La tour

 

De champitaux

 

Par

 

Eugène Fyot

 

 

Autun

Imprimerie et librairie dejussieu

1907

 

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Extrait des mémoires de la société éduenne (nouvelle série)

Tome xxxv (année 1907).


 

LA

TOUR DE CHAMPITAUX

 

I

 

La tour de Champitaux doit-elle à son propre charme ou à la poésie des souvenirs d'enfance le prestige qu'elle eut toujours à mes yeux? A tout cela peut-être.

J'avais huit ans à peine, que mon père, désireux de m'initier aux émotions de la chasse, m'emmenait parfois, à deux lieues du Creusot, dans les bois de Champitaux (1), en novembre ou en mars, pour surprendre quelque bécasse attardée dans une clairière. J'avoue, pour être sincère, que j'étais vite fatigué de cette peu attrayante poursuite, aveuglé par les branches qui me cinglaient le visage. Et c'est avec une intime satisfaction que je voyais apparaître, vers midi, sur la route de Saint-Émiland, le petit nuage de fumée bleue qui s'élevait sur le toit grisâtre de la « Belle-Idée. » La « Belle-Idée » était l'auberge en renom de l'endroit, renom bien obligé, puisqu'il n'y avait pas de concurrence. Elle était tenue par un vieux brave, ancien soldat, je crois, le père Godard. Il occupait les loisirs que lui laissait sa trop rare clientèle à tisser cette toile inusable qu'on faisait jadis dans nos campagnes. Et voilà qui prenait à mes yeux un attrait bien autrement vif que la chasse dans les bois. Ce métier primitif, avec son bruit monotone,

 

(1) Commune de Saint-Firmin, canton du Creusot.

T. C.

 

m'eût laissé très indifférent à la ville, mais empruntait à la solitude des forêts, au voisinage de cette salle d'auberge, une importance extraordinaire.

Aussi, lorsque après déjeuner, mon père se remettait en chasse, j'obtenais de lui, sans grande peine, qu'il me laissât à la garde du cocher pour voir manœuvrer le père Godard.

Puis, il y avait la vieille tour! Et quand au bout d'une heure, ma curiosité satisfaite avait vu confectionner quelques centimètres de toile, nous partions en compagnie de l'aubergiste, non sans être munis de solides gourdins destinés aux vipères qui pullulaient dans la contrée.

A moins d'un kilomètre, la tour de Champitaux se montrait tout à coup entre deux buissons, si curieusement reflétée par les eaux de son petit étang, qu'elle semblait assise sur un édifice renversé. Ses murailles à pignons sans toiture, dressées encore pour protester contre l'oubli des hommes, frappaient étrangement mon imagination ; surtout, lorsque à mes questions embarrassantes, le père Godard trouvait bon de répondre par des récits fantastiques de souterrains, de fées, de lutins et de bêtes monstrueuses. Je les ai, par malheur, oubliés, mais l'archéologie n'a rien à y perdre.

Plus tard, j'eus une véritable jouissance à chercher dans nos archives la solution de ces problèmes auxquels le père Godard donnait une explication si fantaisiste.

Au reste, les documents n'étaient point nombreux. La tour de Champitaux n'eut jamais une grande importance. Ce fut une humble sentinelle placée là pour sauvegarder l'existence des retrayants groupés autour d'elle. Elle nous rappelle pourtant une page d'histoire et contribue à jeter quelque jour sur la vie de nos ancêtres; c'est à ce double titre qu'elle mérite l'attention des archéologues.

Actuellement elle n'est plus qu'une ruine. Située à peu près à égale distance de Saint-Émiland et du Creusot, presque au bord de la route qui relie la vieille bourgade à la

 

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ville industrielle, la tour forme un carré à peu près régulier de 10 mètres de côtés. Elle se terminait certainement à l'origine par une plate-forme à mâchicoulis où se réunissaient les défenseurs. La gaine extérieure qu'on voit encore à l'est, y aboutissait et servait sans doute de monte-charge soit pour les provisions de vivres, soit pour les munitions.

