soit et demeure nul et sans effet et qu'en payant par tous fermiers, locataires ou autres débiteurs es mains de qui il appartiendra, et en faisant la radiation des dites oppositions et saisies par tous greffiers, conservateurs des hypothèques et autres toutes personnes soient valablement libérées. Sous la Société royale, les forges de Mesvrin reçurent l'installation d'un laminoir qui tourna jusqu'en 1836. Elles firent partie de l'usine du Creusot, dont elles n'étaient éloignées que de deux kilomètres. Elles ont fourni, en attendant la vapeur, leur chute d'eau, comme le seul moteur de l'établissement. Elles eurent leurs jours de vogue et de splendeur, produisirent longtemps des fers et des tôles, estimés de préférence, à bien d'autres. On les vit même fonctionner plusieurs années après que la vapeur, prenant sa place dans l'industrie comme force motrice, permit d'établir des forges et des laminoirs sur les lieux, mêmes des précieux gisements de houille (1).

 

Fac-similé d’une médaille trouvée par M de Fontenay et donnée à M. Schneider

 

Jeton distribué aux ouvriers pour marquer leur journée. Direction de M. Wendel.

 

L'industrie proprement dite ne commença, au Creusot même, qu'en 1782 (2). M. François-Ignace Wendel d'Hayange, ancien capitaine d'artillerie, avait été chargé, par le ministre, de choisir un emplacement pour de nouvelles usines.

Après bien des études, il préféra le vallon de la Charbonnière et du Creusot à celui où s'élevaient déjà les forges de Mesvrin. Comme au temps des seigneurs de Montjeu et au temps de Fénelon, l'emploi du combustible sur place domina toute la question et fixa le choix. Le vallon privilégié qui possédait la houille commença, dès lors, à se couvrir de nombreuses habitations où circulèrent bientôt le mouvement et la vie, tandis que Mesvrin redevint silencieux ; aujourd'hui, il n'est plus qu'un moulin solitaire. Les usines de M. Wendel n'eurent d'abord pour tout matériel que quatre grands fourneaux, destinés au service de la marine (3). Une forge, cependant, ne tarda pas à venir compléter cette exploitation i Les constructions s'y élevèrent avec activité, puisqu'en 1786 M. Leger, homme d'affaires de M. le comte de Thélis, écrivait :

« Montcenis, 1er octobre 1786 (4).

« Les hauts fourneaux vont toujours bien, deux sont en feu et tous le seront au printemps ; les forges avancent d'être en état de

 

(1) En 1836, le matériel de ces forges de Mesvrin et de Bouvier fut vendu en détail.

(2) Construction, projetée par le roi, de hauts fourneaux au coke, et d'autres bâtiments dans la vallée de la Charbonnière (aujourd'hui le Creusot), 1782. Archives de Chalon-sur-Saône, série BB, administration communale. Livres d'enregistrement des actes administratifs, 76e registre, cartonné, 50 feuillets.

(3) Origine du Creusot, rapport lu à la Société Éduenne, par M. Joseph de Fontenay.

(4) Archives du château du Breuil.

 

travailler, la verrerie (1) se construit avec la plus grande activité. Il y a déjà beaucoup d'ouvriers sur place, les bâtiments sont considérables, et forment un carré, surmonté de deux tours pyramidalles qui font un effet singulier sur la route du Breuil à Montcenis. La curiosité attire ici beaucoup d'étrangers de distinction. Nous y avons vu, en dernier lieu, monsieur le bailly de Suffrin, qui va, dit-on, en Espagne. " Le canal se fait aussi avec beaucoup de célérité, mais les pluies retiennent un peu les travaux. " Fénelon accueillit avec empressement ces nouvelles créations, et voulut les favoriser autant qu'il était en son pouvoir. Il offrit, pour résidence, son château de Saint-Sernin, à M. Wendel, qui en fit sa demeure jusqu'au 11 novembre 1787 (2). Ainsi, ces trois hommes, M. de la Chaize, M. l'abbé de Fénelon et Louis XVI, dans la personne de M. Wendel, sans prévoir peut-être toute la portée de leurs premiers efforts, s'entendaient et se complétaient parfaitement. L'un extrayait des charbons de choix, le second établissait près de là des forges et des laminoirs, tandis que le dernier ouvrait une fonderie sur des bases inconnues jusqu'alors. Le Roi, dans ses désirs et son intelligence, devançant ces temps moins prospères, réunit sous une même direction ces trois exploitations, qui devaient plus tard se fondre en un seul établissement, le Creusot (3).

 

(1) Cette verrerie était la verrerie de la reine. Pendant que Louis XVI s'occupait de métallurgie, sous le patronage de Marie-Antoinette, s'élevait une magnifique verrerie au Creusot même,. Elle fut vendue plus tard à la société de Baccarat, par M. Eugène Schneider. Il n'en reste plus que le nom et les deux fourneaux. Le château de, M.. Schneider porte le nom de verrerie et des deux fourneaux, l'un sert de réservoir d'eau, l'autre de temple protestant.

(2) Bail à ferme du prieuré, à sieur Nicolas Bart, art. 1. (Archives de la ville d'Autun.)

(3) Mémoire à consulter et consultation par les veuves et héritiers de la Chaize, 13 prairial an X, p. 5 et 6 (Archives de M. Harold de Fontenay), et inventaire des papiers du Prieuré, art. 6. (Archives de la ville d'Autun.)

 

Une plaque de laiton, retrouvée lors des démolitions de la première usine du Creusot, nous donne le personnel de la nouvelle entreprise qui devait un jour émerveiller le inonde par ses brillants succès l'inscription en est ainsi conçue:

 

L'AN DE L'ÈRE CHRETIENNE 1782, LE HUITIÈME DU RÈGNE DE LOUIS XVI, PENDANT LE MINISTÈRE DE M. LE MARQUIS DE LA CROIX-CASTRIES, M. IGNACE WENDEL D'AYANGE, COMMISSAIRE DU ROI, M. PIERRE TOUFFAIRE INGÉNIEUR,CETTE FONDERIE, LA PREMIÈRE DE CE GENRE, EN FRANCE, A ÉTÉ CONSTRUITE POUR Y FONDRE LA MINE DE FER AU COOK SUIVANT LA MÉTHODE APPORTÉE D'ANGLETERRE, ET MISE EN PRATIQUE PAR M. WILLIAMS WILKINSON (1).

 

Les individus et les sociétés se ruinent, passent et disparaissent, mais, au milieu de ces ruines, l'industrie métallurgique avance d'un pas ferme dans la voie du progrès. En 1763, M. l'abbé de Fénelon conçoit le projet d'une usine à Mesvrin. En 1765, M. Jobert fonde cet établissement. En 1774, M. l'abbé de Fénelon construit, à Bouvier, un fourneau qui, situé à égale distance des forêts et des gisements de houilles, devait préparer l'heureuse transition de l'emploi du charbon de bois à l'emploi du cook, procédé inconnu encore, mais déjà prévu. En 1779, sous la société Roethier, l'emploi du cook est apporté d'Angleterre par William Wilkinson, frère de John, l'inventeur du

 

(1) Inscription rapportée d'après M. André Barbes, par l'Autunois du 23 octobre 1878.

 

laminage (1). Le roi accorde à cette découverte longtemps cherchée un privilège de quinze ans. Dès lors les fonderies vont quitter la proximité des forêts pour s'établir sur les gisements de houille. En 1782, M. Ignace Wendel d'Avange établit, au lieu dit le Creusot, un fourneau spécial pour appliquer les découvertes venues d'Angleterre. S'il était dans notre plan de faire l'histoire des sociétés qui succédèrent à celle du roi, comme celle de M. Chagot, de MM. Vilson et Mambi, connues sous le nom des Anglais, et celle des MM. Schneider, nous aurions la suite de toutes les découvertes métallurgiques. Ces deux centres d'industrie, Mesvrin et Bouvier, avaient attiré le territoire un grand nombre d'étrangers qui augmentaient d'autant la population de Saint-Sernin. Elle avait d'abord été de quatre cents habitants (2), puis avait flotté longtemps entre trois cents et quatre cents communiants, mais, à cette époque, elle approchait, nous croyons, douze cents âmes. Le curé, encore dans la force de l'âge, ne pouvait plus suffire à son ministère. L'abbé de Fénelon, toujours soucieux du salut des âmes, appela à son aide un vicaire, à qui on attribua un traitement de 250 livres (3). Ce fat un secours dont M. Dumont ne se passera plus. Privé un moment d'un aide devenu nécessaire, l'abbé Dumont se plaint amèrement à sa famille des travaux de son saint ministère durant l'année 1785. Une sorte d'épidémie sévissait dans la paroisse et faisait beaucoup de victimes, puisqu'il accuse vingt enterrements entre le carnaval et le 28 mars (4). " Dieu sait, ajoute-t-il, les nuits

 

(1) Origine du Creusot. Rapport lu à la Société Éduenne, par Joseph de Fontenay.

(2) Courtépée, Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

(3) Bail à ferme, par M. l'abbé de Fénelon au sieur Nicolas Bard, art. 21. (Archives de la ville d'Autun.)

(4) Lettre conservée au moulin paternel de Villaines. (Voir la lettre de M. le curé de Villaines.)

 

nombreuses qu'il m'a fallu passer sans sommeil pour secourir mes malades, "

Et cette besogne se compliquait de mille communiants à Pâques. C'est avec impatience qu'il attend la prochaine ordination pour obtenir le soulagement qu'il réclamait. Il a vu venir dans la paroisse plusieurs jeunes prêtres qui se succédèrent rapidement. Nous trouvons, depuis 1776 jusqu'en 1791, M. Clément, M. Flacellière, M. Philippe Jolly, M. Dechaume, M. Etienne Perdrier, et enfin M. Jean Clair (1), qui, ordonné en 1787, fut curé lui-même pendant et après la Révolution. Si M. Dumont se dépensait avec générosité auprès des âmes, la population savait, de son côté, l'entourer d'affection et de ces mille marques de reconnaissance qui se traduisent ordinairement dans les campagnes par quelques dons en nature. Il était, paraît-il, comblé de ces témoignages de sympathie, puisqu'il écrivait à sa famille. " Qu'il faudrait annoncer au prône que ses paroissiens aient à ne plus lui donner de poulets s'il voulait n'en plus manger, ce qu'il fait pour s'en débarrasser (2). " Les jeunes prêtres, et surtout M. l'abbé Clair, profitèrent des exemples du pasteur et s'attachèrent à une population qui savait reconnaître le zèle et le dévouement. Oui, nous aimons à le croire, c'est, en grande partie, à M. Dumont, formé lui-même par Fénelon, que cette paroisse dut le bienfait inestimable d'avoir eu pendant les mauvais jours un confesseur de la foi, qui n'a pas cessé, au péril de sa vie, d'entre-tenir au milieu de ces populations la précieuse semence des vertus chrétiennes que d'autres y avaient péniblement jetée. Nous ne sommes pas seul à reconnaître la filiation de ces trois âmes de prêtre. M. le chanoine Legoux a dit, dans son état du clergé en 1794 : MM. Dumont et Clair, curé et vicaire de Saint-Sernin du Bois ;

 

(1) Registres de la paroisse. (Archives de la commune, 13 juin 1776, 5 décembre 1778, 5 février 1782, 28 août l865, 2 septembre 1786,10 juin 1787.)

(2) Lettre, retrouvée au moulin paternel.

 

Bauzon, curé de Saint-Pierre de Varennes, Dufresne, curé de Saint-Firmin, furent les clignes imitateurs de leur supérieur hiérarchique, le vénérable abbé de Fénelon - ils devinrent de courageux confesseurs de la foi (1). L'autorité épiscopale, ayant reconnu les talents et les services de M. Dumont, lui avait offert, le 20 novembre de l'année 1781, la cure d'Hauteroche (2), pour le rapprocher sans doute de sa famille; cette paroisse dépendait de Flavigny. Ce rapprochement, qui lui eût été très agréable, n'était pas le seul avantage à considérer, car, dans la lettre où il fait part à ses frères de cette nouvelle, il dit que la cure de Saint-Sernin lui rendait 1500 livres, taudis qu'on lui donnait à choisir, parmi les bénéfices à la nomination de Mgr d'Autun, une cure de 100 louis de revenus (3). M. Dumont se montra peu sensible à toutes ces questions d'intérêt, et refusa de quitter Saint-Sernin. L'abbé de Fénelon lui témoigna sa satisfaction, en lui donnant le titre de curé de Champvent-la-guiche, paroisse du Charollais , dont il était le patron. Depuis cette époque, M. Dumont signe quelquefois curé de Champvent (à) M. Clément, le premier (les vicaires, fit son entrée dans le ministère par un acte plein d'une solennelle tristesse, auquel assistaient le Prieur, M. de Rochebrune, M. Amelot, abbé de Saint-Pierre d'Autun, soi) curé, maître André Dumont (5), et toute la maison des messieurs de Sarode : c'était pour l'enterrement de messire Charles de Sarode, de Mussy, mort à l'âge de quarante-quatre ans. Ce maître de la verrerie de Prodhun, à la fleur de l'âge, laissait une veuve, Aime Juillet, et plusieurs enfants en bas âge. Fénelon n'as-

 

(1) Manuscrit appartenant à M. de Ganay.

(2) Registre, des délibérations du conseil épiscopal. (Archives de l'évêché)

(3) Lettre communiquée par M. le curé de Villaines.

(4) Registre de la paroisse, 25, 26 et 27 novembre,1781. (Archives de la Commune.)

(5) Même document à la date du 16 juin 1776).

 

sista pas a cette cérémonie sans trouver dans son coeur d'ami et de prêtre quelques ferventes prières pour le défunt et quelques saintes consolations pour cette famille en larmes. L'abbé de Fénelon, esprit ingénieux et actif lorsqu'il s'agissait de soulager ses frères, était parvenu, à force de sacrifices, à faire de son petit prieuré une paroisse qui pouvait se suffire à elle-même. Elle avait une église vaste et gracieuse, un curé et un vicaire qui devaient l'un et l'autre travailler avec ardeur à la sanctification des âmes, sans préoccupations des besoins matériels de logement et d'existence. A l'exemple de Prodhun, deux centres d'industrie, Mesvrin et Bouvier, occupaient, toute l'année, un grand nombre d'ouvriers, qui y gagnaient largement leur nécessaire. Plusieurs chemins ferrés voyaient, chaque année, les maigres récoltes de ces montagnes rentrer dans les greniers et les provisions venir, sans crainte d'embourber, du gros marché de Couches. Une mission, admirablement bien conduite, avait jeté sur tout cela un air de paix et de bonheur dont les âmes devaient se sentir longtemps encore. Au milieu de toutes ces améliorations, il y avait deux classes de gens pour lesquelles il n'avait rien fait, deux classes, cependant bien dignes de l'attention d'un père comme Fénelon. Nous voulons parler des enfants et des malades. Il y avait bien déjà dans la commune une école tenue par un maître laïque nommé Reiné Barlot (1750) (1). C'était là que garçons et filles allaient ébaucher chaque jour les premiers éléments de lecture et d'écriture. Cet établissement était insuffisant depuis surtout que la popu-

 

(1) Registre de la paroisse. (Archives de la commune.) - Cette école était récente, puisque, quelque temps auparavant, l'archiprêtre de Blanzy déclare, dans un de ses rapports de visite, qu'il n'y a pas un instituteur dans tout le canton, et que quand il s'en présentera un, il aura soin d'examiner ses capacité, vie et moeurs, Visites de l'archiprêtre de Blanzy. (Archives de l'évêché d'Autun,)

 

lation s'était considérablement accrue. Fénelon avait aussi très bien compris que ce mélange des deux sexes était un abus, où, sous prétexte d'instruction, la jeune fille pouvait manquer son salut et son avenir, en sacrifiant à un peu de savoir sa première éducation. A cette jeune fille, bientôt mère à son tour, appartiendra toute l'éducation de ses enfants. Obtenir d'abord de bonnes mères de famille, c'est là toute l'espérance d'une paroisse. Ce sera donc sur les petites filles, jusque là oubliées, que commencera son oeuvre. Il se trouvait appuyé par le témoignage de l'archevêque de Cambrai, qui se plaignait qu'en France rien n'était plus négligé que l'éducation des filles." Cependant, disait-il, les devoirs des femmes sont le fondement de toute la vie humaine, elles ont la principale part aux bonnes et aux mauvaises moeurs publiques ; elles décident effectivement de ce qui touche de plus près à tout le genre humain racheté du sang de Jésus-Christ et destiné à la vie éternelle (1) - " L'abbé de Fénelon avait sans doute entre les mains ce petit écrit, dans lequel, en un style simple et pratique, l'archevêque avait dit ce que d'autres ont délavé plus tard dans un langage ampoulé et emphatique. Il fallait ensuite pour les malades un médecin et quelques remèdes sûrs et prompts, puis une personne de confiance pour les distribuer avec intelligence ; il était nécessaire en outre de recevoir dans un local aéré et sain, et dans des lits confortables, les plus pauvres qui ne trouvaient chez eux qu'un dur grabat, quelquefois sans couvertures et très souvent sans draps ; bref, un hôpital servi par quelques religieuses. Ces deux oeuvres, école et hôpital pour un petit endroit comme Saint-Sernin, pouvaient se réunir dans un seul établissement. Les soeurs, dans les loisirs que leur laissaient leurs malades, s'occuperaient facilement des jeunes filles que les familles voudraient

 

(1) Le Christianisme présenté aux hommes du mondé par Fénelon, M. l'abbé Dupanloup, Préface, P. xxii.

 

bien leur confier, et ces enfants trouveraient là, avec l'instruction pour leurs intelligences, des exemples vivants de charité chrétienne. Les plus avancées même prendraient dans la maison les premières notions d'hygiène et du soin des malades. Notions dont elles auront certainement besoin plus tard; et qui trop souvent sont remplacées dans nos campagnes par des préjugés invétérés et nuisibles ou par des pratiques ridicules et niaises. Telle fut la généreuse conception de Fénelon. Il choisit ensuite un emplacement convenable. Or il y avait sur la place, à côté de la cure, deux maisons séparées par une cour appartenant au sieur Philibert Jobey (1). Les acheter, les démolir, puis rebâtir à la place une maison solide et de belle apparence entre cour et jardin, fut l'affaire d'une année. Son oeuvre était créée. Cette maison était composée d'un rez-de-chaussée occupé par les classes et les cuisines, et d'un premier étage destiné aux dortoirs et à la salle des malades. Le jardin, petit, il est vrai, était bien suffisant aux besoins de la maison. La cour, qui se prolongeait sans limite sur la place, était assez vaste pour les ébats joyeux des enfants. Cet établissement si bien approprié alors, tombé aujourd'hui dans des mains profanes sembla longtemps protester de sa première destination. La classe des jeunes filles fut tenue par une institutrice laïque, dans un local trop restreint et partagé avec un menuisier et un aubergiste (2). Cet hôpital, patenté par le Roi en 1777 (3), devint bientôt florissant. Il avait pour admistrateur André Dumont, prêtre ; Emiland-Marie Douheret, avocat au parlement ; Jean Chrétien, syndic de la paroisse ; André Fyot marchand propriétaire, aux Vernizeaux (4). Ces administrateurs passèrent, le 13 novembre 1779, un bail de neuf ans avec le Prieur, par lequel ils amodièrent les chambres, les cabinets et

 

(1) Plan du Terrier de Saint-Sernin, 1749. (Archives de la commune.)

(2) On a bâti une école spéciale de filles en 1880.

(3) Courtépée, Description générale et particulière du duché de Bourgogne.

(4) Acte d'amodiation. (Étude de Me Brugnot, notaire au Creusot.,

 

dessertes, le tout meublé et sans réserves moyennant la somme de 200 livres par an, qu'ils s'obligèrent à payer à la Saint-Martin de chaque année, à la charge seulement d'administrer ce bien en bon père de famille et de rendre les appartements et, les meubles au même état qu'ils les auront pris. Deux religieuses, et le chirurgien François Humbert, qui logeait au château (1), avaient suffi au commencement de cette oeuvre. Mais bientôt se trouvant dépassées par la tâche qu'elles avaient à remplir, les soeurs furent obligées d'augmenter leur personnel. Elles furent au nombre de trois, puis de quatre. C'étaient Jeanne Roy, Françoise Mothon et Marie Bulot (2) ; elles avaient pour supérieure, soeur Françoise Marcha], qui, âgée d'une, cinquantaine d'années, pouvait donner à la maison une direction sage et prudente. Ses qualités personnelles avaient fait tomber autour d'elle cette espèce de défiance qui s'attachait déjà à tout habit religieux. Elle sut aussi combattre et vaincre la répugnance que les pauvres mêmes ont pour les soins qui leur sont prodigués avec tant de charité, pourtant, dans les hôpitaux. En  effet, sans se compromettre jamais, elle entretint des relations avec plusieurs familles de la localité, prit quelquefois sa part de leurs joies ou de leurs peines; et sa salle de malades eut souvent, m'assure-t-on, de quoi exercer sa vertu. Le recrutement des sujets de sa maison ne lui offrait aucune difficulté, car elle avait trouvé le moyen d'admettre auprès d'elle des jeunes personnes qui aspiraient à suivre aussi l'humble carrière, pleine de sacrifices et de dévouement, de soeur de Charité. En 1780, outre les religieuses que nous avons déjà nommées, il y avait encore trois novices, Suzanne Mercier, Jeanne Forin, Anne Guillaume et plusieurs pensionnaires, dont les noms ne sont pas étrangers à la paroisse (3).

 

(1) Registre de la paroisse, 22 juin 1781. (Archives de la commune.)

(2) Acte de donation du 23 mars 1777. (Étude de Me Brugnot, notaire au Creusot.) (3) Même document.

 

Après ce nouvel établissement qu'il venait de créer et de doter d'un revenu suffisant, Fénelon n'avait plus rien à faire à Saint-Sernin. Il avait accompli son oeuvre de régénération. Il avait transformé ces arides campagnes en lieux aussi riches et aussi fertiles qu'elles pouvaient jamais être. Le bien pour se faire D'avait plus besoin de sa présence. C'est pourquoi, peu soucieux de soi-même et ne cherchant pas dans le bien qu7il avait fait cette jouissance douce et légitime que nous aimons ordinairement à nous donner comme une sorte d'acompte sur les récompenses du Ciel, il quitte ces lieux qui l'ont vu pendant près de trente ans, son curé qui avait passé les plus belles années de son ministère sous sa paternelle influence, il quitte aussi cette pauvre population si heureuse de le posséder au milieu d'elle. Courtépée, qui parcourut la Bourgogne, au moment où Fénelon résidait dans son prieuré, avait été profondément édifié de sa conduite. Il ne fait pas de lui un long éloge, il ne nous a laissé que cette phrase qui vaut à elle seule un volume : "Si tous se conduisaient comme M. de Fénelon, à Saint-Sernin du Bois, qui est le père (1), plutôt que le supérieur de ses vassaux, on n'envierait point les richesses du clergé. "

 

(1) Courtépée, dans ses notes manuscrites en Bourgogne.


CHAPITRE V

 

J.-B.-A. de Salignac Fénelon, prieur de Saint-Sernin, est, à Paris, aumônier des petits Savoyards. Son jugement, sa mort.

 

Deux grandes affaires avaient obligé l'abbé de Fénelon de quitter pour Paris son prieuré de Saint-Sernin. Tous les sociétaires des forges de Mesvrin habitaient la capitale et l'abbé de Fénelon, inquiet de leur administration, voulait être là, pour suivre leurs projets, étudier leurs démarches.Ce n'était aussi qu'à Paris qu'il pouvait rassembler les manuscrits et les œuvres de l'archevêque de Cambrai, dont il se proposait de donner, pour la première fois, une édition complète. Mais ces questions furent loin d'occuper toute l'activité de Fénelon. En relation constante avec les habitués de la cour, il prend intérêt aux grandes affaires de l'Etat. Ses lettres, à cette époque, nous montrent son amour pour la France. Si Paris est le centre des grandes études, de l'industrie et des hautes cours de justice, il est aussi le siège du gouvernement, là où se traitent les destinées de la nation.

