H. Chazelle

 

Saint-sernin-du-bois et son dernier prieur

 

 

D'après l'abbé Sébille (1), ce serait saint Colomban qui aurait évangélisé le premier la région et bâti une chapelle sous le vocable de saint-Saturnin, ainsi qu'un couvent. Celui-ci végéta tant bien que mal jusqu'au moment où l'évêque Aganon, à la fin du 11e siècle, l'eut pris sous sa protection.

Vers 1280, sa situation s'est améliorée, ses terres se sont étendues et il devient une annexe du prieuré de Saint-Christophe-en-Brionnais.

Nous ne connaissons pas les noms des premiers prieurs et ce fut seulement à partir de 1352 que l'on put relever le nom de l'abbé Guidon, enterré dans l'église de Saint-Sernin.

Le prieur qui lui succéda fut Jean de Saint-Privé qui sauva de la ruine, non seulement l'église de Saint-Sernin et les richesses du couvent, mais aussi les familles pauvres des environs qui étaient venues se placer sous la protection du monastère, pour ne pas être victimes des bandes de pillards et de soldats telles que les « Ecorcheurs » et autres. Ce fut lui qui fit ériger la grande tour que nous voyons encore aujourd'hui.

Cette tour était composée de cinq étages et ses murs de plus de deux mètres d'épaisseur, avec ses fenêtres percées en meurtrières, permettaient non seulement la défense du prieuré, mais servait également de refuge à la population.

Si les premiers successeurs de Jean de Saint-Privé s'occupèrent bien du prieuré, il n'en fut pas de même pour ceux qui suivirent, qui l'abandonnèrent, préférant vivre dans un faste brillant où ils dépensaient tous les revenus de leur prieuré qu'ils laissaient tomber en ruines.

Et ce fut ainsi jusqu'en 1744, date à laquelle fut désigné un nouveau prieur.

 

Saint-Sernin-du-Bois en 1789

 

Qui était cet abbé? L'abbé de Salignac naquit en 1714 au château de la Poncie, paroisse de St-Jean-d'Estissac. Il fut baptisé le 30 août et l'acte est ainsi rédigé : « 30 août 1714 : a été baptisé Jean de Salaniac, fils légitime d'Arnaud de Salaniac, écuyer, seigneur de la Poncie, et de Marie Dumas, dame de la Poncie, parrain, Jean de Salaniac, écuyer, et marraine, Suzanne de Salaniac, damoiselle de la Poncie, qui ont signé avec moi : Jean de Salaniac, Suzanne de Salaniac, Monot, curé ».

Cet acte, ne satisfait pas complètement, car il ne mentionne ni le nom de Baptiste ni celui d'Augustin. On a expliqué en disant que dans cette commune ce nom était toujours accolé à celui de Jean et que le prénom d'Augustin lui avait été ajouté par sa famille pour le désigner parmi ses frères. Quant au nom de Salignac, celui-ci est souvent orthographié de différentes façons.

L'Abbé de Salignac était, par sa naissance, d'une branche parallèle à celle de Fénelon, l'archevêque de Cambrai, dont il était le petit-neveu et avait toujours eu pour lui un véritable culte. Il fut le premier à s'occuper de l'édition complète de ses oeuvres.

Et il avait même ajouté à son nom celui de Fénelon, ce qui n'était pas très légal ! ... Après avoir fait de modestes études aux Cordeliers de Périgueux, il fut nommé diacre en 1738, puis prêtre. C'est alors qu'il partit pour Paris, probablement sous la direction d'un parent bien placé à la cour, car peu après son arrivée, il était nommé « Aumonier de la Reine Marie Leczienska ».

A la cour, la fréquentation des grands ne troubla jamais ni son esprit ni son coeur. On lui offrit de riches bénéfices et des évêchés, il dédaigna les honneurs et lorsqu'on lui proposa la nomination de prieur à Saint-Sernin-du-Bois il accepta et quitta la cour pour se rendre dans son prieuré.

Et bien que le séjour à Saint-Sernin fût loin de ressembler à celui de Paris, l'abbé de Salignac ne quitta que rarement son prieuré. Il s'occupa du bien-être de ses fidèles et toute sa vie fut consacrée à l'amélioration de leur sort.

 

La forge de Mesvrin (d’après les « Mémoires de la Société Eduenne »)

 

Après avoir esquissé ses débuts, nous allons maintenant le voir à l'oeuvre dans son prieuré, se dépensant sans compter pour améliorer leur condition de vie et les faire bénéficier de nouvelles ressources.