Dans la suite, lorsque le rôle militaire de la tour n'eut plus sa raison d'être, on l'utilisa pour d'autres usages, et la terrasse fut remplacée par une toiture à deux pans, aujourd'hui détruite. Seuls, les pignons ébréchés élèvent encore leurs pointes à 20 mètres au-dessus du sol. Une porte ogivale donne accès à l'intérieur envahi par les herbes et les ronces. Il n'y a plus ni planchers, ni charpentes, mais on peut aisément se rendre compte de l'existence antérieure de trois étages et de caves en sous-sol. Au premier étage se voit encore la place d'une grande cheminée à manteau dont les consoles étaient espacées d'au moins 2 mètres. Du reste, il n'existe plus aucun caractère architectural, aucune pierre sculptée. La maçonnerie, faite de moellons et de pierrailles entremêlés, est maintenue aux ouvertures et aux angles par des chaînes de taille très robustes. On voit que cela fut exécuté vivement, sans prétentions et pour les besoins du moment. Aux deux étages supérieurs, de petites fenêtres rectangulaires; au premier étage seul, une grande ouverture qu'on a dépouillée de sa tablette et de son linteau cintré.

Malgré leur épaisseur, les murailles menacent ruine. Une affreuse lézarde, au couchant, semble devoir entraîner , tôt ou tard, la chute d'une partie de l'édifice. A côté, quelques substructions, recouvertes par les ronces, sont les derniers vestiges des dépendances qui constituaient avec la tour, du quatorzième au seizième siècle, la maison forte de Champitaux. (1)

 

(1) Le pignon ruiné qui se voit en avant de la tour appartenait à une ferme qui fut brûlée vers 1875.

 

Entourées de quelques maisonnettes de cultivateurs, les ruines se mirent dans un petit étang qui alimentait autre~ fois la garnison et fournissait sans doute l'eau des fossés aujourd’hui comblés. Il n'y a là ni roches escarpées, ni perspectives panoramiques, et pourtant, ce paysage intime possède un charme incomparable. Si l'archéologue y trouve une intéressante étude, artistes et poètes y peuvent rêver tout à leur aise, car ici la nature se passe de la fiction.

 

II

 

Bien avant que la tour fût construite, il existait à Champitaux un fief relevant de la seigneurie d'Antully (1). Ce fief se composait vraisemblablement de quelques chaumières abritant les cultivateurs du domaine. C'était alors « la ville de Champitaux », comme le mentionnent les chartes.

D'ailleurs, le mot « Champitaux » lui-même, provenant de campus, semble bien d'origine médiévale. « Les champeaux » (d'où peut-être en diminutif Champitaux), désignaient des terres de plein champ, de plateau, par opposition aux prés bas ou en fond de rivière; et cette acception se justifierait ici pleinement par la nature des lieux.

Des premiers documents sur Antully, il résulte que les Riveaux, seigneurs primitifs d' Antully , furent aussi, dès le douzième siècle, les premiers maîtres de Champitaux. Mais, c'est à la fin du treizième siècle seulement qu'un document authentique nous en parle de façon précise (2).

 

(1) Antully, canton d'Autun.

(2) Il importe de signaler ici une inexactitude contenue dans l'histoire de Montjeu et ses Seigneurs, par M. l'abbé Doret et M. de Monard. (V. les Mém. de la Soc. Éd., t. IX. p. 144) Les auteurs mentionnent une vente de » la ville de Champitault « , en 1240, par Guillaume de Loges à l'abbé de Saint-Martin, et s'en réfèrent à la charte 58 des pièces justificatives de l'Essai sur l’Abbaye de Saint-Martin, par Bulliot. Il n'est aucunement question de Champitaux dans cette charte, et, en outré, la vente de ce fief serait en contradiction avec les documents subséquents.

 

            Ce document, une reprise de fief datée du 26 mars 1289/90 (1), nous fait savoir que les terres de Champitaux possédées par Hugues d' Antully , damoiseau, passent aux mains de Guillaume du Châtelet, apparemment seigneur de Brandon, car Brandon (2) s'appelait alors le Châtelet. La reprise porte, en outre, sur vingt livrées de terre situées au même lieu.