Jamais, en aucun lieu, la politique n'a autant de vitalité. L'abbé de Fénelon, à Saint-Sernin, n'avait eu longtemps qu'un écho lointain de tous les bruits qui circulaient à la cour ; à Paris, comme tous, il pressent, il devine, il commente les événements avec toute l'ardeur fiévreuse que donne l'actualité.

Une guerre qui faillit embraser l'Europe entière se préparait sourdement entre l'Angleterre et la France. L'Espagne était devenue notre alliée ; et l'amiral d'Orvilliers, réunissant toutes ses forces, armait contre l'amiral anglais Hardy. L'Europe n'était pas le seul théâtre de la guerre. En Amérique, depuis quelques années, les colonies d'Angleterre semaient des idées d'indépendance contre la mère patrie. Quelques têtes chevaleresques de France s'y trouvaient engagées. L'Angleterre en avait fait à la France un crime national, et Louis XVI s'était mis sur la défensive. Le comte d'Estaing se battait contre l'amiral Byron. Mais bientôt le calme se fit plus vite qu'on ne l'avait pensé. C'est à la prudence de M. de Vergenne que nous devons le traité de Teschen. L'abbé de Fénelon, au cœur si grand et si généreux, ne resta pas indifférent à tout ce qui touchait

l'honneur de son roi et la paix de sa patrie. Trois grandes passions se partageaient son âme. Il aimait Dieu, il aimait les pauvres, il aimait la France. Les saints ont-ils jamais manqué de patriotisme ? Il n'écrit pas une lettre à M. de Lachaize, au sujet de ses forges, sans lui donner un mot sur les bruits et les nouvelles du jour.

Ainsi il écrit le 4 juin 1779 :

«  Il se mitonne quelque grande opération, M. le prince de Condé fait faire sa vaisselle de campagne, M. de Mallebois se prépare et a de grandes confidences avec les ministres, l'on croit qu'il s'agit d'une descente en Irlande, où il y a, dit-on, une grande fermentation, l'on croit M. Destin (1), aux prises avec l'amiral Byron, à Sainte-Lucie. M. Dorviller est sorti de Brest, et j'ai vu une lettre d'un officier qui monte son vaisseau en Bretagne, où il dit qu'ils vont joindre les vaisseaux espagnols." M. de Vergenne se fait la plus brillante réputation, on le regarde comme le plus grand ministre de l'Europe ; le roy, qui parle très peu,

 

(1) Lisez d'Estaing.

 

luy a fait compliment sur les divers traités de paix qui ont été conclus avec l'empire ; et la presse de toute l'Europe lui en déferre la gloire. " Puis il ajoute en post-scriptum. " Je vous prie de faire tenir le plutôt possible la lettre ci-jointe au curé de Saint-Sernin (1). " Le 21 juin suivant, il dit encore : " La grande nouvelle du jour est que l'on parle de paix dans tout Paris, que l'on assure que les Anglais retiennent l'ambassadeur d'Espagne, qui devrait être déjà ici pour faire des propositions, que, voyant toute l'Europe liguée contre eux, ils sont forcés de demander la paix. Un grand seigneur disait, hier au soir, que dans quinze jours nous aurions la paix ou que l'on verrait la campagne la plus meurtrière qu'on ait vu depuis longtemps ; et un Anglais me disait, hier à huit heures du soir, que si les Anglais faisaient mine de vouloir s'accommoder, c'était pour nous jouer quelque tour ; que si le roi d'Angleterre s'avisait de parler de paix, ses sujets le détrôneraient, tant ils étaient animés contre la France. <<On ne sait point de nouvelles positives de M. Dorviller, on croyait qu'il était resté pour intercepter dix vaisseaux commandés par l'amiral Derby, qui avait escorté une flotte de trois cents voiles allant à l'Amérique, mais il est sûr que milord Derby est rentré ; on a débité que la jonction avec l'Espagne était faite, mais ce n'est qu'une conjecture. " Le 5 juillet suivant " On disait hier, au soir, que M. Destin avait pris cinq vaisseaux de guerre à l'amiral Byron, et coulé à fond six frégates, cela mérite confirmation. " Enfin le 7 du même mois " Les papiers publics ont donné le manifeste du roi d'Espagne, et l'ordre qu'il a donné à M. Dalmodavare, son ambassadeur, de

 

(1) Cette lettre au curé de Saint-Sernin est perdue,

 

quitter Londres. La nouvelle du jour est que le Roi de Prusse fait avancer vingt mille hommes du côté d'Anovre, que la flotte d'Espagne va bloquer Gibraltar, et qu'une armée espagnole le bloque par terre, tout cela mérite confirmation. Pour le traité de neutralité avec la Hollande, il est sûr qu'il est signé et qu'ils nous prêtent 80 millions à 3 pour 100. « Je vais dîner ce matin chez M. Bertin ; je suis, avec une estime infinie, monsieur, votre très humble et obéissant serviteur (1).

« Fénélon »

 

Ne sent-on pas vibrer dans toutes ces nouvelles l'âme de ce vieillard. L'abbé de Fénélon retrouve l'ardeur de sa jeunesse en parlant des glorieuses luttes de sa patrie. Il revint encore une fois dans son prieuré au mois d'août de l'année 1786, mais c'était pour se décharger définitivement sur un fermier général de l'administration entière de ses propriétés de Saint-Sernin et de Saint-Germain. Un bail à ferme pour neuf ans fut passé au plus offrant. Plusieurs riches négociants d'Autun et des environs étaient venus dans l'intention, chacun, d'être le fermier général de M. de Fénelon (2). Les familles Fyot et Chrétien de Saint-Sernin aspiraient aussi à cet honneur et à cet avantage. Les mises se succédèrent rapidement. Claudine Chrétien, veuve de Dominique Chrétien, fermière actuelle des revenus du prieuré, offrit 15.000 livres. Jean Bonnardet, négociant à Autun, 16.000 livres. Guillaume Duvaut, négociant à Autun, 16.300 livres. André Fyot, propriétaire aux Vernizeaux, paroisse de Saint-Sernin, 16.500 livres.

 

(1) Toutes ces lettres sont la propriété de M. de la Chaize, ingénieur en chef des ponts et chaussées, demeurant à Chalon-sur-Saône.

(2) Bail à ferme par l'abbé de Fénelon, à sieur Nicolas Bard et autres. (Archives de la ville d'Autun.)

 

Nicolas Bard, négociant à Marney, paroisse de Saint-Symphorien, 17,300 livres. Duvaut, 17,700 livres. Enfin, Bard poussa la mise à 18,000 livres. On attendit jusqu'à l'heure de quatre après-midi, sans qu'il n'ait paru personne qui eût voulu susdire la, dernière enchère. " Mon dit Seigneur abbé de Fénelon a fait et tranché la délivrance de tous les objets ci-dessus mis en délivrance au dit sieur Nicolas Bard ci-présent, stipulant, acceptant et retenant au dit titre et pour le dit temps de neuf ans conjointement et solidairement avec sieur Jean-Marie Lagoutte, sieur Philibert Desvignes et sieur Guillaume Duvaut, tous les trois négociants à Autun. " Ce bail, détaillé article par article, nous montre toute la sollicitude de Fénelon pour les œuvres qu'il avait créées, améliorées, et qu'il voulait continuer à soutenir malgré son absence. Il retient, dans un premier alinéa, le logement de M. Wendel d'Hayange, dans son château, jusqu'à la Saint-Martin de l'année suivante, avec. une place dans ses écuries pour ses deux chevaux et sa voiture. Il cède à son fermier la dîme de Saint-Pierre de Varennes, à condition que le preneur payera annuellement sans diminution du prix ci-après, à M. le curé de Varennes, 310 mesures de seigle et 50 mesures de froment rendu sur son grenier, mesure de Couches, avec un poinçon de vin (1). " L'adjudicataire doit fournir tous les ans douze chars "de bois à chauffer aux sœurs de la charité (2). Il donnera pendant la durée des dites présentes une place à choisir dans l'ouche étant au-dessus du jardin du château pour semer une mesure de chennevy aux dites sœurs. En considération de quoi le dit reteneur jouira du grenier sur la maison de charité, sauf une place nécessaire aux dites sœurs.

 

(1) Même document, art. 2.

(2) Ibid., art. 15 et 16.

 

" La portion congrue de M. le curé du dit Saint-Sernin (1) qui est de 80 livres et 20 mesures de froment, 560 livres pour pension au dit sieur curé et 250 livres pour son vicaire, à supposer qu'il en tienne, seront payées par le dit adjudicataire en diminution de prix. " Payera au sieur curé de Saint-Firmin, toujours en diminution, la somme de 60 livres (2). " Payera de même les décimes auxquelles le dit seigneur sera imposé ainsi que celles du sieur curé de Saint-Sernin (3). " Plus loin, en comprenant dans cette amodiation les terres de son prieuré de Saint-Germain, il stipule encore que l'adjudicataire aura à livrer chaque année un char de foin au sieur curé d'Oyer, au lieu de 18 livres que le fermier Jean Lorton lui donne. L'article quatorzième de cette pièce importante est ainsi conçu : (L'adjudicataire fournira au dit seigneur bailleur une place dans l'écurie pour ses chevaux, le foin et l'avoine nécessaires pour leur nourriture pendant un mois chaque année, dans le cas seulement où le dit seigneur viendra au dit Saint-Sernin. Il voiturera le bois à chauffer nécessaire pendant le séjour du dit seigneur à Saint-Sernin. " Nous concluons de ce passage, que l'abbé de Fénelon conservait l'intention de revenir, au moins de temps en temps, dans ce séjour agreste et sauvage, dont il ne se séparait qu'à regret. Ce départ fut plus douloureux à son cœur que celui de 1745, lorsqu'il quittait la famille royale et la brillante cour de Louis XV. Il emmenait avec soi son filleul, Jean-Baptiste Chrétien, alors âgé d'une douzaine d'années, dans l'intention de l'élever et de le faire instruire. Ce jeune homme resta près de Fénelon jusqu'au moment où la Terreur exerça contre le clergé et les nobles les plus minutieuses poursuites. Effrayé, sans doute, il abandonna son

 

(1) Même document, art. 21.

(2) Ibid., art. 22.

(3) Ibid., art. 23.

 

maître et revint à Saint-Sernin, attendant que l'échafaud le rendît enfin possesseur pur et simple de la maison que son parrain lui avait donnée. L'abbé de Fénelon, retiré à Paris, avait fixé son séjour au séminaire des Missions Etrangères, rue du Bac, paroisse Saint-Sulpice (1). C'est assez dire qu'il ne mena pas une vie mondaine, mais qu'il passa ses dernières années dans la retraite et la prière Les membres de la famille des Salignac de Fénelon, dont plusieurs résidaient à Paris, lui fournirent aussitôt des relations et une société. Les enfants et les petits-enfants de Gabriel-Jacques, marquis de la Motte Fénelon, mort à Raucour, en 1746, occupaient tous des positions honorables. Le premier était François-Louis, marquis de la Motte ; après avoir été colonel, maréchal de camp, lieutenant général, il avait accepté le gouvernement des îles de la Martinique et des îles du Vent. L'aîné de ses enfants, Jean-Louis-Augustin, baron de Lobert, était agrégé au régiment des gardes-françaises. Il reçut de la main de l'abbé de Fénelon les titres importants qui établissaient ses droits à l'héritage de son père, papiers de famille (2), dépôt sacré confié par le chevalier son oncle pour lui être remis. Ce chevalier de Fénelon (3), non profès de Malte, le second des fils du marquis, était mort depuis plusieurs années et n'avait pas laissé de postérité. Le troisième avait été nommé chanoine de l'église de Paris, grand

 

(1) Eloge historique de l'abbé de Fénelon, Bibliothèque nationale, Paris ; et Biographie universelle, ancienne et moderne, t. XIII, p. 521. Michaud.

(2) Je reconnais que M. l'abbé de Fénelon m'a confié un.........de liquidation tant de la communauté de bien entre M. le marquis et Mme la marquise de Fénelon qui de leurs successions et droits de leurs enfants héritiers légitimes contenu en quinze feuillets grand papier, que je promets lui remettre à sa première réquisition, m'ayant déclaré que la dite liquidation appartient à M. le Chevalier de Fénelon mon oncle. A Paris, ce 31 août 1781.

(3) Peut-être celui qui mourut à l'Opéra. En traversant d'une loge l'autre, il tomba sur des piques et rendit l'âme. Louis XV fit laver la place et continuer la scène.

 

vicaire d'Evreux, prieur de Cavenac, après avoir été aumônier de Louis XV. On l'appelait aussi l'abbé de Fénelon. Il avait conçu pour le Prieur de Saint-Sernin une étroite amitié. Il lui avait surtout ouvert sur ses biens un crédit illimité, et ce dernier était tranquille lorsqu'il pouvait dire . " Je ne dois rien au monde qu'à mon cousin. " Le quatrième des fils du marquis était François-Gabriel, vicomte de la Motte Fénelon, chevalier de Saint-Louis ; il obtint successivement les grades de capitaine de frégate et de colonel d'infanterie à la Martinique ; c'est lui qui devait mourir sur l'échafaud avec l'abbé de Fénelon. Son fils, connu sous le nom d'abbé de Josaphat, était vicaire général de Metz et aumônier de Louis XVI. Enfin, une des filles du marquis, Anne-Charlotte-Louise, habitait aussi la capitale. Elle était mariée avec le maître des requêtes, François-Pierre de Delay de la Garde. Son nom, ainsi que celui de Josaphat, se rencontre dans les papiers de l'abbé de Fénelon (1).

Ses compatriotes furent aussi l'objet de ses attentions. Il avait accepté la tutelle d'un jeune homme, qu'il appelait le petit Saint-Léger, de Sainte-Livrade, en Agenois. L'abbé de Fénelon paya la pension de cet enfant jusqu'en janvier 1793 ; elle était de 88 livres tous les trois mois. Il en reçut des quittances : " Je reconnais avoir reçu de M. l'abbé de Fénelon la somme de 87 livres pour un quartier de la pension du petit Saint-

 

(1) Moi, Anne-Charlotte de Salignac de la Motte Fénelon, épouse dé M. Delagarde, maître des requêtes, je reconnais que M. l'abbé de Salignac Fénelon, prieur de Saint-Sernin, m'a remis la somme de 2,000 livres en un effet sur M. Mayer, caissier de la Compagnie intéressée dans les forges de Mesvrin, et cela pour remplir l'engagement qu'il avait pris avec, moi, par une lettre de l'année 1777, en faveur de M. le baron de Salignac, au moyen de quoi la dite lettre obligatoire devient nulle et de nul effet. Fait à. Paris, le 24 avril 1779.

Signé : A. C. S. M. FÉNELON DELACARDE

(Archives nationales déjà citées, liasse IV.)

 

Léger, qui a commencé le 26 septembre et qui échoira le 26 décembre. " Fait à Paris, ce 3 octobre 1792. " Signé : C. Voisin (1). "

" Reçu la somme de 88 livres pour le quartier qui échoira le 26 mars 1793.

" Paris, ce 4 janvier 1793. " Signé : C. voisin. "

 

De tels services n'étaient pas méconnus et, le 22 octobre 1792, l'abbé de Fénelon recevait cette lettre " Monsieur, Je n'ai reçu qu'aujourd5hui l'honneur de votre lettre du 25 septembre concernant mon neveu. Je l'ai envoyé sur-le-champ à son père, et vous pouvez être convaincu que le père de mon neveu votre pupille, fera exactement tout ce que vous lui prescrirez. Permettez, Monsieur l'abbé, que je joigne ma reconnaissance à la sienne pour toutes les bontés dont vous n'avez cessé de l'honorer. " J'ai l'honneur d'être, avec un très profond respect, Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur " SAINT-LEGER (2).

 

(1) Archives nationales déjà citées, liasse IV ;

(2) Même archives liasse VIII.

 

Adresse

à Monsieur Vessier, pour Monsieur de Fénelon, aux

Missions-Étrangères, rue du Bac, à Paris.

 

C'est à Poissy-sur-Seine, que ce témoignage de gratitude lui parvint, grâce à un tiers, M. Vessier. On était au milieu des troubles qui agitaient en ce moment la capitale. Mais ces occupations ne remplissaient encore ni son temps ni son cœur. Il était prêtre, et sa sollicitude pour le salut des âmes n'avait pas diminué avec l'âge. Il avait commencé, à Saint-Sernin du Bois et aux environs l'œuvre des missions paroissiales, il résolut de les continuer dans les paroisses de Paris. Les succès qu'il avait obtenus en province lui en faisaient espérer d'autres. Or pour rendre son action plus fructueuse, il demanda et obtint en cour de Rome à deux reprises différentes, une première fois pour cinq ans et la seconde pour dix ans, des pouvoirs t V' d'accorder des indulgences plénières à tous les fidèles qui suivraient les exercices de la mission en totalité ou en partie ; 20 de bénir, au nom de Sa Sainteté, à chaque mission de ville ou de campagne, mille croix ou médailles, autant de chapelets, avec indulgence plénière à l'heure de la mort ; 3° d'appliquer aux chapelets l'indulgence de sainte Brigitte (1). L'archevêque de Paris,

 

(1) Beatissime Pater.

 

Johannes Baptista Augustinus de Salignac de Fénelon ante hoc vicarius generalis dioecesis Biterrensis et defunctae, Reginae, Franciae, elernosinarius cum de licencia ordinariorum sacras peragat missiones per oppida et pagos et exercitia spiritualia tradat Sanctitati Vestrae humillime supplicat pro nova concessione indulgentae plenariae in favorem Christi fidelium utriusque sexus qui oratoris missionibus intererunt, vel qui per aliquot dies exercitiis spiritualibus operam daturi erunt. Enixe insuper supplict apro facultate benedicendi nomine Sanctitatis Vestrae in unaquaque missione mille cruces, seu sacra numismata, totidemque corons percha-

 

Christophe de Baumont, lui donnait son approbation et lui permettait de se servir de ces privilèges dans tout son diocèse. A-t-on conservé quelque part le souvenir de notre missionnaire ? Si aucun registre de paroisse n'a noté son passage, que de familles chrétiennes ont recueilli sa parole ! Une œuvre qui demandait plus de sollicitude et de sacrifices occupait aussi les loisirs de sa retraite. Près de sa résidence, au séminaire des Missions étrangères, rue du Bac, se tenait l'école de charité pour les Savoyards. Poussé moins par nature que par vertu au soulagement de la misère, son cœur semblait pencher là où il trouvait le plus d'abandon et le plus de souffrances. Grand seigneur de la Cour, il était venu porter ses bienfaits dans sa pauvre terre de Saint-Sernin ; retournant à Paris, il adopta nue classe de pauvres dont la misère physique et morale attirait la sympathie de ceux à qui elle n'inspirait pas la crainte et l'effroi. Le sort des petits Savoyards avait déjà, en 1665 (1), fixé l'attention d'Etienne Joly, prêtre du diocèse de Dijon. Il avait ouvert chez lui, à Paris, des catéchismes auxquels il les attirait par d'abondantes aumônes. Vers. le même temps, Claude Hélyot, conseiller à la cour des aides de Paris, réunissait aussi ces malheureux aban-

 

torias cum indulgentia plenaria in articulo mortis et applicatione indulgentiae nuneupatae sanctae Brigitte ad decennium et de gratia.

Ilmo Dno Nro,Pio, Il. Il. VI.

Ex audientia Ilmi, die 14 novembris 1788.

ILmus enunciatum rescriptum sub die 25 novembris 1880 editum in omnibus, juxta illius tenorem et continentiam ad aliud decennum benigne, prorogavit. Johannes Baptista de Salignac de Fenelon, pro Jam vicario generalis dioecesis Bitterensis. (Archives nationales, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse XIP, pièce 12e.) (1) Ces détails sur les commencements de cette œuvre nous ont été donnés par M. le vicomte de Pontbriand, qui a mis avec bonté les souvenirs de sa famille à notre disposition.

 

donnés pour leur enseigner les éléments de la doctrine chrétienne. Ces pauvres enfants, loin de leurs foyers, de leurs familles, chassés de leurs montagnes par la misère et la faim, perdus dans ces grandes rues de Paris, étaient heureux de se retrouver en famille autour d'un cœur qui leur prouvait son amour par une charité de l'âme et du corps. Mais bientôt ils perdirent tout d'un coup ces deux premiers protecteurs. L'abbé Joly fut rappelé dans son diocèse en 1672, et M. Hélyot mourut en 1686. Pendant cinquante ans les pauvres Savoyards n'eurent plus de père, l'œuvre avait été abandonnée. Ce n'est qu'en 1737 que M. de Pontbriand reprit en main la cause de ces malheureux. Les vertus de ce noble ecclésiastique étaient héréditaires (1). Destiné à la carrière des armes, il l'abandonna bientôt, Dieu l'appelait à un état plus parfait ; il entra dans les ordres sacrés. Les honneurs l'y attendaient, car il fut aussitôt nommé vicaire général et archidiacre du diocèse de Cahors, puis abbé commendataire de Saint-Marien, à Auxerre, abbaye de Prémontrés, qui valait 4,000 livres, et Theuilley au diocèse de Dijon, de l'ordre de Cîteaux qui pouvaient rapporter le double. Mais ces honneurs et ces revenus touchaient peu son cœur. Sa seule passion était de faire du bien à ses frères malheureux et souffrants, c'est pourquoi, à l'âge de trente-deux ans, il s'attacha à l'œuvre délaissée des petits Savoyards. Il y consacra tout le reste de sa vie, employant là ses soins, son temps et sa fortune aussi le connaissait-on sous le nom

 

(1) Sa mère, Mme Marie-Angélique-Sylvie Marot de la Garaye, dont là vie fut consacrée à l'exercice de toutes les vertus, était la sœur de M. le comte de la Garaye, resté célèbre en Bretagne par son dévouement aux pauvres. René-Marie-François du Breil de Pontbriand, né le 22 mai 1705, au château de Pombriand, diocèse du, Saint-Malo, était le cinquième fils de Joseph-Yves du Breil, comte de Pontbriand. Ayant perdu son père a l'âge de cinq ans, il reçut de sa mère sa première éducation, c'est près d'elle qu'il puisa son grand amour des pauvres avec le sentiment de la plus vive piété.