Saint-Sernin-du-Bois, bâti dans une gorge escarpée, boisée et sauvage. est, à cette époque, un village pauvre. Pas de culture, pas d'élevage, pas d'industrie, pas de commerce. Quelques masures groupées autour de l'église et du prieuré ; quelques fermes disséminées aux alentours. Les habitants sont pour la plupart des bûcherons travaillant pour de maigres salaires à la fourniture de combustible aux verreries et fonderies de la région.

Une de ses premières préoccupation fut d'améliorer les routes pour faciliter les transactions. C'est ainsi qu'il fit élargir et empierrer les chemins reliant les villages environnants.

Il est en rapport avec Fr. de la Chaise, directeur des exploitations de houille du Crosot (ancien nom du Creusot) qui le choisit comme arbitre pour régler les différends qu'il a avec les propriétaires des terrains qu'il exploite.

L'abbé de Salignac sait qu'il a existé autrefois, aux environs, des carrières où l'on extrayait du minerai de fer et qu'une forge avait fonctionné au lieu-dit « Le Mesvrin » et il songe à reconstruire cette forge. Il choisit le même emplacement où il trouve la force motrice d'un ruisseau pour actionner les marteaux et à proximité le combustible.

En 1764, la forge fonctionne. Et en 1782, l'abbé de Salignac à la joie de voir tourner, sous la direction du célèbre Wilkinson, le premier laminoir de la région.

C'était là l'embryon de la grande usine qu'allait devenir Le Creusot (2).

 

Plan de la forge du Mesvrin (d’après les Mémoires de la Société Eduenne)

1. Maison de MM.Chardon, commissaire du Roy, et John Wilkinson

2. Forge et laminoirs à tôle

3. Logements d’ouvriers

4. Magasin à charbon de bois

5 & 6. Déchargeoirs

7 & 8. Chute d’eau

9. Crassier

10. Roue motrice

 

L'abbé songea alors à construire un fourneau pour fondre le minerai et fabriquer du fer pour alimenter sa forge. Il sollicita une autorisation pour cette construction. Mais ce ne fut qu'après une longue attente que celle-ci lui fut accordée. Le fourneau fut construit à Bouvier, béni solennellement le 4 avril 1772 et complètement achevé en 1774. Les minerais provenaient d'une de ses terres.

 

En août 1786, l'abbé de Salignac-Fénelon quitta Saint-Sernin pour Paris où il se consacra à l'oeuvre des Petits Savoyards. Il y montra un tel zèle qu'il ne fut bientôt plus connu que sous le nom d' « Evêque des Petits Savoyards ».

Mais la Révolution vint interrompre son apostolat et tous ses biens furent confisqués (3). Il refusa de prêter serment à la Constitution civile du Clergé et se retira au Calvaire du Mont-Valérien. Bientôt découvert, il fut arrêté et conduit au Palais du Luxembourg.

Malgré les démarches de ses nombreux amis et bienfaiteurs et la supplique adressée à la Convention par les « Petits Savoyards ». il monta sur l'échafaud le 19 Messidor An 2 (7 juillet 1794), quelques jours seulement avant le 9 Thermidor.

Il fut enterré avec ses compagnons d'infortune dans l'enclos des Religieuses de Saint-Augustin, au n°35 de la rue Picpus, à Paris, où il repose encore. Son nom figure sur les plaques de marbre où sont inscrits les noms des 1306 victimes de la Terreur, plaques placées dans la chapelle édifiée sur leurs tombes.

 

               

Baptistère du Prieuré                         Sceau de Fénélon                   Ecusson du Prieuré

 

(1) Saint-Semin-du-Bois et son dernier Prieur J.-B.-A. de Salignac-Fénelon, Abbé Sébile, 2e édition, 1882.

(2) Après le départ de l'Abbé de Fénelon, la forge continua de fonctionner. En 1836, elle livrait encore à l'Usine du Creusot des pièces forgées.

(3) Mon arrière-grand-père, M. Devaussanvin, avait acheté le prieuré de Saint-Sernin et avait trouvé dans les greniers de très nombreuses archives. Lorsque l'abbé Sebile, voulut écrire son livre, il demanda à M. Devaussanvin de lui prêter les archives qu'il possédait, mais il oublia de les lui rendre et en fit don à la Société Eduenne...

 

H. Chazelle