Comment s'opéra cette mutation, par vente, par échange, pour caution….? C'est ce que la charte ne nous apprend point, mais elle stipule expressément que le duc de Bourgogne se réserve pour lui et pour ses successeurs, dans les bois « du Deffens (3), de Saint-Sernin (4), de Saint-Goin (5), situés tant sur Antully que sur Champitaux, la chasse au gros gibier. »

Quelque soixante ans plus tard, Guillaume d'Antully, chevalier, racheta Champitaux en même temps qu'il acquérait divers territoires, « à Échivolée, au Fraigne, au bois des Terdres (6), de la Mange (7) et du Deffant. » Le vendeur se nommait Jean d'Essertenne (8). Il était seigneur de Brandon, selon toute vraisemblance, car les d'Essertenne paraissent avoir, à cette époque, détenu le château en dehors d'une période de quelques années seulement où l'on y voit des gouverneurs militaires.

C'est ainsi que Champitaux revint à la maison d'Antully ; mais il n'est encore aucunement question de tour ni de maison forte en 1350. Il n'en est pas davantage fait mention dans les lettres patentes de la reine Jeanne, datées du 15 novembre 1358. Et pourtant, l'agglomération de Champitaux avait alors une certaine importance, puisque la

 

(1) Ch. I des pièces justificatives.

(2) Brandon, commune de Saint-Pierre-de-Varennes.

(3) Le Deffend, commune de Saint-Sernin-du-Bois.

(4) Saint-Sernin-du-Bois, canton du Creusot.

(5) Localité disparue ou ayant changé de nom.

(6) Les Tardes, commune de Saint-Firmin.

(7) Échivolée, le Fraigne ou la Mange ont disparu ou ont changé de nom.

(8) Ch. Il des pièces justificatives.

 

reine de France, régente du royaume pendant la captivité du roi Jean, son mari, octroie par ses lettres à Guillaume d' Antully , chevalier, les fourches patibulaires complètes « dans la ville de Champital et ses appartenances » , en , signe de la justice haute, moyenne et basse qu'il avait le droit d'y exercer. (1)

Il résulte de ces lettres que Guillaume d'Antully ne possédait auparavant que les demi-fourches et que la faveur des fourches entières lui fut accordée sur sa demande et en considération des services rendus par son fils Guillaume, bailli du roi, en la comté de Bourgogne. (2)

C'est entre cette période et la date de 1370 environ que fut construite la maison forte de Champitaux. Guillaume d'Antully venait d'être nommé capitaine de Montcenis, le 21 avril 1362 (3), et se trouvait ainsi chargé d'organiser la défense du pays à l'approche des Grandes Compagnies. On peut logiquement lui attribuer la fondation de la maison forte de Champitaux, construite, bien qu'en plus petit, sur le modèle de celle de Saint-Sernin.

Or, la tour de Saint-Sernin fut, d'après M.l'abbé Sebille (4), édifiée vers cette époque par le prieur Jean de Saint-Privé.

C'était, en somme, une sage précaution que la construction de ces tours; en un temps où la guerre persistait à l'état endémique, les campagnes étaient à chaque instant sillonnées par des pillards, et le paysan, à leur approche, se hâtait de chercher un refuge derrière les épaisses murailles qui protégeaient au moins sa vie, si elles ne pouvaient garder son bien.

 

(1) Ch. III des pièces justificatives.

(2) Rappelons-nous à cette occasion que si la Bourgogne était alors sous la tutelle de Jean le Bon, c'est que le duc Philippe de Rouvres, âgé de quatorze ans, avait comme tutrice naturelle sa mère Jeanne de Boulogne qui avait épousé en secondes noces le roi de France. Remarquons aussi que la reine paraît investie de certains pouvoirs en l'absence du roi Jean, tandis que l'histoire garde le silence sur ce point, pour attribuer la régence au dauphin Charles, âgé de dix-neuf ans.

(3) Cf. la Châ/ellenie de Monlcenis, par E. Fyot, p. 29.

(4) Sainl-Sernin et son dernier Prieur, p. 20.

 

A vrai dire, ces petites forteresses étaient rarement attaquées. Les maraudeurs se bornaient à ravager les alentours et se gardaient de risquer un assaut sans grand profit pour eux.