 

de Savoyard. Il s'était tellement identifié à eux, que pour être sûr de leur faire plus de bien, il vivait tous les jours au milieu de ces pauvres et s'était fait pour ainsi dire comme l'un d'eux. Il publia plusieurs petits ouvrages de piété pour leur édification ainsi que celle des fidèles. Il fit paraître en outre, en 1751, une brochure ayant pour titre : Projet d'an établissement pour élever dans la piété les Savoyards qui sont dans Paris. Lui-même avait donné un commencement d'exécution à ce projet, en ouvrant, rue du Bac, une école de charité pour les réunir et leur distribuer avec les aumônes les secours spirituels dont ils avaient surtout besoin. Ses petits revenus ne pouvaient suffire à une œuvre aussi grande, c'est pourquoi il avait, dans quatre brochures successives, intéressé les personnes pieuses, en leur exposant l'abandon et la misère des Savoyards. La reine Marie Leczinska y prit un intérêt tout particulier et favorisa les développements de cette entreprise. Avant de mourir, M. de Pontbriand ne fit qu'un testament, qui porte la date du 13 septembre 1763 (1). Il donnait à la congrégation de Saint-Lazare tous ses biens mobiliers, mais il ne léguait son œuvre à personne. Il la savait trop grosse de sacrifices et de zèle pour l'imposer à quiconque. Ces sortes de missions doivent être entreprises volontairement par ceux qui s'y consacrent. Aussi à sa mort, qui arriva en 1771, les petits Savoyards étaient restés sans maître et sans bienfaiteur. Telle était la situation de cette œuvre lorsque l'abbé de Fénelon résolut d'en prendre la direction. Le souvenir de son ami, M. de Pontbriand et celui de la reine, dont il avait connu la haute piété, était pour lui comme une manifestation de la volonté de Dieu à son égard. Il désirait aussi se créer, au milieu de ce grand désert de Paris, une nouvelle famille sur laquelle il put, comme à Saint-Sernin, répandre les trésors de sa fortune et de son cœur. Il reprit

 

(1) M. le vicomte de Pontbriand ;

 

cette œuvre et le monde le désigna sous le titre honorifique d'évêque des petits Savoyards. Il voulut d'abord faire des hommes (1) de cette espèce d'êtres qui, sous un masque affreux et rebutant de crasse et de suie, cachent presque toute leur vie une figure humaine, et, pour cela, il s'efforça d'en faire des chrétiens, persuadé qu'en les retirant du vice et en leur inspirant les vertus morales, ils recouvreraient d'eux-mêmes leur place dans une société qui les regardait avec effroi ou mépris, comme une caste à part. Après avoir écarté cette laideur et ces haillons, il trouva, dans ces poitrines, des cœurs d'hommes pleins de mauvaises passions sans doute, mais aussi avec ce penchant irrésistible à la reconnaissance, qui pousse les natures les plus abandonnées vers ceux qui leur font du bien. Il aimait ces bonnes gens comme ses enfants, il venait à leur secours quand ils étaient malades, et pourvoyait à leurs différents besoins ; aussi lui étaient-ils attachés comme à leur père. L'abbé de Fénelon les assistait tous, mais il avait une prédilection particulière pour les plus jeunes, parce qu'ils avaient plus de besoins et qu'ils se trouvaient exposés à un plus grand nombre de dangers. Ces enfants, de retour aux foyers, aimaient à raconter à leurs mères de Savoie, les bontés et les condescendances (le ce curé qui leur portait tant d'intérêt ; et les mères, étonnées, se trouvaient heureuses de savoir que, dans cette grande ville de Paris, un cœur battait à l'unisson du leur pour leurs pauvres petits. Il avait chez lui un magasin de chemises, de chaussures et de vêtements, destinés à leur usage (2). Il tenait aussi pour ceux qui arrivaient une provision d'instruments qui leur étaient néces-

 

(1) Eloge historique de l'abbé de Fénelon, J. G. (Bibliothèque nationale.)

(2) Catéchisme de persévérance, par Mgr Gaurne, t. VI, p. 11-23 (Paris, ,1860), et Eloge historique cité plus haut. Ce magasin était une boutique dépendante du séminaire des Missions étrangères. Il en paya le loyer jusqu'en 1793, 8 avril.

" Le soussigné reconnais avoir reçu du citoyen Fénelon, la somme de 60 livres pour trois mois de loyer échus le 1er du courant, d'une boutique et dépendances qu'il occupe, dépendant de la grande maison de. , Missions-Étrangères, dont quittance. Paris, le 8 avril 1793, l'an II de la République. " Signé . SALMON. "

 

saires et qui leur manquaient souvent pour gagner leur vie. Il leur distribuait ces petits effets, suivant leurs besoins particuliers. Sa porte leur était toujours ouverte, mais il y avait des jours et des heures marqués où ils devaient se rassembler, soit pour exposer leurs besoins, soit pont- rendre compte de leur conduite. Il leur fit ajouter au métier de ramoneur, qui leur laissait trop de loisirs, celui plus journalier de décrotteur. Il fut alors obligé de leur procurer encore les outils nécessaires à cette nouvelle industrie. On le voyait souvent s'arrêter auprès d'eux dans les carrefours, s'informer de leur gain, de leurs besoins, et pourvoir à tout sans jamais se lasser. Il plaçait aussi en apprentissage, à ses frais, ceux d'entre eux qui aimaient mieux rester en France (1) que de retourner dans leur pays. Toutes ces précautions, tous ces soins matériels, étaient un moyen d'arriver jusqu'à leurs âmes. Il n'oubliait pas que l'école était véritablement la clef de voûte de l'œuvre, aussi mettait-il un soin particulier pour obtenir de ces êtres vagabonds une assistance régulière. Il leur faisait là le catéchisme, leur donnant aussi, dans des entretiens simples et à leur portée, des leçons de morale et de religion. Sa parole était celle d'un père à ses enfants. Quand il en avait un certain nombre de bien instruits, il choisissait un dimanche pour leur faire faire leur première communion. Il les y préparait par une retraite, pendant laquelle il les instruisait encore par des entretiens familiers, appropriés à la grande action qu'ils allaient accomplir. Il avait soin que tous fussent réconciliés avec Dieu, dans le tribunal de la pénitence, et pour que la propreté du corps répondît à la pureté de l'âme, il les faisait habiller tous à neuf. La

 

(1) Voyez encore le Légendaire d'Autun, par M. Pequenot, curé de Couches, chanoine titulaire de la cathédrale, d'Autun et théologal.

 

cérémonie se faisait avec la pompe la plus imposante, C'était ordinairement un évêque qui, le matin, donnait la communion à ces enfants, et un des plus célèbres prédicateurs de Paris, qui, le soir, leur prêchait un sermon, après lequel ils renouvelaient leurs vœux du baptême. Tout cet appareil religieux, frappait autant leur esprit que leurs sens, et laissait dans leur cœur des impressions qui ne s'en effaçaient presque jamais. L'abbé Carron, prêtre du diocèse de Rennes, assista quelquefois à ces cérémonies. Voici ce qu'il en dit : " J'ai ' vu, en 1788, Mgr de Beauvais, évêque de Senez, présider à cette touchante et admirable fête ; j'ai entendu le P. Beauregard y donner un discours, dont le sujet était : Qu'est-ce qu'un chrétien ? Qu'est-ce qu'un chrétien doit être ? J'ai vu le vénérable Fénelon, oubliant son âge, se montrer partout, verser partout, sur sa jeune famille adoptive, ses bénédictions plus que paternelles. L'orateur, en tonnant du haut de sa chaire sur les grandeurs humaines, m'avait pénétré d'un religieux tremblement ; et le neveu du grand Fénelon, en me rapprochant des petits et des pauvres, avait comme agrandi le christianisme à mes yeux (1). " Le souvenir et l'image de l'abbé de Fénelon se gravaient dans l'esprit de ces pauvres ; et au milieu de leurs plus mauvais jours, son visage paternel, ses pieux conseils, ont dû plus d'une fois préserver et retirer même beaucoup de ces âmes, ou du désespoir ou du vice. C'est à Saint-Sernin qu'il avait commencé ce ministère tout pastoral. C'est dans cette paroisse qu'il avait cherché pour la première fois à prendre le chemin des murs souffrants, à s'attacher les pauvres, les sabotiers, les charbonniers, les verriers ou les mineurs, et ici, comme à Paris, au milieu de ses Savoyards, il avait pleinement réussi. . Il était ingénieux pour assurer leur persévérance dans le bien ;

 

(1) Les Confesseurs de la foi dans l'Eglise gallicane, t. Il, p. 32 et suivantes. (Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.)

 

il ne voulait pas qu'une fois sortis de ses mains, ils fussent livrés à eux-mêmes ; et pour garder avec eux un lien permanent, il avait imaginé, dans son zèle et sa charité, un moyen particulier. Il institua au milieu d'eux une chose que nous aimons, à tout âge, recevoir et porter, des médailles et des décorations. Les gouvernements et les sociétés s'en servent pour s'attacher les hommes les plus distingués par leur courage ou leur science. Lui s'en servit pour attacher ses Savoyards à la vertu et à leurs devoirs de chrétien. Il fit donc une provision de médailles de cuivre, avec une inscription qui indiquait que c'était un prix de sagesse. Mais cette récompense, il fallait la mériter, et elle ne s'obtenait qu'après des preuves multipliées de docilité, de sagesse et de bonne conduite. L'enfant, porteur de cette médaille, la conservait comme un bijou précieux, il s'en parait quelquefois et il ne manquait pas de la produire quand il avait besoin de quelque recommandation. Cette médaille était connue des agents de la police, et elle était d'un grand poids en faveur de celui qui la possédait. La fortune de l'abbé de Fénelon ne pouvait pas suffire à tout le bien qu'il désirait. Les maigres revenus de son prieuré de Saint-Sernin, qu'il avait amoindris par toutes les améliorations dont il avait fait jouir les habitants, ne pouvaient couvrir seuls les énormes dépenses de ses bonnes œuvres. Lorsque son homme d'affaires, Jacques-Lazare Jondot (1), n'avait plus rien à lui envoyer, il faisait des quêtes de charité. Il savait alors retrouver le chemin de la Cour. Il y avait brillé autrefois, et maintenant il y revenait tendant la main comme le dernier des malheureux. Son nom, son œuvre, le souvenir de Marie Leczinska, tout parlait pour lui ; et M-0 Elisabeth, cet ange de la cour, comme on aimait à l'appeler, poussée par la pieuse pensée de la sainteté et des malheurs de son aïeule, que la vue de ce vieillard lui rappelait, jetait une large aumône

 

(1) Parent sans doute d'Étienne Jondot, célèbre professeur d'histoire, Ils étaient originaires de Montcenis.

 

dans la bourse des pauvres. Il frappait aussi à la porte des maisons opulentes où il pouvait avoir accès. Il employait surtout cette ressource dans les temps durs et calamiteux. Il disait avec ingénuité aux personnes dont il implorait la charité : " Qu'il avait un grand nombre d'enfants répandus dans tous les quartiers de Paris, et qu'il sollicitait des secours pour fournir aux besoins de cette pauvre et nombreuse famille (1). " De temps en temps, il dressait le bilan de ce qu'il possédait, afin de ne pas se trouver avec un déficit imprévu, et devenir ainsi, par une charité trop aveugle, à charge à ses créanciers. Nous possédons un de ces comptes, sans date, peut-être le dernier, intitulé :

 

ÉTAT DE MES AFFAIRES (2).

 

J'ai à moi :

 

D'argent comptant.                800

 J'ai prêté.                               600

 J'attends De mon abbaye    4,461

.                                              ____________

                                               5,861 livres.

 

Mais comme mes 600 livres prêtées ne me reviendront pas de sitôt, je ne compte que sur 5,261 livres.

 J'ai à payer :

 

1° mes pensionnaires, semestre                                               490 livres

2° au tailleur                                                                            900

3° à M. de Cressac pour restant des bulles.                          1,000

4° à Forestier                                                                           250

5° à Bisson, horloger                                                               200

6° à M. de Laon, pour sa jouissance sur Josaphat                 1,800

7° aux économats pour la vacance et régale                          1,800

                                                                                              ___________

                                                                                              6,340 livre

 

 

Partant pour être au pair de mes affaires et ne devoir rien qu'à

 

(1) Eloge historique déjà cité.

(2) Archives nationales, cartons des biens séquestrés, t. CCLXXICCLXXIII, liasse XP, n° 2.

 

mon cousin, il me manque 1.079 livres. L'abbé de Fénelon m'a promis de me prêter 682 livres pour compléter 100 louis que je lui dois. De plus, il veut bien payer ma voiture 1.900 livres. Je propose à mon cousin de ne pas payer M. Darfeuille, qui consent volontiers à attendre, s'il voulait ajouter ce qui me manque pour faire 200 louis de dettes, que j'aurais vis-à-vis de lui, cela arrangerait au mieux mes affaires. Par conséquent, je ne devrais rien au monde que 200 louis à mon cousin et 1.900 livres à Darfeuille. Je rembourserai 100 pistoles par an  à mon cousin, et même plus si affaires l'exigent, et je payerai à Darfeuille, tous les six mois, 600 livres ; et, par cet arrangement, j'aurai 2.000 livres pour aller jusqu'à Noël. Malgré la modicité de ses ressources, il pensait aux besoins de son prieuré de Saint-Sernin du Bois. Rien ne lui échappait. S'il avait confié à M. Jondot, son homme d'affaires, le soin de payer, sur les lods et ventes, et sur les amendes, les dépenses nécessaires à l'hôpital, qui était à peine terminée en 1786, à l'église, au cimetière, à la cure, au ponts, etc., etc., il s'était réservé la charge de secourir lui-même les pauvres dans les dures années de 1788 et 1789. M. Jondot dépensait en trois ans, de 1786 à 1789, la somme de 3.220 livres, 5 sols, 6 deniers, en réparation de toute sortes. Il donnait à la supérieure de l'hôpital 320 livres pour les pauvres et les besoins de sa maison ; il entretenait les églises de Saint-Sernin et de Saint-Germain d'aubes, de surplis et d'amicts, etc. Il fournissait au curé Dumont son chauffage et même ses vêtements (1). Le 17 décembre 1786, il fait donner aux sœur 200 livres pour les pauvres. La supérieure lui en fait un reçu : J'ai reçu de M. Jondot, procureur fiscal, à Montcenis, la

 

(1) Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse VIIe

 

somme de 200 livres pour distribuer aux pauvres au nom de M. l'abbé de Fénelon, ce 17 décembre 1786. " Signé: J. MARCHAL, " Sœur de Charité de M. l'abbé de Fénelon (1). "

 

M. l'abbé de Fénelon envoyait, à Saint-Sernin, chaque mois de l'année 1789, une somme considérable pour nourrir les pauvres. Il avait chez soi le nom de chacun d'eux, avec le secours qu'il lui avait destiné. Pour le mois de décembre 1788, il envoya 98 livres, 10 sols ; pour le mois suivant, 94 livres, 10 sols ; pour février, 95 livres, 4 sols ; pour mars, 121 livres, 4 sols ; pour avril, 188 livres, 16 sols ; pour mai, 166 livres ; pour juin, 192 livres ; et pour juillet, 207 livres (2). Quarante-quatre familles, dont plusieurs existent encore à Saint-Sernin (3), recevaient ainsi leur pain de chaque jour. Parmi ces pauvres se trouvaient dix veuves, chargées de famille, plusieurs orphelins et des malades. Il leur achetait aussi des étoffes et des vêtements. Il nous reste un acte qui nous montre une fois de plus comment l'abbé de Fénelon savait d'une aumône faire plusieurs heureux " Entre nous soussignés Jean-Baptiste-Augustin de Salignac de Fénelon, seigneur de Saint-Sernin, demeurant à Paris.

 

(1) Mme document, liasse IVe.

(2) Ibid., liasse VIIe.

(3) Girard Didier, veuve Vernizeau, veuve Galoisy, Nautes, la Jeannette, la Vinaude et six enfants, mère Bourgeois, veuve de Pierre Marlot, la fille Demaiziere, Reine Marlot, mère Rolland, Baudot, Marlot, Hugues Boyer, Sourdeau, la femme à Colas, Delorieur, la Pautot, veuve Guiriot, veuve Vincenot, mère Laborde, veuve d'André Fyot, Françoise Marlot, père Camus, la fille Doiziau, la Girardin, veuve Lacour, Bonnardin, mère Destères, veuve Baudran, Sébastien Gauffres de Varennes, Pernette, Claude Douillet, Jean Radey, Taillard, Coron, veuve Nomblot, Jean Popille, Desaples, la Jeanne P..., Benoît et François Marlot, de Saint-Firmin la petite Moine chez le père Fougère.

 

« Et Pierre Buffenoir, menuisier, demeurant à Ruère, paroisse de Saint-Sernin du Bois, sommes convenus de ce qui suit " Savoir que moi le dit Pierre Buffenoir promets et m'oblige de faire dans le courant de cette année environ huit toises de menuiserie dans l'église du dit Saint-Sernin, du côté du midi... de la même hauteur, de même façon que celle qui y est actuellement à raison de sept pieds et demi la toise carrée, de fournir tous les bois nécessaires pour,... et de bonne qualité pour remplacer celle qui y est actuellement et ce moyennant 36 livres par toise carrée de sept pieds et demi-carrés en tout fournissant et de 5 livres pour les couleurs au dehors et au-dedans, semblable en tout à celle qui existe, laquelle neuve, le dit seigneur lui payera lorsque les dits ouvrages seront faits et reçus, " Que le dit Pierre Buffenoir promet et s'oblige de nourrir, loger et chauffer, pendant une année, le nommé Coron cadet et de le faire travailler en qualité de menuisier pendant le dit temps sans pouvoir l'occuper à d'autres ouvrages pour quoi le dit seigneur payera au dit Buffenoir, à la fin de la dite année, la somme de 80 livres. " Promettant encore le dit Pierre Buffenoir de prendre chez lui Jean-Baptiste Fyot, de le loger, nourrir, chauffer, sans interruption pendant deux années, pendant lequel temps il ne pourra le faire travailler qu'aux ouvrages de menuiserie, pour quoi le dit seigneur payera pareillement au dit sieur Buffenoir dans un an la somme de 100 livres.

 

" Fait double à Saint-Sernin, le 24 septembre 1786, " Signé : l'abbé De FÉNELON, " Pierre BUFFENOIR, " A. FYOT, " Jean FYOT (1). "

 

(1) Archives nationales, citées plus haut, liasse XIe, n. 7.

 

Sa charité ne se bornait pas à la paroisse de Saint-Sernin. M. Ligonnet, curé de Saint-Symphorien des Bois, paraît avoir été son homme d'affaires dans le Charolais ; c'est par lui qu'il paye régulièrement la portion congrue de M. Labrosse, curé de Saint-Germain des Bois, et de M. Prudhon, autre curé de son prieuré ; c'est par lui encore qu'il règle, avec Bouillet du Trembly, les réparations du clocher de Dyo (1). Il aurait pu augmenter ses aumônes, si Jean Lorton, fermier général de ses propriétés du Charolais, l'avait payé exactement, Cet homme, par faiblesse sans doute, ne savait pas faire rentrer l'argent qui lui était dû ; aussi se trouva-t-il, en 1789, tellement arriéré, que, depuis deux ans, il lie donnait rien sur son fermage, L'abbé de Fénelon mit sa créance entre les mains de M. Grandjean, son procureur, qui traita l'affaire devant le tribunal de Mâcon. Lorton fut mis en prison jusqu'à ce qu'il eût déclaré toutes les sommes à lui dues, et qu'il eût donné son consentement pour qu'elles fassent versées entre les mains de l'abbé de Fénelon, jusqu'à concurrence de 2,121 livres, 2 sols, 8 deniers. Cette somme lui rentra, mais diminuée de tous les faux frais que son procureur lui compta (2).

 

(1) Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-CCLXXIII, liasse IV,. " Je reconnais avoir reçu comme adjudication des ouvrages du clocher de Dyo, qui m'ont été donnés par M. le prieur de Saint-Germain, la somme de 228 livres à compte, de M. Ligonnet, curé de Saint-Symphorien pour le compte de mon dit sieur, In prieur du dit Saint-Germain, dont la quittance ce 18 mai 1787. Signé : Bouillet Du TREMBLY.

(2) Archives nationales, papiers des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-CCL-X.XIII, liasse VIIP, IP et 111,. " Le soussigné reconnais avoir reçu de M. l'abbé de Fénelon la somme de 604 livres pour les frais de son affaire, le sieur Lorton, son fermier, non compris les honoraires de...  et le coût de ...dont quittance à Paris, le 1er septembre 1789.Signé : GRANDJEAN. "

 

Au milieu de tous ses soucis et de ses grandes occupations, Fénelon trouvait encore du temps pour les études sérieuses. Les écrits de l'Archevêque de Cambrai attirèrent spécialement son attention. Il conçut le projet d'en donner une édition complète. Il voulut pourtant retrancher de cette collection toutes les questions de controverse auxquelles la sublime soumission de l'Archevêque avait mis fin, et qui n'avaient plus, à l'époque actuelle, d'intérêt sérieux (1). Ce retranchement était, de sa part, sagesse et prudence ; il s'associait par-là à la rétractation admirable de l'immortel l'Archevêque de Cambrai. Un silence complet devait passer désormais sur tout cela ; et si quelque savant, désireux de remuer la poussière de ces luttes passées, voulait étudier plus tard ces controverses, assez d'exemplaires en avaient été donnés dans le temps, pour satisfaire son inutile curiosité. Ces retranchements furent cependant poussés trop loin. C'est pourquoi cette édition est peu estimée de nos jours. Voici ce qu'en dit Lebel, dans une édition plus complète : " Le respectable abbé de Fénelon, ce digne héritier du nom et des vertus de l'Archevêque de Cambrai, qui succomba, à Paris, au mois de juin 1794, victime du fanatisme révolutionnaire, travailla, pendant les dernières années de sa vie, à réparer cet oubli. (On n'avait pas encore publié les œuvres complètes de Fénelon.) Conjointement avec l'abbé Galland, grand vicaire de Senlis, il rechercha avec le plus vif intérêt tous les manuscrits existants de son illustre parent, et il trouva de tous côtés, soit dans les communautés, soit dans les particuliers dépositaires de ses manuscrits, le plus grand et il lui presse à entrer dans ses vues. (Bibliothèque du séminaire de Saint-Sulpice, celle des Théatins, celle de Saintes et les archives du secrétariat de Cambrai.) Le clergé de France lui-même, jaloux de favoriser une entreprise si utile et si glorieuse à l'Eglise gallicane, arrêta, dans l'assemblée de 1782, d'avancer 40,000 livres à

 

(1) Eloge historique de l'abbé de Fénelon, Bibliothèque nationale.

 

l'abbé Galland, qui devait diriger la nouvelle édition des œuvres de Fénelon. Cependant, d'autres embarras ayant obligé l'abbé Galland de renoncer à ce travail, en 1785, la direction en fut confiée au P. de Querboeuf, jésuite également recommandable par ses écrits et par ses vertus. Ce fut par ses soins que l'on vit paraître, depuis 1787 jusqu'en 1792, une partie des œuvres de Fénelon, précédée d'une vie de l'illustre prélat, plus complète et plus détaillée que toutes celles qui avaient été publiées jusqu'alors. Cette édition, imprimée, à Paris, chez Didot, en neuf volumes in-4°., se recommande, il est vrai, par la beauté de l'exécution; mais on lui a justement reproché plusieurs défauts importants. Soit que des considérations particulières ne permissent pas alors à l'éditeur de publier tous les manuscrits qu'il avait à sa disposition, soit que la Révolution ou ses nombreuses occupations l'aient empêché de terminer son travail, il laissa dans l'obscurité un grand nombre de pièces non moins intéressantes par leur objet que par le nom de leur auteur. Omission d'autant plus à regretter que plusieurs des manuscrits qui étaient alors entre les mains du P. de Querboeuf, et dont nous avons la liste sous les yeux, ont été égarés et peut-être détruits dans les divers transports qui en ont été faits pendant la Révolution - Le même éditeur crut aussi devoir exclure de sa collection plusieurs ouvrages importants et déjà imprimés depuis longtemps, il omit non seulement les écrits sur le quiétisme, qu'il jugea sans doute peu intéressants pour la plupart des lecteurs mais encore les ouvrages relatifs à la controverse du jansénisme, et un grand nombre de mandements qui paraissaient devoir être, un des principaux ornements de cette collection. Peut-être, cependant, la suppression extraordinaire des écrits sur le jansénisme pourrait-elle être excusée par les fortes oppositions que l'éditeur éprouvait à ce sujet de la part des censeurs. C'est ce que suppose, assez clairement, une lettre de l'abbé du Terney à l'abbé de Fénelon, du 6 juin 1781. L'auteur de cette lettre s'étonne, avec raison, que l'on fasse << des difficultés sur cette partie des ouvrages de l'Archevêque de Cambrai, taudis que D. Deforis a carte blanche pour imprimer tout ce qu'il veut dans son Bossuet... habille son auteur en vrai janséniste, au moyen de ses notes, de ses préfaces et de ses tables, et, en dépit de toutes les démonstrations, ose nous redonner la censure de Quesnel, sous le titre de justification de Quesnel. - Si cela est, ajoute l'abbé du Terney, il me semble que c'est vouloir priver notre édition de la partie qui intéresse le plus l'Eglise, et que, dans ce cas-là, il faut renoncer, pour le moment, à toute votre entreprise, et la réserver pour de meilleurs temps. Il vaut infiniment mieux que le publie en jouisse plus tard et qu'il l'ait entier. " Un autre défaut de l'édition du P. de Querboeuf, c'est l'espèce de désordre qui règne dans la distribution des divers ouvrages dont elle se compose. On ne peut raisonnablement exiger en ce genre un ordre parfait ; mais on est justement étonné de voir, çà et là, dispersées dans une collection considérable, des productions qui ont entre elles un rapport manifeste et de rencontrer quelques ouvrages jetés pour ainsi dire au hasard parmi des écrits d'un genre absolument différent, par exemple, les Directions pour la conscience d'un roi entre divers morceaux de littérature et un morceau de poésie entre divers écrits politiques. (T. 111 de l'édition in-411.) Ajoutez à cela que l'éditeur ne distingue presque jamais les ouvrages publiés alors pour la première fois d'avec ceux qui l'avaient été auparavant, ni les ouvrages posthumes d'avec ceux qui avaient paru du vivant même de Fauteur. Nous ne dirons rien de la correction du texte dans cette édition. Il est certain que cet article si important y est ordinairement fort négligé. On pourra s'en convaincre par les observations que nous aurons occasion de faire sur plusieurs ouvrages et en particulier sur le Traité de l'existence de Dieu (1). L'abbé de Fénelon signa l'épître au Roi, qui se trouve en tête,

 

(1) Œuvres de Fénelon, Versailles, 1820, et suiv., t 1, p. 5 et 7. (Bibliothèque du grand séminaire d'Autun.)

 

mais il vécut pas assez pour voir la fin de son entreprise (1).

Les mauvais jours l'avaient surpris dans ses travaux. Quelques années seulement avaient suffi pour jeter partout le trouble et l'effroi. Ceux même (le la noblesse et du clergé qui avaient penché pour des réformes dans l'intérêt du plus grand bien trouvaient que le mouvement prenait une marche contraire à leurs espérances. Le tiers état avait remporté un premier triomphe, en s'instituant la seule représentation du pays. Le peuple avait, après lui, remporté sur le Roi une victoire qui fut le point de départ de tous les désordres. Il avait forcé Louis XVI à rentrer dans Paris. On fonientait la révolte partout et la misère était grande. Fénelon était obligé de nourrir sa nombreuse famille et surtout clé la préserver des influences malsaine, qui régnaient alors. Nous verrons bientôt le résultat beureux de ses efforts. Ce que nous lie saurons jamais, ce sont ses soins, ses attentions de chaque jour et de chaque heure, sa sollicitude paternelle qui devenait de plus en plus inquiète, à mesure que le péril devenait plus grand et que les dangers se multipliaient sous les pieds de ses enfants. Il en perdit certainement quelques﷓uns, et alors qui nous dira jamais les larmes de ses longues veilles ?

L'Assemblée nationale, en 1.790, créa à Fénelon de nouvelles difficultés, en votant la confiscation des biens du clergé. C'était lui retirer une grande partie de ses ressources, puisqu'on lui enlevait son bénéfice de Saint-Sernin. Il lui fut alloué en compensation sur l'abbàye de Magranier une petite pension de 800 livres, réduite bientôt,à 500, dont, en définitif, il ne toucha jamais rien. On ne lui réclama pas moins ses contributions patriotiques, qui montèrent à 1,000 livres pour l'année 1790 et 500 livres pour chaque année .suivante, 1791 et 1792. La nation généreuse lui en donnait double quittance (2).

 

(1) Éloge hisloripie de l'abbé de Fénélon.

(2) Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Émigrés et condamnés, t, CCLXXI-CCLXXIII, liasse Me, pièces 5 et 6.

 

QUITTANCE DE CONTRIBUTION PATRIOTIQUE

6° DÉPARTEMENT

Rue du Bac,

 

Maison des Missions Etrangères.

 

" Nous soussigné receveur particulier des finances et de la contribution patriotique du 61 département de la ville de Paris, reconnaissons avoir reçu de M. l'abbé de Fénelon la somme de deux mille livres, pour les trois termes de sa contribution patriotique, dont quittance à Paris.

« Ce 22 février 1790, 14 octobre 1791 et 30 mars 1792.

" pro duplicata, " Signé: BERNARD.

1er terme         1000 fr.

2eme terme     500 fr., suivant modération

3ème terme     500 fr., suivant modération.

                        _________

                        2,000 fr.

 

" Signé: BD. (BERNARD). "

 

Deux autres quittances parfaitement semblables mentionnent, chacune séparément, le 2e et le 3e terme (1). C'était une ruine, ajoutez encore les prétentions des débiteurs qui refusaient de payer les arrérages qui lui étaient dus sur son prieuré de Saint-Sernin. Il proteste hautement contre toutes ces injustices et M. Jondot, son homme d'affaires, dresse l'acte suivant : " Je soussigné Jacques-Lazare Jondot, fondé de pouvoir de M. l'abbé de Fénelon, ci-devant prieur de Saint-Sernin du Bois, demeurant à Paris (2) ; déclare, pour le dit prieur abbé de Fénelon,

 

(1) Archives nationales déjà citées. L. XI, nos 5 et 6.

(2.) Archives de la ville d'Autun.

 

qu'il entend jouir de la faculté qui lui est accordée par l'article 27 du décret du six et du onze août dernier. Je déclare en outre que mon dit sieur abbé de Fénelon jouit des revenus du dit prieuré de Saint-Sernin l'année 1789 lequel est amodié par acte notarié moyennant dix-huit (mille) (1) livres, compris les bois, la coupe réglée, et d'une pension de huit cents livres, réduite à cinq cent cinquante livres, affectée sur l'abbaye de Magranier, diocèse de Toulouse. »

« A Autun, le 1er novembre 1790. " JONDOT. »

 

Des épreuves plus douloureuses l'attendaient l'année suivante. Le 4 janvier 1791 était fixé comme le dernier délai donné à tout ecclésiastique qui n'avait pas encore prêté serment à la constitution civile du clergé. Ce serment schismatique devait donner une organisation toute nouvelle à l'Eglise de France, la séparer de Rome et du Pape. Fénelon alarmé, comme presque tous ses frères, de ce que l'Assemblée, d'une manière aussi maladroite, mettait la main sur la conscience de chaque fidèle, attendit avec anxiété ce dernier jour. Il y avait en effet une grande différence entre ce serment du 4 janvier 1791 et ceux des 14 juillet de l'année précédente et 3 septembre 1792 (2). De ces deux derniers, l'un ayant été prêté par le Roi lui-même ne pouvait faire aucune difficulté ; l'autre, qui ne portait que sur l'égalité et la liberté, quoique longtemps regardé comme coupable par un grand nombre d'ecclésiastiques émigrés, avait été prêté, à l'exemple et d'après les conseils de .M. Emery, par presque la totalité des prêtres résidants à Paris, qui seuls pouvaient juger de l'importance et de l'utilité de ce nouveau serment. Quant à celui de janvier 1791, il était sans nul douté schismatique et ne pouvait être prêté par aucun prêtre fidèle.

 

(1) Ce mot mille est oublié dans cet acte, mais il est évident que c'est un lapsus calami.

(2) Vie de M. Emery, t. 1, p. 229, 240 et 305. Paris, 48G

 

C'est alors que Fénelon fat témoin de la résistance de tous les évêques et de tous les prêtres pour ainsi dire, résistance qui s'accentuait par des paroles dignes des premiers confesseurs de la foi. Il prit sa part encore de ce dernier beau jour de l'Eglise de France. Il vit cependant son ancien évêque, M. de Talleyrand, accompagné de son grand vicaire (1), donner l'exemple d'une conduite contraire. Dès ce jour l'Eglise catholique de France fut en butte à une désorga-nisation complète. Les prêtres les moins exemplaires, les religieux fatigués d'une trop longue obéissance, prêtèrent serment et furent placés aussitôt dans les postes éminents. Ceux qui restèrent fidèles à leur foi et à leurs devoirs furent d'abord privés de leur charge et ensuite obligés, pour échapper à la persécution, de s'expatrier ou de se cacher. Le peuple de Paris ne leur avait pas laissé ignorer le traitement qui les attendait, car il les avait accueillis, au sortir de l'Assemblée, par des cris de menaces et de mort. Bientôt on exigea de tout citoyen un certificat de présence, avec signalement, et l'abbé de Fénelon, lui, si connu de tous, se vit obligé de se soumettre à cette ridicule formalité. Tel est cet acte << Certificat de présence (2). " Nous soussigné commissaire de police de la section de la Croix-Rouge, sur la demande qui en a été faite en exécution des lois des 24 juin, 27 décembre 1791 et 8 avril 1799, et conformément à l'arrêté du corps municipal du 9 avril " Déclarons que M. Jean-Baptiste-Augustin Salignac Fénelon, prêtre, né à Saint-Jean d'Estissac, département de Bergerac, taille de cinq pieds deux pouces, âgé de 78 ans tête forte, front couvert, yeux gris, nez aquilin, bouche ordinaire, menton plat.

" Demeurant ordinairement à Paris, département de Paris, est

 

(1) Martial Borye Desrenaudes (Feller).

(2) Archives nationales, cartons des émigrés, t. CCLXXI-CCLXXIII ; liasse XIe, pièce 4e.

 

arrivé à Paris il y a quelques années, et que depuis cette époque il réside rue du Bac, aux Missions étrangères, ainsi que nous l'ont attesté M. Jean-François Fierlet, perruquier, rue du Bac, n° 566, et M. Pierre le Mercier, aussi perruquier, même rue, n° 561, citoyens actifs de cette section, qui ont signé avec nous, et le citoyen dénommé au présent certificat.

« Délivré à Paris, le 15 juin 1792, l'an quatrième de la liberté.

«  Signé le MERCIER témoin, FÉNELON prêtre, FIERLET témoin,

BARBARA  Secrétaire greffier de police, Mat. CHINIAS Commissaire de police.

 

" Vu et certifié par nous, maire et officiers municipaux de la ville de Paris. " " Fait à Paris, en la maison commune à Paris, le 18 juin 1792, l'an quatrième de la liberté. " Ce fut peu de jours après cette formalité qu'il quitta le séminaire des Missions étrangères, pour se rendre rue Saint-Jacques, n° 179, près l'Observatoire, dans un hôtel tenu par un nommé Lebrun. Il loua là une chambre à raison de 53 livres par mois, pour ses meubles seulement. " Reçu pour un mois de loyer des meubles de Monsieur l'abbé de Fénelon, la somme de 53 livres, pour une partie échue le 9 du présent mois, dont quittance à Paris. Ce neuf juillet 1792.

« Signé: LE BRUN »

Les dépenses de sa table étaient comptées à part. Il prenait du pain chez le boulanger Le Roy. C'étaient des pains de quatre, de deux et d'une demi-livre, des pains à potage et des pains mollets. Il en paya pour 81 livres, 13 sols, 6 deniers (1). Sa table lui

 

(1) Le pain valait à cette époque de 3 à 5 sols la livre, selon la livre selon la façon.

 

coûta moins cher : 70 livres, 12 sols, 6 deniers. Sa nourriture se composait de salade, melon , fromage, fruits , comme prunes, pêches, poires et groseilles. On conserve aux Archives nationales, à la liasse 111 de ses papiers, huit mémoires de boulanger, d'épicier, de blanchisseuse, de couturière et de fruitier, montant de 25 à 70 livres. Ils ne nous ont pas paru assez intéressants pour être insérés ici. Ces détails sont trop intimes pour être livrés au publie. On y remarque avec quel ordre et quelle économie il ménageait ses ressources afin de continuer ses aumônes. Mais peu tranquille au milieu de Paris, l'abbé de Fénelon se retira à Poissy-sur-Seine, appelé par un ami, chez qui il resta neuf mois entiers. En mai 1793, des affaires le ramenèrent à Paris. Il ne craignit pas de demander un logement dans l'hôtel garni de Legendre, carrefour Saint-Benoît. Là, moyennant un loyer énorme de 80 livres par mois, qu'il paya régulièrement (1), et une table servie avec la même frugalité, mais plus coûteuse, il put demeurer encore sept mois dans une tranquillité relative.

 

(1) Toutes ces quittances sont faites sur papier timbré et estampillées les deux premières portent la légende, la loi, le roi autour d'une fleur de lys ; les trois autres portent exactement la même estampille, moins la fleur de lys et les mots le roi. Toutes sont marquées 2 sols, 6 deniers. 1° J'ai reçu de Monsieur l'abbé de Fénelon Salignac, tout ce qui m'était dû pour le loyer de l'appartement qu'il occupe chez moi jusqu'au 1er juin prochain, au moyen de quoi nous serons quittes de part et d'autre jusqu'au premier juin 1793. Paris, ce 28 mai 1793, et son mois recommence, le 1er juin 1793. " Signé : LEGENDRE. " " Il me redoit 145 bouteilles de vers (???) " " 2° J'ai reçu du citoyen Fénelon, la somme de 80 livres, par les mains du citoyen Vaisses, pour un mois de loyer d'un appartement qu'il tient chez moi, qui est échu le 1er septembre 1793, à Paris. 13 septembre 1793. " Signé : LEGENDRE. " " 3° J'ai reçu du citoyen Fénelon, la somme de 80 livres, pour un mois

 

De là, il se retira au calvaire du mont Valérien, c'était le 30 novembre 1793, retraite peu sûre, puisqu'il existait en ce lieu une maison religieuse. Mgr de Juigné et Mgr de Beauvais, évêque de Senez, avaient eu le projet d'établir en ce lieu une école d'éloquence sacrée. Les agents de la république vinrent trouver l'abbé de Fénelon dans cette dernière résidence et exigèrent de lui de nouvelles formalités. On lui demanda la déclaration de ses moyens d'existence, des impôts qu'il devait payer et enfin l'indication précise des différentes résidences qu'il avait occupées depuis son arrivée à Paris. Il s'exprime lui-même en ces termes. " Déclaration du citoyen Jean-Baptiste-Augustin Salignac dit Fénelon du 28 décembre 1793, âgé de près de quatre-vingts ans, faisant sa demeure au mont Valérien, municipalité de Nanterre. " Tous mes biens et revenus consistent dans une pension viagère de 8,000 livres de revenus à moi, due par les propriétaires de l'établissement de Montcenis, en Bourgogne, département de Mâcon, en vertu d'acte passé par le sieur Fieffé, notaire à Paris, place Vaudoyer. " Nota. 1° Je fais mention pour mémoire d'une pension de mille francs que m'a faite la nation comme ci-devant prieur de saint-

 

de loyer qui est échu le 1er octobre 1793. A Paris, ce 3 octobre 1793, l'an deuxième de la république. " Signé : LEGENDRE. " " 4° J'ai reçu du citoyen Salignac Fénelon, la somme de 80 livres pour un mois de loyer, échu le 1er novembre 1793, à Paris. Ce 2 novembre 1793, l'an deuxième de la république. " Signé . LEGENDRE. " " 5° Je reconnais avoir reçu du citoyen Salignac, la somme de 80 livres pour un mois de loyer d'un appartement qu'il tient de moi, échu le 30 novembre, vieux style, 1793. A Paris, ce 24 frimaire, l'an deuxième de la république. " Signé : LEGENDRE. " (Archives nationales déjà citées, liasse I.)

 

Sernin du Bois, de laquelle je n'ai jamais rien retiré, vu qu'elle n'a pas été inscrite pour l'actif dans le décret. " Nota. 2° J'avais acquis une grange et un pressoir dans la paroisse de Saint-Pierre de Varennes, proche le bourg de Couches, diocèse d'Autun, au lieu nommé Vernotte, pour faire la levée des dîmes de cette paroisse, comme gros décimateur, en qualité de prieur de Saint-Sernin du Bois, ces bâtiments n'ont jamais été loués et je n'en retire rien. " Nota. 3° Le décret en faveur de ceux qui n'ont que des rentes viagères réduit ces rentes à la moitié de leur valeur. Le citoyen Fénelon, n'ayant pour tout revenu qu'une rente viagère de 8,000 francs, cette rente ne doit être comptée que pour 4,000. " Nota. 4° Le susdit décret fait en faveur des célibataires une diminution de 1,000 francs, en conséquence le citoyen Fénelon ne doit être taxé que sur le prix de 3,000 livres, c'est-à-dire selon le même décret, la taxe doit être de 600 livres payables en trois termes égaux : décembre, janvier et février. " Nota. 5° Le citoyen Fénelon demeurait aux Missions étrangères, en qualité de pensionnaire, depuis le 25 décembre 1778, il en sortit, au mois de juin 1792, pour aller sur la section de l'Observatoire, rue Saint-Jacques, n° 179, où il n'a resté que jusqu'au 12 du mois de septembre suivant. " Le dit jour, il a été à Poissy-sur-Seine, où il est resté chez un ami jusqu'au mois de juin 1793. " Au mois de juin dernier, il s'est rendu à Paris, pour ses affaires, carrefour Saint-Benoît, dans l'hôtel garni du sieur Legendre ; il en est parti le 26 juillet dernier et est venu au mont Valérien, où il fait actuellement sa demeure (1). " Cette nouvelle formalité, loin de lui être utile, ne servit qu'à attirer l'attention. La rédaction en était trop pleine des souvenirs

 

(1) Archives nationales, cartons des biens séquestrés. Emigrés et condamnés, t. CCLXXI-COLXXIII, liasse XIe.

 

et du langage de l'ancien régime. On exigea encore de lui un nouveau certificat de résidence avec un nouveau signalement. L'abbé de Fénelon fit diligence pour se mettre en règle. Des retards venus d'une municipalité trop affairée le mirent en péril. Il attendait avec anxiété la signature de ces pièces, lorsqu'il reçut la lettre suivante : " J'allais, mon cher concitoyen, envoyer chez vous, lorsque votre domestique est arrivé, pour vous faire savoir que, quoique nous ayons été hier à la chambre commune jusqu'à onze heures du soir, je n'ai pas pu parvenir à faire signer vos certificats. D'ailleurs, le comité de surveillance ne s'est point assemblé, ce ne sera que demain. D'un autre côté, comme je crains que l'on ne fasse quelques difficultés, relativement à ce que je n'ai pu remplir le jour de votre naissance, il est en blanc, et il serait nécessaire que vous le mettiez vous-même et que vous signiez aussi votre certificat de résidence. C'est pourquoi je vous envoie l'un et l'autre. Quant au surplus, je m'en charge, et demain je ferai mettre les choses en règle, tant pour vous que pour la citoyenne Maleissey. Je pense que vous pourrez faire passer le tout lundi à Neuilly et à Saint-Denis. Je suis très mortifié, de n'avoir pas pu terminer cela plus tôt. <<Mille civilités aux citoyens Maleissey et aux citoyennes son épouse et mademoiselle sa fille, et suis très fraternellement votre concitoyen (1).

« DASSÉCHAMP. »

Ce samedy. « Au citoyen Salignac Fénelon, au Calvaire. »

 

Par quel miracle de la protection divine, l'abbé de Fénelon avait-il pu échapper aux plus mauvais jours ? Ces réclamations de

 

(1) Archives nationales, cartons des biens séquestrés, t. CCLXX-1CCLXXIII, liasse VIII.

 

certificats lui montraient qu'on ne l'avait pas perdu de vue, et qu'il n'en était pas encore quitte avec la Révolution. Le jour n'était pas loin, où il devait aussi être conduit en prison. La dénonciation, l'arrestation et la mort de Fénelon, sont des faits si graves, que nous ne voulons rien avancer qui puisse en faire attribuer à quelqu'un la faute ou la complicité. Nous dirons seulement qu'il avait trop de débiteurs. Outre la reconnaissance que la nation lui devait pour tous ses services, elle lui avait promis une pension de 1,000 livres. Les propriétaires des forges de Mesvrin lui devaient 8,000 livres jusqu'à sa mort. La famille des Chrétien, de Saint-Sernin, lui payait 100 livres en rente viagère sur la maison (1) qu'ils en avaient reçue. L'abbé de Fénelon, au commencement de 1794, fut pris et conduit au Luxembourg. Ce palais, autrefois si beau et si brillant, les délices de Marie de Médicis, était devenu d'un aspect sinistre ; on l'avait entouré de planches de bateaux, et des cordes tendues en éloignaient les passants. A chaque arbre, on lisait cet écriteau : " Citoyens, passez vite votre chemin sans lever les yeux sur cette maison d'arrêt (2). "Fénelon trouva là la société la plus mélangée. Le nombre des détenus était tellement grand, que tous se coudoyaient, pour ainsi dire ; il n'y avait pas possibilité de se choisir. Les aristocrates les plus distingués vivaient côte à côte avec les démocrates forcenés des faubourgs, fort étonnés souvent, les uns et les autres, de se trouver ensemble dans les fers (3). Sans s'inquiéter de son grand âge et de ses infirmités, on lui donna une chambre au troisième étage. L'abbé Carron, après avoir jeté un coup d'œil dans les prisons, s'écrie avec, étonnement en y

 

(1) Voir le bail à ferme, art. 13 (Archives de la ville d'Autun) et donation entre vifs du 7 novembre 1778. (Etude de Mr Brugnot.)

(2) Prudhomme, Crimes de la Révolution, t. V, p. 260, cité par M. Wallon de l'Institut. (Correspondant, 10 mai 1872, p. 500.)

(3) Le Correspondant du 18 mai 1872, p. 480 et 48 1. (La Terreur, M. Wallon de l'Institut.)

 

rencontrant Fénelon : " C'est toi, depuis de longues années, révéré dans la capitale comme un rival des Ollier, des Eudes, des Bérulle (1) ! A la nouvelle de l'arrestation de Fénelon, les Savoyards s'émurent. Jusque-là ils avaient subi en silence toutes les privations qu'on leur avait imposées, parce qu'on leur laissait encore leur protecteur. Tant que les persécutions n'eurent pour victimes qu'eux-mêmes, on n'entendit de leur part aucune réclamation. Mais aujourd'hui, ce n'est plus leur personne proprement dite qui est en cause, c'est la liberté, la vie peut-être de leur père. ,Dans un fanatisme aveugle, les auteurs de cette arrestation ne comprenaient pas qu'en frappant le père, ils frappaient les enfants. Il fallut que ces pauvres de la rue vinssent leur dire que l'emprisonnement de l'abbé de Fénelon, prêtre et noble, les atteignait dans leurs plus chers intérêts. On vit alors les petits Savoyards courir, s'assembler, se concerter sur les moyens à prendre pour sauver l'abbé de Fénelon. Que vont-ils décider ? Ils ne veulent pas former une émeute, ce moyen serait mal vu de celui qu'ils veulent tirer des mains des bourreaux, il leur a toujours défendu de se mêler aux bruits et aux clameurs de la rue. Ils iront donc sans colère, avec ordre et calme, porter leurs plaintes à la Convention, la seule autorité, alors reconnue, qui pût les entendre. Ils ont appris que, l'année précédente, un saint personnage, Mgr Charrier de la Roche, archevêque de Rouen, enfermé dans les prisons de Lyon, avait été relâché (2), sur la demande en masse des pauvres de cette ville, pleins d'espérance, ils se font rédiger une pétition (3), dans

 

(1) Les Confesseurs de la foi dans l'Eglise gallicane, t. II, p. 32. (Bibliothèque du grand séminaire.)