Une chose certaine, c'est que Champitaux reçut la visite des Compagnies et des hordes anglaises qui, sous la conduite d'Amanieu de Pommiers, rôdaient autour de Montcenis en 1363. On en pourrait citer comme preuve la découverte d'une pièce de monnaie, vers 1880, au milieu d'un amas de pierres enfouies sous les broussailles avoisinant la tour .

Cette monnaie, un salut d'or, du poids d'une pièce de 10 francs, fut achetée par M. Devoucoux, notaire au Creusot, qui la donna plus tard à M. l'abbé Sebille. Elle porte les armes de France et d'Angleterre, l'initiale H et la Croix latine; pour type, l'Annonciation avec cette légende: Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat. (1)

Désireux de reconnaître les faveurs dont il avait été l'objet, Guillaume d'Antully, en 1360, se porta caution, avec sept autres seigneurs bourguignons, pour les 200,000 deniers d'or au mouton imposés à la Bourgogne par le traité de Guillon, pour la rançon du roi de France (2). Il recueillit ainsi de nouveaux droits aux faveurs royales et, après avoir tenu pendant deux années la châtellenie de Montcenis dans un temps difficile, il fut appelé par le nouveau duc de Bourgogne, fils de France, au bailliage de Dijon.

Mais Guillaume ne jouit pas longtemps de sa dignité et mourut le 24 avril 1365, laissant à sa veuve le soin de régler ses comptes. Je n'insisterais pas sur ces détails, s'ils n'avaient leur importance au point de vue qui nous occupe.

Guillaume d 'Antully , tant par sa caution (3) que par les

 

(1) Saint-Sernin et son dernier Prieur, par M. l'abbé Sebille, p. 22.

(2) Dom Plancher.

(3) Plusieurs seigneurs qui ne pouvaient payer leur cautionnement se rendirent prisonniers en Angleterre.

 

comptes de ses diverses charges, avait contracté des dettes envers le gouvernement ducal. Après sa mort, la cour des comptes, soucieuse de garantir sa créance, exerça la commise sur la maison forte et sur la terre de Champitaux dont le profit fut annuellement perçu par le receveur du bailliage. Les comptes de la châtellenie de Montcenis ne manquent pas d'en faire mention jusqu'en 1380.

Prenons au hasard le compte du châtelain Jean Bournault, en 1378. Il porte la note suivante: « Du proffit et émolument de la maison-forte et terre de feu Mons. Guill. de Champital jay piecea, pour les debtes dehuz par ledit chevalier à mondit seigneur, prinse et mise à sa main pour le terme de ce dit compte. - Néant. - Quar feu Nicholas Couchard, jadis receveur desdiz bailliages, et depuis Oudot Ramilley à présent receveur, sont chargés des rentes et émoluments dycelles se anciennes y sont dehues, et en devent comptes. » (1)

Aussi, lorsque aux environs de 1380 (2), Guillaume d'Antully, descendant du bailli de Dijon, fit une reprise de fief « de la ville d'Eschevolée, du bois de Tardres, des lieux dits le Celier du Costard et le Fraigne, des bois de la Gravetière, de la Conquise, du Deffend et de la Mange », il stipula de façon expresse qu'il omettait volontairement sa maison forte de Champitaux, avec le village et les dépendances, étangs, prés, moulin de l'étang, terres arables, bois de Tardres, bois de deux manses vacants, manse « es Doyres » , justice haute, moyenne et basse (3). Il fit savoir, en outre, que tout cela servait de cautionnement depuis longtemps au duc de Bourgogne et au châtelain de Brandon, sans doute intervenu comme prêteur.

 

(1) Arch. de la Côte-d'Or, B, 5351.

(2) La date de l'année ayant été omise sur la charte, Peincedé l'a classée assez justement, je crois, dans la liasse des reprises de 1380. Ch. IV des pièces justificatives.

(3) A part les Tardres et le Deffend déjà cités, à part aussi la Gravetière, commune de Saint-Firmin, les noms des autres localités n'existent plus aujourd'hui.