(2) Feller, Dictionnaire historique.

(3) Catéchisme de Persévérance, t. VI, p. 425 et suiv.; Mgr Gaume. Paris, 1860.

 

laquelle, pour se faire comprendre et accepter des représentants du peuple, ils se voient obligés, bien malgré eux, de se servir d'expressions absurdes et malhonnêtes qui étaient alors passées dans le langage de tous. C'était la première fois qu'une telle réclamation osait se produire à Paris, au milieu de la plus grande terreur. Des femmes, des enfants de détenus se réunirent, dans la suite, à leur exemple, et, à plusieurs reprises, envahirent la salle de la Convention, en réclamant leurs époux et leurs pères (1). Les Savoyards inauguraient ainsi ces démarches qui, dans leur calme et leur persistance, allaient alarmer les représentants du peuple. Le soupçonneux Robespierre croira y découvrir les fils d'un complot de prisonniers. La Chambre, fatiguée de ces cris, dressa les décrets (2) du 13 mars 1794 et du 13 mai suivant, pour organiser des commissions qui devaient juger du patriotisme des détenus réclamés; c'est à ces commissions que l'on renvoyait, comme une fin de non-recevoir, les nombreuses plaintes de ce genre. Mais au 20 janvier, rien encore n'avait été prévu, et la Convention se vit forcée d'ouvrir ses portes à la nombreuse députation des petits Savoyards. L'un d'eux, nommé Firmin, s'avance résolument et présente sa pétition à un orateur qui la lit à haute voix.

 

« Citoyens législateurs (3),

"Sous le règne du despotisme, les jeunes Savoyards eurent besoin d'appui en France ; un vieillard respectable leur servait de père. Le soin de notre conduite, les premiers instruments de notre industrie, notre subsistance même, furent longtemps les fruits de son zèle et de sa bienfaisance. Il était prêtre et noble ; mais il était affable et

 

(1) Beaulieu, Essais, t. V, p. 327-329, cité par M. Wallon, de l'institut. (Correspondant, 10 mai 1872, p. 486.)

(2) Le même document.

(3) Moniteur universel, séance du 30 nivôse (20 janvier 1794), p. 433. (Bibliothèque nationale.)

 

compatissant, il était donc patriote. L'aristocratie ne connaît pas d'aussi doux sentiments. " Cet homme, si cher à nos cœurs et, nous osons le dire, si cher à l'humanité, c'est le citoyen Fénelon, âgé de quatre-vingts ans, détenu dans la maison d'arrêt du Luxembourg par mesure de sûreté générale. Nous sommes loin de condamner cette mesure, nous respectons la loi, les magistrats ne sont point tenus de connaître ce vieillard comme le connaissent ses enfants. Ce que nous demandons, citoyens représentants, c'est qu'il plaise à cet auguste Sénat de permettre que notre bon père soit mis en liberté sous notre responsabilité. Il n'en est aucun parmi nous qui ne soit prêt à se mettre à sa place, tous ensemble nous nous proposerions même, si la loi ne s'y opposait pas. " Si cependant notre sensibilité nous rendait indiscrets, citoyens législateurs, ordonnez qu'un prompt rapport vous fasse connaître notre père. Vous applaudirez sûrement à ses vertus civiques, et il sera aussi doux pour ses enfants de vous les avoir exposées, qu'il sera consolant pour ce bon père de recevoir ce témoignage de votre justice et de notre reconnaissance. " Cette pétition, une fois lue, fut déposée sur le bureau ; elle était signée : " FIRMIN, au nom de tous ses camarades (1). " La Convention, toujours incorruptible comme son vertueux tribun Maximilien, peu touchée des vertus de Fénelon et de la reconnaissance de son cher troupeau, ordonne froidement que cette demande soit renvoyée au Comité de sûreté générale. A cette réponse, un des jeunes Savoyards, qui connaissait la haine aveugle

 

(1) Ce Firmin avait été attaché à la maison de l'abbé de Fénelon. On le trouve sur une note, de, dépense sous le nom de M. Firmin. (Archives nationales, cartons des biens séquestrés, L. CCLXXI- CCLXXIII, liasse III.)

 

de ce comité pour l'Eglise et la noblesse, ne put s'empêcher de pousser ce cri d'effroi (1), au Comité (2) de sûreté générale : " Notre père est donc perdu ! Citoyens législateurs, vous avez annoncé la paix aux chaumières et déclaré la guerre aux châteaux. " Pourriez-vous ne point pardonner au saint abbé de Fénelon d'être né dans un château, lui qui fut soixante ans le bienfaiteur et l'ami des chaumières. " Cris, plaintes inutiles, ni les paroles flatteuses de la pétition, ni la pointe pleine de sel et de vérité de ce jeune Savoyard ne put fléchir la redoutable Convention. Fénelon resta prisonnier. Mais, lorsque ce bon père apprit la démarche courageuse, héroïque, de ses chers enfants, quel baume pour son cœur ! Oui, ses petits Savoyards sont restés bien fidèles à leurs devoirs. Sans révolte et sans cris séditieux, ils ont su réclamer hautement contre une injustice et une cruauté que la société faisait sans motif à leur égard et envers leur respectable protecteur. Ils n'ont pas été entendus, leur demande a été repoussée, qu'importe ? L'histoire, qui juge les nations, est là. Elle saura constater que ce jour-là les Savoyards de Paris ont reconquis une place d'honneur dans la société. Oui, ils ont prouvé que sous les haillons de la misère battaient des cœurs reconnaissants ; et c'était là la seule, la vraie, mais non pas la dernière récompense que Dieu ménageait ici-bas à l'abbé de Fénelon. Cette démarche si belle et si noble de ces orphelins, réclamant leur père, retarda de quelques mois l'exécution de l'abbé de Fénelon. Mme la marquise de Créquy nous l'apprend dans ses mémoires (3). " Dupont (domestique de confiance de la marquise) me dit, en nous

 

(1) Catéchisme de Persévérance, t. YI, p. 426, Mgr Gaume (7 Juillet). Voyez aussi le Légendaire d'Autun, par M. Poquegnot.

(2) Le Comité de salut publique et de sûreté générale a été décrit par Louis Prudhomme, dans son histoire générale des fautes et des crimes de la Révolution, t. V, p. 107 et 117. (Cité par Beauchesne, dans Louis XVII, t. II, p. 488.)

(3) Nous citons ,nos mémoires, bien qu'ils soient considérés comme apocryphes et œuvres d'un faiseur de ce genre. (M. de Courchamp, dit-on.)

 

en allant, que pendant que j'étais à jouer aux propos interrompus avec mon imbécile de substitut (un des vingt-quatre substituts de Fouquier-Tinville, qui avait interrogé Mme de Créquy), l'abbé de Fénelon et le P. Guillon venaient d'être acquittés par le tribunal révolutionnaire, en dépit de tout ce que Fouquier-Tinville avait pu dire. L'abbé de Fénelon, parce que tous les ramoneurs et décrotteurs de Paris l'avaient suivi jusque dans la salle d'audience, en pleurant et disant que c'était leur père, et parce que tout le peuple avait crié grâce, en disant que c'était l'évêque des Savoyards.

 

 « Le saint abbé de Fénelon fut repris en sous-oeuvre, un malheureux jour que les Savoyards ne se doutaient de rien, et il fut conduit à l'échafaud sur la même charrette que Mme Elisabeth de France et la maréchale de Noailles (1). » Pendant les six mois qui le séparaient de l'échafaud, l'abbé de Fénelon vit de cruelles mesures contre les détenus s'introduire dans les prisons, tel que le régime de la gamelle commune et des perquisitions brutales. Fénelon, vieillard de quatre-vingts ans, dont l'âge aurait plutôt demandé quelque ménagement, a accepté avec patience et résignation, pendant plusieurs mois, les rudes traitements et les grossières avanies de ces monstres qu'on appelait Guyard et Marino (2). Un curé de Bretagne qui était détenu avec lui au Luxembourg, frappé des qualités rares de notre saint, s'était attaché à lui (3). Il nous a conservé quelques détails sur la vie qu'il menait en prison. « Il brillait, dit-il, au Luxembourg, par l'éclat de ses vertus.

 

(1) Souvenirs de la marquise de Créquy, t. VII, P, 211 et suiv. (Edit. Charpentier.) Mme de Créquy met en note (p. 212) « Il était le filleul de ma tante de Breteuil, et quand il est mort, en 1794, il était âgé de soixante et onze ans. » Elle se trompe sur son âge.

(2) Voir pour le détail, la Terreur, par M. Wallon, de l'institut. (Correspondant, 10 mai 1812, p. 496, et 10 février, p. 496-497.)

(3) La Terreur, par M. Wallon de l'institut. (Correspondant, 25 août 1872, p. 702 et la note de la p. 703.)

 

Tout le temps qu'il ne donnait pas, pendant le jour, à la prière et à de saintes lectures, était consacré à faire, à petit bruit, les œuvres d'un homme apostolique. "

Ignorait-on qu'il y eût dans les prisons des prêtres qui exerçassent le ministère de la réconciliation à l'égard des pécheurs qui voulaient revenir à Dieu et des bons chrétiens qui désiraient persévérer dans la justice (1). Non, il y avait trop d'observateurs soudoyés, et ces observateurs étaient trop clairvoyants pour ne pas s'en apercevoir. L'un d'entre eux avertit Robespierre, qu'à la Conciergerie, un prêtre d'un grand mérite qu'on lui nomma, avait confessé en un seul jour tant de personnes (il grossit peut-être le nombre). Voici sa réponse : " Laissez-le faire, il ne faut pas qu'on le juge de si tôt ; c'est un homme qui nous est utile, il fait qu'on va à la mort sans se plaindre, son jour viendra. " Pour lui, le jour n'est pas venu, il a pu échapper jusqu'au 9 thermidor, et recouvra la liberté. Il en fut de même de M. Emery, qui fut épargné pour le même motif. Il était aussi enfermé à la Conciergerie, et Fouquier-Tinville disait de lui : " Ce petit prêtre empêche les autres de crier (2). " Fénelon, malgré les nombreux services qu'il a pu rendre en ce genre, ne jouit pas du même privilège, Après avoir langui six grands mois dans sa prison, il n'en sortit que pour trouver, non pas la liberté, mais la mort. Il allait chaque jour chez Mme la duchesse d'Orléans, pour y prendre son repas (sans doute avant que la hideuse gamelle ne fût introduite), et la conversation était certainement alors fort édifiante (3). Louise-Adélaïde de Bourbon, fille du due de Penthièvre, avait

 

(1) Histoire des Prisons, par Nougaret, p. 389 et suiv., 1797. (Bibliothèque nationale.)

(2) L'auteur de la Vie de M. Émery a cru ne voir là qu'un seul fait, mais il nous semble que ces deux réponses, si elles sont semblables pour le fond, sont assez distinctes par la forme et par les individus auxquels on les attribue pour ne pas les confondre.

(3) Histoire des Prisons, Nougaret. (Bibliothèque nationale.)

 

toujours mené une conduite qui avait contrasté avec celle de son mari (1). Fénelon redevenait, à la fin de sa vie, ce qu'il avait été au commencement de son sacerdoce, aumônier "une princesse de la cour, qui avait aussi grandement besoin des consolations de la religion. Que de tristes rapprochements ne pouvait-il pas faire entre les deux princesses qui avaient, l'une ouvert, l'autre fermé sa carrière de ministre des âmes, Marie-Charlotte et la duchesse d'Orléans 1 La première avait été malheureuse à cause des débordements d'un prince qu'on appelait Louis XV, l'autre était la victime des passions d'un autre souverain qu'on appelait le peuple. Mais ce n'était pas seulement auprès de la duchesse d'Orléans qu'il remplissait son auguste ministère. Ce vénérable patriarche était transporté de joie, et remerciait Dieu de tout son cœur quand il avait eu le bonheur de faire retourner des enfants prodiges à leur père, et il n'y a que Dieu qui sache. combien il a remis de brebis égarées dans le bon chemin (2). Non gaudet super iniquitate, congaudet autem veritati (3). Sa confiance en Dieu, qu'il considérait comme le plus tendre des pères, était admirable, et il désirait ardemment mourir pour son Sauveur. " Je m'en aperçus, continue le prêtre breton, par une réponse qu'il me fit. Lui ayant dit que l'on m'avait comme annoncé que je paraîtrais au tribunal ; que l'on m'avait dénoncé comme fanatique ; ce vrai serviteur de Dieu me dit : " Ah ! que je vous félicite, je voudrais bien être à votre place ! Quel bonheur de mourir pour avoir rempli son devoir. C'est mourir pour Jésus-Christ, qui est mort pour nous, je n'aurai pas ce précieux avantage, je n'en suis pas digne (4). " Ces paroles, et

 

(1) Feller, Dictionnaire historique.

(2) Histoire des Prisons, par Nougaret, p. 389. (Bibliothèque nationale.)

(3) Saint Paul, 1er aux Corinthiens, ch. XIII, v. 6.

(4) Histoire des Prisons de Paris et des départements, contenant des mémoires rares et précieux, le tout pour servir à l'histoire de la révolution française, notamment à la tyrannie de Robespierre et de ses agents et complices, par R. J. B. Nougaret, 1797. (Bibliothèque nationale.)

 

encore plus le ton avec lequel il me le dit, me pénétrèrent pour lui d'un respect religieux et remplirent mon âme de consolation. " Les sentiments que Fénelon entretenait dans son cœur en attendant la mort, rappellent naturellement les quelques mots que Mgr Dulau, archevêque d'Arles, et le P. Lenfant avaient prononcés avant d'expirer sous les coups de leurs bourreaux, peu de mois avant lui. Le premier, au massacre des prisons, s'était écrié : << Je m'offre volontairement en sacrifice, mais épargnez ces dignes ecclésiastiques qui prient pour vous sur la terre, comme je vais le faire devant l'éternelle majesté. " Le second, à l'Abbaye, élevant les mains au ciel : " Mon Dieu, avait-il dit, je vous remercie de pouvoir vous offrir ma vie comme vous avez offert la vôtre pour moi (1). " Nous aimons à rapprocher ces différentes paroles qui expriment les mêmes sentiments. Elles sont comme l'écho des premiers siècles du christianisme et nous montrent que la sainteté, caractère de la véritable Eglise, a toujours la même fécondité. Or voilà qu'on a entendu dans la Convention, à l'adresse des détenus, des bruits de menaces et d'extermination, Barère s'est écrié : " Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas (2). " Les vexations qui s'exerçaient dans les prisons avaient pour but de lasser la patience des prisonniers et de les forcer à une révolte en masse, pour avoir un motif légal, en apparence, de les égorger tous. Cependant aucune plainte ne perçait. La résignation chrétienne, grâce à quelques prêtres, régnait dans un grand nombre. Plusieurs, remplis d'autres sentiments, se laissaient aller à des plaisanteries sur leur malheureux sort, et suivaient, autant que leur permettait la dure surveillance de leur geôlier, cette doctrine épicurienne d'Horace.

 

(1) Feller, Dictionnaire historique.

(2) La Terreur, par M. Wallon de l'Institut, p. 696. (Correspondant, 25 août 1872.)

 

O fortes pejoraque passi Mecum saepe viri ?

Nunc vino pellite curas Cras ingens iterabimus aequor (1).

 

Pour la plupart, cet ingens aequor était, hélas ! la vie de l'autre monde, précédée de la mort la plus affreuse. Fénelon, de son côté, voyant la terreur augmenter de jour en jour, comprit qu'il devait se préparer à faire le sacrifice de sa vie (2). Il redoubla de ferveur dans ses exercices de piété, et devint un modèle de résignation pour tous ceux qui partageaient ses chaînes. Son exemple toucha les autres prisonniers, il inspira à un grand nombre d'entre eux les sentiments dont il était animé. Il entendit leur confession et les disposa à mourir saintement. Cet état calme des prisons ne faisait pas à ce moment l'affaire de Robespierre, qui bientôt allait être embarrassé du nombre des arrestations (3). Le tribunal, jugeant par tète, ne fonctionnait pas assez vite pour les monstres de la Convention. Il fallait des condamnations en masse. On inventa le complot du général Arthur Dillon, Chaumette, Gobel, afin de pouvoir établir des groupes de conspirateurs. Une fois ce complot mis en jeu, on en rechercha partout les ramifications, et prétextant cette chimérique révolte contre la république, on envoya par bande à l'échafaud ceux qui embarrassaient le plus. Une commission fut nommée qui reçut tout pouvoir de rechercher partout les fils cachés de cette prétendue trame. Robespierre, Barère, Carnot et autres signèrent cette autorisation (4). Ceux qui seraient dénoncés devaient être jugés, par le tribunal révolutionnaire, dans les vingt-quatre heures. Cette commission commença ses recherches par le Luxembourg,

 

(1) Horace, liv. 1, ode VI.

(2) Éloge historique de l'abbé de Fénelon. (Archives de la bibliothèque nationale.)

(3) La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut. La conspiration des prisons, texte, et note. (Correspondant, 25 août 1872, p. 696 et suiv.)

(4) Même document, p. 699.

 

et ne manqua pas de trouver un grand nombre de conspirateurs qui, dit-elle, " n'ont cessé de conjurer et conjurent encore la ruine de la liberté ". La première liste qu'elle dressa date du 17 messidor, Les accusés étaient au nombre de cent cinquante. Les plus remarquables étaient : François-Gabriel de Fénelon, ancien colonel ; J.B. Augustin de Salignac Fénelon, octogénaire, ancien prieur de Saint-Sernin ; Jean-Dominique Maurin ; les deux Miques, père et fils ; les deux Lomarelle, père et fils ; deux frères de Hautefort ; Joseph-Antoine-Auguste de Damas, sous-lieutenant de vingt ans ; Charles de Bossut Chimay, prince, d'Henin ; Aimar de Nicolaï, premier président de la cour des comptes ; Ysabeau de Montval, ex-greffier en chef au parlement. Ces premiers moururent avec l'abbé de Fénelon. Les autres eurent leur tour le lendemain ou le surlendemain. Pour observer rigoureusement la règle des vingt-quatre heures, dans la nuit du 18 au 19 messidor, ils furent amenés, du Luxembourg à la Conciergerie, et comparurent devant le tribunal, comme il était ordonné. Ils sortirent de la prison en trois bandes. Mais laissons parler notre prêtre breton. " Après que la troisième bande fut partie, c'était vers les huit heures, je demandais à tous ceux que je rencontrais : l'abbé de Fénelon est-il du nombre ? Les uns me disaient oui, parce qu'on avait emmené un de ses parents qui portait le même nom, les autres m'assuraient qu'il n'en était pas, et en effet' on ne l'avait pas appelé ; il était alors environné de personnes qui se félicitaient de ce qu'elles le possédaient encore ; mais elles ne le possédèrent pas longtemps (1). " M. l'abbé de Fénelon était sur la liste de ceux qui devaient mourir le jour même ou le lendemain, et on avait, par inattention, oublié de l'appeler. " Malheureusement, on s'aperçut que le nombre n'y était pas,

 

(1) La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut. (Correspondant, 25 août 1872, p. 702, et Histoire des Prisons, publiée en 1797, par Nougaret, p. 389. Bibliothèque nationale.)

 

qu'il manquait une des victimes, et que cette victime était celui dont nous parlons. " On envoie à l'instant même le chercher. A ce mot, Fénelon, Fénelon, il y eut bien des personnes accablées d'une douleur profonde, beaucoup d'enfants perdaient leur père. Il consola ceux qui s'affligeaient et descendit du troisième étage où il était logé (1). " Il y avait, parmi les détenus, deux ou trois Savoyards, à qui il avait fait faire la première communion. " Lorsqu'ils le virent aller au greffe, l'un d'eux s'écria en versant des larmes : " Quoi ? mon bon père, vous allez au tribunal ? " Il leur répondit d'un ton paternel : " Ne pleurez pas, mes enfants, c'est " la volonté de Dieu, priez pour moi ; si je vais dans le ciel, comme (c je l'espère de la grande miséricorde de Dieu, je vous assure que " vous y aurez un grand protecteur (2). " " A la porte de la prison, un autre adieu du même genre l'attendait encore. " Un Savoyard était parvenu à être porte-clefs dans la maison du Luxembourg, brusque, sans dureté jamais, il ne se permettait aucune menace, aucune injure. Il apprit que celui qui l'avait accueilli à Paris, qui l'avait instruit, qui avait pourvu à ses besoins, que le père nourricier de tous ses compatriotes, le sensible Fénelon, était inscrit sur la liste des transférés ; ce pauvre garçon, se livrant aux mouvements de son cœur, court se jeter dans les bras du vieillard, son bienfaiteur, il l'embrasse et le baigne de ses larmes qui coulaient en abondance ; il retenait le bras du gendarme qui le conduisait, il l'appelait son père et voulait l'empêcher d'avancer. " Mon père, mon père, s'écriait-t-il, quoi vous allez à la mort, vous " qui n'avez fait que du bien ! - Console-toi, lui disait le respectable

 

(1) Voyez les deux documents cités plus haut.

(2) La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut (Correspondant, 25 août 1872, p. 701), complétée par l'Éloge historique de l'abbé de Fénelon (Bibliothèque nationale), et Catéchisme de Persévérance de Mgr Gaume, t. YI, p. 47. Mémoires relatifs à la révolution française, t. II, p. 176. bibliothèque nationale.)

 

vieillard, la mort n'est point un mal pour qui ne peut plus faire du bien. Ta sensibilité est en ce moment pour mon cœur une bien douce récompense. Adieu, mon ami ; adieu, Joseph, pense quelquefois à moi. - Ah! je ne vous oublierai jamais ", et ses larmes coulaient par torrent, ce malheureux ne pouvait s'arracher des bras de celui qu'il nommait son père. Le concierge fut averti, il parut, et Joseph fut chassé (1). " A la Conciergerie, où on les attendait, tout avait été préparé. Dumas avait fait élever un immense échafaudage dans la salle, pour les y ranger et les expédier tous en une fois (2). Ce fut Fouquier-Tinville qui recula devant la tâche, il obtint que l'on ne procédât que par cinquante ou soixante, en trois fois. L'échafaudage fut enlevé ; et les gradins ordinaires (cela s'appelait le fauteuil) allaient recevoir pour la première journée, 19 messidor, soixante et un accusés, parmi lesquels se trouvaient l'abbé de Fénelon et ceux que nous avons cités pour mourir avec lui. " Ils montèrent donc ensemble au tribunal, par un corridor obscur, par un escalier étroit, qui avait un air furtif, qui semblaient préparés à des œuvres de ténèbres (3). " Jetons maintenant un regard rapide sur les hommes qui vont servir de juges à ces innocentes victimes. Ce tribunal révolutionnaire, créé, par un décret additionnel à celui du 10 mars, pour l'affaire spéciale de la conspiration des prisons, était composé d'un président, de trois juges et d'un accusateur public, accompagné de ses deux substituts (4). D'après Emile Compardon (5), le premier président avait été

 

(1) Mêmes documents.

(2) La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut. (Correspond., 25 août 1872.)

(3) Da Tribunal révolutionnaire de Paris, par Sirey, au M. (Bibliothèque nationale.)

(4) Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, du 10 mars 1793 au 31 mai 1795, par Emile Compardon, archiviste (Bibliothèque nationale), et Feller, Dictionnaire historique.

(5) Archives nationales. Paris.