 

Guillaume d;Antully, le dernier des Logés d’Antully, mourut peu après sans enfants, et dame Marguerite, sa veuve, épousa le chevalier Odile de Mont jeu, héritier collatéral de Guillaume, en lui portant sa part dotale de Champitaux. Odile de Mont jeu en fit le dénombrement dans une reprise de fief en date du 11 juin 1381 (1), Il précise que la maison forte de Champitaux, avec ses aisances, est située entre deux jardins, qu'il existe sur les dépendances quatre étangs, tant grands que petits, puis il énumère en détail les parcelles et donne les noms des censitaires.

Champitaux demeure alors dans la maison de Montjeu sans qu'aucun fait saillant soit mentionné dans les archives qui la concernent. Hugues de Mont jeu, fils d'Odile, en présente une nouvelle reprise, le 16 février 1393/94, avec un dénombrement analogue au précédent (2), puis un second, le 21 juin 1424, en même temps que celui de la seigneurie d'Antully.(3)

A partir de cette époque, Champitaux subit le sort des seigneuries d'Antully et de Montjeu réunies.

Au seizième siècle, Philippe, seigneur d'Antully, le dernier des Montjeu, resta célibataire, et comme il était possesseur des deux tiers de Champitaux et d'Antully, il céda ces deux tiers, en 1530, à son beau-frère Claude Regnart, seigneur de Soirans, tout en se réservant la jouissance.

Claude Regnart en reprit de fief, le 2 octobre 1535 (4). Deux ans plus tard, Philippe de Montjeu ayant recueilli le troisième tiers de la seigneurie dans la succession du Sr de Mailly (5), son autre beau-frère, il l'échangea encore à Claude

 

(1) Ch. V des pièces justificatives.

(2) Ch. VI des pièces justificatives.

(3) Ch. VII des pièces justificatives.

(4) Ch. VIII des pièces justificalives.

(5) V. Montjeu et ses Seigneurs, par Doret et de Monard, Mém. de la Soc. Éd., t.IX,  p. 150.

 

Regnart. Celui-ci en fit une nouvelle reprise de fief, le 8 août 1537. (1)

Claude Regnart, mari de Jeanne de Montjeu, devint donc seigneur, pour la totalité, d'Antully et de Champitaux. Il était fils de Louis Regnart, seigneur de Soirans, chambellan du roi et son bailli d'Amous en la comté de Bourgogne. Il mourut vers 1554, laissant une fille, nommée Anne, qui épousa Philibert de Montconis. (2)

Dans la suite, Champitaux avec Antully passent au gendre de Montconis, Georges de Saint-Belin, puis au gendre de ce dernier, Nicolas d'Orge.

Après la mort de Nicolas d'Orge, sa veuve, remariée au baron de Cornoz, vendit, conjointement avec ses enfants mineurs, les deux domaines d'Antully et de Champitaux, le 14 mai 1614, au président Jeannin, seigneur de Mont jeu. La reprise en fut faite douze jours après (3). Voilà donc Champitaux réunie encore une fois à la seigneurie de Montjeu dont elle ne doit plus sortir.

La maison forte existait-elle encore? A vrai dire, les dénombrements de 1535 et de 1537 en font toujours mention, mais il est probable qu'à la fin du seizième siècle elle tombait en ruines, car son rôle militaire était depuis longtemps terminé, et les seigneurs d'Antully et de Montjeu avaient ailleurs leur résidence habituelle.

On pourra maintenant se reporter, pour les transmissions de Champitaux, à la dévolution de la seigneurie de Montjeu, rapportée dans les monographies de Glenne et de la Toison (4). On y verra comment ce magnifique domaine, après avoir appartenu aux Jeannin de Castille, passa avec Marie de Castille à Joseph de Lorraine, prince d'Harcourt et de Guise, puis comment tout cela fut acheté par Magde-

 

(1) Ch. IX des pièces justificatives.

(2) Montjeu et ses Seigneurs. Mém. de la Soc. Ed., t. IX, p. 150.

(3) Ch. X des pièces justificatives.

(4) Par le même auteur.

 

leine Boyvin de Bonnetot, en 1748, pour échoir à Michel Le Peletier de Saint-Fargeau. Mais ces transmissions furent, à diverses périodes, plutôt nominales qu'effectives en ce qui concerne Champitaux. La directe seule avec le droit de justice demeurait alors aux seigneurs de Montjeu, tandis que le domaine utile était aliéné à différents propriétaires.

C'est ainsi que, d'après le terrier de Montcenis, daté de 1610, Huguenin Calart, lieutenant au bailliage, possédait une étable à Champitaux. D'autre part, il est dit au dénombrement de Montjeu, fourni en 1642 par Nicolas Jeannin de Castille, que « le village de Champitaux dépend de la baronnie, que ses habitants sont de mainmorte et qu'ils doivent annuellement, y compris la blairie, 30II 17s 4d, plus 211 boisseaux d'avoine deux tiers, et 17 boisseaux de seigle, le tout à la mesure de Couches. »

Bien dures étaient encore ces redevances, si l'on en juge par l'état de misère constaté au procès-verbal de la visite des feux de 1645. Voici le texte de ce procès-verbal. C'est le conseiller Gérard Richard, élu commissaire aux , .

Etats de Bourgogne, qui parle :

 

D'ou estans sortis ( de St Pierre de Varennes ) , nous sommes allés à Champiteaux appartenant à M. Jeannin, trésorier de l'espargne, ou estant, après nous estre informés qui estoient les collecteurs des tailles faictes sur les habitans dudict lieu, suivant les billets à eux envoyez par messieurs les eleus, seroient venus à nous François Moyne et Jean Duchaisne, eschevins et collecteurs desdictes tailles, ausquels nous avons ordonné de nous représenter les roolles desdictes impositions par lesquelles, après le serment d'eulx pris, du contenu en iceux avons recogneu y avoir seulement audict Champiteaux six habitans I; en suit te de quoy, nous nous sommes acheminés dans leurs maisons où nous avons treuvé le mesme nombre d'imposés entre lesquels il n'y a que deux laboureurs tenant charrue; quoy faisant, ils nous ont remonstré que ledict lieu n'est

 

(1) Six feux, environ 30 personnes.

 

à prêsent en l'estat qu'il souloit estre, aine tout à faict ruyné; les" quels nous ont faict voir, en nous conduisant en sept maisons inhabitées; et de plus que ladicte communauté estoit fort endebtée, debvant à cours de rente à un nommé Febvre, de Couche, quatre-vingt-quatre livres, avec les intérêts de trois années; outre que plusieurs ayant abandonné ledict lieu etles autres ne pouvant porter les tailles, lesdicts François Moyne et Jean Duchaisne, pour le paiement desdictes tailles auroient esté constitués prisonniers pendant cinq septmaines dans la ville d'Ostun, ce que, par exploicts nous avons recogneu ; et que tous leurs bleds ensemencez estoient saisis et arrestés, tant pour le paiement de leurs debtz que de leurs tailles, qu'ils n'ont peu payer à cause des gresles et gelées qui, depuis trois ans en ça, ont gasté tous lel1r bled; leur territoire estant d'ailleurs fort sablonneux et de peu de rapport, situé près des bois et estangs et n'ayans, lesdicts habitans, qui sont mainmortables, aucuns communaux. (1)

 

Et pour. mettre le comble à leur misère, les quelques habitants de Champitaux étaient encore tiraillés entre les châteaux de Montjeu et de Brandon, qui tous deux leur réclamaient le service de guet et garde. Les malheureux avaient beau crier, mettre en cause le seigneur de Brandon et la dame de Montjeu (2), ils étaient invariablement condamnés par les deux justices rivales. (3)

Une fois, encore, au cours du dix-septième siècle, on trouve le nom de Champitaux dans un acte officiel. Je veux parler des lettres patentes, datées du 30 mars 1655, en vertu desquelles la baronnie de Mont jeu est érigée en marquisat pour Nicolas Jeannin de Castille, avec incorporation des terres de Broye (4), Antully (5), Étang (6), la Grande-

 

(1) Cf. État des Paroisses et Communautés du bailliage d'Autun en 1645, par G. Dumay, n° 20.