 

Jacques-Bernard-Marie Montané ; les juges, Foucault (de Bourbon l'Archambault), Dufriche des Magdeleines (d'Alençon) et René François Dumas (de Franche-Comté). Mais peu de mois avaient suffi pour changer cette première formation. Deux nouveaux juges, Deliège et Barbier, composaient le tribunal, et Dumas en était le président ; c'est lui qui avait condamné Mme la maréchale de Noailles, octogénaire, devenue sourde, sur le motif d'avoir conspiré sourdement. Atroce plaisanterie qui fit d'une infirmité de l'âge le seul motif de son supplice. Ce monstre avait remplacé Antoine Roussillon, un apologiste des journées de Septembre. L'accusateur publie était Fouquier-Tinville, dont l'histoire est assez connue. Il devint substitut de l'accusateur publie, au tribunal criminel du département de Paris, puis accusateur lui-même, au tribunal extraordinaire. Ses deux substituts étaient Douzé-Verteuîl, un ancien moine, et Lescot-Fleuriot, qui n'obtint cette place que par récompense de sa force au pugilat. Il s'était fait remarquer en défendant par la vigueur de, ses poings les principes de Robespierre (1). Dumas, apercevant dans le nombre des accusés Ysabeau de Montval lui dit d'un ton ironique (2) " 'ru dois connaître cette salle? - Oui, répondit Montval, je la reconnais, c'est ici qu'autrefois l'innocence jugeait le crime et où maintenant le crime condamne l'innocence (3). " Jean-Dominique Maurin, entendant son nom accompagné d'autres prénoms, dit : " Ce n'est pas moi. ) Fouquier rétablit les prénoms du réclamant sur l'acte et le maintint sur les gradins. Le ministère de la justice représenté par de tels hommes ne

 

(1) Il y avait en outre un jury composé de douze membres, voyez Du Tribunal révolutionnaire, par Sirey, an III. (Bibliothèque nationale.)

(2) Quoique ces détails ne regardent pas personnellement l'abbé de Fénelon, ils n'ont pas été omis, de peur de retrancher quelques caractères à cette fatale journée.

(3) La Terreur, par M. A. Wallon, de l'Institut. (Corresp. 25 août 1872,701.)

 

pouvait pas être favorable à nos accusés. Fouquier-Tinville, en particulier, qui ne remplissait pas pour la première fois son ignoble fonction (1), mit au service de l'hypocrisie et du mensonge tout son talent, afin de rendre vraisemblable cette conspiration. Renseigné d'avance par le Comité de salut public, avec lequel il communiquait directement, il prend la parole et expose :

" Qu'examen fait des pièces remises à l'accusateur publie, il en résulte que si les chefs de la conspiration formée contre le gouvernement révolutionnaire sont tombés sous le glaive de la loi, ils ont laissé des complices qui, dépositaires de leurs plans, emploient tous les moyens pour les mettre à exécution. Le tribunal a connu leurs tentatives toujours infructueuses et toujours renaissantes dans les maisons de la commune de Paris, appelées maisons d'arrêt; et le châtiment mérité, déjà infligé à plusieurs coupables, n'a pas découragé les conspirateurs... Ils viennent encore de renouveler ces tentatives dans la maison d'arrêt du Luxembourg (2), ce foyer de la conspiration des Dillon, des Ronsin, Vincent Chaumette, Hébert, Moriioro et autres  On remarque parmi les prévenus les dignes agents de Dillon, des ex-nobles comme lui et qui ont voulu lui succéder sous le titre de chefs de la conspiration : on y remarque aussi des hommes marqués en patriotes pour en imposer au peuple, et qui, sous les apparences d'un patriotisme immodéré, voulaient déchirer l'empire pour le livrer aux despotes coalisés et à toutes les horreurs de la guerre civile. Enfin, on y voit les cruels ennemis de la liberté et de la souveraineté des peuples, ces prêtres dont les crimes ont inondé ce territoire du plus pur sang des citoyens Les moyens étaient les mêmes que ceux des conspirateurs déjà frappés du glaive de la loi. Le despotisme, le fanatisme

 

(1) C'est lui qui, de concert avec Hébert, avait dressé contre la reine un acte d'accusation révoltant la nature. (Voir Liasse XVII, par Beauchesne, t. II, P. 136.)

(2) La Terreur, par M. Wallon, de l'Institut. (Correspondant, 25 août 1872, p. 700), d'après Saladin, pièces n° 13.

 

l'athéisme, le fédéralisme, sont réunis pour ces exécrables forfaits. "D'après L'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre (les noms suivent) ; " Pour s'être déclarés les ennemis du peuple, en tentant d'ouvrir les maisons d'arrêt, d'anéantir par le meurtre et l'assassinat des représentants du peuple et notamment des membres des Comités de salut public et de sûreté générale, le gouvernement républicain, et de rétablir la monarchie. " En conséquence, l'accusateur publie requiert ", etc. Après ce menteur réquisitoire, auquel il n'y avait rien à dire et qui, appliqué à l'abbé Fénelon, eût certainement fait pleurer de rage (1) Sirey, l'historien du Tribunal révolutionnaire, on passa à l'audition des témoins. Le premier témoin à entendre était le geôlier Lesenne, le porte clefs du Luxembourg. Interrogé, il déclara hautement qu'il n'y avait pas eu de conspiration dans sa prison et que s'il y en avait une, il ne pourrait manquer de la connaître. Fouquier le fit arrêter pour faux témoignage et écrouer lui-même à la Conciergerie. Plus tard, accusé à son tour de cette injustice et de cette cruauté, Fouquier dit que Lesenne " n'a pas été arrêté comme ayant déclaré qu'il n'y avait pas de conspiration dans la maison du Luxembourg, mais bien à raison de ses incertitudes, tergiversations, ambiguïtés et vacillations dans sa déclaration (2), ce qui a paru déceler un homme de mauvaise foi ". Malgré cette excuse misérable et intéressée, excuse qui semble diminuer la belle action du geôlier Lesenne, conservons à cet homme la gloire d'avoir osé, devant un tribunal aussi inique, avouer avec sincérité une vérité qui devait lui coûter si cher. Mais il s'en trouva d'autres pour déposer contre les accusés ; Boyaval, Beausire et Benoît, membres du comité, instruits des

 

(1) Du tribunal révolutionnaire, an III, par Sirey. (Bibliothèque nationale.)

(2) Même document, même page, la note tirée de Sirey, Tribunal révolutionnaire, an III.

 

desseins de Robespierre, furent des dénonciateurs forcenés contre ces innocentes victimes. Plus tard, ces monstres révélèrent au grand jour toute leur infamie. Denis Julien, témoin de profession, qu'on ne voulut pas entendre dans ce jugement, eut la franchise de découvrir, le 22 thermidor suivant, une atrocité commise par le tribunal contre un des compagnons de Fénelon. Ce malheureux accusé, dont on n'a pas conservé le nom, interpellait Denis, et le sommait de déclarer des faits à sa décharge ; et Denis, oubliant son rôle, faisait avec sa tête des signes qui marquaient que ce que l'accusé disait était la vérité. Lorsqu'il voulut prendre la parole, le président et l'accusateur publie, qui l'avaient observé, lui dirent : " Tais-toi, ne parle que lorsque tu auras quelque chose à dire contre l'accusé. "La procédure allait si rapidement que les greffiers avaient à peine le temps d'écrire correctement les déclarations des victimes. Le tour de Fénelon étant arrivé, ils l'inscrivirent ainsi : " Jean Baptiste-Augustin Salignac Fénelon, âgé de quatre-vingts ans, né à Saint-Jean d'Estissac, département de la Drôme (lisez Dordogné), prêtre au prieuré de Saint-Couien (lisez Saint-Sernin), demeurant rue du Bac, aux ci devant Missions étrangères (1). " Après les déclarations de chacun des accusés, l'audition de l'accusateur public et des témoins, la question fut ainsi posée aux jurés : " Sont-ils convaincus de s'être déclarés ennemis du peuple, provoquant, par la révolte des prisons et tous les moyens possibles, la dissolution de la représentation nationale, le rétablissement de la royauté et tout autre pouvoir tyrannique (2)? " La déclaration du jury fut affirmative sur toutes les questions ci-dessus. Aussitôt que la réponse du jury fut connue, le tribunal révolu-

 

(1) Note prise aux archives de l'empire, en 1854, par M. de Salignac Fénelon, et envoyée à M. le Curé de Saint-Jean d'Estissac.

(2) Moniteur universel. (Bibliothèque nationale.) Voir aussi, pour toute cette procédure, les manuscrits des Archives nationales, à Paris.

 

tionnaire dressa la sentence suivante : " Vu, etc., etc.; le tribunal, après avoir entendu l'accusateur publie sur l'application de la loi, condamne André Lantour, Michel Boucher-Duclos (1) (les autres noms suivent) (2), à la peine de mort, conformément aux articles 4, 5, 6 et 7 de la loi du 22 prairial dernier, dont il a été fait lecture. René-François Dumas, président ; Deliège et Barbier, juges, qui ont signé le présent jugement avec le commis greffier.

« DUMAS, DELIÈGE, P. R. BARBIERT,  DUCROS, commis greffier. »

 

Plusieurs de ces condamnés auraient, par leurs réponses, pétrifié leurs juges (3) par le sang-froid avec lequel ils entendirent prononcer leur arrêt de mort, si leurs juges n'avaient pas eu des cœurs de bronze. Quelques-uns des jurés ont avoué qu'ils étaient vivement attendris, mais il y avait pour eux une loi et selon cette loi, ils ne pouvaient faire grâce. En faisant l'office de juges équitables ils étaient comme sûrs de perdre bientôt la vie. Lorsqu'on annonça à ceux qui avaient paru en jugement qu'ils étaient condamnés à mort, les uns se contentèrent d'incliner la tête, mais d'autres parlèrent. Voici les réponses qui ont été faites. Une de ces paroles tomba des lèvres de Fénelon, qui certainement fut l'inspirateur de toutes les autres : " Dieu vous pardonne comme je vous pardonne. " J'espère prier pour vous dans le ciel. " Je vous remercie, vous ne pouviez rien faire pour moi de plus avantageux.

 

(1) Jugement qui condamne à la peine de mort Lantour, Boucher Duélos, faurin et autres. (Archives nationales.) Paris.

(2) On n'en compte plus que soixante, il est probable qu'un seul a été acquitté.

(3) histoire des prisons, publiée en 1797, par Nougarc, p. 390.

 

«  C'est pour ma foi, c'est pour mon Dieu que je meurs.

«  Dieu soit béni de tous.

«  Grâces soient rendues à Dieu.

Notre prêtre de Bretagne ne soit rien de tout ce qui arriva à Fénelon depuis son départ de la prison jusqu'à ce qu'il fût dans le chariot qui le conduisit à l'échafaud. " Mais ce chariot (1), continuent-il, et ensuite l'échafaud furent pour lui deux chaires où il prêcha Jésus-Christ et son Évangile, où il inspira à ses camarades d'infortune des sentiments de pénitence et de confiance en Dieu. Monté dans la fatale charrette avec cinquante-neuf victimes, il les exhorta le long du chemin à détester leurs fautes, à faire à Dieu avec résignation le sacrifice de leur vie. " Arrivé au pied de l'échafaud, il ranima son zèle et ses forces, et les exhorta à former de tout cœur un acte de contrition. On dit qu'il avait obtenu de l'exécuteur la permission de parler. Tels furent ces derniers mots " Mes chers camarades il s'adressait à ses compagnons d'infortune, Dieu exige de nous un grand sacrifice, celui de notre vie, offrons-la-lui de bon cœur c'est un excellent moyen d'obtenir de Dieu miséricorde. Ayons confiance en lui, il nous accordera le pardon de nos péchés, si nous nous en repentons. Je vais vous donner l'absolution ". Des témoins oculaires assurèrent que l'exécuteur ou le bourreau fut singulièrement frappé de l'air vénérable de l'abbé de Fénelon, et qu'il s'inclina comme les autres dans le temps que le saint prêtre prononçait les paroles sacramentelles. Puis l'infâme couteau fit son œuvre. La tête de l'abbé de Fénelon roula avec les soixante autres dans l'horrible panier plein de sang.

C'était la mort de son roi, c'était celle de son Dieu. Lamartine, groupant les faits, mais faussant un peu les dates, a dramatisé cette mort dans une page de ses Girondins. " Une des charrettes parut dans les derniers temps, escortée par de pauvres

 

(1) Même. Document.

 

enfants en haillons. Ces enfants semblaient bénir et pleurer un père ; le vieillard assis sur la charrette était l'abbé de Fénelon, petit neveu de l'auteur de Télémaque, ce germe chrétien d'une révolution égarée qui buvait aujourd'hui le sang de sa famille. L'abbé de Fénelon avait institué à Paris une œuvre de miséricorde en faveur de ces enfants nomades, qui viennent tous les hivers, des montagnes de la Savoie, gagner leur vie en France, dans la domesticité banale des grandes villes. Ces enfants apprenant que leur providence allait leur être enlevée se transportèrent en masse, le matin, à la Convention, pour implorer l'humanité des représentants et la grâce de la vertu. Leur jeunesse, leur langage, leurs larmes attendrirent la Convention : " Etes-vous donc des enfants vous-mêmes ", s'écria l'impassible Billaud-Varennes, " pour vous laisser influencer " par des pleurs ? Transigez une fois avec la justice, et demain les " aristocrates vous massacreront sans pitié. " La Convention n'osa pas mollir à sa voix L'abbé de Fénelon marcha à la mort, escorté de ses bienfaits. Il avait quatre-vingt neuf ans. Il fallut l'aider à monter les degrés de la guillotine. Debout sur l'échafaud, il pria le bourreau de lui délier les mains pour faire le geste du dernier embrassement à ces pauvres petits. Le bourreau ému obéit. Les Savoyards tombèrent à genoux. Ils inclinent leurs têtes nues sous la bénédiction du mourant. Le peuple atterré les imite, les larmes coulent. Les sanglots éclatent. Le supplice devient saint comme un sacrifice (1). " Bien des personnes furent étonnées, ce jour-là, de voir les prisonniers qui sont montés sur l'échafaud aller au supplice avec une modestie frappante et ayant la résignation et la paix peintes sur leur visage. Dans la plupart, c'est la religion qui opérait ce prodige. L'afflic-

 

(1) Histoire des Girondins, par Lamartine, t. VIII, p. 127-128. Paris. Furne et Ce, 1847.

 

tion les avait détachés de la vanité. Ils avaient eu recours à Dieu et Dieu s'était montré à leur égard un tendre père ; ils avaient eu des secours spirituels dans la prison, et au moment suprême, ils en avaient profité pour leur salut. Telle fut, lit-on dans l'Éloge de Fénelon, telle fut la fin de ce vieillard octogénaire (1), qui n'avait vécu que pour honorer la religion par ses vertus, l'humanité par ses services, et dont la vie simple, mais active, obscure, mais remplie, fut une nouvelle preuve qu'un seul prêtre animé de l'esprit de son état fait plus de bien en un seul jour que, tous les docteurs ensemble si riches en projets et si féconds en idées libérales. Quelques jours après, le 23 messidor, le procès-verbal d'exécution de ces malheureuses victimes était enregistré en ces termes aux actes publics (2) : " Affaire Lantour et (3) cinquante sept autres, l'an second de la République française, une et indivisible, le 19 messidor, à la requête du citoyen accusateur publie, près le tribunal révolutionnaire, établi à Paris, par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au tribunal de cassation, lequel fait élection au greffe du tribunal séant au palais, je me suis, huissier audiencier au dit tribunal soussigné, transporté à la maison de justice du dit tribunal pour l'exécution du jugement rendu par le tribunal, aujourd'hui, contre André Lantour, etc. (les noms suivent), qui les condamne à la peine de mort pour les causes énoncées au dit jugement et de suite je les ai remis à l'exécuteur des jugements criminels et à la gendarmerie qui les ont conduits sur la ci-devant place du Trône ou sur un échafaud dressé sur la dite place, les dits susnommés en notre présence ont subi la peine de mort, et de tous ce que dessus ai fait

 

(1) Eloge historique de l'abbé de Fénelon. J. G. (Bibliothèque nationale.)

(2) Archives nationales. Paris. Procès-verbal d'exécution de mort.

(3)  Il y avait soixante victimes et pour arriver au chiffre juste, on a voulu dire affaire Lantour, Boucher-Duclos, Maurin et cinquante-sept autres.

 

et rédigé le présent procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison.

« BATEAU »

 

« Enregistré gratis à Paris, le 123 messidor de l'an second de la république, une et indivisible. « COBNEBIZE. »

 

Après l'exécution, qui eut lieu à la barrière du Trône, le corps de Fénelon fut transporté au cimetière des Augustins-Picpus, comme celui des treize cent sept victimes jugées dans les quarante trois jours qui précédèrent le 9 thermidor. Aujourd'hui on voit près de là une chapelle dédiée à Notre-Dame de Paix (1). Nous avons voulu faire un pèlerinage à ces lieux qui nous sont devenus chers, visiter la place où repose le corps de l'abbé de Fénelon. Le 4 mai 1874, nous arrivions à Paris et, quittant la gare de Lyon, nous nous dirigions seul dans des rues tendant au cimetière qui renferme cette chère victime. Au n°35 de la rue de Picpus, nous entrâmes dans une vaste cour, au fond de laquelle est bâtie une modeste chapelle, monument de la piété filiale, dû à la famille de Noailles. Nous voulûmes visiter les tables immenses de marbre blanc dressées par cette famille et sur lesquelles sont inscrits les noms de treize cent sept victimes. En tête de ces tables on lit cette inscription : " Noms des personnes qui ont péri à la barrière du Trône, depuis le 26 prairial an 11, jusqu'au 9 thermidor suivant, juin et juillet 1794, et dont les restes, confondus dans une même fosse, reposent au cimetière de Picpus. " Puis, rangés par colonne, suivent des groupes de noms séparés seulement par l'indication précise du jour de leur mort en langage républicain et traduit en langue ordinaire. Nous parcourûmes en entier la première table de la chapelle

 

(1) Correspondant, 25 octobre 1864, p. 304.

 

de gauche, remarquant avec étonnement un mélange étrange de toutes les conditions et de tous les âges. A côté des noms les plus obscurs, on voit ceux de Lavoisier, de Roucher, d'André Chénier, de Sombreuil, de l'abbé de Mont-morency, de M. de Saint-Simon, du maréchal de Mouchy et de sa femme, de la maréchale de Noailles, de la duchesse d'Agen et de la vicomtesse de Noailles. A la fin de la dernière colonne, nous lûmes cette date : 19 messidor an II. - 7 juillet 1794 (1). La victime qui nous intéressait devait donc être là. En effet, retournant à la chapelle de droite où les listes continuent sans interruption, nous trouvâmes à peu près au premier tiers de la première colonne cette inscription . Salignac de Fénelon, Jean-Baptiste-Auguste, quatre-vingts ans, prêtre. Nous nous mîmes à genoux non loin des sœurs de l'adoration perpétuelle, à qui cette chapelle est confiée, et qui viennent tour à tour en adoration, revêtues d'un long vêtement rouge. Notre pensée était tout entière à l'abbé de Fénelon. Véritable soldat de Jésus-Christ, il laissa derrière soi les inutiles discoureurs sur le malheur des temps, pour payer de sa personne partout où l'ignorance et le vice semblaient faire un assaut plus violent contre les âmes. Dans cette glorieuse croisade, il avait accepté d'abord Saint-Sernin, comme un poste d'honneur, puis, après avoir fermé ici une brèche menaçante, il courut choisir à Paris la place la plus périlleuse et défendre encore, là pour ainsi dire au milieu de la mêlée, l'héritage du Sauveur et des nations chrétiennes. Après ces réflexions et une courte prière, nous demandâmes à visiter la place où le corps de Fénelon avait été enfoui. Cet endroit se trouve situé derrière la chapelle. Après avoir traversé un vaste jardin potager, on arrive à une première grille donnant entrée

 

(1) L'abbé Carron, dans ses Confesseurs de la foi, le fait mourir le 28 juin 1794. L'éditeur Lebel, dans les Œuvres de Fénelon, au mois de juin. C'est une erreur.

 

dans un long et étroit cimetière couvert de caveaux et de tombes, Ce sont les familles des victimes de 1794 qui ont demandé à reposer près de leurs ancêtres ; puis au fond de ce premier enclos, il existe un lieu réservé, sombre et solitaire, fermé par une seconde grille. Nous y entrâmes. Plusieurs oiseaux, peu accoutumés à voir des visiteurs en ces lieux, s'enfuirent du sein de grands ifs, en jetant des cris de frayeur. C'est là, nous dit-on, qu'en sortant de l'échafaud on précipita par-dessus le mur leurs corps dans la fosse commune. Notre imagination frappée voyait le corps de l'abbé de Fénelon maltraité, rudoyé par des hommes couverts de sang, et sa tête vénérable rouler sur d'autres corps. Nous étions tellement ému, que la personne qui nous accompagnait voulut se retirer un instant et nous laisser seul. Nous nous arrachâmes cependant de cette triste solitude où gisent seulement trois ou quatre tombes, entre autres celle d'un membre de la famille de la Trémouille. Sorti de ces lieux, nous gagnâmes la place du Trône. Ici, d'autres images nous poursuivirent encore. Sur cette place immense occupée actuellement par une foule affairée foulant d'un pas indifférent ce lieu arrosé du sang des martyrs, il ne fut pas difficile de nous représenter l'échafaud au moment où Fénelon y donnait sa dernière absolution. Nous vivions dans ce passé lointain, et la foule empressée, qui nous coudoyait, n'était rien pour nous.


CHAPITRE VI

 

Le prieuré de Saint-Sernin du Bois après la révolution de 1793

 

Avant de terminer sa longue et laborieuse carrière, dans les tristes loisirs de la captivité, Fénelon aura sûrement jeté un regard en arrière pour repasser devant Dieu seul les quatre-vingts ans de son existence. Sa pensée alors a dû se reporter quelquefois, souvent même, vers ses plus anciens souvenirs et une inquiétude secrète, à lui seul connue, a dû traverser son cœur. Que devient mon troupeau bien-aimé, au milieu de ces mauvais jours ? Mon prieuré, mon église, mon hôpital, mon pasteur André Dumont, que sont-ils devenus ? . Hélas ! le flot révolutionnaire est venu jusque-là détruire en partie ces œuvres. Le prieuré tout entier, fruit de tant de travaux et de vertus, fut déchiré en lambeaux. Avides de biens et d'autorité, l'État, la commune, le fermier, se disputèrent à l'envi l'administration et la possession des terres ; et le soin des âmes resta à un prêtre persécuté. L'hôpital, la dernière fondation de Fénelon, fut celle qui sombra la première. Il fut confisqué au profit de la nation, comme toutes les terres du prieuré, par la loi du 19 décembre 1789 (1), et quoique le décret qui ordonnait la vente de ces biens des pauvres et des

 

 (1) Le décret qui enlevait les biens du clergé, prenait aussi les biens des hôpitaux. (Hist. ecclés., P. 731, t. II Blanc.)

 

malades n'eût d'exécution presque nulle part, l'hôpital de Saint-Sernin fut vendu. Françoise Maréchale, la supérieure, n'avait pas attendu (1) cette spoliation. Dieu lui épargna cette terrible épreuve, en l'appelant (2) à lui le 17 août 1788. Jean Châtillon, le sous fermier de toutes les propriétés du prieur, était à la quatrième année de son bail de neuf ans ; il resta donc au château, malgré la tourmente. Voyant que les biens qu'il faisait valoir n'avaient plus de maître, que d'ailleurs on lui avait retranché les dîmes, les droits féodaux, les revenus du prieuré de Saint-Germain vendu en février 1791, il avait pensé un instant se rendre indépendant. Cette prétention fut l'objet d'une délibération du conseil de Saint-Sernin, où " il a été arrêté que, dans le cas où le sous fermier vendrait ou exploiterait par lui-même les coupes de bois pour l'année 1791, le sieur Chanliau, procureur de la commune de Saint-Sernin, et le sieur Emiland Guinot, procureur de la commune de Saint-Firmin, feront les poursuites et diligences nécessaires (3) pour avoir les bois morts et morts bois et autres droits qui peuvent appartenir aux paroisses de Saint-Sernin et de Saint-Firmin. On a arrêté aussi dans la même séance " que les deux susdites municipalités se réuniront à la chambre commune de Saint-Sernin, dans le courant du mois de mai, pour présenter une requête au département, pour que les officiers municipaux soient autorisés à, assister au recollement des ventes qui doivent échoir dans le courant de juin, pour s'assurer si les modernes et balivaux ont été respectés, attendu que tous les habitants payent le droit de brairie et, comme on dit, qu'on ne laisse que des ramures de pois de Paris, pour modernes et balivaux, la brairie est payée purement gratis ".

 

(1) Registres de la paroisse. (Archives de la commune, de Saint-Sernin.)

(2) Le pays fut désormais privé de tout enseignement jusqu'en 1837, époque où on ouvrit une seule école pour les deux sexes.

(3) Copie de cette délibération. (Archives de la ville d'Autun.)

 

Châtillon, arrêté dans ses espérances, voulut alors que l'on dressât une estimation des biens qui lui restaient, afin de ne payer plus désormais qu'une redevance proportionnelle, qui fut fixée par le district d'Autun, d'après la ventilation des biens faite, par le sieur Reuîllot (1). Toutes les propriétés du prieuré étaient démembrées. Châtillon ne jouissait plus que de cinq articles de trente et un du bail, savoir : Article 1er. Le château de Saint-Sernin, le jardin, l'ouche et le domaine de la cour avec ses dépendances, le tout évalué au revenu annuel de 1,500 livres Art. 14°. La rente due annuellement par les propriétaires de la forge de Mesvrin, estimée 2,440 livres. Art. 15°. Une autre rente due chaque an pour le cours d'eau de l'étang de Mesvrin, 400 livres. Art. 16°. Une autre rente due sur le fourneau de Bouvier, 30 livres (2). Art. 20°. La coupe de bois de l'ordinaire de 1791, estimée 2,300 livres. Le total montait à 6,670 livres. Les usines de Mesvrin furent affichées pour être, affermées comme domaine national. Elles faisaient partie de la grande exploitation du Creusot. On vit alors dans les rues de Paris de petites affiches, notamment le N° 871 du 23 floréal an X, qui portaient : <<Différentes manufactures et usines importantes, sises dans la vallée du Creusot et environs, entre Châlon et Autun, département de Saône-et-Loire, à affermer en totalité ou en partie pour le premier messidor, savoir : " La fonderie proprement dite et ses dépendances;

 

(1) Archives de la ville d'Autun.

(2) Le 24 floréal an XII, l'étang de Bouvier, tenu par Marlot, et l'étang de Champîteau sont tellement en raine, que l'eau est prête à partir et le poisson à périr. Marlot avait des conventions avec M Lepelletier de Wit. (Archives de Montjeu.)

 

- Les laminoirs de Mesvrin et leurs dépendances

- La forge de Bouvier et ses dépendances ;

- La verrerie ou manufacture de cristaux et ses dépendances.

- S'adresser, tous les jours, dans la matinée jusqu'à une heure, à l'administration des établissements du Creusot, rue du Faubourg-Poissonnière, 22, pour prendre connaissance du cahier des charges (1).

Les autres propriétés du prieuré furent successivement partagées et vendues. A la même date, 18 mars 1791, nous lisons au Registre des ventes de biens nationaux : " Barthélemy Boyer, cessionnaire du citoyen Nicolas Changarnier, achète 38,200 francs le fonds du ci-devant prieuré de Saint-Sernin (2) " ; et aux Archives de la ville d'Autun : " Que le domaine et le château avaient été vendus et délivrés au sieur Jean-Marie Lagoutte, le 18 mars 1791, de qui en héritèrent bientôt Guy Guichot et Nicolas Merle. ), Ces derniers se déclarèrent propriétaires, en faisant signifier par main d'huissier aux administrateurs d'Autun que ce domaine leur appartenait, et qu'ils entendaient toucher 1,500 livres de rente des mains de Châtillon (3). Cependant les habitants de Saint-Sernin du Bois ne suivirent pas tout de suite le mouvement révolutionnaire que Paris voulait imprimer partout. lis choisirent d'abord pour les administrer le vicaire de la paroisse, M. l'abbé Jean Clair, sous le nom de premier officier municipal (h). Son règne fut de courte durée, car, à la fin de l'année 1790, il passe cet honneur et cette charge à son curé (5).

 

(1) Mémoire à consulter et consultation. pour les veuve et héritiers de la Chaize, contre les propriétaires, etc., 13 prairial an X, p. 15, en note. (Archives de M. Harold de Fontenay.)

(2) Registre des ventes de biens nationaux.

(3) archives de la ville d'Autun.

(4) Registre de la paroisse. (Archives de la commune.) 23 février 1790.

(5) Même source, 24 Juin 1790.

 

Ce choix des desservants pour maires ne fut pas un fait particulier à la paroisse de Saint-Sernin. M. Bauzon, à Saint-Pierre de Varennes, ayant subi à deux reprises un humiliant ballottage, avait été choisi comme maire, à cause de son âge, seul motif qui le fit préférer à son compétiteur (1). A Saint-Firmin, M. Dufresne, qui était alors curé, fut aussi librement élu par tous les habitants, pour premier officier municipal (2). Mais le 13 février de l'année suivante, il fut obligé, comme M. Dumont, à Saint-Sernin, de donner sa démission. Entre de telles mains, l'autorité conservait l'ordre social malgré les décrets et les lois émanes de l'Assemblée. L'abbé Dumont, cependant, comprenait à la tournure des événements qu'il allait être dépassé, et que l'autorité, en d'autres mains que les siennes, deviendrait une force aveugle, capable de tout renverser. C'est dans cette appréhension qu'il reprend son registre de l'année 1789, et qu'au dernier feuillet il écrit cette page :

" Ad perpetuam rei memoriam (3). Cette année sera à jamais célèbre par les grandes révolutions qu'elle a vues naître. " Nos arrière-neveux reprocheront, aux évêques et aux curés, l'avilissement des ministres de la religion et la perte peut-être de la religion elle-même. " On a fort bien fait de ne pas appeler les états généraux, mais l'Assemblée nationale, cette cohue, cette horde de gens qui ont violé, de la manière la plus inique, le vœu sacré de la ration, abusé de la bonne foi de leurs commettants. " Il fallait réformer une foule d'abus qui écrasaient le peuple, mais il ne fallait pas soulever l'Etat et jeter le désordre dans toute la France. " Ces pressentiments ne tardèrent pas à se réaliser. L'année suivante, la démission de M. de Talleyrand, et le serment qui força

 

(1) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varennes.

(2) Registre de la paroisse de Saint-Firmin. ( Archives de cette commune.)

(3) Archives de la commune de Saint-Sernin.

 

tous les prêtres fidèles à fuir et à se cacher, amena à l'épiscopat d'Autun, l'abbé Gouttes (1), qui exigea, à son tour, des prêtres de son diocèse, le serment schismatique, prêté par lui, d'abord, à l'Assemblée. L'abbé Dumont, fidèle à ses principes, soutenu, d'ailleurs, par le souvenir et l'exemple de Fénelon, refusa et se vit remplacé, le 22 mai 1791, par M. Lazare Guillon, jeune prêtre, âgé de vingt-cinq ans, dix-neuf jours (2). Il avait une taille avantageuse, une tenue digne. Il venait de Saisi, près Corbigny, où il avait passé les années de son vicariat. Il avait prêté serment. Installé à la cure de Saint-Sernin, son premier acte fut de faire connaître ses sentiments et ses idées. A l'instar de M. Dumont, il rechercha sur les registres, l'année 1789, et en face de la page que nous venons de lire, il écrivit cette note où nous pouvons remarquer toute l'inexpérience de sa jeunesse : "Ad Perpetuam, rei memoriam (3). Cette année sera à jamais célèbre par l'heureuse révolution qu'elle a vue naître. " Nos arrière-neveux reprocheront, sans doute, aux évêques et aux curés anticonstitutionnels, les efforts qu'ils ont faits, mais en vain, pour la perte de la religion ; ils combleront de bénédiction les évêques et les curés constitutionnels qui l'ont soutenue par leur zèle et leur désintéressement, et qui l'ont ramenée à sa pureté primitive. " On a fort bien fait de ne pas appeler les états généraux, niais l'Assemblée nationale, ce sénat auguste, ces sages députés, qui ont rempli de la manière la plus merveilleuse le vœu sacré de la nation, qui ont fait un si bon usage de la confiance dont les ont honorés leurs commettants. " GUILLON. "

 

(1) Il fut remplacé par Poulard. Voyez Feller, Dictionnaire historique.

(2) Registre de la paroisse, note de M. Guillon. (Archives de la commune.)

(3) Archives de la commune de Saint-Sernin.

 

Chez lui, il n'y avait pas seulement une intelligence dévoyée, le cœur était aussi quelque peu vénal et égoïste. Car cette même année 1791, tout occupé de ses propres intérêts, il a soin de nous faire savoir que, malgré la grande sécheresse qui régna pendant plusieurs mois, depuis le 1er juillet (1), il ne manqua, à la cure, ni d'eau ni de vin. La vigne de l'enclos (2) produisit six sicles de vin, et les deux sources du canal fournirent aussi une quantité d'eau suffisante. Puis après avoir constaté le bon état des semences, il signe et il ajoute avec complaisance :

Multos vivat in annos.

 

Un tel pasteur sentait bien le mercenaire, aussi les habitants, peu habitués à ces sentiments d'orgueil et d'intérêt, lui auraient fait, dit-on, un mauvais parti, s'il fut resté longtemps. M. l'abbé Dumont demeura quelques jours dans le pays avant de prendre une détermination. Un fait qui paraîtra peut-être puéril, lui fit cependant comprendre que son séjour ici ne pouvait se prolonger plus longtemps. Il passait au village du Bas-de-Maret, lorsqu'un homme mal intentionné l'apercevant, rassembla plusieurs enfants et leur dit de crier : Aristocrate (3)! Ces enfants, dociles à la leçon, aussitôt que M. le Curé les eut dépassés, se mirent à vociférer à qui mieux mieux : Aristocrate! Aristocrate! Ces insultes, sorties de la bouche d'une troupe d'enfants, durent pénétrer le cœur de ce bon prêtre de la plus grande tristesse, et furent peut-être une des raisons qui le déterminèrent à hâter son départ. Encore jeune, il n'avait que quarante et un ans, sans logis, sans grosses ressources, que faire ?

 

(1) Registre de la paroisse. Note de M. Guillon, (Archives de la commune.)

(2) Cette vigne avait été plantée par M. Dumont, en l'année 1781, et avait rapporté cette année même une grande abondance de vin. Même document.

(3) Récit de M. Durney, vieillard de quatre-vingt-onze ans, qui n'a conservé que ce souvenir de M. Dumont.

 

il songea à prendre le chemin de l'exil. On raconte que, laissant là tout son mobilier, dont on voit encore quelques bribes dans une maison de Saint-Sernin (1), il prit des habits séculiers et partit au milieu de la nuit, se dirigeant sur Châlon ; arrivé près de cette ville, comme il était inconnu, sans papiers, il fut pris et conduit d'abord à Autun, où il resta assez de temps pour faire à un nommé Chrétien, de Saint-Sernin, une obligation de 463 livres, 10 sols. Transporté ensuite à Mâcon, il y fut emprisonné dans la maison des ci-devant Ursulines, devenue prison nationale. C'est de là qu'il écrivit une dernière lettre à sa famille. Cette pièce a malheureusement subi l'outrage du temps et des rongeurs ; elle laisse comprendre qu'il demande à ses parents de le réclamer et de le faire venir pour " affaires de famille pressantes " - Il y parle de la messe qu'il ne dira point, dans la crainte de certaines compromissions. Il fait ses adieux à une série d'amis et de parents, et leur parle d'un témoignage ou d'un service, " le dernier de tous (2) ". C'était le testament de celui qui allait mourir (3). Il fut moins heureux que son voisin et son confrère, M. Bauzon, curé de Saint-Pierre de Varennes, qui, plus âgé que lui, et après un emprisonnement de plusieurs années, revit sa paroisse, rouvrit son église au milieu de mille dangers et de mille vexations. Sauvé de la tourmente, M. Bauzon écrivit de sa main sa propre histoire en quelques lignes :

"Le 13 février 1791, j'ai refusé de faire le serment prescrit par la loi au sujet de la constitution civile du clergé, comme héré-

 

(1) Ses parents vinrent le réclamer, mais comme il avait quelques dettes, on sut leur faire une note tellement grosse, qu'ils ne purent rien emporter. (Tradition du pays.)

(2) Tous ces détails n'ont été, donnés par M. le curé de Villaines, dans une lettre en date du 14 février 1874.

(3) Les archives du tribunal de Mâcon. ne conservent aucun acte de condamnation juridique, d'après les recherches de M. le greffier en chef de Mâcon, en 1874.

 

tique, schismatique et contraire au serment que j'ai fais (1) le jour que j'ai été honoré du saint sacerdoce de Jésus-Christ. " Et pour tout dire, en deux mots, je n'ai fais aucun serinent, ordonné depuis ce premier, seulement une soumission pour exercer le culte catholique romain, dans la commune de Saint-Pierre de, Varennes, ainsi que mes autres confrères, détenus comme moi, dans la maison de détention aux daines de la Visitation (2) de la ville et département de Saône-et-Loire, séant à Mâcon, où j'ai demeuré depuis le 17 septembre 1792 jusqu'au 29 août 1795. " Le 8 mai 1791., j'ai été remplacé à Saint-Pierre de Varennes, par M. Gaudriot, prêtre et chanoine de Saint-Nicolas de Couches. Je suis demeuré dans la dîte paroisse depuis ce jour, 8 mai 1791, à Vernotte, hameau de la dîte paroisse, jusqu'au 27 mai 1792, auquel jour, la garde nationale de Couches me conduisit comme un criminel par-devant M. le juge de paix du dit lieu, puis en la prison d'Autun. Après un jugement très favorable pour moi, j'ai été forcé, tantôt de me cacher, tantôt de courir çà et là, sans avoir un vrai domicile ; les mois de juin, juillet et août, jusqu'au jour de Sainte-Croix, 14 septembre 1792, auquel jour, je partis pour Mâcon, où je devais me rendre, soit par rapport à mes infirmités bien et dûment constatées plusieurs fois.

 

Il revint à Saint-Pierre de Varennes, mais M. Dumont mourut en prison (3). Le 24 juin 1793, il était déjà décédé. De quelle manière? Nous ne saurions le dire. Une procuration fut envoyée par ses deux frères à un particulier de Semur, pour assister à la levée des scellés, apposés sur les effets mobiliers d'André Dumont " prêtre

 

(1) L'original de cette pièce est annexé au registre de paroisse de Saint-Pierre de Varennes.

(2) M. Bauzon était emprisonné au couvent de la Visitation de Mâcon, tandis que M. Dumont était aux Ursulines de la même ville.

(3) La lettre de M. le curé de Villaines, 14 février 1874, qui a retrouvé tous ces documents au moulin paternel de M. Dumont.

 

cy-devant curé de Saint-Sernin, décédé en la maison des ci-devant Ursulines de Mâcon ". Ces effets furent le partage exclusif d'Antoine Chrétien, qui les revendiqua avec une rapacité peu commune. Au milieu des plus mauvais jours, ce boulanger, avide, ne craignit pas d'aller de Saint-Sernin à Villaines, pour réclamer, par-devant la justice, à la famille de M. Dumont, 1767 livres qu'il soutenait lui être dues ; somme énorme, qu'en temps ordinaire, il lui eût été impossible de justifier. Mais les deux frères du défunt, pour n'avoir avec cet homme aucune contestation, se partagèrent le payement de cette prétendue dette, heureux, peut-être, de donner à cette chère victime un dernier témoignage de leur amitié ; et ce créancier dut s'en retourner satisfait car on lui abandonna, en outre, le reste du mobilier qui avait été déposé dans une maison de Saint-Sernin. Il ne consistait plus qu'en une cuve, une bibliothèque et un fusil double (1). M. l'abbé Clair résolut de rester au milieu du troupeau, c'est lui qui le garda. Au commencement, il eut peu à souffrir personne ne l'inquiétait. Natif de Saint-Emiland, paroisse voisine il pouvait espérer quelques secours de la part de sa famille. Il prêta plusieurs fois son concours au nouveau curé qui était pour lui, un ancien condisciple. Il signait tantôt  ci-devant premier officier municipal, et tantôt : ci-devant vicaire, de ce lieu (2). Le 14 janvier 1791, il avait montré son patriotisme et son dévouement aux intérêts de la commune, à l'occasion du vieux terrier de 1535. Il venait de le retrouver. Cet immense in-folio avait été probablement enlevé de la tour des archives, avant que François Leger, administrateur du district d'Autun et vice-président du directoire, fût venu faire l'inventaire des titres et

 

(1) Voir les registres de la paroisse, année 1791. (Archives de la commune.)

(2) Voir l'inventaire des papiers du prieuré. (Archives de la ville d'Autun.)

 

papiers (1) du prieuré, pour les confisquer. Il manque dans cette liste dressée le 10 septembre 1790. Dès que l'abbé Clair fut en possession de cet ancien document, il s'empressa "écrire cette lettre aux officiers municipaux.

 

« Messieurs,

 

« J'ai l'honneur de vous avertir que, comme homme publie, il m'a été remis un livre, écrit en gothique, que je ne puis pas lire et que l'on m'a dit concerner la paroisse et que l'on m'a remis sous la condition expresse de le transmettre sur-le-champ à la municipalité, d'autant plus que la dite personne s'imagine être celui que la paroisse réclame avec tant d'ardeur, c'est pourquoi, Messieurs, je m'empresse, avec le plus grand plaisir, à vous faire part de cette restitution. Comme en étant chargé et comme étant attaché d'une manière invio-lable à la paroisse, et pour que je puisse faire voir à mon commettant que je me suis acquitté de mon devoir vous voudrez bien, Messieurs, en vous le donnant, me donner un récépissé pour cela. Je vous prie de vouloir vous trouver, jeudi prochain, à l'église, lieu où il m'a été remis à l'heure de sept à huit du soir, c'est aussi le lieu que je choisis pour vous le remettre. " J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur,

« CLAiR Vicaire (2). »

 

L'heure et le lieu choisis pour cette remise nous montrent toute l'importance que ce terrier avait à ce moment. Les habitants de Saint-Sernin, loin de craindre l'ancien régime, voulaient, d'eux-mêmes, y revenir et prétendaient ne devoir payer

 

(1) Archives de la ville d'Autun.

(2) Lettre autographe (propriété de l'auteur).

 

de rentes et d'impôt que conformément aux anciens titres, comme nous le voyons dans un procès-verbal de séance des conseils de Saint-Firmin et de Saint-Sernin.

 

Extrait des registres de la municipalité de Saint-Sernin. (Séance du 27 février 1791.)

 

« L'an 1791, le vingt-sept février, le conseil général de la commune de Saint-Sernin du Bois, assemblé sur la réquisition du sieur Chanliau, procureur de la commune, lequel a dit, Messieurs, vous êtes instruits qu'en ma qualité de procureur-syndic, par conséquent chargé, par état, de faire tout ce qui peut procurer le bien de la paroisse, j'ai donné avis par une signification légalle en datte du 22 février, signée Chanliau, à la municipalité de Saint-Firmin, en la personne d'Emiland Guinot, marchand au Caillot, procureur de la dite commune, que nous avions entre les mains le titre qu'elle réclame, ainsi que nous, depuis si longtemps, après avoir fait les remerciements que mérite le sieur Chanliau, de tout le zèle qu'il fait paraître dans toutes les circonstances qui peuvent procurer le bien général, le conseil général de la commune de Saint-Firmin s'est présenté et a demandé à être reçu à la dite séance, ce qui lui a été accordé avec joie et applaudissement ; le sieur Chanliau a parlé de nouveau et a dit, Messieurs, rassemblés ici pour le bien général de nos deux communes, attendu que nos intérêts sont les mêmes, je vous prie que vous avez à délibérer sur le parti que vous avez à, prendre 1° touchant le payement des rentes qu'on doit vous demander ; 2° touchant l'ancien terrier qu'on nous a remis. Le procureur de la commune ouï les opinions prises, il a été décidé, d'une voix unanime, que l'on persiste à ne payer que conformément à l'ancien terrier et que si on est obligé à faire des frais, à raison de l'ancien terrier, qu'ils seront communs aux deux paroisses, ainsi que les frais faits actuellement. 30 On a décidé que l'ancien terrier serait cacheté et remis au sieur Philibert Chanliau, procureur de la ditte commune, pour en être le dépositaire ; et après l'avoir feuilleté, nous avons remarqué plusieurs feuilles, au commencement, usées de vétusté ou rongées par les rats, et dans la suite plusieurs pages qui manquent, particulièrement entre 48 et 73... Avant que de signer nous déclarons, au sieur Chanliau, que dans le cas où l'ancien terrier viendrait à dépérir, de quelque manière que ce soit, à moins qu'on ne puisse prouver qu'il y ait vraiment de sa faute, que nous ne inquiéterons d'aucune manière ; et se sont soussignés, Messieurs composant ,le conseil général de la commune de Saint-Sernin du Bois et de Saint-Firmin. Signé, à l'original : Chanliau, p. de la commune de Saint-Sernin du Bois ; Lazare Devaussanvin, maire ; Charleux, D.; Demaizière, n.; Contassot, n. ; Emiland Guinot, procureur de Saint-Firmin ; Vernizeaux, secrétaire. Pour extrait : Vernizeaux, secrétaire. " Ces notables, prenant à cœur leur délibération, refusèrent obstinément, pour leur propre compte, et tous les habitants à leur exemple, de payer ce qu'ils devaient à Jean Châtillon, fermier des biens du prieuré. Ce dernier les cita devant M. Pierre Garcheri, juge de paix de Montcenis ; c'était le 4 avril de la même année. Devant le magistrat, ils expliquèrent clairement le motif ,de leur refus. Ils " ont dit qu'ils ne refusent point d'acquitter les rentes par eux dues à la seigneurie de Saint-Sernin, mais que les manuels d'après lesquels elles sont percues ne sont point exacts, non plus que le terrier sur lequel il a été formé ; que ils consentent payer les dites rentes et redevances seigneurialles telles quelles sont portées et détaillées dans l'ancien terrier, attendu qu'elles ont été gonflées sans cause dans le terrier renouvelé dans l'année 1754, gonflement par eux reconnu par le recouvrement qu'ils ont fait depuis peu de l'ancien terrier et ont demandé au sieur Châtillon la représentation du nouveau terrier pour en être la comparaison faites avec l'ancien et se sont soussignés (1) : Vaussanvin, Fyot, Champliaud, Charleux." Châtillon, n'ayant pu fournir ces terriers demandés, ne s'entendit pas avec eux, et le juge de paix renvoya l'affaire au distric d'Autun. Les demandeurs se présentèrent avec assurance à ce nouveau tribunal. Ils apportaient, relié à neuf en peau de veau, un volume in-folio, presque cubique, l'ancien terrier de 1535, titre unique et qui devait régler leur différend. Quelle ne fut pas la surprise des juges d'Autun, lorsqu'ils eurent devant eux des gens qui redemandaient le régime de François 1er. L'immense volume resta aux archives d'Autun, où on l'y voit encore, et les nouvelles lois sur les impôts leur furent appliquées. Les habitants de Saint- Sernin et de Saint-Firmin n'avaient pas plus compris les réformes que Fénelon avait faites au milieu d'eux, en abolissant le servage, qu'ils n'avaient apprécié les prétendus bienfaits de 1789. Inquiets et troublés de tant de changements successifs, ils semblaient heureux de se rejeter à l'ancien régime, comme le plus stable et le plus défendus. Ils lui en surent gré longtemps. Il arriva un jour que M. Guillon lui-même fut obligé de s'enfuir (2). Le généreux abbé Clair, malgré toutes les proscriptions, resta fidèle à son poste et à sa mission. Caché dans les bois, il baptisa la nuit, dans les granges et sous les roches (3), les enfants qu'on lui apportait de Saint-Sernin et des paroisses voisines (4). Les habitants en grands nombre le protégèrent, quelquefois même

 

(1) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varennes.