(2) Charlotte, veuve de Pierre de Castille.

(3) Arch. du château de Brandon, 18m V. le Ch.1teau et les Seigneurs de Brandon, par le même auteur, p. 96.

(4) Broye, canton de Mesvres.

(5) Antu!ly, canton d'Autun.

(6) Étang-sur-Arroux.

 

Verrière (1), Saint-Léger (2), la Comelle (3), Saint-Prix (4), Champitaux, la Porcheresse (5) et Marnay. (6)

Il n'en est pas moins vrai qu'en raison du principe de séparation du domaine utile dont j'ai parlé plus haut, le domaine de Champitaux appartenait, au commencement du dix-huitième siècle, à la branche aînée de la famille de Truchis, qui habitait Couches au dix-septième et au dix. huitième siècle (7). On n'a pu, toutefois, retrouver l'origine de cette propriété. Sans doute provient-elle d'un achat aux seigneurs de Montjeu qui se seraient réservés la directe et la justice. Cette possession nous est attestée par un procès. verbal de visite des bâtiments et des dégradations du domaine de Champitaux, faite par Saclier, notaire à. Montcenis, le 15 juillet 1750 (8). (Il s'agit évidemment ici de Louise Dupuis, veuve d'Henri de Truchis, seigneur de Mole et de Commune.) Malheureusement, l'indication seule de ce procès-verbal nous reste au répertoire, l'acte original n'existant plus.

Louise Dupuis, dame de Truchis, mourut en 1759. Après le partage de ses biens, le domaine de Champitaux échut à François-Charles de Truchis, le fils que son mari avait eu en premières noces d'Élisabeth Lesage.

François de Truchis étant mort célibataire en 1762, légua ce même domaine, par testament en date du 11 mars, à ses cousins Antoine-Charles et François-Louis de Truchis. (9)

Les deux cohéritiers, qui étaient militaires, conservèrent Champitaux sept années seulement. Le 7 août 1769,

 

(1) La Grande-Verrière, canton de Saint-Léger-sous-Beuvray.

(2) Saint-Léger-sous-Beuvray.

(3) Canton de Saint-Léger-sous-Beuvray.

(4) Saint-Prix, canton de Saint-Léger-sous-Beuvray.

(5) La Porcheresse, commune d'Auxy.

(6) Marnay, commune de Saint-Symphorien-de-Marmagne. - Arch. de la Côted'Or, Peincedé, t. III, p. 513.

(7) Communication de M. de Truchis.

(8) Répert. de Giraud à l'étude de M Pitavy. notaire au Creusot.

(9) Arch. de Saône-et-Loire, B, 1998, cote 16.

 

Louis-François de Musy, leur cousin et leur fondé de procuration, vendit pour eux les domaines de Noizeret et de Champitaux, pour la somme de 21,600 II, à M. Perreau, notaire à Montcenis. (1)

Et toujours concurremment avec le possesseur du domaine utile, le seigneur de Montjeu, conservant sa directe, Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, héritier testamentaire de Catherine Boivin de Bonnetot, veuve d'Aligre, énumère Champitaux dans sa reprise de fief de Montjeu, datée du 17 décembre 1776.(2)

Mais ici les documents font défaut. Il est probable, cependant, que le notaire Perreau revendit son domaine utile à Michel de Saint-Fargeau ou à sa fille, Mme de Morfontaine, car Champitaux ne paraît pas s'être détaché de Mont jeu au dix-neuvième siècle. L'étang et le bois voisin appartiennent encore à la princesse de Ligne. Le reste est morcelé. Il semble bien que la tour revienne à la propriétaire de l'étang, mais, par une bizarrerie singulière, quelques cultivateurs de la région prétendent y avoir des droits rivaux; prétentions sans grandes conséquences, bien entendu, puisque chacun laisse à l'envi la pauvre tour s'incliner de plus en plus vers le sol.

 

(1) Arch. du château de Digoine. Factum en suite de procès entre François de Musy et Ch. de Truchis, 1812. (Communication de M. de Truchis.)

(2) Arch. de la Côte-d'Or, B, 11089.