(2) Cet ecclésiastique un moment dévoyé revint à résipiscence, abjura ses erreurs et mourut plus tard curé d'Anost.

(3) Tradition du pays. On montre encore, dans les bois, les roches où il se retirait.

(4) Les registres de la paroisse de Saint-Pierre de Varennes font foi que l'abbé Clair baptisa les enfants de cette paroisse, depuis le 23 avril 1798, jusqu'au 11 novembre de la même année.

 

au péril de leur liberté et de leur vie, contre les violences de l'autorité. En effet, au livre de la maison d'écrou d'Autun, on lit cet acte d'incarcération, signé de François Leger, juge de paix de Montcenis. " Le 12 ventôse l'an IV de la République (4 mars 1796), Françoise Gillot fille de François Gillot, sabotier, à Sernin du Bois ; prévenue de complicité de l'attroupement qui a eu lieu au dit Sernin du Bois, le 20 nivôse dernier, à l'effet d'empêcher de mettre à exécution le mandat d'amené par nous décerné contre le nommé le Clair, ministre du culte catholique, ci-devant vicaire du dit Sernin (1), le 9 frimaire, et ceux par nous aussi donné contre Emiland Marlot, marchand, Jean Crétien, dit Gros-Jean, laboureur fermier, et Claude Fiot, menuisier, tous demeurant dans la dite commune, le 18 du dit mois nivôse, et d'avoir été arrêté par la force armée, armés de pieux et pierre. Mandons au gardien de la maison d'arrêt de les recevoir. " Montcenis, le, 12 ventôse l'an IV de la république française, une et indivisible. " Les dits Gillot, père et fille, furent mis en liberté le 30 ventôse. Signé : Legey, juge de paix, officier de justice, à Montcenis. " Toutes ces persécutions ne pouvaient arrêter l'abbé Clair dans sa noble carrière ; et plusieurs simples fidèles, à l'envi, aimaient à partager les dangers qu'il courait lui-même. Le, sacrifice pour la vérité attire toujours les nobles âmes. Un jour, de grand matin, on aperçut quelques villages de la paroisse plus animés que d'habitude. L'abbé Clair avait averti qu'il viendrait dire la messe aux Mittaux, chez le père Fougère, maçon du diocèse de Limoges, que Fénelon avait marié lui-même avec Françoise Moine, fille d'un de ses anciens domestiques (2). A cette heureuse nouvelle, plusieurs s'étaient levés de bonne heure et

 

(1) Extrait du livre d'écrou de la geôle d'Autun.

(2) Registre de la paroisse.(Archives de la commune.)

 

on les voyait passer discrètement dans l'ombre, pour se rendre au lieu désigné. La pauvre petite maison avait été préparée avec soin. Le saint sacrifice commença dans le plus grand recueillement, il y avait si longtemps déjà qu'on avait prié le Dieu de l'Eucharistie. Mais tout à coup l'alarme est donnée ; la messe s'achève en toute hâte (1).  L'abbé Clair avait été dénoncé par Claude Fyot et par Antoine, Chrétien, le nouveau maire ; les seuls, ici, peut-être qui suivirent l'impulsion de l'ère nouvelle. Les gendarmes arrivent pour prendre et emmener notre réfractaire. Grande est la frayeur de tous les assistants. Les femmes cependant eurent bientôt caché, comme elles purent, tout ce qui servait à la célébration du saint sacrifice, et l'homme de Dieu, à qui il n'était plus possible de gagner le large, se vit obligé de se glisser à la hâte sur le ciel du lit qui, heureusement, était vaste et solide. Dans sa précipitation il n'eut pas le temps de retirer un de ses pieds dont le bout passait encore, lorsque le brigadier entra. Cet homme, plus sensé et meilleur que bien d'autres, aperçut immédiatement le pauvre abbé, mais après une inspection sommaire, sortant de la maison et se retournant vers sa troupe : "Allons, dit-il, il n'est plus ici, il vient de s'enfouir (2). " Bien lui en prit de ne pas arrêter M. l'abbé Clair. Car la nouvelle que M. le curé avait été surpris et qu'il était traîné en prison se répandit comme un éclair dans toute la paroisse. Les sabotiers étaient descendus de leurs montagnes et s'étaient précipités aussitôt sur le chemin près du pont de Gamey, où l'escorte devait nécessairement passer. Ce pont, jeté sur le torrent qui mugit au fond de la gorge, est très étroit, et les gendarmes durent avoir certainement un mouvement de frayeur, lorsqu'ils se virent forcés de franchir le défilé,

 

(1) Ce fait tout entier est clans toutes les mémoires à Saint-Sernin

(2) Quelques-uns ajoutent que ce gendarme, voulant paraître scrupuleux, s'éleva jusqu'à la hauteur du ciel de lit, et qu'ayant tendu le bras, il rencontra la main de M. Clair, qu'il serra avec affection.

 

au milieu de tous ces hommes qui s'étaient rangés en haie de chaque côté du passage. Quelques-uns étaient armés de fusils, mais la plupart avaient à la main les instruments de leur travail, haches, cognées, doloires (1), qu'ils savent manier avec une dextérité et une justesse étonnantes. Le bruit de l'eau sur les rochers empêchait d'entendre leur conversation, mais on pouvait bien supposer que si de leurs lèvres agitées ne sortait pas l'injure, la menace n'en était pas absente. La colère s'apaisa quand on vit que la victime s'était échappée. Mais le délit était notoire, la messe avait été dite dans une maison particulière, le gendarme fit son rapport et le châtiment tomba sur le propriétaire de la maison. Il fut mis en prison d'après un mandat d'arrêt conçu en ces termes : " Mandat d'arrêt du 23 pluviôse, lancé de Montcenis, par François Leger, juge de paix, contre Sébastien Fougère, maçon, domicilié aux Mittaux, commune de Sernin du Bois (2), prévenu d'avoir, le 22 frimaire dernier, donné asile à Jean Leclair, prêtre du culte catholique, et le dit Leclerc exerçait son ministère dans la maison, sans s'être conformé à la loi du 7 vendremaire an IV.

« Signé : BONIN. »

 

Le mandat est mis à exécution le lendemain par la gendarmerie de Montcenis, qui écroue le dit Fougère à la prison d'Autun.

D'autres fois, l'abbé Clair était plus heureux, car il existe encore, près du Creusot, une ferme nommé la Couronne, où il célébra souvent la messe, il y bénit des mariages et y fit plu sieurs baptêmes (3) ; puis, au village des Sourdeaux, on montre encore une armoire qui lui servit de chapelle (4). Il était habituellement vêtu en paysan, portait un vouge qui lui servait à tailler les buissons, quand il avait

 

(1) Tradition du pays et récit d'un vieillard âgé de quatre vingt onze ans en 1873.

(2) Extrait du livre d'écrou de la geôle d'Autun.

(3) Tradition du pays.

(4) Tradition d'une famille de ce village.

 

lieu de suspecter les passants ou qu'il voyait arriver des gendarmes (1).

Plus tard, à la fin de ces tristes jours, lorsqu'il avait plus à craindre les attaques des mauvais sujets que les surprises de l'autorité, il avait modifié son costume. Il avait fait faire une veste ronde et un pantalon d'une étoffe commune, composée d'un fil blanc et d'un fil bleu, et ne marchait jamais que bien armé (2). Un jour qu'un de ses amis, le rencontrant dans ce nouvel accoutrement, lui dit en riant : " Vous aurez beau faire, Monsieur l'abbé, ils vous prendront toujours. - Non, reprit-il aussitôt, non, père Grosjean, ils ne me prendront pas, car je vaux bien trois hommes, mon fusil à deux coups pour les deux premiers, et moi pour le troisième." Il avait aussi à la main un gros bâton de pommier sauvage. Il s'armait de la sorte pour faire perdre aux méchants toute envie de l'attaquer ; excellente méthode pour n'avoir jamais l'occasion de se servir de ses armes. Cependant, au milieu de toutes ces alarmes, M. l'abbé ne négligeait pas le service des âmes. Il faisait apprendre le catéchisme aux petits enfants par des femmes qui lui étaient connues, et lorsqu'il y en avait quelques-uns d'assez instruits, il les confessait plusieurs fois en cachette avant de les admettre. Un de ces enfants nous a raconté lui-même (3) qu'après avoir été instruit par une femme (4) du village de Gamey avec trois autres enfants de son âge, ils avaient été confessés dans le grenier du père Forest (5) des Lamours, et qu'ils avaient communié dans la dernière maison d'un hameau appelé les Fontaines. C'est là qu'ils entendirent la messe. Un tonneau servait d'autel. Avec l'instruction des enfants il faisait tous ses efforts Pour sou-

 

(1) Note trouvée à l'évêché d'Autun, sur M. l'abbé Clair.

(2) Récit d'un vieillard qui avait été filleul de M. l'abbé Clair.

(3) Récit authentique d'un homme âgé de quatre-vingt-onze ans en 1873 ;

(4) Une Godard, dite Tonton, mariée à Charleux, marchand de vin.

(5) Grand-père de M. Martinon, curé de Saint-Pierre de Varenne

 

tenir la foi dans les cœurs et préserver les familles des fausses doctrines qui circulaient partout. Ce soin lui était d'autant plus difficile qu'il avait à combattre les enseignements d'un curé intrus, patronné, soutenu par l'autorité. L'abbé Guillon, malgré le peu de sympathie qu'il avait inspirée, était cependant entouré d'un petit cercle de chrétiens qui voulaient pratiquer leur religion, mais qui n'avaient pas assez de courage pour affronter les persécutions. M. Clair poursuivait ces âmes pusillanimes de ses anathèmes, en disant que c'était un sacrilège d'entendre la messe d'un intrus (1). Mais sous le poids de ces invectives, quelques-uns se formaient encore la conscience, en se persuadant qu'ils remplissaient leurs devoirs sans s'inquiéter de ce que pouvait être le ministre. Les jours ici, comme à Paris, étaient bien tristes. Le département,, représenté d'abord à l'Assemblée législative par Lamourette, archevêque de Lyon, n'avait plus pour députés que des noms obscurs. C'étaient Roberjot, curé de Mâcon, suppléant à la députation ; Baudot, médecin de Charolles ; Jean-Louis Carra et Jean-Jacques Cusset (2); ces trois derniers étaient des régicides, qui avaient voté la mort du roi sans appel et sans sursis. Sous le patronage de ces hommes de sang, l'autorité départementale de Saône-et-Loire avait formulé une plainte vague, dans laquelle elle accusait devant la Convention les prêtres d'entraver la levée des impôts (3). Cette pièce, ne citant aucun nom, laissait tomber sur tout le corps ecclésiastique la pénalité qu'une telle faute pouvait encourir. La paroisse avait perdu son nom de Saint-Sernin (4). Les gens de loi, les huissiers de Montcenis ne la connaissaient plus que sous celui de la Montagne du Bois ; on disait aussi : Dubois la Montagne. Saint-Firmin avait repris son ancienne dénomination avec une

 

(1) Tradition du pays, et récit des quelques rares témoins qui existent encore.

(2) Feller, Dictionnaire historique.

(3) Feller, Table chronologique, 18 mai 1792.

(4) Registres déposés au greffe d'Autun.

 

épithète insignifiante : c'était Chazel le Gravier. Pour Saint-Pierre de Varennes, on disait : Varennes le Gravier ; enfin Saint-Symphorien de Marmagne n'était plus que le Pelletier (1) Les églises furent pillées et profanées. A Saint-Firmin, les vases sacrés, calices, soleil, boîte à encens, ciboire, plat, burettes, encensoirs, furent, d'après une délibération du conseil municipal, portés à la fonderie du Creusot (2). A Saint-Sernin, Claude Fyot et Antoine Chrétien poursuivaient l'abbé Clair de cachette en cachette. Ils étaient venus ensemble à l'église ; et Chrétien, premier officier municipal, usant de son autorité, armé d'une hache brisa la tête de la sainte Vierge, cassa le crucifix en plusieurs morceaux et mutila la statue de saint Saturnin (3). Ces deux familles, loin de conserver la reconnaissance qu'elles devaient à Fénelon, détruisaient tout ce qui touchait à son souvenir avec une haine implacable. Antoine Chrétien, emporté par une colère aveugle dans sa honteuse bravade contre les saints, et enhardi sans doute de ce que Dieu ne l'avait pas puni sur-le-champ, poussa la profanation plus loin encore. Il prit les vaisseaux des saintes huiles et les versa sur ses chaussures. Cette plaisanterie, bonne à peine en paroles dans un corps de garde, poussée par lui jusqu'à la plus brutale réalité, lui fut très funeste. Dès ce jour, il tomba malade et ne se releva pas. Il fut saisi d'une maladie étrange, inconnue (4). Les vers l'ont dévoré tout vif. Ses douleurs étaient atroces. Sa femme, pour cacher cette ignominie, éloignait de son lit non seulement sa famille, mais même ses enfants. Malgré toutes ces précautions, les

 

(1) Le député régicide le Pelletier de Saint-Fargeot, seigneur de Montjeu, avait dans cette paroisse de grandes propriétés.

(2) Registres de fabrique à la cure de Saint-Firmin.

(3) Fait connu de tout le pays de Saint-Sernin.

(4) Tradition unanime de tout le pays de Saint-Sernin, complétée par le récit de Mlle Cécile Douheret, de Montcenis, qui se rappelle très bien avoir entendu conter tous ces faits. Nous en parlons d'autant plus librement, que ce chrétien n'a laissé, dans le pays aucun héritier direct.

 

cris qu'il poussait arrivaient sur la place comme des hurlements furieux. M. Douheret seul, comme notaire, pénétra jusqu'à son lit pour entendre ses dernières volontés. Frappé des souffrances de ce malade, il interrogea les voisins qui lui racontèrent ce que nous venons de lire. Tous regardaient ce fait comme une punition miraculeuse. Après quelque temps, il mourut sans aucun secours de la religion, justement puni de Dieu. Les statues qu'ils avaient mutilées furent replacées plus tard au dessus de la porte du clocher, pour servir à la mémoire de ces temps difficiles (1). Un grand nombre de terres du prieuré étaient devenues biens nationaux. Les habitants les regardaient comme des communautés. Ce n'est que l'an VI, c'est-à-dire en 1798, qu'elles furent affichées pour être vendues par l'administration centrale de Mâcon, le 1er floréal. Aucun ici n'était assez riche pour prétendre les acheter seul, c'est pourquoi quelques-uns firent société afin d'opérer cette acquisition. Louis Martinon de Marmagne et Pierre Martinon d'Antully, délégués par cette association, allèrent à Mâcon pour cette affaire (2). Les biens leur furent adjugés. Mais, de retour, ils ne s'entendirent pas avec leurs associés, qui étaient : Lazare Devaussauvin, Jean Galoisy, Claude Demaizières, Claude Sourdeau, Emiland Boyer, Jean Chrétien, Antoine Gaudin, André Fyot l'ancien, et François Guinot de Saint-Firmin. Ce n'est que devant le juge de paix de Montcenis, qu'ils arrivèrent à un partage et à un payement proportionnels. Les bois restèrent à l'Etat, et la cure fut réservée à l'abbé Clair, qui erra de demeure en demeure jusqu'au rétablissement du culte. Le retour à l'ordre et à la religion, dans la plupart de nos paroisses de campagne, n'attendit pas le Concordat. Nous n'avons

 

(1) On peut les voir encore aujourd'hui.

(2) Copie de l'huissier Nomblot de Montcenis. (Propriété de l'auteur,)

 

pas d'actes authentiques à Saint-Sernin pour fixer le jour où l'abbé Clair rouvrit son église et demanda aux fidèles la rétractation publique de toutes les erreurs révolutionnaires. Mais nous pensons bien qu'il suivit en cela l'exemple de ce confesseur de la foi que nous avons déjà cité. M. Bauzon écrit en terminant son histoire : " Le dimanche 13 septembre 1795, à mon retour de Mâcon, je fis la bénédiction de l'église de Saint-Pierre de Varennes, qui avait été profanée de toutes sortes de façons, suivant la permission qui m'avait été accordée par mes supérieurs ecclésiastiques. La cérémonie fut des plus solennelles, on s'y porta en foule de toute part, soit de la paroisse, soit de celles des environs. J'eus la consolation d'y voir répandre beaucoup de larmes et d'entendre les protestations que l'on faisait à Dieu, la main sur le saint Evangile que je présentai à l'assemblée, et plusieurs, au nom de tous et des absents, firent à haute voix la protestation prescrite. J'ai célébré les divins mystères ; et à vêpres, je fis la procession avec le très saint Sacrement dans l'intérieur de l'église. Je fis l'amende honorable et je donnai la bénédiction. Après cela, jusqu'au moment, il y a eu des variations et des contre temps dont il est inutile de faire mention. Je dirai le reste une autre fois (1). " Nous ne savons si Dieu lui donna le temps de continuer le récit de ses souvenirs. Il mourut quelques mois après la bataille de Marengo, mais avant Fentier rétablissement cl a culte. Ses deux confrères, M. Dufresne et l'abbé Clair, comme lui, confesseurs de la foi, l'accompagnèrent à sa dernière demeure. On lit au registre de la paroisse : " Le 23 octobre 1800 a été inhumé vénérable Antoine Bauzon, curé de Saint-Pierre depuis quarante quatre ans ; est inhumé par M. Dufresne, curé de Saint-Firmin, en présence de Jean Clair (2). "

 

(1).Document déjà cité.

(2) Archives de la paroisse de Saint-Pierre de Varennes.

 

Comme on le voit, tout ce que Fénelon a touché ici-bas, de près ou de loin, a été marqué au coin d'une piété humble et douce, mais forte, éclairée et persévérante. " Voilà ce que j'ai vu plus d'une fois, disait un profond observateur, la contagion puissante, exercée par la foi sincère, et pure ; il suffit souvent qu'un homme soit ce qu'il doit être, pour que tout ce qui en approche se fasse semblable à lui (1). " A Saint-Sernin, n'est-ce pas à sa douce influence que le bien a continué à se faire, malgré l'autorité en démence et les excès d'une révolution dévoyée ? Son souvenir et son exemple étaient là présents à, la mémoire de M. Dumont, lorsqu'il préféra, l'âme pleine de sombres préoccupations, quitter sa paroisse plutôt que de prêter un serinent schismatique. C'est ce prêtre que Fénelon avait formé pendant de trop courtes années, qui avait inspiré, à son tour, à Jean-Baptiste Clair, son vicaire, la courageuse résolution de ne pas quitter le service des âmes, au milieu desquelles Dieu l'avait appelé, et cela aux dépens de mille sacrifices, aux dépens de sa vie même qu'il risqua certainement en plusieurs circonstances. Les vertus de ce confesseur de la foi sont encore ici dans la mémoire de tout le monde. Cependant il vécut bien peu après les six années de son ministère passées dans les bois. " En 1803, il avait terminé une première communion publique, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Le lendemain, sur invitation, il se rend, plein de joie, avec M. Fichet, curé de Saint-Pierre de Varennes, au château de Dracy-les-Couches, pour une réunion d'amis. On commençait à se compter et à se féliciter après la tourmente, lorsque Claude Fyot, des Vernizeaux, homme qui, pendant les mauvais jours, avait brisé les croix, mutilé les statues des saints, se présente et demande M. l'abbé Clair, pour baptiser un enfant qui lui était nouvellement né. M. l'abbé Clair

 

(1) Mme Swetchine.

 

devait coucher au château, cependant il part malgré les représentations de la compagnie, arrive à Saint-Sernin très fatigué, baptise l'enfant en question qui se portait à merveille, descend encore aux Vernizeaux, prendre part à la joie de cette famille et lui prouver par là que son âme sacerdotale avait tout oublié. Il rentre tard, se couche, tout mouillé de sueur, dans une chambre froide et humide. De là une pleurésie dont il est mort quelques jours après, muni de tous les sacrements de l'Eglise; il n'avait que quarante et un ans. C'était le 26 avril 1803, ou le 8 floréal an XI, comme on disait encore (1). " Sa tombe se voit aujourd'hui non loin de la porte du cimetière. Devant tant de victimes, qu'il nous soit permis, en terminant cette étude, de répéter une parole d'un de nos derniers papes : "Le clergé gallican a conquis de nouveau, pendant la Révolution, la place éminente qu'il possédait aux anciens temps; il a fourni au ciel plus de martyrs que tout le reste de l'Europe ensemble. " Et pour finir par l'abbé de Fénelon qui remplit la plus grande partie de cette étude, disons que parmi les membres illustres de cette famille, c'est lui qui, dans la vie, choisit la meilleure part. Plusieurs ont poursuivi la gloire militaire, et l'ont légitimement acquise; l'Archevêque de Cambrai passe à la postérité comme littérateur; le prieur de Saint-Sernin préféra les œuvres du cœur et de la charité à celles de l'esprit et de la science. Les actions d'éclat, les couvres du génie tombent sous la critique des hommes et sont diversement appréciées selon les temps et la politique. La charité douce et humble fuit le regard du monde, pour n'avoir qu'en Dieu une récompense sure et éternelle : récompense centuplée pour l'abbé de Fénelon par le martyre. Cette mort glorieuse, il l'accepta avec joie ; elle venait à propos, car la Révolution, avant d'immoler sa victime, avait eu soin de la

 

(1) Registres de la paroisse. (Archives de la cure.) Note de M. Ravatin, écrite d'après le récit de M. Fichet.

 

dépouiller, et ce dépouillement était si complet que l'abbé de Fénelon disait en marchant au supplice : " La mort n'est pas un mal pour celui qui ne peut plus faire du bien. »

 

Cy gyt Jean Clare natif de St Emilant prêtre curé de St Sernin de DuBois

 

Tombe de M. Jean Baptiste Claire, vicaire, puis curé de Saint-Sernin du Bois

Confesseur de la foi pendant la Révolution (Cimetière de Saint-Sernin).

 

 

Tables des chapitres

 

Préface

Lettres approbatives

Documents imprimés et documents manuscrits

Chapitre I – Présomptions historiques sur l'origine de Saint-Sernin du Bois

Chapitre II – Les prieurs de Saint-Sernin depuis 1300 jusqu'à 1745

Chapitre III – Le dernier prieur de Saint-Sernin du Bois, Jean-Baptiste-Augustin de Salignac-Fénélon

Chapitre IV.- l'abbé de Fénélon, maître de Forges

Chapitre V - Jean-Baptiste-Augustin de Salignac-Fénélon, prieur de Saint-Sernin, est, à Paris, aumônier des petits savoyards. Son jugement, sa mort.

Chapitre VI – Le prieuré de Saint-sernin du Bois après la révolution de 1793

 

PARIS.- E. DE SOYE ET FILS, IMPRIMEURS, 5, PLACE DU PANTHEON